Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 10 juin 1999, l'Assemblée nationale reconnaissait enfin que, quand on parlait de « guerre d'Algérie », ce n'était pas une simple expression. Les « événements d'Algérie », les « opérations de maintien de l'ordre », pour reprendre des expressions qui ont longtemps eu cours, se sont enfin vu reconnaître leur caractère belliqueux, et ce fut un événement.
Le chapitre algérien de l'histoire française a été fortement marqué par le conflit. Même si les accords d'Évian du 18 mars 1962 font parfois encore l'objet de polémiques, ils sont le point marquant d'un renouveau, non seulement pour l'Algérie, qui accéda alors à l'indépendance, mais aussi pour les millions de soldats français envoyés sur le terrain. Je ne vous apprendrai rien en rappelant que les heurts et – disons le mot – les combats se sont poursuivis après ces accords. Si le qualificatif de « guerre » n'est toujours pas reconnu pour cette période, ce conflit armé, dans lequel les engagés ont continué de défendre leur patrie, en présente pourtant bien des caractéristiques.
D'ailleurs, la France a elle-même officiellement reconnu 528 morts pour la France après le 2 juillet 1962, c'est-à-dire après la fin du conflit officiel scellé par les accords d'Évian. Qu'est-ce qu'un « mort pour la France » ? C'est avant tout un titre honorant la mémoire des victimes de guerre, comme le dispose la loi du 2 juillet 1915. Plus récemment, c'est un décret en date du 25 avril 2001 qui a ouvert le droit au titre de reconnaissance de la nation aux militaires restés en Algérie jusqu'au 1er juillet 1964, et ce, en raison de l'insécurité réelle sur le terrain.
La France est-elle devenue schizophrène pour reconnaître des morts pour la France, pour attribuer la reconnaissance de la nation, ainsi qu'une médaille commémorative, tout en refusant de reconnaître la qualité de combattants aux engagés d'après 1962 ? Il est plus que temps d'aligner le droit ; il est plus que temps d'harmoniser les critères ; il est plus que temps d'apaiser les tensions qui perdurent.
Les Républicains ont toujours défendu le monde combattant, Les Républicains ont toujours tenu à ce que son engagement soit justement reconnu. Cette implication aux côtés de nos forces armées a permis d'aboutir à la réalisation de plusieurs de nos engagements, tels que le point retraite et l'allocation différentielle. Nous continuerons de nous impliquer en ce sens. Ce n'est que justice, ce n'est que cohérence et reconnaissance de l'État envers ses soldats et envers leur engagement pour le pays, que d'attribuer la carte de combattant à tous les engagés impliqués sur le terrain durant cette période difficile qui va de la fin officielle de la guerre en Algérie à la véritable fin des affrontements.
Nous sommes en 2018, soit presque vingt ans après que la guerre d'Algérie a été reconnue comme telle. Pourtant, vingt ans après, certains de nos soldats n'ont toujours pas droit à une juste reconnaissance. Nous ne pouvons nier les difficultés qu'a eues la France à prendre la mesure de cette guerre, dans laquelle elle s'est enlisée. Mais, aujourd'hui, il est plus que temps de réparer ces oublis.
Endossons notre rôle de législateur pour éviter que d'autres personnes, civils ou soldats, lésées par cette guerre n'ait à mener un combat en justice pour faire reconnaître le préjudice qu'elles ont subi. Pas plus tard que le 8 février dernier, c'est par le Conseil constitutionnel qu'a ouvertement été reconnu un droit à pension pour les victimes civiles d'actes de violences lors de la guerre d'Algérie. Devons-nous également attendre de nos militaires, de nos civils engagés pour la guerre, qu'ils trouvent encore la force de se battre contre l'État qu'ils ont pourtant défendu ?
La situation que nous exposons aujourd'hui ne laisse pas place au doute. Quel terme s'applique à des personnes à qui l'on a demandé de rétablir l'ordre, de combattre, de défendre leur pays ? Ce sont des combattants, des anciens combattants, qui n'ont pas mis un terme à leur engagement en 1962, mais qui ont continué à servir la France, à servir notre pays, tant qu'il en a eu besoin.
Je vous ai moi-même interrogée à ce propos en octobre dernier, madame la secrétaire d'État, au moyen d'une question écrite. Votre réponse, publiée le 19 décembre 2017, faisait état de votre connaissance du fait que cette demande était déjà ancienne. Si elle ne figurait pas au nombre des mesures que vous entendiez défendre dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, vous souhaitiez mener une étude approfondie à ce sujet dès le début de 2018. Nous sommes en avril. Il s'est écoulé suffisamment de temps pour que cette demande légitime ait pu être soigneusement étudiée et que nous puissions enfin, nous parlementaires, nous législateurs, rétablir justice et équité.
Il apparaît presque improbable, inapproprié, que nous ayons à débattre de cette question aujourd'hui. Les combattants ont rempli leur part du contrat : à l'État d'en faire de même. À nous de faire notre propre paix des braves car braves, sans nul doute, ils l'ont été et ils ont, sans nul doute, le droit de connaître la paix.
Il m'a paru important de rappeler à chacun d'entre nous l'importance de notre histoire, des récompenses, des réparations et des compensations qu'elle emportait car si nous devons agir dans le présent, nous devons toujours envisager les conséquences des décisions et des actes dans le futur.
Finalement, j'aurais pu appuyer la proposition de loi de mon collègue Gilles Lurton en m'arrêtant à la première phrase que j'ai prononcée : le 10 juin 1999, l'Assemblée nationale reconnaissait la « guerre d'Algérie ». Espérons que nous puissions bientôt dire : « Le 5 avril 2018, l'Assemblée nationale tirait toutes les conséquences de la guerre d'Algérie. »