Intervention de Laurent Dumarest

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 16h00
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Laurent Dumarest, senior partner :

J'en viens à l'objectif. Je reprends quelques éléments de l'appel d'offres tel qu'il était rédigé – c'était une lettre d'une page. Il s'agissait d'estimer le risque, dont l'APE avait été avertie – par l'Élysée, par Matignon, ou quelqu'un d'autre – d'un désengagement de l'actionnaire Bouygues. Il fallait évaluer les avantages et les inconvénients d'un éventuel changement d'actionnariat, et notamment son impact pour l'industrie française et pour l'emploi en France, et voir si des scénarios alternatifs étaient possibles. L'État n'étant pas actionnaire d'Alstom, il s'agissait d'une étude par anticipation qui visait à mieux comprendre les enjeux de la situation pour pouvoir prendre, le cas échéant, des décisions préalables.

Nous avons d'abord caractérisé chacun des métiers d'Alstom – le métier de l'énergie avec en fait plusieurs sous-métiers et le métier du transport. Puis nous avons étudié les acquéreurs qui pouvaient envisager de reprendre Alstom dans sa configuration de l'époque. Nous en avons identifié deux susceptibles de prendre cette participation dans une optique d'acquisition : General Electric (GE) d'une part, et Siemens d'autre part. Nous avons donc évalué les conséquences possibles d'un rapprochement soit avec General Electric, soit avec Siemens. Cela consiste à regarder ce que l'on peut appeler des synergies, les éventuels recouvrements entre les entreprises – nous montons beaucoup de projets de fusion-acquisition –, les domaines dans lesquels cela permet de construire un avantage compétitif au niveau mondial et de renforcer l'entreprise. Mais cela peut montrer aussi que le rapprochement ne rapportera pas grand-chose. Les conséquences peuvent être à la fois positives ou négatives. Il y a un intérêt stratégique et une question de faisabilité.

Dans une deuxième phase, nous nous sommes demandé quels pourraient être les scénarios alternatifs possibles dans l'intérêt de la France. Nous en avons examiné plusieurs, pas forcément identiques pour les deux métiers – « Transport » et « Energie » –, qui n'ont pas de synergies directes ni sur le plan technologique, ni sur le plan de la production, ni sur le plan des compétences. En outre, les clients sont différents, tout comme les zones géographiques couvertes, et l'influence de la commande publique n'est pas la même.

Après avoir regardé quels étaient les impacts potentiels du rapprochement dans les deux cas – avec un risque d'éclatement des deux métiers pour Siemens comme pour General Electric –, nous avons essayé de voir si des solutions alternatives étaient possibles. Nous nous sommes demandés si en matière d'énergie, cela pouvait avoir du sens de se rapprocher d'Areva. L'hypothèse avait déjà été examinée plusieurs années auparavant. En réalité, la situation d'Areva ne permettait pas de l'envisager. Par ailleurs, si ces métiers sont complémentaires, le renforcement des positions respectives au niveau mondial aurait été faible.

Nous avons également envisagé la possibilité d'une alliance avec un acteur chinois, comme PSA l'avait fait, c'est-à-dire une alliance minoritaire de nature à sécuriser l'accès au plus grand marché du monde dans l'énergie, tout en conservant le contrôle de l'entreprise. Enfin, nous avons analysé un schéma permettant, le cas échéant, de constituer un acteur national français capable de consolider progressivement l'industrie du transport, en visant des acquisitions de taille moyenne, pour éviter les recouvrements.

La synthèse de notre rapport était la suivante : il n'y a pas de solution miracle, les différents scénarios présentant chacun des conséquences positives et négatives. Nous n'avons recommandé de rapprochement ni avec GE, ni avec Siemens. Nous avons essayé de voir s'il y avait des solutions alternatives.

Surtout, nous avons conclu que cette étude avait pour avantage d'anticiper des choses et permettrait donc, éventuellement, de savoir quelles mesures prendre pour préserver l'intérêt de l'entreprise. Voilà le résumé de la philosophie du projet. Bien sûr, je peux entrer dans le détail, si vous le souhaitez.

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