La réunion

Source

La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Chers collègues, nous recevons aujourd'hui Christophe Lecourtier, directeur général de Business-France depuis le mois de septembre dernier, accompagné de MM. Antoine Gambard, directeur adjoint des investissements, et François Raffray, directeur des relations institutionnelles.

Votre expérience administrative dans le domaine des relations commerciales internationales, monsieur le directeur général, est riche. Vous avez commencé votre carrière au sein de la direction des Relations économiques extérieures (DREE), avant qu'elle ne soit absorbée par la direction du Trésor. Vous avez également travaillé dans plusieurs cabinets ministériels : au ministère de l'agriculture et au cabinet de Mme Christine Lagarde, alors ministre de l'économie et des finances. Vous avez également été directeur général d'Ubifrance, agence chargée de soutenir nos entreprises exportatrices, ambassadeur en Australie et, plus brièvement, en Serbie. Évidemment, votre témoignage nous éclairera sur l'attractivité de la France. Nous ne reviendrons pas en détail sur la situation de notre commerce extérieur, dont le déficit bat chaque année des records, notamment pour ce qui concerne les industries manufacturières !

Nous souhaitons évidemment savoir quel regard vous portez sur l'attractivité de notre pays. Partagez-vous l'analyse plutôt positive de certains observateurs selon lesquels elle se redresse depuis 2016 ? Je songe notamment au Baromètre annuel sur l'attractivité de la France et au classement établis par EY, anciennement Ernst & Young. Comme vous-même, à Busines France, dressez un état des lieux, j'aimerais connaître vos conclusions sur l'année 2017. Quels progrès ont été réalisés ? Quels secteurs vous paraissent les plus prometteurs ? Quels atouts faut-il mettre en valeur pour promouvoir l'attractivité de notre pays ? Quels sont les handicaps les plus persistants ?

Par ailleurs, je suis toujours gêné lorsqu'on évoque le montant global des investissements étrangers en France, car il y a « un peu à boire et à manger » Quand Disney décide d'investir 2 milliards d'euros, c'est évidemment de la création nette d'activité. En revanche, le rachat pour 12,5 milliards d'euros de la branche « Énergie » d'Alstom ne me paraît pas positif, j'y vois plutôt une opération de croissance externe visant à réduire un adversaire ou à éliminer un concurrent. Une distinction est-elle faite, sur le plan statistique, entre ces différents types d'investissement ?

Votre point de vue sur le contrôle des investissements étrangers nous intéresse également beaucoup. Le débat n'est pas purement franco-français. Le Président de la République lui-même a souhaité que l'Europe se dote de règles en la matière ; un projet de règlement européen est en cours d'élaboration et la question est largement débattue aux États-Unis ; de leur côté, les Allemands ont renforcé leur dispositif. Il s'agit de parvenir à un équilibre entre l'attractivité d'un pays et le contrôle des investissements dans les secteurs qu'il peut légitimement considérer comme les plus stratégiques, la notion de secteur stratégique elle-même méritant peut-être d'être précisée ?

Avant de vous laisser la parole, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de bien vouloir prêter serment.

(M. Christophe Lecourtier et M. Antoine Gabard prêtent serment.)

Permalien
Christophe Lecourtier, directeur général de Business France

Créée au début de l'année 2015, l'agence Business France est l'héritière de deux organisations : Ubifrance, chargée d'apporter son soutien aux exportateurs et l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII), dont le rôle était d'attirer les investisseurs étrangers en France et de les accompagner dans les meilleures conditions. C'est au titre de cette seconde mission que je m'exprime devant vous cet après-midi,

Elle se décline en quatre actions principales. La première est d'informer investisseurs et talents internationaux des atouts structurels de la France et de la dynamique des réformes, dont l'incidence est déterminante – et positive – depuis quelques mois ; la deuxième consiste à prospecter et à convaincre des investisseurs potentiels grâce à des équipes présentes aux quatre coins du monde ; la troisième, à suivre les communautés d'affaires d'investisseurs internationaux présentes en France pour voir dans quelle mesure leurs projets sur notre sol se déroulent bien, et favoriser réinvestissements et développement de leurs implantations. La quatrième, à mon avis très importante, consiste à conseiller le Gouvernement en lui faisant remonter les principales difficultés d'ordre générique que rencontrent les investisseurs dans le développement de leur projet en France.

L'agence Business France n'est évidemment en rien impliquée dans les grandes opérations de fusion et acquisition que vous avez évoquées, monsieur le président, ou qui ont même pu défrayer la chronique, qu'il s'agisse du rachat de la branche « Énergie » d'Alstom par General Electric, de Nokia rachetant Alcatel, ou encore de la fusion entre Lafarge et Holcim. Ces dossiers sont gérés à un niveau beaucoup plus politique, au sein des cabinets ministériels et de manière interministérielle. Nous menons pour notre part un véritable travail de fond, beaucoup moins ponctuel et beaucoup plus structurel, pour faire en sorte que la France conserve et même accroisse sa part relative dans les flux d'investissement à destination de l'Europe – c'est bien l'enjeu des prochaines années. En stock, ces flux représentent, on ne le sait pas toujours, une part très importante de l'économie française. Nous comptons 28 000 entreprises à capitaux étrangers – je parle bien d'entreprises, pas d'établissements –, qui emploient à peu près 1,8 million de salariés. Représentant plus de 30 % des exportations françaises et plus de 21 % des dépenses de recherche et développement (R&D), elles sont particulièrement présentes dans l'industrie manufacturière. Le rôle des investisseurs étrangers est donc déterminant dans le combat pour l'industrie, devenu enjeu national.

La période 2014-2017, à tort ou à raison, n'est pas toujours considérée comme la plus faste en termes d'image ou d'attractivité de notre pays.

À l'époque, j'étais moi-même ambassadeur, et nous devions assez souvent lutter contre ce qu'on appelait le french bashing, autrement dit la critique un peu facile et assez récurrente de notre pays. Nous n'en avons pas moins réussi, au cours de cette période, à attirer sur notre territoire plus de 4 400 projets d'investissement, qui ont représenté environ 124 000 créations nettes d'emploi. Environ 47 % de ces projets, pratiquement la moitié, ont été directement décelés et accompagnés par Business France. Nous considérons évidemment les créations d'emploi qui peuvent résulter des investissements, et nous nous concentrons sur les projets ayant un intérêt du point de vue de l'emploi plutôt que sur les investissements proprement financiers, voire spéculatifs.

