Jusqu'où nos peurs auront-elles raison de nos valeurs ? Depuis combien d'années légiférons-nous tous les deux ans, majorité après majorité, pour ne rien régler – ou si peu ! –, pour essayer de canaliser nos craintes et celles dont nous nous persuadons qu'elles sont majoritaires dans l'esprit de nos concitoyens ? De peur d'être débordé par le peuple, on veut trop souvent parler pour lui.
De 2014 à fin 2017, le Liban a accueilli de manière permanente plus d'un million de Syriens ; 1,5 million de Libyens sont réfugiés en Tunisie ; sur les 1,2 million de demandes d'asiles recensées en 2016 dans l'Union européenne, la France en recense 76 000. Sommes-nous débordés ? Prenons-nous notre part de la misère du monde dans un pays de plus de 67 millions d'habitants, sur un continent de plus de 500 millions d'habitants ?
Alors que le Président de la République a été élu au second tour de l'élection présidentielle face au Front National, son gouvernement engage-t-il aujourd'hui le combat de fond, pour un ressaisissement collectif sur cette question de l'asile et de l'immigration ? Disons-le : il ne faut pas céder à l'air du temps lorsque le temps a un drôle d'air.
Ce projet de loi, qui succède à la circulaire du 12 décembre 2017 qui mettait en cause l'universalité de l'accueil, fait l'objet de vives critiques, de vives oppositions et de mises en garde ignorées, de toutes les ONG et de nos autorités administratives indépendantes, sans parler de l'avis hautement défavorable du Conseil d'État.
Ce texte prétend faire droit aux demandeurs d'asile. Mais, en faisant de la procédure accélérée la règle, en réduisant les délais de recours, en plaçant 90 jours en rétention des personnes qui n'ont commis aucun délit et dont nous savons qu'elles ne seront pas reconductibles après un tel délai, ce texte porte gravement atteinte au droit d'asile.
Et que dire des intentions réelles du Gouvernement, qui négocie à Bruxelles un règlement sur les pays tiers sûrs hors Union européenne, alors qu'il prétend à Paris en avoir abandonné le principe ?
Par-dessus tout, le projet de loi se fonde sur un système dont la défaillance, et même la caducité, est aussi patente que la crise de gouvernance de l'Union Européenne, à savoir les accords de Dublin. Car cette crise migratoire révèle surtout les fractures de l'Europe, ses divisions et ses incapacités. Cette loi est inutile car elle prétend régler nationalement un phénomène mondial. Ce sont, en réalité, des « accords de Paris des migrations » que la situation appelle.
La question de l'utilité d'amender votre texte se pose, car il est en vérité impossible à rééquilibrer, tellement il est vicié dans ses fondements. Nous proposerons, amendement après amendement, d'effacer presque tout et d'écrire autre chose, mais sans illusion, alors que nous sommes sur un sujet qui appellerait un véritable sursaut républicain, européen et mondial, par-delà les clivages politiques.
En vous disant cela, je refuse, comme François Héran avant moi, d'être coupable de me sentir coupable.