Monsieur le ministre, merci d'avoir développé une vision conquérante et offensive de notre industrie, et rappelé qu'il est important que nos industries exportent et qu'elles soient attractives aux yeux des investisseurs français et étrangers, à plus forte raison dans une époque où les tentations protectionnistes sont grandes, en Europe ou ailleurs.
J'interroge régulièrement les personnes que nous auditionnons sur leur définition d'une entreprise stratégique : avant de savoir comment on protège nos fleurons industriels, il est bon de savoir quels types d'entreprise on souhaite protéger. Mais existe-t-il une réponse européenne à cette question ? Les différents États européens n'ont-ils pas des divergences sur l'appréciation de ce qui est stratégique pour chacun, et peut-on dès lors s'accorder sur un socle commun d'intérêts stratégiques partagés au niveau européen ?
Je partage entièrement votre vision positive de la création de grands champions européens, comme c'est le cas avec la fusion entre Alstom et Siemens. Mais n'y a-t-il pas parfois, venant des autorités européennes de régulation de la concurrence, des blocages qui vont à l'encontre de cet intérêt commun que nous avons à créer des champions industriels ? Cette fusion Alstom-Siemens ne risque-t-elle pas de se heurter à certains de ces blocages, qui peuvent freiner, ralentir ou rendre plus cher l'accord qui a été trouvé ? Comment peut-on réussir à lever ces obstacles et à convaincre nos partenaires européens qu'il est important de se doter de tels champions ?
Ma troisième question porte sur la Chine. Les investisseurs chinois font l'objet de beaucoup de questions chez nous comme à l'étranger. Certains membres de notre commission se sont rendus aux États-Unis il y a deux semaines, et nous avons pu constater que c'était un sujet de préoccupation récurrent, à Washington comme à San Francisco, chez les institutionnels comme chez les investisseurs : beaucoup redoutent les investissements chinois qui pourraient être pilotés par l'État ou qui émaneraient d'investisseurs privés pas forcément bien intentionnés.
Je me fais l'avocat du diable, mais cette peur collective et croissante de la Chine ne risque-t-elle pas de nous entraîner dans des guerres commerciales dont nous risquons, à terme, de payer les pots cassés ? N'est-ce pas déjà ce qui se passe avec les tarifs de l'acier et cette guerre économique que se livrent Washington et Pékin ? Cette peur de la Chine est-elle rationnelle ? Vous l'avez rappelé et la Banque de France nous l'a dit tout à l'heure, les stocks d'IDE de la Chine en France sont assez faibles – vous avez parlé de 8 milliards d'euros, la Banque de France nous a parlé de 10 milliards d'euros. Le fait de pointer sans cesse ce pays du doigt ne risque-t-il pas de pénaliser nos exportations, de freiner la signature de grands contrats ou, plus globalement, de dégrader nos relations bilatérales ?
Enfin, ma dernière question porte sur l'extraterritorialité de certaines procédures juridiques, notamment dans les cas de corruption. Comment peut-on faire, non pour se défendre contre les procédures américaines, mais pour être, nous aussi, offensifs ?
On reproche souvent à la justice américaine de s'intéresser de trop près aux entreprises étrangères soupçonnées de corruption, c'est-à-dire d'actes graves ; en réalité, ne devrait-on pas plutôt nous reprocher à nous-mêmes de ne pas nous saisir nous-mêmes de ces sujets et de laisser, du coup, l'initiative aux Américains ? Faire preuve d'intransigeance envers les actes délictueux ou criminels, en particulier en matière de corruption, même quand ils sont commis par un grand groupe industriel, même quand ils sont commis par des cadres haut placés, ne serait-il pas de nature à améliorer la coopération judiciaire internationale ? En d'autres termes, ne serait-on pas mieux armé pour lutter contre les procédures américaines si nous nous montrions plus offensifs en matière de lutte contre la corruption ?