Au cours de cette période 2014-2017, même si cela peut paraître contre-intuitif, la France a été le premier pays d'accueil des investissements industriels étrangers en Europe. De ce point de vue, notre pays l'emporte de loin sur le Royaume-Uni et même l'Allemagne : 21 % des investissements industriels étrangers en Europe se sont faits en France, seulement 12 % au Royaume-Uni et 8 % en Allemagne. Il est vrai que les Allemands ont d'autres atouts pour financer leur développement industriel que l'apport de capitaux étrangers – Nicolas Dufourcq vous l'a très bien expliqué lors de son audition.

Cette tendance, tout de même assez positive en une période où l'image de la France l'était plutôt moins, se confirme. La France conserve son leadership – les résultats de l'année 2017, que nous pourrons donner dans quelques jours, le montrent. L'écart avec le Royaume-Uni et l'Allemagne se creuse même. C'est la France qui, aujourd'hui, attire le plus grand nombre de projets industriels.

Les investissements dans ce qu'on appelle dans les activités de production consistent pour les deux tiers en l'extension d'activité de sites existants, ce qui est plutôt un bon signe : ce faisant, l'investisseur confirme sa présence en France et accroît ses capacités de production. Les projets greenfield, c'est-à-dire les nouvelles implantations, représentent 12 % des projets. Dans 13 % des cas, nous sommes parvenus à obtenir des investisseurs étrangers qu'ils reprennent des sites en difficulté. Le reliquat est constitué de rachats-extensions et reprises-extensions.

Dans le classement des pays d'origine de ces investissements, les Allemands arrivent en premier : 18 % des investissements de production sont le fait d'entreprises allemandes, 16 % celui d'entreprises des États-Unis. Suivent les entreprises italiennes, belges et britanniques. Mais si l'on raisonne en termes d'emplois induits, les premiers sont les États-Unis : 25 % des emplois créés sont effectivement le fait d'entreprises d'origine américaine.

Les investissements dans les activités de production se concentrent pour les deux tiers dans six secteurs : l'industrie agroalimentaire ; la construction automobile et les équipementiers ; la chimie et la plasturgie ; le travail des métaux ; les machines et équipements mécaniques ; le verre et la céramique.

Le fait n'est pas toujours connu, mais c'est la région Grand-Est qui attire le plus de ces investissements ; son caractère frontalier n'y est pas étranger. Avec 17 %, elle se taille la part du lion. Elle est suivie de l'Occitanie, qui attire 15 % des investissements, et des régions Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, qui en attirent chacune 13 %. En revanche, les Hauts-de-France arrivent en tête en termes d'emplois liés strictement aux activités de production.

Nous avons traversé une période au cours de laquelle il pouvait être difficile d'expliquer à des étrangers que la France était l'endroit où il fallait aller. En tant qu'ambassadeur, je m'y suis employé ; j'ai rencontré des succès, mais aussi essuyé des échecs.

Selon les études qualitatives que nous faisons auprès des investisseurs étrangers, ils choisissent la France pour quatre raisons principales. La première, cruciale dans le monde actuel, est la qualité de notre écosystème en matière de d'innovation et de recherche et développement. Si la France est au sixième rang mondial pour les dépenses de R&D, chacun, en particulier l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), reconnaît que le crédit impôt recherche (CIR) a fait de notre pays celui où le traitement fiscal de ces investissements est le plus avantageux. C'est vraiment l'innovation qui est citée comme notre avantage comparatif numéro un, notamment selon le Baromètre d'EY que vous-même avez cité, monsieur le président.

Le deuxième atout structurel qui nous est reconnu est la qualité de notre main-d'oeuvre – je dirai même : son rapport « qualitéprix ». Nous avons souvent tendance à nous battre la coulpe, mais, depuis quelques années, le coût horaire de la main-d'oeuvre française dans l'industrie manufacturière est redevenu inférieur à celui de la main-d'oeuvre allemande. C'est récent, mais cela pèse dans les décisions d'investissement. Au critère de qualité de la main-d'oeuvre s'ajoute celui de sa quantité : une entreprise qui veut se développer en Allemagne éprouve de grandes difficultés à trouver les ressources humaines nécessaires, en techniciens ou en ingénieurs. Bien sûr, il y a aussi des goulets d'étranglement ou des difficultés en France, mais notre situation est de ce point de vue bien meilleure que celle de l'Allemagne.

Notre troisième atout, bien connu, c'est la très grande qualité de nos infrastructures. Cela vaut pour les infrastructures physiques – les aéroports, les routes, le réseau ferroviaire – mais aussi, par exemple, pour l'électricité : le fait que son prix soit l'un des plus bas en Europe fait souvent la différence.

Enfin, notre quatrième atout tient à la taille du marché domestique et, surtout, à notre dynamique démographique qui nous singularise.

Au cours de la période la plus récente, ces quatre atouts ont composé, avec la dynamique des réformes engagées par le Gouvernement un cocktail extrêmement efficace. Il est évident que les entreprises étrangères considèrent à la fois atouts structurels et dynamiques des réformes. Le ministre de l'économie aura l'occasion, dans quelques jours, de présenter le bilan de l'année 2017 ; une accélération très significative est intervenue à la fin de l'année dernière, que l'on considère le nombre de projets ou les créations d'emploi liées aux investissements étrangers dans notre pays.

Compte tenu de l'action du Président de la République et du Gouvernement, et sans doute aussi en raison d'une dégradation excessive au cours des dernières années, l'image de la France s'est singulièrement améliorée. Selon des sondages de Kantar TNS et de l'IFOP, 60 % des chefs d'entreprise ont le sentiment que la France est devenue plus attractive depuis mai 2017 : la progression est même de 24 points par rapport à la même période de l'année précédente ; autant dire qu'elle s'est fortement améliorée. Business France devra, au cours des prochains mois, exploiter au mieux cette perception favorable pour mobiliser de nouveaux projets d'investissement.

