Intervention de Agnès Michelot

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 9h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Agnès Michelot, maître de conférences à l'Université de La Rochelle :

« Personnalité associée » à la section de l'environnement du Conseil économique, social et environnemental (CESE), je suis co-rapporteure avec M. Jean Jouzel de l'avis du CESE consacré à La justice climatique : enjeux et perspectives pour la France dans lequel sont formulées des propositions et une définition de la justice climatique à l'échelle nationale. Je suis également chercheur à l'Université de La Rochelle où, avec des collègues politistes, nous avons mené des travaux sur la gestion « post-Xynthia » aux plans juridiques et de sociologie de l'action publique. Je suis aussi membre de Storisk, le projet de l'Agence nationale de la recherche concernant les trajectoires de risque et d'adaptation des petites îles face au changement climatique ; dans ce cadre, nous avons principalement travaillé sur la Polynésie, et précédemment sur les Antilles. Toute une recherche se fait donc sur les risques climatiques dans différentes régions du monde, dont les outre-mer, et aussi sur le littoral métropolitain.

En adoptant l'avis, le 27 septembre 2016, le CESE a souhaité mettre en avant les enjeux et les perspectives pour la France de la justice climatique. Nous sommes partis du constat que si l'action en matière climatique n'est plus un choix – il faut agir – la justice climatique en est un. Il faut tenir compte du cumul de vulnérabilités et d'inégalités souligné par Mme Torre Schaub. Le changement climatique est une réalité : les images rassemblées par M. Jean Jouzel montrent l'évolution des précipitations, les modifications de température, les difficultés d'accès aux ressources en eau, l'augmentation des feux de forêt… La question des réfugiés climatiques va se poser avec une acuité croissante puisque des populations seront amenées à se déplacer, et l'impact du changement climatique sur tous les secteurs d'activités dont le tourisme et l'agriculture, se fait déjà sentir. Dans un souci de justice et parce que nous devons préparer l'avenir et, autant que possible, gérer les risques actuels, il faut tenir compte des trajectoires de vulnérabilité sur les plans social, économique et environnemental – et l'on a malheureusement constaté un cumul des vulnérabilités auxquelles il faut faire face.

Le CESE envisage une stratégie de lutte contre les changements climatiques adossée à des principes et à des objectifs de justice climatique à plusieurs niveaux. Évoquer la justice climatique entre les États, c'est évoquer ceux qui polluent le plus et ceux qui pour lesquels l'impact est le plus fort, sachant que ceux qui émettent le moins de gaz à effet de serre ne sont pas forcément ceux sur lesquels l'impact est le moindre.

Évoquer la justice climatique entre les individus, c'est constater d'une part que les femmes sont particulièrement exposées – déjà vulnérables sur le plan économique, elles éprouvent plus de difficultés que les hommes à retrouver un travail et à se remettre d'une situation difficile. C'est constater aussi que les personnes en situation sociale délicate ne sont pas dans des milieux protégés qui leur permettent de s'adapter, qu'elles ne disposent pas nécessairement des moyens de transport avec lesquels elles pourraient échapper à certains risques et que leur capacité d'adaptation est très limitée.

Évoquer la justice climatique intergénérationnelle, c'est s'interroger : est-il normal que des décisions soient prises aujourd'hui sans tenir compte de leur impact pour les générations futures ? Enfin, à l'échelle nationale, l'avis du CESE retient une approche transversale car la justice climatique entre les territoires nationaux suppose de tenir compte de la disparité de l'exposition aux risques. Il faut aussi envisager la justice climatique à l'échelle internationale, ce dont traitera Mme Lavorel.

La présidente de la Société française pour le droit de l'environnement que je suis peut vous dire que les principes d'action sont connus : ce sont le principe de prévention et le principe de précaution qu'il faut mettre en oeuvre. La France a récemment adopté la loi sur la biodiversité, le principe de solidarité écologique et le principe de non-régression du droit de l'environnement – il faut s'appuyer sur ces principes. Il ne s'agit pas de réinventer le droit : nous avons des instruments, mobilisons-les pour progresser vers les objectifs de justice climatique, en tenant compte de la justice sociale avec des ambitions territoriales.

Nous serons d'autant plus crédibles en matière de justice climatique à l'échelle internationale que notre politique nationale sera cohérente, et nous devons aussi porter un message de justice climatique par notre engagement international. Á ce sujet, il est proposé dans l'avis du CESE de nommer un représentant spécial pour la sécurité climatique au sein du Gouvernement, parce que la question climatique expose aussi à des risques de désordres et de conflits. La question de la migration climatique ou du déplacement des populations qui occupe tous les esprits à l'échelle internationale se posera aussi à l'échelle nationale ; elle ne doit pas être subie, mais envisagée autant que possible en amont. C'est l'approche retenue dans l'avis. Nous préconisons aussi de redéfinir l'investissement international en intégrant le critère de justice climatique et la concertation avec les communautés locales, pour en venir à un droit de l'investissement international cohérent avec l'objectif de justice climatique.

