Intervention de Daniel Verwaerde

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 16h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Daniel Verwaerde, administrateur général par intérim du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation à venir m'exprimer devant cette commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Je suis accompagné de M. Jean-Luc Vo Van Qui, directeur de la sûreté et de la sécurité nucléaires, nouvellement nommé, et de M. Jean-Pierre Vigouroux, directeur des affaires publiques, qui assure l'interface avec le Parlement.

J'aborderai essentiellement dans mon propos liminaire des questions générales relatives à la gouvernance. Nous pourrons traiter ensuite des sujets plus précis à partir des questions que vous m'avez transmises et de celles que vous me poserez.

Je me dois de commencer en abordant la question fondamentale de savoir si sécurité et sûreté nucléaires peuvent dépendre d'une même autorité.

Il me paraît d'abord important de préciser le terme « sécurité ». Ce mot a en effet plusieurs significations relativement différentes.

Habituellement, dans l'industrie, « sécurité » désigne la sécurité du travail, la protection des travailleurs.

La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite « loi TSN », a innové en regroupant sous ce terme « la sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actes de malveillance, ainsi que les actions de sécurité civile en cas d'accident ».

Dans la communauté nucléaire internationale, la pratique est d'appeler « sécurité nucléaire », la prévention des actes de malveillance, en particulier à l'égard des matières nucléaires, et « sûreté nucléaire », la prévention des accidents. À moins que cela ne vous convienne pas, j'utiliserai ces dernières acceptions – elles sont un peu restrictives, mais elles permettent d'opérer une distinction claire.

Par ailleurs, l'expression « sécurité nucléaire passive », qui figure dans le questionnaire que vous nous avez transmis, doit, à notre avis, être précisée afin d'éviter des malentendus. En effet, elle pourrait laisser supposer qu'il peut y avoir une « sécurité passive » permettant par elle-même de faire face aux actes de malveillance. J'estime que la prévention repose sur un ensemble indissociable comprenant une stratégie, des moyens matériels, des hommes, et des procédures qui font intervenir le renseignement, la détection, la levée de doutes, l'intervention… À mon sens, de simples dispositifs passifs ne sont pas de nature à répondre à des agresseurs mobiles qui s'adapteront aux défenses, comme cela a malheureusement déjà été démontré dans d'autres domaines.

Il convient ensuite de souligner que, s'il y a une interaction entre sûreté et sécurité nucléaires, il s'agit, selon moi, avec les définitions que j'ai retenues, de sujets profondément différents.

La nécessité de l'interaction est évidente, car l'un des buts possibles des actes de malveillance est bien de provoquer un accident. Aussi la réflexion sur la sécurité nucléaire doit-elle au moins tenir compte des travaux de sûreté nucléaire pour identifier les accidents possibles, leurs déterminants et la possibilité qu'ils soient déclenchés par un acte malveillant. Inversement, la sûreté nucléaire doit prendre en compte la prévention des accidents, même s'ils sont provoqués volontairement. En outre, il est important de veiller à la cohérence des mesures prises au titre de l'une et de l'autre.

Toutefois, il existe des différences fondamentales entre « sûreté nucléaire » et « sécurité nucléaire » dans plusieurs domaines.

Comme cela a été rappelé précédemment, la sûreté nucléaire vise à prévenir les accidents alors que la sécurité nucléaire vise à prévenir les actes de malveillance.

Les différences concernent aussi les objectifs. La sûreté nucléaire consiste à protéger les personnes, les biens et l'environnement, alors que la sécurité nucléaire a des objectifs plus nombreux : en cas d'acte de malveillance, c'est-à-dire de sabotage d'une installation, elle vise à protéger les personnes, les biens et l'environnement, mais aussi à préserver le bon fonctionnement d'installations vitales pour la nation. L'acte de malveillance peut aussi avoir des objectifs largement déconnectés de la « sûreté nucléaire » tels que le vol de matières nucléaires ou radioactives, le vol d'informations sensibles…

Les responsabilités ne sont pas les mêmes. La responsabilité de la « sûreté nucléaire » incombe entièrement à l'exploitant, qui est contrôlé par l'autorité de sûreté, à savoir l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). La responsabilité de la « sécurité nucléaire » est, au contraire, partagée entre les services régaliens de l'État – qui déterminent, par exemple, les menaces auxquelles il faut faire face, agissent en matière de renseignement et interviennent en cas d'agression forte – et l'exploitant qui met en place d'une stratégie et de moyens de prévention, et assure une première intervention.

