Intervention de Daniel Verwaerde

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 16h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Daniel Verwaerde, administrateur général par intérim du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) :

Madame la rapporteure, nous vous transmettrons des réponses écrites avec des tableaux de chiffres par domaine.

Nous conduisons principalement nos recherches relatives à la sûreté nucléaire dans deux domaines essentiels.

Le premier domaine concerne les connaissances et les outils pour la conception des installations et leur fonctionnement. Une installation ne peut en effet se concevoir qu'avec ses normes de sûreté et un fonctionnement en sûreté : on pilote toujours une installation avec la sûreté, un peu comme on conduit une voiture avec le permis de conduire. Cela n'aurait pas de sens de concevoir une installation nucléaire sans intégrer directement la sûreté. Le CEA s'investit donc beaucoup pour améliorer les connaissances des matériaux utilisés et de leur vieillissement, ainsi que les connaissances architecturales, de manière à être capable de dimensionner une installation, un équipement, et éventuellement de prévoir son comportement, c'est-à-dire de permettre une maintenance préventive.

Le CEA travaille dans un deuxième domaine. Il prend modestement sa part des recherches en radiobiologie et en radiotoxicologie en étudiant l'interaction des rayonnements avec le vivant. M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, que vous avez dû recevoir, vous a sans doute indiqué que l'IRSN menait de très nombreuses études dans ces domaines – ils effectuent aussi des études d'accidents. Nous faisons beaucoup de choses ensemble.

Madame la rapporteure, vous m'avez demandé si le CEA était prescripteur. La réponse est « non ». Nous menons des études conjointement avec l'IRSN, ce qui permet de partager des moyens et de créer des interactions scientifiques enrichissantes, mais chacun reste dans son rôle. Le CEA est compétent pour améliorer la protection des travailleurs ou mieux concevoir une installation, mais il revient à l'IRSN, qui peut se fonder sur le même résultat scientifique, de proposer éventuellement une norme ou une réglementation.

Cela ne nous empêche pas de partager certaines choses. Nous opérons par exemple le réacteur de recherche Cabri au profit de l'IRSN en raison des expériences qui nous intéressent autant l'un et l'autre et que nous partageons scientifiquement.

Sur quoi travaillons-nous de manière générale ? Au niveau d'expériences élémentaires, nous regardons comment des matériaux se comportent en ambiance nucléaire. Nous utilisons pour cela des réacteurs d'irradiation – nous avions Osiris, et nous construisons le réacteur Jules-Horowitz. Les flux de neutrons y sont au moins aussi forts, à chaque endroit, si ce n'est plus, que dans un réacteur EDF – ce dernier est seulement beaucoup plus gros ce qui permet de produire plus d'énergie, mais on obtient dans un centimètre cube d'un réacteur de recherche des quantités d'irradiations supérieures. Cela permet de regarder comment se comportent les matériaux lorsqu'ils reçoivent ces fortes irradiations.

Notre travail consiste donc à irradier un matériau puis à déterminer s'il est encore propre à exercer sa fonction ou s'il s'est dégradé – recevoir des bouffées de neutrons ne dégrade pas que les êtres humains… C'est la réalité : il s'agit simplement d'un phénomène physique qui se produit partout, jusque dans les étoiles. La seule vraie question est de savoir si cette dégradation peut avoir des conséquences sur la sûreté et le fonctionnement normal d'une centrale.

Nous faisons aussi de plus en plus de développement numérique. Nous traduisons les connaissances acquises, grâce à nos expériences, en équations mathématiques et chimiques que nous introduisons dans des logiciels. Ces derniers permettent de comprendre dans un système comment un petit phénomène peut réagir sur un ensemble. Si nous entrons une nouvelle équation relative au comportement d'un matériau après irradiation, le logiciel de calcul permettra d'étudier ce matériau sous toutes ses formes géométriques : une cuve, d'un générateur de vapeur… Le logiciel transforme une loi de la physique élémentaire que nous avons mesurée pour donner une estimation concernant un système réel. Le CEA réalise de grands logiciels qui permettent de faire ces calculs.

Dans le domaine de la biologie, nous regardons par exemple sur de grandes populations si une maladie particulière se développe compte tenu de l'hypothèse d'une agression, nucléaire ou non. Nous regardons s'il existe une corrélation ou une influence. Nous avons une approche médicale classique pour des études de populations. Nous avons aussi des approches beaucoup plus élémentaires, car nous regardons l'influence des radiations au niveau de la cellule, voire de molécules.

Par exemple, depuis trente ans, nous nous intéressons beaucoup au prion, car nous avons remarqué que cette molécule, qui n'est pas vraiment du vivant, résiste diaboliquement aux radiations. Soumise à des irradiations dix fois plus faibles, la même chaîne chimique d'autres molécules se casserait alors que le prion est très résistant. Un jour, s'est déclenché la maladie « de la vache folle », dans laquelle des prions particuliers jouaient un rôle. Assez rapidement, il a été possible de mettre au point un test de détection chez le boeuf à partir de nos travaux sur l'irradiation et de la tenue chimique de la molécule.

Voilà ce qu'est le CEA : il fait de la recherche fondamentale destinée au champ du nucléaire, et, de temps en temps, une moisson a lieu pour une application. Il peut paraître étonnant que le CEA pratique la biologie. Frédéric Joliot-Curie lui-même, qui avait vu sa belle-mère souffrir d'un cancer, voulait qu'il en soit ainsi. Il savait que le nucléaire n'était pas sans conséquence sur le vivant, et, dès la création du CEA, il a souhaité que cette dimension biologiste soit développée. L'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) était à l'époque chargée de ce domaine. L'IPSN a fini par voler de ses propres ailes et par devenir l'IRSN. Nous avons toutefois conservé une petite partie des programmes de radiobiologie, même si l'essentiel est passé à l'IRSN.

Vous m'avez interrogé sur nos moyens financiers et humains consacrés à la sûreté Sans que cela soit toujours à temps complet, je peux vous dire que 600 personnes travaillent au CEA sur les problèmes relatifs à la sûreté. Nous consacrons environ 130 millions d'euros par an à ce domaine.

Au-delà de ce volet « études », un volet « sûreté-sécurité » emploie environ un millier de personnes, pour un budget annuel de l'ordre de 600 à 700 millions d'euros. Cela peut dépendre des projets en cours. En ce moment, depuis la recrudescence des menaces, nous développons un programme de renforcement des mesures passives, mais aussi des effectifs. Nous allons recruter une bonne centaine de gardiens supplémentaires pour être capable, de faire face à ce que j'appelle une montée en gravité des agressions potentielles. Je ne peux pas vous donner davantage de précision à l'instant, car les informations en la matière sont classifiées. Un investissement spécial est prévu. Il sera d'une durée limitée en ce qui concerne l'investissement passif : de l'ordre de 120 millions, qui seront dépensés jusqu'à 2020-2021. L'effectif augmenté sera pérennisé. Entre les suppléments nécessaires pour payer les personnels et les frais associés, il faudra compter une vingtaine de millions d'euros supplémentaires par an – on voit apparaître ces programmes spécifiques dans le détail des lignes budgétaires du CEA.

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