L'enquête pour laquelle vous avez souhaité nous auditionner trouve son origine dans une série de constats. Premièrement, le complexe nucléaire s'effondre, confronté à une crise sans précédent. Deuxièmement, Areva-Orano est en faillite, et EDF en quasi-faillite, grevé d'une dette astronomique estimée à 57 milliards d'euros fin 2017. Troisièmement, le parc nucléaire arrive à quarante ans, durée limite d'exploitation fixée par Framatome à sa construction.
Trois interrogations constituent la matrice de cette enquête : quelles sont les causes de cet effondrement du complexe nucléaire ? Pour quelle raison les deux entreprises phares se trouvent-elles dans cette situation financière catastrophique ? Quel est l'état réel des réacteurs nucléaires et quels risques prend-on en prolongeant de dix à vingt ans leur durée de vie ?
Voyons tout d'abord les causes de l'effondrement. Notre parc nucléaire est surdimensionné, et compte entre quinze et vingt réacteurs en trop par rapport aux besoins réels du pays : vingt-deux réacteurs étaient à l'arrêt en novembre dernier, sans que cela ne suscite un émoi particulier. Pour compenser ce surdimensionnement, on a surdéveloppé le chauffage électrique : environ 36 % des logements en sont équipés, ce qui provoque un pic de consommation en hiver nous rendant dépendant du nucléaire.
À cela s'ajoutent des prévisions de croissance de la consommation électrique non réalistes. Au milieu des années soixante-dix, on tablait sur 1 000 térawattheures pour les années 2000 ; or nous en consommons actuellement moins de 500.
Quant à la planche de salut de l'export, seuls neuf réacteurs ont été vendus depuis 1970 ; autrement dit, le marché n'a jamais vraiment existé.
Au final, le financement du nucléaire a asséché le financement dans la recherche pour développer des alternatives, alors que la France était en avance dans les énergies renouvelables au début des années soixante-dix – songeons au four solaire de Font-Romeu ou à l'usine marémotrice de la Rance.
En ce qui concerne les faillites d'Areva et d'EDF, nous avons détaillé dans le livre comment Anne Lauvergeon a géré Areva hors de tout contrôle, soutenue par tous les gouvernements entre 2001 et 2011, sans parler des affaires comme UraMin. Quant à EDF, la dette financière de l'entreprise s'élevait à 22 milliards en 1998, à la fin de la construction du parc nucléaire, et à 57 milliards à la fin 2017, après un pic à 65 milliards fin 2016. Où est passé cet argent, à quoi a-t-il servi ?
Venons-en aux interrogations autour de l'état réel du parc. Toutes nos informations sortent de rapports rédigés par les services d'EDF. La question posée à nos contacts était a priori simple : « Que sait-on des réacteurs ? » Nous pensions principalement à l'affluence, le rayonnement ionisant qui modifie la structure de l'acier. Nous avons eu des informations sur l'affluence, mais aussi sur l'évolution des situations qui limitent la durée de vie du circuit primaire, sur les pièces irrégulières utilisées et les risques qu'elles font courir, les fissures connues, leur gravité, mais aussi des défauts apparus en cours d'exploitation.
L'épaisseur totale des cuves est de 200 millimètres, et vingt-huit d'entre elles ont fait l'objet d'un réexamen sur une épaisseur totale de 81 millimètres. EDF a trouvé des défauts non répertoriés sur ces cuves. Ce sont de petits défauts, mais ils n'avaient jamais été répertoriés auparavant.
Mais la plus grande surprise de notre enquête a été de découvrir que, dès la construction du parc, EDF avait accepté en toute connaissance de cause des pièces essentielles, équipant les circuits primaires d'eau, qui étaient irrégulières et fragiles.
Enfin, il faudrait revenir sur les mythes du nucléaire, présenté comme une énergie propre, assurant l'indépendance énergétique du pays à bas coût, et sûre, ce qui n'est évidemment pas aussi évident.