Intervention de Olivier Marleix

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 9h45
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix, président :

Chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Martin Vial en sa qualité de commissaire aux participations de l'État. Nommé à cette fonction le 24 août 2015, il dirige à ce titre l'Agence des participations de l'État (APE). Il est accompagné de MM. Marc de Lépinau, secrétaire général de l'APE, et Jack Azoulay, directeur des participations « Industrie ».

M. Vial a une longue expérience de l'administration et des cabinets ministériels. Il a été directeur général puis président du groupe La Poste, de 1997 à 2002. C'est donc un habitué des auditions parlementaires. En 2003, il a rejoint le secteur privé pour diriger le groupe Europ Assistance jusqu'en 2014.

Monsieur le directeur général, notre commission d'enquête a auditionné trois de vos prédécesseurs à l'APE : M. Bruno Bézard, qui a connu la création de cette structure en 2004, votre prédécesseur direct, M. Régis Turrini, dont le passage à l'APE aura été plutôt bref, et M. David Azéma. Chacun nous a exposé, à sa manière et à la lumière de son expérience, les missions et la doctrine de l'APE. Vous vous êtes déjà personnellement exprimé sur ces thèmes, notamment devant des commissions parlementaires, mais vous comprendrez qu'il s'agit d'un exercice obligé et qu'il serait bon que vous précisiez une fois encore cette doctrine. De vos propos passés, il ressort que l'État doit se comporter en tant qu'actionnaire « avisé et de long terme ». Je ne suis pas totalement convaincu que cette position clairement affirmée corresponde tout à fait à ce qui s'est passé lors de la cession de la branche « énergie » d'Alstom à General Electric (GE) ni au rapprochement en cours avec Siemens – précisons que le dossier de la vente à GE des activités de l'énergie était bouclé à votre arrivée à l'APE.

Parallèlement au mémorandum tripartite entre l'État, General Electric et Alstom SA, signé le 21 juin 2014, l'État a conclu une convention de prêt d'actions avec Bouygues. Nous avons appris que les intérêts payés par l'État à Bouygues revenaient à un reversement complet par l'APE des dividendes perçus d'Alstom. C'est assez surprenant : selon certaines jurisprudences, il ne s'agit alors pas d'un contrat de prêt de consommation d'actions. Pouvez-vous nous en dire plus et nous indiquer le montant du dividende perçu et celui des intérêts versés par l'APE ?

Nous aimerions aussi que vous nous expliquiez comment l'État a agi pendant cette période soit en tant qu'actionnaire emprunteur des actions de Bouygues soit en vertu de l'action de référence, la golden share, dont il dispose dans la coentreprise, ou joint-venture, GEAST. Il semble y avoir eu quelque flottement, le représentant de l'État au conseil d'administration de la joint-venture étant parti au cabinet du ministre de la défense sans être remplacé pendant un certain temps. Qu'en fut-il de cette période de vacance ? Quand le représentant de l'État a-t-il enfin été remplacé ?

Et pourquoi l'État n'a-t-il pas exercé ses options d'achat sur les actions prêtées par Bouygues ? Il serait alors devenu actionnaire du nouvel ensemble. Est-il vrai que c'est parce que Siemens ne voulait pas que l'État soit présent au capital ?

Pouvez-vous aussi nous expliquer comment sont choisis les conseils de l'APE ? La Cour des comptes a fait un certain nombre d'observations, elle a notamment relevé qu'il n'y avait pas toujours eu d'appels d'offres. Certes, les banques d'affaires trouvent que leur rémunération est misérable mais… c'est bien ce que nous espérons ! Dans le dossier Alstom, deux études ont été successivement menées : l'une réalisée par le cabinet Roland Berger Strategy Consultants : l'autre par l'agence AT Kearney. Quoique celle-ci était financée par l'APE, le ministre compétent, à l'époque Arnaud Montebourg, semble ne pas avoir eu connaissance de la commande. Pouvez-vous nous préciser à quelle date cette étude livrée au mois de décembre 2012 avait été commandée ? Et le ministre en a-t-il eu connaissance ?

Vous gérez une participation de 11 % de l'État dans Airbus, dont la capitalisation boursière est de 76 milliards d'euros. Vous le savez, une opération de lutte anti-corruption est engagée par le Serious Fraud Office britannique, au titre du Bribery Act, et une enquête est ouverte par le parquet national financier. Le département de la justice américain devrait également en ouvrir une. L'APE suit-elle ce dossier ? Et s'assure-t-elle que la loi dite « de blocage », qui remonte à 1968, est mise en oeuvre de façon pertinente ? J'entends par là non un blocage complet mais le fait de s'assurer que des informations stratégiques ne sont pas pillées. Sont déjà intervenues, chez Airbus, une réorganisation de la direction et une réorganisation en profondeur du réseau commercial. Ce qui se passe est de nature à préoccuper la représentation nationale.

Qu'en est-il, enfin, de la privatisation annoncée d'Aéroports de Paris (ADP) ? L'État détient 50,63 % de son capital, qui représente 18 milliards de capitalisation boursière. L'entreprise a rapporté environ 126 millions de dividendes à l'État pour le dernier exercice, ce qui n'est pas rien. La privatisation annoncée suscite donc un certain nombre d'inquiétudes, d'autant qu'ADP est très clairement un opérateur d'importance vitale au sens du décret du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable, dit « décret Montebourg ». Le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France doit, le cas échéant, pouvoir s'appliquer. Que pouvez-vous nous dire de ce dossier ? S'il s'agit pour l'État de passer sous le seuil de 50 % du capital, cela suppose une modification législative – un arbitrage devrait être rendu ces jours-ci. Le foncier est également un enjeu du dossier. En 2005, le législateur avait accepté la sortie du domaine public de ce foncier éminemment stratégique, mais on imagine mal que l'État puisse demain en perdre le contrôle. Se pose aussi la question de la pertinence du montage lui-même. Avec le recul, la privatisation des sociétés d'autoroutes qui, à court terme, se traduisait par une entrée d'argent intéressante, n'est pas aujourd'hui considérée comme une opération d'une pertinence considérable à long terme. Je pense que personne ne souhaite rééditer l'exercice.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par des commissions d'enquêtes de déposer sous serment. Je vous demande donc, monsieur le directeur général, de jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

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