Un des piliers fondamentaux de la justice climatique est la recherche et un effort considérable s'impose pour être en mesure, en étant mieux informés, d'être mieux préparés et d'anticiper les situations. Il faut aussi mieux connaître les liens entre pauvreté et changement climatique. On sait qu'en France les plus démunis sont dans l'incapacité de s'adapter au changement climatique, mais les études précises manquent sur ce point et des recherches sont indispensables pour identifier les plus grandes vulnérabilités. De même, plus de recherches sont nécessaires sur l'égalité entre les femmes et les hommes face à certains risques. Il faut développer les recherches sur les trajectoires de vulnérabilité territoriales, notamment dans les territoires les plus exposés aux risques climatiques, en intégrant des critères sociaux d'exposition.

Intégrer les inégalités climatiques dans les politiques publiques conduit à choisir un développement porteur de justice climatique. C'est ce qui a été fait dans la deuxième version du Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), dont la dimension territoriale est bien plus développée qu'elle ne l'était dans la première version. En Nouvelle Aquitaine, un « mini-GIEC » a été constitué à l'échelle régionale ; nous avons travaillé sur tous les aspects de l'adaptation au changement climatique, aux impacts sur la santé, l'accès à l'eau, les secteurs d'activité, etc. Il faut procéder à une descente d'échelle, et le nouveau PNACC introduit la dimension de vulnérabilité sociale. Nous avons aussi tenu compte de la diversité des risques climatiques selon les territoires et donc, aussi, de la situation des outre-mer qui, comme vous le savez, cumulent les vulnérabilités. Le PNACC doit aussi tenir compte des plus pauvres, surexposés aux risques climatiques.

Parce que les programmes d'investissement doivent tenir compte du cumul des vulnérabilités, et aussi des générations futures, il est indispensable de fixer un taux d'actualisation au moment d'adopter des projets d'ampleur qui auront un impact pendant de longues années.

Nous évoquons également dans l'avis du CESE la question des politiques assurantielles. Les assureurs auditionnés nous ont dit leur préoccupation quant à la couverture des risques climatiques. Le système, à bout de souffle, devra être refondé en tenant compte de la vulnérabilité des plus pauvres, du fait que certains pourront s'assurer et que d'autres ne le pourront pas. Alors que la pression s'accentue en faveur de l'adoption de plans de prévention des risques dans les territoires, le CESE recommande d'envisager l'adéquation entre l'assurance et la mise en oeuvre de ces plans.

Je dirai un mot de la culture du risque. M. Guillaume Rieu, chercheur en sciences politiques, thésard sous la direction de Mme Alice Mazeaud, observe le développement d'une action publique de plus en plus liée au secteur de la recherche et qui alerte effectivement sur les risques, mais il s'interroge sur l'inégale capacité des territoires à faire face à ces risques. Il souligne que la perception des risques par les individus diffère selon leur niveau de connaissances ; c'est une autre inégalité que l'on cerne mal. Il faudra prendre en considération les préconisations du CESE visant à choisir une forme de développement intégrant la justice climatique en termes d'aménagement du territoire et de soutien à l'innovation technologique et sociale pour tenir compte du lien entre précarité et changement climatique et développer des politiques sociales engagées.

Je me dois enfin de souligner l'impact du changement climatique sur les systèmes respiratoire et vasculaire. Une fois encore, les plus vulnérables – les personnes âgées et les enfants – sont particulièrement touchés. Des variations de température, même très faibles, entraînent des risques pour la santé connus et mesurés ; là encore, il y a cumul des inégalités pour ceux qui n'ont pas accès à la santé et aucune capacité d'adaptation. Le CESE préconise des plans régionaux de santé environnement intégrant les questions liées au réchauffement climatique ; ce n'est pas le cas pour l'instant.

La justice climatique est un objectif, une expression de l'intérêt général qui doit guider de manière transversale les politiques publiques. La France dispose de telles politiques : il ne s'agit pas de tout réinventer mais de les rendre cohérentes. Nos principes de droit, nos institutions, nos instruments de lutte contre la pauvreté doivent tenir compte de ces réalités et les politiques d'adaptation au changement climatique doivent tenir compte de ce que les plus démunis sont aussi les plus vulnérables. La justice climatique suppose une nouvelle logique d'élaboration et d'articulation de ces politiques ; elle permet de préserver efficacement et durablement le droit à un environnement sain pour tous, y compris les plus démunis. Peut-être, au cours des débats à venir sur la révision constitutionnelle, devrez-vous repenser en ce sens le principe du droit à un environnement sain pour tous. La justice climatique est un enjeu de solidarité et de cohésion nationale et internationale.

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