Intervention de Christophe Lecourtier

Réunion du mercredi 14 mars 2018 à 16h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Christophe Lecourtier, directeur général de Business France :

Créée au début de l'année 2015, l'agence Business France est l'héritière de deux organisations : Ubifrance, chargée d'apporter son soutien aux exportateurs et l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII), dont le rôle était d'attirer les investisseurs étrangers en France et de les accompagner dans les meilleures conditions. C'est au titre de cette seconde mission que je m'exprime devant vous cet après-midi,

Elle se décline en quatre actions principales. La première est d'informer investisseurs et talents internationaux des atouts structurels de la France et de la dynamique des réformes, dont l'incidence est déterminante – et positive – depuis quelques mois ; la deuxième consiste à prospecter et à convaincre des investisseurs potentiels grâce à des équipes présentes aux quatre coins du monde ; la troisième, à suivre les communautés d'affaires d'investisseurs internationaux présentes en France pour voir dans quelle mesure leurs projets sur notre sol se déroulent bien, et favoriser réinvestissements et développement de leurs implantations. La quatrième, à mon avis très importante, consiste à conseiller le Gouvernement en lui faisant remonter les principales difficultés d'ordre générique que rencontrent les investisseurs dans le développement de leur projet en France.

L'agence Business France n'est évidemment en rien impliquée dans les grandes opérations de fusion et acquisition que vous avez évoquées, monsieur le président, ou qui ont même pu défrayer la chronique, qu'il s'agisse du rachat de la branche « Énergie » d'Alstom par General Electric, de Nokia rachetant Alcatel, ou encore de la fusion entre Lafarge et Holcim. Ces dossiers sont gérés à un niveau beaucoup plus politique, au sein des cabinets ministériels et de manière interministérielle. Nous menons pour notre part un véritable travail de fond, beaucoup moins ponctuel et beaucoup plus structurel, pour faire en sorte que la France conserve et même accroisse sa part relative dans les flux d'investissement à destination de l'Europe – c'est bien l'enjeu des prochaines années. En stock, ces flux représentent, on ne le sait pas toujours, une part très importante de l'économie française. Nous comptons 28 000 entreprises à capitaux étrangers – je parle bien d'entreprises, pas d'établissements –, qui emploient à peu près 1,8 million de salariés. Représentant plus de 30 % des exportations françaises et plus de 21 % des dépenses de recherche et développement (R&D), elles sont particulièrement présentes dans l'industrie manufacturière. Le rôle des investisseurs étrangers est donc déterminant dans le combat pour l'industrie, devenu enjeu national.

La période 2014-2017, à tort ou à raison, n'est pas toujours considérée comme la plus faste en termes d'image ou d'attractivité de notre pays.

À l'époque, j'étais moi-même ambassadeur, et nous devions assez souvent lutter contre ce qu'on appelait le french bashing, autrement dit la critique un peu facile et assez récurrente de notre pays. Nous n'en avons pas moins réussi, au cours de cette période, à attirer sur notre territoire plus de 4 400 projets d'investissement, qui ont représenté environ 124 000 créations nettes d'emploi. Environ 47 % de ces projets, pratiquement la moitié, ont été directement décelés et accompagnés par Business France. Nous considérons évidemment les créations d'emploi qui peuvent résulter des investissements, et nous nous concentrons sur les projets ayant un intérêt du point de vue de l'emploi plutôt que sur les investissements proprement financiers, voire spéculatifs.

Au cours de cette période 2014-2017, même si cela peut paraître contre-intuitif, la France a été le premier pays d'accueil des investissements industriels étrangers en Europe. De ce point de vue, notre pays l'emporte de loin sur le Royaume-Uni et même l'Allemagne : 21 % des investissements industriels étrangers en Europe se sont faits en France, seulement 12 % au Royaume-Uni et 8 % en Allemagne. Il est vrai que les Allemands ont d'autres atouts pour financer leur développement industriel que l'apport de capitaux étrangers – Nicolas Dufourcq vous l'a très bien expliqué lors de son audition.

Cette tendance, tout de même assez positive en une période où l'image de la France l'était plutôt moins, se confirme. La France conserve son leadership – les résultats de l'année 2017, que nous pourrons donner dans quelques jours, le montrent. L'écart avec le Royaume-Uni et l'Allemagne se creuse même. C'est la France qui, aujourd'hui, attire le plus grand nombre de projets industriels.

Les investissements dans ce qu'on appelle dans les activités de production consistent pour les deux tiers en l'extension d'activité de sites existants, ce qui est plutôt un bon signe : ce faisant, l'investisseur confirme sa présence en France et accroît ses capacités de production. Les projets greenfield, c'est-à-dire les nouvelles implantations, représentent 12 % des projets. Dans 13 % des cas, nous sommes parvenus à obtenir des investisseurs étrangers qu'ils reprennent des sites en difficulté. Le reliquat est constitué de rachats-extensions et reprises-extensions.

Dans le classement des pays d'origine de ces investissements, les Allemands arrivent en premier : 18 % des investissements de production sont le fait d'entreprises allemandes, 16 % celui d'entreprises des États-Unis. Suivent les entreprises italiennes, belges et britanniques. Mais si l'on raisonne en termes d'emplois induits, les premiers sont les États-Unis : 25 % des emplois créés sont effectivement le fait d'entreprises d'origine américaine.

Les investissements dans les activités de production se concentrent pour les deux tiers dans six secteurs : l'industrie agroalimentaire ; la construction automobile et les équipementiers ; la chimie et la plasturgie ; le travail des métaux ; les machines et équipements mécaniques ; le verre et la céramique.