Pour le compte de l'Élysée et du Gouvernement, nous avons organisé le Sommet de Versailles à la fin du mois de janvier dernier. L'objectif était initialement d'accueillir un peu moins d'une centaine de grands patrons internationaux, pour la plupart en route pour Davos, mais, à quelques jours de l'événement, ils étaient déjà plus de 140 à annoncer leur présence ; la réponse de la communauté d'affaires internationale a donc été particulièrement forte. Nous avons dû nous organiser en conséquence.

Il nous appartiendra de faire en sorte, au cours des prochains mois, que la réalité législative et administrative au quotidien ne soit pas trop en décalage par rapport à cette perception favorable de notre pays. Dans cet esprit, j'ai proposé il y a quelques semaines au Gouvernement un projet de réforme qui porte tant sur notre action en faveur de l'export que sur cette politique d'attractivité. Nous avons aujourd'hui une ardente obligation, au sein des services de l'État mais aussi en liaison étroite avec les collectivités, en particulier les régions auxquelles la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « NOTRe », a donné compétence en matière d'attractivité, de ne pas laisser se creuser un écart trop grand entre cette image excellente et une réalité qui évolue forcément moins vite. Toutes sortes d'actions seront mises en oeuvre, notamment par le Gouvernement, pour résoudre certains points noirs qu'expriment bien certains classements internationaux et rapports comme ceux de la Banque mondiale, « Doing Business », ou du World Economic Forum de Davos. D'autres enjeux, nombreux, tiennent tout simplement à l'organisation administrative française et à notre capacité à mettre en cohérence le message adressé du plus haut niveau de l'État et du Gouvernement aux investisseurs étrangers, et qui aujourd'hui fait mouche, et la réalité de l'action des services de l'État, nombreux dans les territoires, qui chacun détiennent un levier, plus ou moins efficacement utilisé. Il s'agit de faire en sorte que les projets d'investissements étrangers aboutissent.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Revenons sur la définition même de l'investissement direct étranger (IDE). Vous avez indiqué, monsieur le directeur général, que Business France ne s'occupait pas de fusions-acquisitions, mais celles-ci entrent pourtant dans le champ des IDE qui incluent bien la création d'une activité en France, le développement d'une activité en France et la prise de contrôle d'une entité économique française. Du coup, les IDE peuvent être vus plus ou moins favorablement selon les situations. Certes, une fusion-acquisition peut être considérée avec optimisme mais c'est une réalité un peu différente. Disposez-vous d'outils statistiques pour appréhender ces réalités différentes ?

Permalien
Christophe Lecourtier, directeur général de Business France

La Banque de France recense les entrées de capitaux. Pour sa part, Business France se consacre au traitement microéconomique de projets identifiés, pour la plupart des projets greenfield, c'est-à-dire des créations d'activité, et, de manière encore trop subsidiaire – nous y réfléchissons –, des projets de rachat. Évidemment, en cas de rachat, se posent les questions « Par qui ? » et « Pour quoi ? »

Entre autres objectifs assignés par l'État figure celui d'atteindre un pourcentage significatif de projets aboutissant à une création de centres de R&D, de projets intéressants en termes de créations nettes d'emplois, et de projets conduisant à l'installation en Europe d'un quartier général de l'entreprise concernée. Demain, à notre conseil d'administration, nous rendrons d'ailleurs compte à nos tutelles de notre activité des trois dernières années. Nous considérons donc les investissements par le prisme des entreprises non celui des flux financiers.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est donc plutôt la Banque de France qui pourra distinguer les flux en fonction de la logique dont ils procèdent.

Permalien
Antoine Gambard, directeur adjoint des investissements de Business France

Il est effectivement très difficile de faire la distinction, et, comme l'a indiqué M. le directeur général, nous nous concentrons vraiment sur les projets créateurs d'emplois, dans une logique microéconomique. Évidemment, nous avons interrogé les spécialistes, car nous souhaitions nous aussi pouvoir faire le distinguo, mais c'est très compliqué : il suffit de quelques très grosses acquisitions pour qu'un pays soit considéré comme l'un des plus gros investisseurs étrangers – par exemple, en 2016, la Finlande était l'un des plus gros investisseurs étrangers en France, et vous vous doutez pourquoi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous éprouvons certaines difficultés à anticiper l'avenir d'un certain nombre d'entreprises. Il peut s'agit d'entreprises de taille intermédiaire, des ETI, mais aussi de grands groupes industriels, notamment de grandes entreprises dont l'actionnariat n'est pas toujours sous contrôle. Aujourd'hui, les administrations de l'État sont déjà toutes bien occupées et peu d'effectifs sont disponibles pour s'occuper de ce travail d'anticipation ou de veille. Cette mission pourrait-elle, à votre sens, relever de Business France ?

Permalien
Christophe Lecourtier, directeur général de Business France

La question est assez fondamentale en effet pour la définition d'une nouvelle étape de notre stratégie. Tout ce que j'ai indiqué restera d'actualité : nous allons évidemment profiter de la meilleure fortune et de la perception significativement améliorée de la France pour chercher davantage de nouveaux projets créateurs d'emplois et d'activités de R&D. Cependant, l'économie est une réalité vivante, faite de création et de destruction permanentes, et, nonobstant tout ce que fait, et très bien, Bpifrance, que Nicolas Dufourcq vous a exposé, nous n'avons pas encore de dispositif de capital-risque à la mesure des enjeux à la fois de protection de notre patrimoine industriel et économique et de développement des nouvelles activités. Pour de très nombreuses raisons, nous souffrons d'un handicap comparatif par rapport à un certain nombre de pays, à commencer par les pays anglo-saxons.

