Intervention de Michel Sapin

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 9h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Michel Sapin, ancien ministre :

S'agissant du secteur hydroélectrique – dont vous êtes bien placée, madame Battistel, pour connaître les enjeux –, les règles de transparence et de concurrence doivent évidemment être respectées. Leur application empêche-t-elle pour autant nos grandes entreprises nationales – je pense notamment à EDF –, d'être présentes dans ce secteur ? Je ne crois pas. La question est principalement européenne. Nous sommes là, me semble-t-il, à la croisée des chemins. Disons, pour simplifier, que la politique de la concurrence européenne avait pour principale préoccupation de favoriser la concurrence dans chaque pays. Ainsi la Commission européenne s'inquiétait de savoir si tel ou tel regroupement risquait de nuire à la concurrence au sein du marché concerné de chaque pays. Or, actuellement, le problème est de savoir si la concurrence internationale permet à des champions nationaux ou européens de se battre, y compris sur le marché national ou européen. Qu'il s'agisse de secteurs qui relevaient jadis du service public ou d'autres secteurs, il faut absolument que la Commission et les gouvernements – dont elle est, en définitive, l'émanation de la volonté – évoluent sur ce point. Nous avons en effet besoin de pouvoir nous battre, sur le territoire européen comme à l'extérieur, à l'aide de grandes entreprises, notamment dans le secteur de l'énergie, qui soient en mesure d'offrir les services nécessaires aux populations et de conquérir des marchés à l'extérieur. Ma réponse n'est pas catégorique, vous l'aurez noté. Mais, dans le débat actuel, les dispositions de la loi sur la transition énergétique devraient permettre aux entreprises françaises de faire valoir leurs qualités.

L'Agence des participations de l'État, créée il y a un peu plus d'une dizaine d'années, fonctionne plutôt bien. Pour ce que j'en sais, elle s'est professionnalisée : certains de ses collaborateurs connaissent véritablement le monde de l'entreprise. Mais votre question, monsieur Pellois, portait surtout sur l'évolution du portefeuille de l'APE. Cette évolution me paraît tout à fait légitime : les raisons pour lesquelles l'État entre au capital d'une entreprise peuvent ne plus être valables dix ans, cinq ans, voire – on l'a constaté avec Alstom – trois ans plus tard. Il m'est arrivé, du reste, de prendre la décision de diminuer les participations de l'État dans une entreprise – dans Engie notamment, et cette action s'est poursuivie au cours des derniers mois. Que la gestion du capital de l'APE se caractérise par une certaine fluidité ne me gêne pas du tout.

Le Gouvernement souhaite vendre certaines de ses participations au profit d'un fonds consacré à l'innovation. Qui peut être contre un tel fonds ? Bien entendu, il faut en examiner les modalités. S'agit-il, pour l'État, de prendre, par l'intermédiaire de l'APE, des participations dans chacune des entreprises concernées ? S'agit-il d'apporter à ces entreprises un autre type d'aides, telles que des prêts ? Cela relèverait alors d'une tout autre logique, analogue à celle que nous avons privilégiée en créant ce que tout le monde s'accorde à juger comme un très bel outil : la Banque publique d'investissement. De mon point de vue, il ne faut pas multiplier les outils. Si l'État veut augmenter sa participation dans BPI, qui est actuellement de 50 % – l'autre moitié provenant de la Caisse des dépôts et consignations –, pour renforcer les moyens d'action de la Banque publique et favoriser ainsi l'innovation grâce à des prises de participation ou à des prêts de toutes natures, je n'y verrai que des avantages. Ensuite, les dossiers doivent être examinés au cas par cas, qu'il s'agisse de se désengager ou de s'engager.

Enfin, je comprends que vous m'interrogiez à nouveau sur la loi de blocage, car j'ai répondu, tout à l'heure, de manière un peu évasive. Mais je ne me sens pas en mesure de vous donner un avis suffisamment précis sur cette question. Mon sentiment est que nous avons besoin d'un outil juridique de cette nature. La loi de 1968 est-elle adaptée aux conditions actuelles ? Je n'ai pas de raison de vous dire qu'elle est intouchable. Vous avez relevé vous-même qu'elle était peu utilisée et qu'elle n'avait pas d'équivalent dans d'autres pays. Une évolution me semble donc nécessaire, mais la légitimité d'une telle loi n'est pas contestable. Au reste, ce n'est pas parce qu'elle est peu utilisée qu'elle est inutile. On pourrait même suivre le raisonnement inverse : peut-être n'est-elle pas utilisée parce qu'elle représente une menace suffisamment dissuasive, auquel cas elle serait un très bon outil. Mais n'ayant pas eu à appliquer cette loi, je n'en connais pas tous les tenants et les aboutissants.

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