Intervention de Michel Sapin

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 9h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Michel Sapin, ancien ministre :

Tous les textes de loi demandent des décrets d'application, lesquels ont parfois un impact plus important que la loi elle-même. Cela est si vrai qu'a contrario, l'absence de décrets d'application laisse la loi sans application aucune. C'est pourquoi j'ai porté une attention maximale aux décrets de la loi Sapin II. Je voulais en effet faire paraître tous les textes d'application avant de quitter mes fonctions, tout simplement parce que je sais comment fonctionne la machine de l'État : une priorité chasse l'autre, d'autres sujets apparaissent et beaucoup de retard peut être pris. Or, un retard, en ces matières, aurait été préjudiciable.

Le décret du 9 mai 2017 fut pris le dernier jour où je pouvais encore valablement le signer. S'il fut ainsi le dernier que j'aie signé, vous imaginez aisément qu'il fut aussi l'un des plus débattus au sein de l'État. Pour qu'il soit édicté, le président de la République a dû rendre un arbitrage. Sa teneur aurait pu être bien pire…

D'un point de vue juridique, les dispositions en cause furent en effet très disputées. Le Conseil constitutionnel en avait été saisi, au motif qu'à trop réglementer une profession, on finit par porter atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie. Je crois, monsieur le président, que cette question avait précisément été soulevée à l'occasion d'un recours de votre groupe politique contre cette loi.

Nous nourrissions des inquiétudes quant à la décision du Conseil constitutionnel. En définitive, il a validé ces dispositions législatives, en les assortissant toutefois d'une interprétation restrictive, à savoir que les conditions concrètes de mise en oeuvre n'attentent pas à la liberté du commerce et de l'industrie.

Tel est le contexte général dans lequel fut rédigé le décret du 9 mai 2017. Un tel décret n'aurait pu exonérer des catégories entières de possibles représentants d'intérêt, car seule la loi pouvait le faire. Ce débat législatif devrait d'ailleurs continuer sur ce sujet, dans le cadre du prochain projet de loi relatif à un plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE). Des débats sont notamment en cours, non au sujet des évêques, mais de l'exonération d'associations en lien avec l'Église. Pour ma part, je crains qu'on ouvre à cette occasion une brèche où beaucoup d'autres voudront s'engouffrer, chacun arguant qu'il n'est pas un marchand de soupe.

C'est pourquoi je sollicite tout particulièrement votre attention quant au risque d'un détricotage du texte. Le décret avait donc pour fin, non d'exonérer des catégories, mais de préciser les conditions d'application : une déclaration d'intérêts générale tous les deux ans suffit-elle, ou bien en faut-il une à chaque fois qu'une rencontre a lieu, en précisant le lieu, le sujet abordé, les participants et le type d'amendement proposé ? Il y avait ici un équilibre à trouver entre deux extrêmes. Il me semble que c'est ce que fait l'arrêté paru le 10 mai 2017.

Je partage ensuite la préoccupation de créer davantage d'obligations et j'aurais voulu qu'on soit plus strict. Les ministres se plient cependant aux arbitrages rendus. Du moins le principal a-t-il été fait : un statut transparent de représentant d'intérêt a été adopté et un décret est édicté, qui en permet la mise en oeuvre.

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