Il n'est donc pas illégitime de penser qu'une agence comme la nôtre devrait aussi pouvoir investir ce domaine. C'est finalement notre rôle : qu'il s'agisse d'export ou de soutien aux investisseurs, nous faisons de l'intermédiation. Nous sommes un marieur, qui met en relation des acteurs économiques qui ont des choses à faire ensemble. C'est ce que nous faisons toute la journée, mais il faut le faire à bon escient. Il ne serait donc pas illégitime, au-delà de la promotion de la France, de faire celle d'entreprises qui souhaiterait ouvrir leur capital. Nous pourrions même jouer un rôle en matière de cessions d'entreprise à des investisseurs étrangers. Ce serait là une orientation assez normale. N'oublions pas le changement de génération, j'ai d'ailleurs connu dans ma propre famille une situation de ce type : un certain nombre de dirigeants, enfants du baby-boom et arrivés à l'heure du papy-boom, sans héritiers ou dont les enfants ne souhaitent pas reprendre l'entreprise, peuvent souhaiter céder celle-ci dans les meilleures conditions possibles. Toute la difficulté est de le faire sans naïveté et avec suffisamment de discernement pour que cela ne se traduise pas par une perte de substance du tissu industriel français. Nous avons ainsi participé à la réflexion sur la révision du décret sur les investissements étrangers (IEF). Le but est de mettre en place toutes les garanties déontologiques et méthodologiques qui éviteront de mettre en relation la bonne entreprise avec le mauvais investisseur. C'est là un autre domaine dans lequel il y a matière à une amélioration significative de l'organisation générale des services de l'État ; s'il est nécessaire de mieux articuler tout ce qui accompagne la vie d'un projet nouveau, je pense qu'il y a aussi beaucoup à faire pour éviter de jeter le petit Chaperon rouge dans la gueule du loup ! Nous entretenons à cet égard des relations beaucoup plus étroites qu'auparavant avec les services plus « défensifs » de l'État, notamment à Bercy, qui devront élever leur niveau de garde et de vigilance, en tout cas leur capacité, dans chaque secteur et chaque catégorie d'investisseurs, à séparer le bon grain de l'ivraie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre commission d'enquête s'est rendue la semaine dernière aux États-Unis. À Washington, nous avons étudié certains aspects réglementaires, à San Francisco, nous avons rencontré des investisseurs français présents aux États-Unis et aussi des investisseurs américains qui souhaitent venir en France.

Ma première question porte sur l'attractivité de la France. Vous l'avez dit : les choses changent un peu depuis quelques mois. Les investisseurs étrangers nous disent que la France renvoie une image d'attractivité pour les investisseurs étrangers, notamment avec des initiatives comme le Sommet « Choose France », qui visent à montrer que notre pays accueille les investisseurs étrangers et que nous en avons besoin. Votre travail pour booster l'attractivité de notre pays le montre bien : il y a là un réel enjeu. Cependant, les questions que nous nous posons, dans cette commission d'enquête ou dans d'autres cercles, ne risquent-elles pas de faire germer quelque doute dans l'esprit des investisseurs que vous rencontrez ? Ne peuvent-ils trouver un peu contradictoires ces signaux ? Notre souci de protéger le petit Chaperon rouge, de façon parfois un peu trop protectionniste, nos processus français, nos questions françaises, notre administration française tout cela ne risque-t-il pas d'effrayer les investisseurs étrangers, au risque de mettre un coup d'arrêt à notre stratégie d'attractivité ?

Ma deuxième question porte sur la différence entre les investisseurs français et les investisseurs étrangers. On nous a souvent dit, lors de notre déplacement aux États-Unis, que dans certains secteurs comme la « tech », l'intelligence artificielle ou le numérique, les investisseurs français pouvaient se montrer un peu frileux, alors que les investisseurs américains ou ceux d'autres pays étaient prêts à aligner des tickets beaucoup plus importants. Quelqu'un nous a même dit que la France était en train, non pas de créer des unicorns, c'est-à-dire des licornes, mais des « ponycorns », autrement dit d'en rester à de petites « success-stories ». Avez-vous le même sentiment ? Cela signifie-t-il que nous ayons davantage encore besoin de l'étranger ?

Ma troisième question porte sur les éléments différenciants.

Vous avez pour objectif de contribuer à l'attractivité de la France, et d'attirer des investisseurs étrangers. Lors de notre déplacement, nous avons beaucoup entendu parler de la concurrence que se font les pays pour y parvenir. À San Francisco, par exemple, qui affiche 4 %, 4,5 % de chômage, de nombreuses entreprises souhaitent s'agrandir et ont, de ce fait, un vrai besoin d'ingénieurs.

Nous disons qu'il faut investir en France, parce que nos ingénieurs sont bons et coûtent moins cher qu'aux États-Unis – 200 000 dollars pour un ingénieur, surtout dans la Silicon Valley, et parce que nous avons d'excellentes infrastructures, des trains et des aéroports. Ce discours porte. Mais des investisseurs français ont remarqué que certains pays, comme l'Ukraine, l'Inde ou d'autres encore, pouvaient maintenant tenir le même langage.

Avec votre expérience, pensez-vous que nous ayons du mal à nous différencier des autres pays ? Quels leviers n'aurions-nous pas encore utilisés, dans ce contexte de concurrence mondialisée, pour attirer les investisseurs étrangers ?

Permalien
Christophe Lecourtier, directeur général de Business France

Il est évident que dans une sorte de course à l'échalote, chaque pays essaie de copier les autres. C'est ainsi que le crédit impôt recherche, que nous avons été parmi les premiers à mettre en oeuvre, il y a plus de dix ans, a été repris par un très grand nombre de pays étrangers ; certains ont essayé de l'améliorer. Nous-mêmes passons une partie de notre temps à faire de la veille pour regarder les dispositifs fiscaux, réglementaires etc. dont disposent les autres pays, et faire remonter au Gouvernement le handicap comparatif que nous pourrions avoir par rapport à tel ou tel compétiteur.

Ma conviction est que nous ne sommes pas en concurrence avec les pays émergents comme l'Inde ou de la Chine – pour autant que ce soient des pays très ouverts aux investisseurs étrangers : de ce point de vue, la Chine fait plutôt désormais le chemin inverse. Après avoir considéré qu'elle avait besoin d'investissements étrangers pour asseoir sa base manufacturière, elle s'engage dans une politique consistant à créer des grands champions nationaux qui vont se substituer petit à petit aux grandes entreprises étrangères opérant en Chine, afin de ramener dans le pays la valeur ajoutée. C'est le fameux paradoxe de l'IPhone, qui était fabriqué en Chine, mais dont la valeur provenait, pour l'essentiel, des composants électroniques importés du Japon, de Taïwan ou de pays développés, et de la propriété intellectuelle. Il est clair que ce n'est plus par l'investissement étranger que la Chine entend se développer aujourd'hui. L'Inde est sans doute dans une posture un peu plus ouverte, mais elle est confrontée en même temps à des enjeux importants en termes de « Make in India », c'est-à-dire de contenu local. Même si ce n'est pas forcément contradictoire avec des investissements étrangers, on a bien vu, encore récemment, que sur certains sujets, les décisions d'investissement tardaient à se concrétiser. Voilà pourquoi l'Inde reste probablement une destination très attractive pour des grands groupes, qui sont nombreux à y avoir remporté de beaux succès dans la mesure où ils ont la capacité à s'inscrire dans le temps relativement long du processus de décision ; c'est sans doute un peu plus difficile pour la granulométrie des entreprises que, précisément, nous arrivons à faire venir en France.