La philosophie et la conception des systèmes sont également différentes. En matière de sûreté, on s'attache dès la conception à ce que « la physique » du système permette sa maîtrise nucléaire, quel que soit l'état dans lequel il pourrait parvenir du fait d'une défaillance de procédure ou de contrôle, et l'on ajoute des mesures compensatoires mises en oeuvre durant l'exploitation s'il existe un état de risque de perte de contrôle. En matière de sécurité, on s'attache à faire face à des agressions étalonnées par l'État, de telle sorte que les matières dangereuses soient protégées en toutes circonstances, de même que l'intégrité de l'installation si on le juge nécessaire.

Enfin, les différences entre sûreté et sécurité sont particulièrement fortes s'agissant du nucléaire si l'on s'intéresse à la question de la transparence. Dans le domaine de la sûreté, il est en effet très important d'assurer la plus grande transparence et la meilleure information possible du public. En revanche, dans celui de la sécurité, il est évident qu'une information largement diffusée est de nature à accroître la vulnérabilité ou à réduire fortement l'efficacité des mesures de prévention.

Il ne me semble donc pas totalement cohérent de vouloir, en quelque sorte, réduire les deux dimensions en une seule. Il s'agit de sujets liés mais distincts.

Le fait que sûreté et sécurité nucléaires soient deux sujets distincts amène à s'interroger sur un éventuel contrôle par une seule autorité. Pour parvenir à lui confier ces responsabilités, il faudrait résoudre plusieurs problèmes.

Le premier sujet à traiter est celui de la transparence : en France, l'ASN a une responsabilité indéniable en matière de transparence. Elle contribue, au nom de l'État, à garantir cette transparence à l'égard du public. Compte tenu de l'impérieuse nécessité de protection de certaines informations en matière de sécurité, on demanderait également à cette autorité, si elle devait être une autorité unique, de veiller à ce que certaines données ne soient pas diffusées. Il faudrait donc gérer simultanément transparence et protection de certaines l'information : cela peut rendre les choses difficiles.

Un second sujet tient à l'organisation de l'État : il a été rappelé que la responsabilité de la sécurité nucléaire incombait à l'exploitant et aux services régaliens de l'État. Si une autorité unique, avec le statut d'autorité indépendante dont dispose aujourd'hui l'ASN, avait en charge la sécurité nucléaire, elle devrait contrôler des services régaliens : cela nécessiterait une évolution juridique.

S'agissant de la gouvernance, je souhaite aborder la question du recours à des prestataires et à la sous-traitance. Cette pratique relève de la liberté d'entreprendre, qui est considérée par le droit français comme un principe à valeur constitutionnelle et par le droit communautaire comme une liberté fondamentale. Les restrictions à une telle liberté ne peuvent donc être admises que si elles répondent à un impérieux motif, tenant à des considérations d'ordre public économique, moral, sanitaire ou environnemental, ou bien de sécurité.

En France, selon moi, il est difficile de considérer a priori que le recours à la sous-traitance accroîtrait les risques en matière de sûreté et de sécurité. Cela reviendrait à supposer que les entreprises auxquelles un exploitant nucléaire fait appel dans le cadre de la construction, de l'exploitation ou du démantèlement de son installation n'ont pas les compétences pour exécuter des prestations répondant aux exigences de qualité imposées dans le domaine nucléaire.

La filière industrielle nucléaire, regroupée aujourd'hui au sein du Comité stratégique de la filière nucléaire (CSFN) créé sous l'égide du Conseil national de l'industrie, rassemble 2 500 entreprises employant près de 220 000 salariés, qui sont, pour quasiment la totalité d'entre eux, particulièrement qualifiés. Dans leur domaine, ils ne sont ni plus ni moins qualifiés que les personnels, par exemple, de l'exploitant qu'est le CEA, pour ne parler que de nous. De mon point de vue, il n'y a donc pas de raison de penser que ces entreprises, par leurs interventions ou leur présence dans les installations nucléaires, accroîtraient les risques en matière de sûreté et de sécurité.

J'estime que la véritable question à poser est celle de l'encadrement de la sous-traitance et de la gestion de la « co-activité », c'est-à-dire des risques d'interférences entre entreprises appelées à intervenir dans un même lieu de travail. Nous disposons toutefois aujourd'hui d'un arsenal législatif et réglementaire qui régit assez précisément les règles d'accueil des entreprises sous-traitantes au sein des installations, que ce soit en dans le code du travail, ou dans le code de l'environnement pour ce qui concerne la sûreté nucléaire. Ces règles permettent de gérer la « co-activité » au sein d'une installation nucléaire.

La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a par exemple permis de prendre le décret du 28 juin 2016 qui comprend plusieurs dispositions relatives aux sous-traitants.

J'estime que les textes en vigueur sont relativement nombreux et, pour certains, récents. Ils permettent de gérer la « co-activité » avec une certaine précision et ils montrent que nous accordons une très grande attention à la sous-traitance. Je recommande donc de ne pas se précipiter et d'examiner attentivement le fonctionnement du système avant de lui apporter des corrections ou éventuellement d'y ajouter.

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