Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, c'était hier dans la presse locale. Les maires d'Annemasse Agglo dénonçaient la énième installation illicite d'une communauté de gens de voyage, et pointaient un système légal « pas adapté pour lutter contre ces sauts de puce illicites ». En cause, l'installation d'une dizaine de caravanes, arrivées cette semaine, dans la nuit de lundi à mardi, sur le parking d'une école d'Annemasse, pourtant située en zone vigilance du plan Vigipirate. Cette communauté de gens du voyage s'est branchée sur l'armoire électrique de l'école via un montage sauvage, ce qui a également occasionné une coupure d'électricité dans les classes.
Madame la secrétaire d'État, des anecdotes de la sorte, nous pourrions vous en rapporter des centaines chaque année, des quatre coins de la France, mes collègues parlementaires et moi-même. Ma collègue Annie Genevard a cité l'exemple de gens du voyage qui cassent tout sur des aires d'accueil aménagées dans le Val de Morteau et qui, quand celles-ci sont pleines ou en réparation, s'installent n'importe où, notamment dans des zones d'activité, empêchant les camions d'accéder aux entreprises ou dérobant des matériaux.
Ces anecdotes sont malheureusement trop nombreuses, et nous voulons désormais des actes. Certaines réalités ne peuvent être ignorées et demandent qu'au-delà de notre appartenance à la majorité ou à l'opposition, nous ayons le courage et la volonté politique de nous retrouver.
Je veux évoquer ce soir la situation que nous connaissons tous sur nos territoires, particulièrement dans les circonscriptions frontalières ou du littoral : bien qu'elles respectent toutes leurs obligations en matière d'accueil des gens du voyage – notamment la mise à disposition de terrains ou l'accès aux services publics et à la scolarisation – , des communes et intercommunalités se trouvent confrontées de manière récurrente à des campements illicites et aux tensions qu'ils génèrent.
Je veux évoquer la situation des maires, lorsque se tournent vers eux des habitants, des agriculteurs, des entrepreneurs qui voient leurs terrains endommagés ou leur activité s'effondrer, et qui ne comprennent pas pourquoi rien n'est fait pour permettre une évacuation rapide afin de limiter les dégâts et les pertes. Ces élus méritent notre pleine attention ; ils méritent que nous trouvions ensemble des solutions aux problèmes auxquels ils sont confrontés.
Dois-je rappeler les violences verbales, voire physiques, qui se multiplient sur certains territoires ? Rien ne peut justifier ces comportements. Ma suppléante, Caroline Laverrière, en voulant s'interposer, a fait l'objet de menaces de la part d'une personne de la communauté des gens du voyage, armée d'un fusil. Ces comportements sont intolérables pour les élus que nous sommes, pour les citoyens et plus généralement pour notre République.
J'évoquerai également la situation des préfets, confrontés à des dispositifs dont la sécurité juridique n'est pas toujours garantie, et qui manquent de moyens pour prendre les mesures qui s'imposent, ainsi que celles des forces de l'ordre, impuissantes, dépassées, épuisées par les va-et-vient de groupes abusant d'une situation juridique qui leur garantit in fine l'impunité, car c'est bien de cela dont il s'agit actuellement.
Enfin, je veux évoquer la situation des groupes de gens du voyage qui respectent leurs obligations légales, qui préviennent les élus en amont de leurs déplacements et qui n'aspirent qu'à vivre selon leurs traditions, mais dans le respect de la loi. Ils sont les perdants, comme l'ensemble de nos concitoyens sur le terrain, de l'insuffisance de notre droit pour mettre un terme aux comportements répréhensibles d'autres communautés de gens du voyage.
Mes chers collègues, face à ce constat, nous ne pouvons rester des spectateurs passifs, sourds aux demandes pourtant légitimes de nos territoires. Nous ne pouvons également nous contenter de renvoyer l'effort à fournir aux collectivités territoriales.
En effet, si 70 % des places d'accueil prévues par les schémas départementaux ont bien été construites et si l'offre d'emplacements s'est diversifiée pour en améliorer la qualité, comment convaincre une commune de respecter ses obligations ou de poursuivre son effort, quand elle constate que les campements illicites n'ont pas diminué localement, alors même que les collectivités ont procédé à des investissements coûteux ?
Tous les acteurs de terrain s'accordent à le dire : si l'effort de construction de places d'accueil a été continu au cours des dernières années, la contrepartie d'une évacuation rapide des campements illicites n'a absolument pas été respectée. Par conséquent, l'équilibre est rompu et le découragement, quand ce n'est pas la colère, gagne les élus et les citoyens.
Malheureusement, je suis au regret de constater qu'une fois encore, nous risquons de rater une occasion d'apporter les réponses tant attendues.