Pour nous, les principaux concurrents en termes d'investissements étrangers se trouvent à l'intérieur de l'espace économique européen, de l'Union européenne dont fait encore partie la Grande-Bretagne, et a fortiori l'Allemagne. Il y a quelques années, l'Allemagne a dépassé la France, qui se trouve en deuxième position en termes d'attraction des investissements étrangers. Notre objectif est d'être capables, dans les prochaines années, de combler notre retard, voire de dépasser l'Allemagne et de devenir, si la Grande-Bretagne confirme sa décision de quitter l'Union, la première destination en Europe des investissements étrangers.

Vous vous êtes interrogé sur les éléments différenciants. Il y a des éléments objectifs, que j'ai rappelés ; mais comme vous l'avez remarqué à juste titre, nous ne sommes sans doute pas les seuls à les posséder. Il y a aussi des éléments un peu plus qualitatifs, qui nous peuvent nous paraître naturels, mais qui font tout de même la différence par rapport aux autres.

Je peux vous donner l'exemple suivant : nous avons réussi à faire venir une belle entreprise du Nigeria, pays qui est en train de devenir un des grands géants de la production audiovisuelle et, en l'espèce, des jeux vidéo. Cette entreprise nigériane, cotée, très solide, hésitait entre l'Allemagne, la France et un troisième pays. Elle a fini par choisir de s'établir à Annecy, essentiellement pour des raisons tenant à la qualité de vie et à l'image de cette région française. À bien des égards, nous nous servons de ces arguments dans le cadre de la compétition qui sévit par moments entre l'Allemagne, les Pays-Bas et nous-même dans le cadre du Brexit, pour faire la différence. Mais cela suppose, ce que l'on le fait très bien en région parisienne à partir du guichet « Choose Paris Région », de collaborateurs de la Région Ile de France, de la Ville, de la Métropole, de Business France et de la Chambre de commerce, un facteur déterminant : l'accompagnement personnel des cadres dirigeants, de leurs familles, de leurs enfants, etc. Or on s'en souciait peu, ou on le faisait mal. La région Ile-de-France a fait un gros effort dans ce domaine, en parfaite résonance avec le ministère de l'éducation nationale – pour accroître largement le nombre de classes bilingues ou de filières d'enseignement en anglais, par exemple. Mais ce qui se fait en région parisienne peut très bien se faire ailleurs. Maintenant que nous avons repris davantage confiance en nous, nous nous sommes aperçus que ces éléments pouvaient réellement faire la différence : offrir à l'époux ou à l'épouse du cadre un permis de travail, ou même l'aider à valoriser son expérience professionnelle et ses diplômes, cela compte ; et de ce point de vue, le potentiel de Paris peut apparaître supérieur à celui de bon nombre de villes allemandes en termes de profondeur du tissu et des possibilités d'épanouissement professionnel, personnel et familial. Autant d'éléments qui, mis bout à bout, par petites touches, en viennent à donner une couleur d'ensemble, un peu comme une mosaïque.

Vous avez évoqué le montant des « tickets » des entreprises étrangères. Nous vivons dans un monde où certaines entreprises disposent d'énormes quantités de liquidités : c'est le cas des GAFA, par exemple avec Apple et ses 90 milliards de dollars de cash disponible, et des entreprises d'État ou parapubliques chinoises. Ces entreprises ont évidemment une très grande facilité à se livrer un shopping qui peut être destructeur de valeur pour un pays de taille moyenne comme le nôtre, du fait de leur tendance à aller rechercher l'innovation soit pour elles-mêmes, soit pour éviter que cette innovation ne profite à un autre, en utilisant un carnet de chèques quasi illimité ; c'est ce que vous a expliqué en substance Nicolas Dufourcq. Quels que soient les moyens que l'on peut mobiliser par une institution comme Bpifrance ou la Caisse des dépôts, on n'arrivera jamais à rivaliser sur ce plan avec ces acteurs qui regardent souvent notre territoire et nos entreprises avec convoitise.

C'est la raison pour laquelle – pour répondre à votre question – j'ai la conviction qu'il est vraiment nécessaire aujourd'hui de trouver le bon équilibre entre un engagement résolu en faveur du libre-échange et de l'espace économique européen, et la défense de nos intérêts. Personne ne peut faire le procès, ni au Président de la République, ni au Gouvernement, d'avoir exprimé le moindre état d'âme à cet égard, notamment au moment des élections présidentielles ; et beaucoup de choses ont été faites, qui allaient toutes dans le sens de la réaffirmation du fait que la France entendait être un acteur dans la mondialisation, un acteur déterminé à défendre ses couleurs et à essayer de gagner.

Croire la mondialisation soit une chance pour la France ne veut pas dire être naïf. Vous trouverez toujours des gens qui vont ergoter, chercher une contradiction entre le Sommet qui s'est tenu à Versailles et le décret IEF sur les investissements étrangers ; mais la plupart des gens sérieux savent que dans tous les pays, qu'il s'agisse des États-Unis, de l'Allemagne ou de l'Australie, les puissances publiques font ce qu'il faut pour être attractives tout en conservant des leviers qui leur permettent, le cas échéant, de bloquer les initiatives qu'elles jugeront néfastes à leurs intérêts, sous la forme d'outils de dissuasion – c'est le cas des décrets, en fait rarement utilisés – ou des dispositifs qui permettent, par le biais de Bpifrance ou de l'APE, d'entrer temporairement dans le capital d'une entreprise pour éviter qu'elle ne bascule du mauvais côté de la force. Nous jouons avec réalisme, et avec les atouts qui sont ceux d'un pays de taille moyenne qui n'a pas, évidemment, les mêmes ressources que les géants dans le jeu de la mondialisation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le directeur général, merci pour votre présentation. Il me semble effectivement que le rôle de Business France est d'accompagner les PME et les ETI dans cette mission d'internationalisation, et de les aider à capter des investissements étrangers.

