Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c'est en grande partie le contexte actuel qui nous a incités à réaliser ce documentaire. Les groupes terroristes que l'on sait actifs depuis quelques années disposent aujourd'hui de moyens financiers et d'investigation qui dépassent largement les nôtres, à savoir ceux d'une chaîne de télévision comme Arte et de deux personnes comme Laure Noualhat et moi-même : nous sommes très motivés, mais disposons de moyens très limités. Or, si nous sommes capables de découvrir des choses avec le peu de moyens qui sont les nôtres, il est évident que des groupes comme Daech le peuvent également.
Par ailleurs, le secteur du nucléaire est entouré d'un grand secret, présenté par les responsables que nous avons rencontrés comme la pierre angulaire du système de défense de ce secteur. Nous nous sommes demandé si, dans le contexte d'activité terroriste que nous connaissons, le secret suffisait à garantir la sécurité des citoyens.
Parmi les objectifs que nous nous sommes fixés en réalisant ce documentaire, il y avait d'abord celui consistant à informer les citoyens, qui en savent assez peu sur les risques réels et les conséquences potentielles d'un attentat terroriste. Nous souhaitions également informer les responsables politiques car, ayant tourné trois films sur le thème du nucléaire, nous savons qu'il s'agit d'un domaine assez technique, auquel les personnalités politiques s'intéressent assez peu, à de rares exceptions près. Nous sommes donc ravis de pouvoir nous exprimer devant vous et répondre à vos questions, car cela constitue en quelque sorte l'aboutissement de notre travail. Enfin, il s'agissait également de mettre la pression aux responsables de la sécurité car nous estimons que, si le fait de mettre en évidence des failles de sécurité comporte une part de risque, cela doit aussi et surtout permettre d'y remédier, donc de renforcer la sécurité.
Notre film souligne essentiellement quatre types de problèmes.
Il s'agit d'abord des problèmes structurels de l'industrie nucléaire. Il a été fait le choix de cette industrie à une époque où la question du terrorisme ne se posait pas dans les mêmes termes qu'aujourd'hui. De ce fait, les infrastructures du nucléaire n'ont pas été conçues pour résister aux attentats du type de ceux que nous avons connus au cours de ces dernières années, notamment les attentats du 11 septembre 2001. Aujourd'hui, quasiment aucun réacteur nucléaire dans le monde n'est capable de résister à une chute d'avion gros-porteur, ce qui signifie qu'il y a de grandes chances pour que la chute d'un gros-porteur sur un bâtiment abritant un réacteur se traduise par un accident nucléaire grave.
Pour ce qui est des piscines, leur conception fait qu'elles ne résisteraient même pas à un tir de lance-roquettes – une arme aujourd'hui fréquemment utilisée pour attaquer les fourgons blindés.
Enfin, les sites nucléaires sont souvent vulnérables du fait de leur situation géographique – ils se trouvent souvent à proximité d'une zone urbaine.
Nous n'avons pas de solutions à proposer à ces problèmes structurels : notre réflexion à ce sujet ne mène qu'à des impasses.
Le deuxième type de problèmes porte sur la gestion. Par exemple, les piscines françaises – c'est encore pire aux États-Unis – contiennent trop de combustible, surtout celle de La Hague, et il faudrait commencer à réfléchir aux moyens d'y remédier.
Le troisième type de problèmes porte sur les choix industriels qui ont été faits, en particulier celui du retraitement des combustibles usés à La Hague, qui implique des transports de plutonium. Il est permis de se demander si le choix du retraitement a encore un sens au regard des risques qu'il comporte.
Enfin, le quatrième type de problèmes est d'ordre financier : la situation financière d'Orano et d'EDF oblige à se demander si l'industrie nucléaire dispose des moyens de sa sécurité.
Ce n'est pas toujours là où nous nous attendions à les trouver que nous sommes tombés sur des militants : nous avons en effet rencontré des industriels qui, la plupart du temps, se comportaient en militants pro-nucléaires, réservant des réponses à caractère idéologique aux questions techniques et scientifiques que nous leur posions. Ces réponses étaient même souvent fausses. Ainsi, lorsque Philippe Sasseigne, directeur du parc nucléaire d'EDF, a fini par nous accorder une interview au bout de huit mois, il nous a tenu un discours purement idéologique, dont l'absence de consistance technique nous a choqués : il s'agissait ni plus ni moins d'entretenir une sorte de déni de la réalité des risques.
Nous nous sommes interrogés sur l'existence d'une forme d'irresponsabilité globale face à l'incapacité d'admettre la possibilité que se produise une attaque qui aurait de graves conséquences et, à l'instar de l'un des témoins s'exprimant dans notre film, nous nous demandons si les leçons du 11 septembre ont bien été tirées, et si nous ne serions pas en train de sous-estimer l'ennemi en l'imaginant incapable de nous surprendre. Nous avons constamment eu l'impression de nous trouver face à des personnes qui, pensant que rien de grave ne pouvait arriver, estimaient suffisant de bricoler quelques mesures de sécurité – quand je dis « bricoler », je ne veux pas dire que le travail n'est pas effectué sérieusement, mais qu'il n'est pas à la hauteur des enjeux. En fait, personne n'est capable d'imaginer qu'un attentat nucléaire réussi puisse se produire en France, ce qui nous paraît très grave, car cela implique que les mesures prises pour empêcher qu'une telle chose ne se produise sont très insuffisantes.
Pour conclure, nous pensons que la stratégie du secret ne nous protège pas et que, bien au contraire, elle est contre-productive : le secret nous fragilise, dans la mesure où il sert surtout à masquer les failles réelles de la défense du nucléaire.