Le Sénat nous a proposé un texte comportant des dispositions essentielles en vue d'améliorer les procédures d'évacuation et de sanctionner plus efficacement les infractions. Je remercie d'ailleurs Mme la rapporteure Catherine Di Folco, ainsi que nos collègues sénateurs de Haute-Savoie, pour leur travail de grande qualité.
Malgré cela, la majorité a supprimé six articles sur onze et vidé deux autres articles d'une grande partie de leur substance. Pourtant, lorsque nous l'avions rencontrée au ministère ou lorsqu'elle s'était rendue sur place, Mme Gourault s'était engagée devant les parlementaires de Haute-Savoie à donner plus de moyens aux préfets et aux forces de l'ordre, afin que ceux-ci puissent intervenir plus rapidement, et donc à adapter les peines encourues. De ces engagements, malheureusement, il ne reste pratiquement rien dans le texte adopté par la commission des lois, alors que, je le sais, Mme Gourault a à coeur de respecter sa parole.
Nous étions prêts à des compromis, à un travail réel de construction parlementaire. La majorité nous a opposé des suppressions sèches, ajoutant à cela un procès d'intention, malheureusement en décalage total par rapport à la réalité du terrain. Car il ne s'agit pas de stigmatiser les gens du voyage, bien au contraire, mais de cibler les groupes qui commettent des infractions ; cela, nous l'assumons pleinement.
Lorsque nous proposons de rendre plus rapides et plus efficaces les procédures d'évacuation, nous ne le faisons pas contre les gens du voyage, mais pour les propriétaires publics ou privés des terrains occupés illégalement. Je pense particulièrement aux agriculteurs, qui voient leurs cultures saccagées au printemps et en été, sans obtenir de compensations financières en retour, car nous savons que les procédures de ce type ne réussissent que rarement à couvrir les pertes réelles. Je vous laisserai donc leur expliquer que nous ne pouvons pas procéder à des aménagements, pourtant réclamés, car ce serait stigmatisant pour les groupes qui commettent ces infractions.
Nous souhaitions également, comme le proposait le Sénat, renforcer le soutien aux communes et aux intercommunalités, et mieux reconnaître l'effort financier qu'elles consentent en mettant en oeuvre une politique d'accueil dont le Gouvernement s'est, de son côté, en grande partie désengagé au cours des dernières années. À nouveau, votre majorité a supprimé des dispositions qui auraient permis de rétablir un certain équilibre. Elle est notamment revenue sur la possibilité pour les petites communautés de communes de s'opposer à l'installation de terrains d'accueil sur leur territoire. Je rappelle que nombre d'entre elles proposent déjà des solutions d'accueil, la plupart du temps sous-utilisées en raison de leur éloignement des grands centres urbains, qui, eux, sont souvent déficitaires.
II s'agissait par ailleurs de revenir à l'esprit de la loi Besson, qui n'avait rendu obligatoire la participation aux schémas départementaux que pour les communes de plus de 5 000 habitants. La prise en compte de l'effort financier que représente la construction d'emplacements d'accueil dans les quotas de logements sociaux prévus par la loi SRU – relative à la solidarité et au renouvellement urbains – aurait également permis d'inciter davantage les collectivités, notamment les centres urbains, à respecter leurs obligations, alors que l'assimilation de ces emplacements à des logements sociaux est déjà prévue dans le cadre d'autres dispositifs. Je regrette à nouveau qu'aucune mesure de compromis n'ait été proposée par la majorité.
Dans la suite de nos débats, je défendrai donc le rétablissement du texte du Sénat, qui me semblait garantir l'équilibre des droits et des obligations des collectivités territoriales, comme de ceux des gens du voyage. Si toutefois nous devions adopter un texte tronqué, les élus locaux, les agriculteurs et tous les citoyens qui nous saisissent régulièrement de cette question ne s'y tromperaient pas. Ce renoncement à améliorer une situation difficilement tenable localement s'ajouterait à la liste des multiples attaques de votre majorité dans ses relations avec les territoires. Pourquoi les abandonner ? Pourquoi ce ressentiment ? Je le dis sans esprit partisan car, pour moi comme pour nombre de mes collègues, la priorité est de répondre en urgence aux difficultés rencontrées.
C'est ce message que je souhaitais vous adresser, mes chers collègues, et je continuerai à le faire en espérant vous convaincre que nos territoires, les élus, les citoyens, mais également les gens du voyage méritent mieux que le texte dénaturé soumis à notre examen, et que nous devons travailler ensemble à des solutions concrètes et pragmatiques, parce qu'il y a urgence, que la situation se dégrade sur le terrain et que nous refusons qu'elle se termine par un drame local.