Avant de répondre à vos questions, monsieur le président, je voudrais, sans répéter les propos tenus devant la commission des affaires économiques de votre assemblée, vous dire quelle est ma conviction quant au rôle de l'État actionnaire, qui peut être d'une sensibilité légèrement différente de celle de certains de mes prédécesseurs.
Tout d'abord, je réaffirmerai – je pense que cela a déjà été dit à diverses reprises – que la création de l'APE a marqué un progrès considérable de ce point de vue. Ce rôle de l'État actionnaire s'est lui-même amélioré, enrichi, depuis la création de l'agence en 2004, dont l'évolution a connu plusieurs étapes.
Le fondement même de la création de l'agence était l'incarnation, au sein de l'État, d'un rôle de défense et de promotion des intérêts patrimoniaux de celui-ci, distinct du rôle de tutelle que peuvent exercer certains ministères techniques dans les domaines des transports, de la culture, de la défense, de l'énergie, etc. Il s'agissait aussi, évidemment, de distinguer ce rôle d'autres plus transversaux : l'État est acheteur, l'État est client, l'État prélève l'impôt, l'État est, de façon générale, régulateur. La création de l'APE en 2004 a permis d'incarner cette fonction patrimoniale ; c'était une première étape clé. La deuxième est intervenue en 2010, lorsque ce service à compétence nationale a été extrait de la direction générale du trésor, dont la fonction régulatrice, notamment dans le domaine financier mais pas seulement, pouvait entrer en conflit avec le rôle d'actionnaire. Deux autres étapes importantes sont intervenues. En 2014 a été formalisée pour la première fois une doctrine de l'État actionnaire, une doctrine d'investissement relative à l'état et à l'évolution du portefeuille, et, à l'été de cette même année, des dispositions législatives prises par voie d'ordonnances ont acté un certain nombre d'évolutions pour donner à l'État actionnaire un rôle plus banalisé au sein des organes de gouvernance des entreprises du portefeuille et préciser par la loi un certain nombre de règles en matière de cessions et de respiration du portefeuille. Ces quatre étapes majeures ont permis à l'État actionnaire de jouer un rôle significatif, notamment dans la politique industrielle, objet principal de votre commission d'enquête.
Aujourd'hui, l'APE gère un portefeuille d'une valeur d'environ 100 milliards, dont un peu plus de 70 milliards de participations dans des entreprises cotées. Cette gestion est assez active. Depuis la création de l'APE, nous aurons cédé environ 30 milliards d'actifs. Au cours des trois dernières années, l'activité a été plus intense : nous avons cédé environ 10 milliards d'actifs et investi 11,5 milliards. La performance du portefeuille a été fortement affectée, jusqu'en 2016, par le poids des participations énergétique – EDF, Areva et ENGIE –, qui ont subi l'effet de la baisse des cours des matières premières à partir de 2014 et jusqu'en 2016. En 2017, au contraire, nous avons très largement surperformé le CAC40. Notre rendement actionnarial, qui prend en compte le rendement du portefeuille et la croissance de valeur, a été de l'ordre de 18 % en 2017, tandis que celui du CAC40 était d'un peu moins de 10 %. Très schématiquement, nous sommes l'un des plus gros gestionnaires d'actifs publics au monde et, dans bien des domaines, nous avons beaucoup progressé – je ne répéterai pas les propos tenus devant la commission des affaires économiques.
Avant de répondre à vos questions, monsieur le président, j'indiquerai que l'État est intervenu dans des évolutions significatives de secteurs industriels.
Dans le secteur de la défense, l'État favorisé et a promu la création du champion européen franco-allemand KNDS (Krauss-Maffei Nexter Defense Systems), fruit du rapprochement de Nexter et de KMW (Krauss-Maffei Wegmann), entreprise allemande privée, concurrente dans le domaine des munitions et armes terrestres. En outre il faut signaler - même si je me suis totalement déporté sur les questions de défense depuis le mois de juin dernier - que l'État, à travers le ministère de la défense et l'APE, participe aux négociations sur le possible rapprochement de Naval Group et Fincantieri.
Dans le domaine de l'industrie spatiale, nous avons promu et permis la création d'Airbus Safran Launchers (ASL), à travers le rapprochement entre Airbus, Safran et Arianespace, pour constituer cette filière industrielle.
Dans l'énergie, à travers la restructuration d'AREVA, nous avons été acteurs des rapprochements entre EDF et Framatome et entre AREVA, pour la partie éolienne et offshore, et Siemens. Nous avons aussi négocié l'entrée annoncée il y a quelques semaines des industriels japonais Mitsubishi Heavy Industries (MHI) et Nuclear Fuel Limited (JNFL) au capital d'Orano, la nouvelle AREVA, qui se consacre au cycle du combustible nucléaire.