Vous nous avez expliqué au début de votre intervention que, sur la question du bien-fondé d'un rapprochement d'Alstom et Siemens, la réponse ne se situait pas à votre niveau, mais au niveau politique. Il n'empêche que la filière ferroviaire, que je connais bien, est composée des trois « locomotives » que sont Alstom, Bombardier et Siemens, présents en force sur notre territoire national, et, tout autour, d'un écosystème d'ETI et de PME évidemment attentives à l'évolution du marché ferroviaire, et qu'il est de votre rôle d'accompagner, le rapprochement entre les deux acteurs européens étant venu perturber l'équilibre qui pouvait exister jusqu'alors sur le marché national.

On vient de parler de l'Inde et de la Chine. De façon plus générale, on peut parler de l'Asie, où émergent de nouveaux acteurs du ferroviaire. Comment accompagnez-vous nos ETI et nos PME, face à de potentiels arrivants sur le marché européen ?

Je voudrais également vous interroger à propos de l'implantation d'acteurs étrangers sur le territoire national. Quelle est votre méthode d'essaimage ? Vous nous avez donné l'exemple d'une entreprise nigériane qui allait s'installer à Annecy. Comment « vendez-vous » notre territoire ? Comment faites-vous la promotion des territoires de notre pays ? Je parle bien sûr des régions. Vous avez expliqué que certaines d'entre elles étaient en avance, notamment dans le domaine de la production. C'est très important, puisque d'un territoire à l'autre, les avantages fiscaux, la CFE et les zones de revitalisation rurale, sont des atouts intéressants pour les investisseurs.

Enfin, quel est l'impact du Brexit sur les industriels présents Outre-manche, ou qui souhaiteraient s'y implanter. Les négociations n'étant pas encore terminées, on ne sait si l'on assistera à un « hard Brexit » ou à un « soft Brexit ». Dans un tel contexte, de quel atout peut jouer la France ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question sera complémentaire de celle de M. le rapporteur, à ceci près qu'il a parlé de la partie offensive, alors que je m'intéresse à la partie défensive de la politique industrielle, à savoir les industries stratégiques et ce que l'on entend par là.

La création une agence, française ou européenne, qui serait l'équivalent du Comité pour l'investissement étranger qui existe aux États-Unis, pour protéger les industries stratégiques, vous paraît-elle souhaitable envisageable ? Compte tenu des dernières annonces du Président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, pensez-vous que cela irait dans le sens de la réflexion menée autour de la mise en place d'un cadre européen sur le contrôle des investissements étrangers ? Quel signal cela donnerait-il ? Comment cela serait-il perçu ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre président a insisté en début de séance sur la dégradation du commerce extérieur, qui s'est confirmée d'ailleurs en début d'année. Si nous en sommes là, c'est bien en raison de la faiblesse de notre appareil productif. Mais la part de l'industrie dans le PIB n'est pas passée de 22 à 11 % en l'espace de quelques mois : le processus a été très long. Entre 2007 et 2012, les taux de marges dans les entreprises se sont considérablement dégradés. Après la crise de 20082009, et malgré la reprise de 2010, les entreprises ont eu le plus grand mal à les reconstituer. Il a fallu attendre les décisions qui ont été prises au milieu du mandat précédent – auxquelles il est permis de penser que l'ancien Président de la République a contribué – et l'accélération de la politique en 2017, pour retrouver le dynamisme que l'on constate aujourd'hui.

La dégradation de l'appareil productif est un processus extrêmement long, que l'on peut rapprocher du débat sur le pouvoir d'achat. Je fais partie de ceux qui ont connu la période de 1981 et l'enthousiasme qui prévalait alors ; les vannes ont été largement ouvertes, mais au bout de deux ans, il a fallu passer à une politique d'austérité extrêmement violente, parce que l'ensemble de notre commerce extérieur s'était très fortement dégradé. C'est là qu'apparaît la cohérence de la politique menée par notre gouvernement.

Je voudrais aborder la question du rapport entre les IDE et le financement national – j'entends par financement national les ressources que l'on peut trouver dans le pays pour financer notre industrie, et plus largement, notre économie.

L'Allemagne, que vous avez citée à plusieurs reprises, se caractérise par une grande stabilité des capitaux investis dans les entreprises. Le taux de capitalisation boursière ramenée au PIB en Allemagne est très largement inférieur à celui qui existe en France. Loin de moi l'idée de penser notre économie dans les limites de l'hexagone : nous sommes dans une économie mondiale et nous avons besoin des investissements extérieurs. Cela étant, je suis convaincu que nous devons mobiliser beaucoup plus de ressources en France pour répondre aux besoins de notre économie et particulièrement de notre industrie. De ce point de vue, BPI a fait et continue à faire un travail tout à fait intéressant, mais je maintiens que nous ne pouvons pas nous passer d'une collaboration beaucoup plus forte avec les régions, notamment en matière de capital-risque.

Aujourd'hui, les sociétés de capital-risque avec des capitaux publics, notamment régionaux, ont des tickets d'investissement autour de 500 000 euros, et rencontrent parfois de grandes difficultés pour trouver des co-investisseurs en France : les chefs d'entreprises français hésitent à entrer dans le capital, la culture n'est pas la même de l'autre côté de la frontière. Nous avons donc besoin de sociétés de capital-risque en région, soutenues par l'État, dans le cadre de partenariats avec la Caisse des dépôts ou Bpifrance, la Caisse des dépôts pouvant au besoin venir comme co-investisseur aux côtés des banques régionales. Ces partenariats nous permettraient d'aller sur des tickets beaucoup plus importants, au-delà des 500 000 euros, pour faire le lien avec les grands investisseurs nationaux et internationaux. Quel est votre avis sur ce sujet ?