Le fait n'est pas toujours connu, mais c'est la région Grand-Est qui attire le plus de ces investissements ; son caractère frontalier n'y est pas étranger. Avec 17 %, elle se taille la part du lion. Elle est suivie de l'Occitanie, qui attire 15 % des investissements, et des régions Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, qui en attirent chacune 13 %. En revanche, les Hauts-de-France arrivent en tête en termes d'emplois liés strictement aux activités de production.

Nous avons traversé une période au cours de laquelle il pouvait être difficile d'expliquer à des étrangers que la France était l'endroit où il fallait aller. En tant qu'ambassadeur, je m'y suis employé ; j'ai rencontré des succès, mais aussi essuyé des échecs.

Selon les études qualitatives que nous faisons auprès des investisseurs étrangers, ils choisissent la France pour quatre raisons principales. La première, cruciale dans le monde actuel, est la qualité de notre écosystème en matière de d'innovation et de recherche et développement. Si la France est au sixième rang mondial pour les dépenses de R&D, chacun, en particulier l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), reconnaît que le crédit impôt recherche (CIR) a fait de notre pays celui où le traitement fiscal de ces investissements est le plus avantageux. C'est vraiment l'innovation qui est citée comme notre avantage comparatif numéro un, notamment selon le Baromètre d'EY que vous-même avez cité, monsieur le président.

Le deuxième atout structurel qui nous est reconnu est la qualité de notre main-d'oeuvre – je dirai même : son rapport « qualitéprix ». Nous avons souvent tendance à nous battre la coulpe, mais, depuis quelques années, le coût horaire de la main-d'oeuvre française dans l'industrie manufacturière est redevenu inférieur à celui de la main-d'oeuvre allemande. C'est récent, mais cela pèse dans les décisions d'investissement. Au critère de qualité de la main-d'oeuvre s'ajoute celui de sa quantité : une entreprise qui veut se développer en Allemagne éprouve de grandes difficultés à trouver les ressources humaines nécessaires, en techniciens ou en ingénieurs. Bien sûr, il y a aussi des goulets d'étranglement ou des difficultés en France, mais notre situation est de ce point de vue bien meilleure que celle de l'Allemagne.

Notre troisième atout, bien connu, c'est la très grande qualité de nos infrastructures. Cela vaut pour les infrastructures physiques – les aéroports, les routes, le réseau ferroviaire – mais aussi, par exemple, pour l'électricité : le fait que son prix soit l'un des plus bas en Europe fait souvent la différence.

Enfin, notre quatrième atout tient à la taille du marché domestique et, surtout, à notre dynamique démographique qui nous singularise.

Au cours de la période la plus récente, ces quatre atouts ont composé, avec la dynamique des réformes engagées par le Gouvernement un cocktail extrêmement efficace. Il est évident que les entreprises étrangères considèrent à la fois atouts structurels et dynamiques des réformes. Le ministre de l'économie aura l'occasion, dans quelques jours, de présenter le bilan de l'année 2017 ; une accélération très significative est intervenue à la fin de l'année dernière, que l'on considère le nombre de projets ou les créations d'emploi liées aux investissements étrangers dans notre pays.

Compte tenu de l'action du Président de la République et du Gouvernement, et sans doute aussi en raison d'une dégradation excessive au cours des dernières années, l'image de la France s'est singulièrement améliorée. Selon des sondages de Kantar TNS et de l'IFOP, 60 % des chefs d'entreprise ont le sentiment que la France est devenue plus attractive depuis mai 2017 : la progression est même de 24 points par rapport à la même période de l'année précédente ; autant dire qu'elle s'est fortement améliorée. Business France devra, au cours des prochains mois, exploiter au mieux cette perception favorable pour mobiliser de nouveaux projets d'investissement.

Pour le compte de l'Élysée et du Gouvernement, nous avons organisé le Sommet de Versailles à la fin du mois de janvier dernier. L'objectif était initialement d'accueillir un peu moins d'une centaine de grands patrons internationaux, pour la plupart en route pour Davos, mais, à quelques jours de l'événement, ils étaient déjà plus de 140 à annoncer leur présence ; la réponse de la communauté d'affaires internationale a donc été particulièrement forte. Nous avons dû nous organiser en conséquence.

Il nous appartiendra de faire en sorte, au cours des prochains mois, que la réalité législative et administrative au quotidien ne soit pas trop en décalage par rapport à cette perception favorable de notre pays. Dans cet esprit, j'ai proposé il y a quelques semaines au Gouvernement un projet de réforme qui porte tant sur notre action en faveur de l'export que sur cette politique d'attractivité. Nous avons aujourd'hui une ardente obligation, au sein des services de l'État mais aussi en liaison étroite avec les collectivités, en particulier les régions auxquelles la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « NOTRe », a donné compétence en matière d'attractivité, de ne pas laisser se creuser un écart trop grand entre cette image excellente et une réalité qui évolue forcément moins vite. Toutes sortes d'actions seront mises en oeuvre, notamment par le Gouvernement, pour résoudre certains points noirs qu'expriment bien certains classements internationaux et rapports comme ceux de la Banque mondiale, « Doing Business », ou du World Economic Forum de Davos. D'autres enjeux, nombreux, tiennent tout simplement à l'organisation administrative française et à notre capacité à mettre en cohérence le message adressé du plus haut niveau de l'État et du Gouvernement aux investisseurs étrangers, et qui aujourd'hui fait mouche, et la réalité de l'action des services de l'État, nombreux dans les territoires, qui chacun détiennent un levier, plus ou moins efficacement utilisé. Il s'agit de faire en sorte que les projets d'investissements étrangers aboutissent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.