Dans l'aéronautique, nous avons soutenu l'acquisition de Zodiac par Safran et approuvé, en qualité d'actionnaire puisque nous ne participons pas à la gouvernance d'Airbus, l'acquisition de Bombardier CSeries, cette activité de construction d'appareils monocouloirs, intervenue à l'automne dernier.
Dans le domaine de la construction navale civile, nous sommes toujours à la manoeuvre dans la restructuration du capital de STX et nous avons annoncé il y a quelques semaines la signature du contrat d'acquisition des titres détenus par le Coréen STX en vue de mettre en oeuvre l'accord approuvé au mois de septembre dernier par le gouvernement italien et le gouvernement français pour faire entrer Fincantieri dans le capital de STX.
Dans l'automobile, après le sauvetage remarquablement réussi, depuis 2014, de PSA, nous avons toujours considéré que cette entreprise devait participer à des opérations de consolidation pour devenir plus forte sur ce marché mondial de l'automobile où la concentration et la taille sont des éléments majeurs. L'État actionnaire et le Gouvernement ont donc soutenu l'acquisition d'Opel par PSA au printemps 2017.
Dans le secteur de l'électronique, deux opérations sont très importantes pour l'avenir de Thales : très récemment, Thales a pris le contrôle de Gemalto, et, il y a deux ans, Thales a acquis Vormetric, pour devenir l'un des leaders de la cybersécurité. En tant qu'actionnaire présent dans la gouvernance de toutes les entreprises du portefeuille – sauf Airbus pour laquelle les accords intergouvernementaux et avec l'entreprise ne permettent pas aux États actionnaires d'être membres des organes de gouvernance –, notre préoccupation permanente est que leur stratégie de moyen et long terme assure leur pérennité, de sortir de situations difficiles et, surtout, de faire en sorte que ces groupes – pour la plupart, de très grands groupes internationaux – aient tous les atouts pour se développer dans une compétition mondiale,
Cela m'amène évidemment au sujet d'Alstom. Même si j'ai reconstitué a posteriori ce qui s'était passé avant mon arrivée, je parlerai davantage de ce qui s'est produit depuis le mois d'août 2015 jusqu'à maintenant.
Dès mes premières semaines à la tête de l'APE, nos échanges avec l'entreprise et avec les autres actionnaires ont montré que le bilan d'Alstom Transport avait été assaini dans le cadre des accords consistant à sortir l'activité énergie d'Alstom et à la céder à General Electric mais qu'il était très clair que l'avenir d'Alstom passait par une ou des opérations de consolidation. Pendant deux ans et demi, nous avons donc systématiquement cherché avec le management et les autres actionnaires quelles étaient les possibilités de consolidation. Elles s'articulaient toujours autour des mêmes acteurs : Siemens, Bombardier et Ansaldo STS (Signalling and Transportation Systems), dont l'actionnaire majoritaire est désormais Hitachi, notamment. En ce qui concerne la signalisation, il y avait aussi un possible rapprochement avec Thales. Je ne mentionne pas d'autres acteurs, en quelque sorte en deuxième rang. Pendant cette période, la société a étudié à diverses reprises des partenariats, rapprochements et acquisitions possibles avec Siemens, Bombardier et Hitachi, mais, jusqu'au printemps 2017, cela n'a pas abouti.
Vous m'avez interrogé, monsieur le président, sur les études commandées par l'APE. L'étude d'AT Kearney a été commandée à l'automne 2012 et, en effet, rendue au mois de décembre 2012, suivant un processus classique. Puis il y eut une étude du cabinet Rolland Berger Strategy Consultants, rendue en 2014. Ces rapports n'étaient pas totalement convergents – heureusement, d'une certaine façon. Ces cabinets proposaient des solutions dans des voies qui pouvaient être stratégiquement différentes. En revanche, ils s'accordaient sur le fait que la situation financière d'Alstom, avant scission, n'était pas viable. Les différentes solutions proposées, dont les représentants de ces cabinets vous parleront mieux que moi, reposaient sur scission et rapprochements, notamment avec Siemens et Bombardier. Jamais l'APE ni nos collègues de la direction générale des entreprises (DGE) ne commandent d'études dont les résultats ne sont pas communiqués au ministre. Je le dis de façon très claire : les études que nous commandons sont communiquées au ministre etou à son cabinet.