En dernier lieu, je voudrais soulever un problème qui se pose notamment dans l'industrie automobile : alors que certaines activités sont en pleine croissance, paradoxalement, les PME ou PMI de la sous-traitance peinent à se faire refinancer auprès des banques. Du coup, on se retrouve avec des têtes de réseau, des champions dont les résultats sont très intéressants, et des PME aux prises avec les plus grandes difficultés. Là encore, la comparaison avec l'Allemagne est extrêmement intéressante : ses industriels travaillent dans des logiques de filière, alors qu'en France, on est très souvent dans une logique de transfert de charges de la tête de réseau vers les PME. J'espère que nous aurons l'occasion d'examiner ce problème au cours du prochain examen de la loi PACTE afin de modifier certains rapports au sein de nos filières industrielles, dans l'intérêt de l'ensemble de notre économie, sur le territoire national comme à l'international.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le directeur général, je ne vous ai pas entendu parler de l'organisation de la promotion économique en région. Je connais seulement l'agence Nord France Invest, située dans ma région. Comment cela se passe-t-il ? Y a-t-il des arbitrages ? À quel niveau, national ou régional ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le directeur général, je me suis rendu en février 2017 au Mobile World Congress de Barcelone, et en janvier 2018 au Consumer Electronic Show de Las Vegas. J'y ai rencontré des entreprises labellisées French Tech, aux côtés du ministre Mounir Mahjoubi. Certaines m'ont fait part, à Barcelone comme à Las Vegas, de leurs difficultés d'accès à la commande publique, par exemple lors des appels d'offres. Et il semblerait que nos pépites industrielles et tech parviennent plus facilement à contractualiser à l'étranger qu'en France…

Comment faire, dans le cadre de la politique industrielle française, pour faciliter l'essor de nos entreprises ? Nous faut-il un Small Business Act à la française ? Dans ma circonscription, un champion de l'intelligence artificielle, qui conçoit des bateaux dépollueurs, a été mis en liquidation judiciaire fin janvier, et son sort sera jugé le 22 mars prochain. Que penser de l'intervention d'administrateurs judiciaires qui n'appartiennent pas au monde de la tech ? N'a-t-on pas tué trop tôt des entreprises promises à un bel avenir, tout simplement parce que ceux qui ont jugé n'étaient pas en capacité de les comprendre ?

Permalien
Christophe Lecourtier, directeur général de Business France

Rappelons que le contexte s'améliore : les marges se sont rétablies en partie, en tout cas par rapport à 2007. La confiance est au plus haut niveau par rapport à l'avant-crise. Mieux, après des années à peu près étales entre 2012 et 2016, les exportations ont progressé de 4,5 % en 2017. Certes, le déficit commercial a été plus important, mais c'est comme le cholestérol : il y a des bonnes et des mauvaises importations. Or une partie des importations de l'année 2017 étaient bonnes parce qu'elles portaient sur des biens d'équipement, ce qui prouvait que les entreprises recommençaient à investir. Si vous rétablissez vos taux de marge et si vous réinvestissez, vous vous remettez dans la compétition mondiale. Si vous vous arrêtez d'investir, c'est fini, car vous ne pouvez pas simplement compter sur les capitaux étrangers.

Ensuite, je crois beaucoup au nouveau rôle du Conseil national de l'industrie, et des comités stratégiques de filières qui seront totalement remis à plat sous l'égide du CNI pour essayer, sinon de copier les Allemands en termes de projection des filières à l'étranger, du moins de mieux répartir la valeur ajoutée à l'exemple de ce qui aux États généraux de l'alimentation, et, dans la mesure où la confiance et l'optimisme sont de retour, de mieux articuler et équilibrer les solidarités à l'intérieur d'une filière, entre le donneur d'ordres du premier rang et tous ceux qui sont dans son sillage : les Allemands font cela très bien. C'est le moment ou jamais de le faire, alors que la France, pour la première fois en 2017, a créé plus d'usines qu'elle n'en a détruites. L'esprit est différent ; et quand l'esprit est différent, ce que l'on n'avait pas su faire redevient possible.

Évidemment, madame la députée El Haïry, nous avons perdu des fleurons et Alstom, qui n'a pas encore quitté le territoire français, est dans une phase d'évolution de son capital, et donc de sa stratégie, qui rend plus difficile sans doute que par le passé le rôle que nous lui faisions jouer, et qui consistait à fédérer une grande partie de la profession. Je me suis souvent rendu à l'Inno Trans de Berlin, le grand salon en matière ferroviaire ; j'ai pu constater à chaque fois que les grands noms du ferroviaire français, à commencer par Alstom, fédéraient derrière eux toutes sortes d'acteurs de deuxième rang.

Cela étant, et c'est l'objet de cette audition, l'enjeu est tout de même de produire en France avec des ingénieurs et des salariés français. De ce point de vue, à bien des égards, Bombardier, par exemple, qui n'est pas de capital français, a une empreinte, à la fois industrielle et exportatrice, tout à fait favorable pour les territoires où il est resté. C'est moins la nationalité en tant que telle qui compte que la capacité de l'entreprise à continuer à structurer l'activité industrielle et les bénéfices que l'on peut en retirer dans l'échange international.

Sur nos relations avec les régions, j'aurai dû être beaucoup plus clair. Nous sommes une organisation nationale, et notre rôle consiste aujourd'hui, pour l'essentiel, à aller prospecter à l'étranger, grands groupes, ETI, bonnes PME, dans les pays développés comme dans les pays émergents, pour les inciter à aller en Europe et à poser leurs valises en France. Et le contexte du Brexit amène bon nombre d'entreprises à repenser totalement leur stratégie en Europe. J'ai servi en Australie comme ambassadeur : pour des raisons historiques, 95 % des investissements australiens en Europe étaient à Londres, et c'est depuis Londres qu'ils poussaient éventuellement un pied sur le continent. Aujourd'hui, tous les grands groupes industriels et surtout financiers australiens – leurs fonds d'investissement et fonds de pension représentent une fois et demie le PIB de l'Australie – sont en train de réévaluer leur stratégie. Ils ont compris en effet que la probabilité d'une séparation entre les deux marchés en termes d'investissements était assez élevée, et que s'ils n'anticipaient pas cette évolution en cherchant où ils pourraient se poser sur le continent, ils risquaient d'être rattrapés par la marée.

Notre principale action consiste donc à prospecter à l'étranger. Lorsque nous décelons un potentiel, un projet, à moins que l'investisseur n'ait explicitement précisé qu'il souhaitait s'installer dans la Somme, le Loiret, le quatrième arrondissement de Paris ou telle ou telle région en particulier, nous introduisons le cahier des charges du projet, avec ses principaux paramètres, dans une place de marché qui s'appelle le COSPE, le Comité d'orientation et de suivi des projets étrangers. Toutes les régions et leurs agences de développement en sont membres. J'étais justement ce matin avec M. Pitollet, des Hauts-de-France, que vous connaissez sans doute très bien, un de nos très bons partenaires, un de ceux qui ont le meilleur taux d'impact sur les projets que nous introduisons. Toutes les régions qui le souhaitent peuvent faire une offre – pas à nous, mais à l'investisseur qui choisit celle qui lui paraît la plus pertinente. Il peut s'ensuivre un dialogue pour essayer d'améliorer, sur tel ou tel point, les concours que la collectivité, voire l'État – par exemple à travers la prime à l'aménagement du territoire – peuvent apporter. Nous nous interdisons évidemment d'orienter l'investisseur vers telle ou telle région, à moins qu'il n'ait expressément précisé dans son cahier des charges qu'il entendait s'installer à cinq encablures de l'île de Ré ou avoir vue sur la Corse… Mais ce n'est généralement pas le cas.

Ce que nous allons faire dans les prochaines semaines, et qui sera annoncé dans quelques jours, tombe sous le sens – sans doute serez-vous étonnés que cela n'existe pas. Nous allons faire en sorte d'unir trois réseaux à l'étranger pour accroître très significativement notre capacité de prospection : le réseau de Business France, dont la prospection est une des raisons d'être ; le réseau des services économiques du Trésor qui souhaite adjoindre ses forces aux nôtres ; et bien entendu, le réseau diplomatique dans la mesure où un ambassadeur a évidemment une capacité d'accès illimité aux grands comptes, voire à d'autres comptes. Si nous parvenons à faire travailler ensemble tous ces réseaux – c'est toujours un défi en France, mais le moment est propice – nous allons accroître notre force de frappe sans que cela coûte un centime de plus au contribuable. À charge pour nous d'être capables, lorsque le projet d'investissement se matérialisera en France, de faire en sorte que le rythme, la qualité de l'accueil et de l'accompagnement soient au moins au niveau de la promesse de celui qui a prospecté l'investisseur.

Quant à notre présence à CES de Las Vegas – la plus importante après celle des États-Unis –, elle revêt une dimension un peu ambivalente. Avec la French Tech – marque qui appartient à Business France, et que nous allons décider demain en conseil d'administration de céder à l'État –, nous avons réussi quelque chose d'absolument remarquable : à un moment où l'image de la France était, à bien des égards, un peu grise, indistincte, nous avons fait émarger l'idée que nous étions une des nations de la Tech mondiale, capable de rivaliser avec les États-Unis, Israël et avec d'autres pays comparables. Notre présence à Las Vegas en est la traduction évidente.

Cela étant, nous avons intérêt à réfléchir de façon un peu plus précise à la manière dont cette présence s'organise : de nombreuses entreprises qui vont à Las Vegas peuvent devenir la proie d'acheteurs ou d'investisseurs étrangers alors même qu'elles ont été élevées dans le terreau de la French Tech française. Nous devrons travailler avec les régions pour bien sélectionner le type d'entreprises, le stade qu'elles ont atteint dans leur évolution, au moment de composer leur délégation : le CES doit être pour elles l'occasion de se développer, mais pas de se faire « avaler » à un stade extrêmement précoce et de se faire racheter à vil prix leur idée – qui est l'essentiel dans une start-up. On aurait tort de se laisser emporter par une sorte de romantisme à la française : on est très fier d'être la deuxième nation présente à Las Vegas, mais on ne mesure pas toujours les conséquences structurantes que cela peut avoir sur le tissu de nos start-up, confrontées à des difficultés de financement spécifiques qui tiennent à notre histoire.

Du reste, un certain nombre de régions, dont la Normandie qui a récemment passé un accord avec nous, ont commencé à se doter de moyens, à travers des fonds de capital-risque et des fonds d'investissement : sans être capables de relever le défi que représente la réindustrialisation du pays, elles peuvent constituer un complément très opportun. J'ai la conviction que la loi NOTRe, qui est au coeur de la stratégie que j'ai proposée au Gouvernement, a placé le curseur au bon niveau. L'État ne peut pas conduire seul le développement économique de A à Z, qu'il s'agisse du développement des exportations ou du développement de l'attractivité ; il peut, et c'est d'ailleurs ce qu'il fait aujourd'hui, créer un cadre incitatif, attractif, tout en dissuadant les investisseurs dont le comportement, les intentions ou les cibles nous paraîtraient incompatibles avec les intérêts de la Nation. C'est à l'État de se montrer défensif et offensif ; mais quand on arrive aux aspects microéconomiques, à la gestion du quotidien, ce sont les régions, et probablement un peu les métropoles, qui ont la clé du problème et qui peuvent également être des investisseurs avisés : elles seules sont à même de mesurer exactement ce que l'entreprise peut apporter au tissu local, d'apprécier la cohérence avec l'environnement économique, universitaire et de recherche. C'est vraiment à ce niveau de granulométrie que nous parviendrons à renforcer encore l'agilité du terreau économique français, qui est probablement la clé de l'avenir, avec les investissements étrangers. Mais ces derniers ne sont qu'un bonus supplémentaire par rapport à des politiques qui doivent d'abord être nationales.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous ne m'avez pas répondu sur les administrateurs judiciaires… Est-ce à dire que vous ne voulez pas vous fâcher avec eux ?

Permalien
Christophe Lecourtier, directeur général de Business France

Effectivement… (Sourires) La fracture numérique en France existe aussi au sein des diverses professions. Le fait que vous nous avez rapporté est malheureusement une preuve, parmi d'autres, que tout le monde n'est pas encore passé dans l'âge du XXIe siècle.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 14 mars 2018 à 16 h 30

Présents. - Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Éric Bothorel, Mme Dominique David, M. Julien Dive, M. Bruno Duvergé, Mme Sarah El Haïry, M. Guillaume Kasbarian, Mme Stéphanie Kerbarh, M. Olivier Marleix, M. Hervé Pellois, Mme Natalia Pouzyreff, M. Frédéric Reiss, M. Denis Sommer

Excusé. - Mme Aude Bono-Vandorme