Il faut distinguer différentes phases dans la réalisation d'un documentaire. Durant la phase de pré-enquête, nous cherchons à identifier les différents intervenants possibles. La phase suivante, dite de repérage, est celle où nous demandons aux intervenants de nous recevoir pour des entretiens non filmés, visant à déterminer conjointement quels types de tournages peuvent être envisagés – une interview, une séquence, une visite de site…
C'est lorsqu'il s'agit de passer à la phase de tournage qu'un écrémage se fait assez rapidement. Orano nous a, dès le début de nos démarches, signifié qu'il ne nous serait pas possible de rencontrer un responsable, même en l'absence de caméras, ni de venir à La Hague, ni de parler du transport de matière radioactive.
EDF nous a ouvert ses portes, au tout début du tournage de notre film, dans le cadre d'une visite annuelle de site, habituellement réservée aux familles du personnel, mais à laquelle nous avons pu nous joindre pour effectuer quelques prises de vue. Dès ce moment, en novembre 2015, nous avons adressé une demande d'interview au directeur du parc nucléaire d'EDF et au responsable de la sécurité nucléaire d'EDF, afin de les interroger sur les questions de sécurité. Ce n'est qu'en juin 2017 que nous avons pu réaliser une interview de Philippe Sasseigne, directeur du parc nucléaire d'EDF, après avoir relancé très régulièrement EDF durant un an et demi. Au cours de cette période, il y a eu des phases de silence total de plusieurs mois, et nous avons dû faire preuve d'une grande ténacité pour finalement obtenir ce que nous souhaitions.
En Belgique, Electrabel a opposé dès le départ une fin de non-recevoir à notre demande. Je précise que la Belgique est un pays qui nous intéressait particulièrement, car des enquêtes effectuées dans le cadre de la lutte antiterroriste ont mis en évidence des failles flagrantes et même des sabotages dans le domaine du nucléaire. Quant à l'Agence fédérale pour le contrôle nucléaire (AFNC), l'équivalent de l'ASN française, elle nous a également « promenés » pendant deux ans.
Fin mars 2016, nous nous sommes rendus à Washington, au Sommet mondial sur la sécurité nucléaire (SSN) où nous avons cherché à rencontrer la délégation belge, qui se trouvait prise à partie par les organisateurs du sommet, du fait des récentes révélations sur le fait que les frères El Bakraoui, auteurs d'attentats à Bruxelles, s'étaient intéressés de près aux installations nucléaires belges, plaçant même sous surveillance vidéo le domicile du directeur du Centre d'études nucléaires (CEN).
Après deux ans de démarches infructueuses, qui se heurtaient toutes à des refus, on nous a dit que nous pourrions rencontrer Rony Dresselaers, responsable de la sécurité nucléaire de la AFNC, avant qu'il n'en soit à nouveau plus question – nous possédons des enregistrements des échanges téléphoniques correspondant à ces différentes phases. Finalement, la AFNC a écarté l'idée de toute interview, même par téléphone, et a suggéré que nous lui fassions parvenir une liste de questions par mail, ce que nous avons fait – sans jamais obtenir la moindre réponse.
En France, l'ASN nous a immédiatement indiqué qu'elle n'était pas compétente sur les questions de défense et de sécurité. Le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de la transition écologique et solidaire (MTES), M. Francis Rol-Tanguy, nous a fait recevoir par le général Christian Riac, responsable de la sécurité nucléaire au service de défense, de sécurité et d'intelligence économique (SDSIE), et par M. Christophe Quintin, HFDS adjoint. Une rencontre a eu lieu dans le cadre de la pré-enquête mais, dès qu'il a été question d'effectuer une interview filmée, nous n'avons plus eu droit qu'à un silence assourdissant.
Le seul organisme ayant consenti à nous recevoir a été l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), en la personne du vice-amiral Georges-Henri Mouton, qui s'exprime dans le film au nom des autorités françaises sur les questions qui nous intéressent.
Pour ce qui est des États-Unis, nous avons contacté la Nuclear Regulatory Commission (NRC), l'équivalent de l'ASN, qui s'est comportée exactement comme son homologue française, puisqu'elle a accepté de nous recevoir hors caméras lors de la phase de repérage, avant de cesser de nous répondre lorsqu'il s'est agi de réaliser une interview filmée.
Je ne dirais pas que les rares informations qui nous ont été fournies par les autorités officielles étaient fausses, mais qu'elles étaient purement communicationnelles et relevaient du seul marketing : nous n'avons jamais obtenu de réponse technique aux questions très précises que nous posions. Lorsqu'une interview nous était accordée, nous ne disposions que de très peu de temps – environ vingt à trente minutes – pour la réaliser, le plus souvent sous la forme d'un plan-séquence filmé devant un site, comme cela a été le cas lorsqu'il nous a été permis de rencontrer Philippe Sasseigne. Lors de l'interview du directeur du parc nucléaire français, nous sommes donc allés tout de suite à l'essentiel, en posant les questions nous paraissant les plus importantes : par exemple, nous avons voulu savoir sur quoi se basait EDF pour affirmer que ses centrales pourraient résister à une chute d'avion. À cette question précise et technique, M. Sasseigne s'est contenté de répondre que les études réalisées montraient que les centrales résisteraient, et qu'il lui était impossible de nous en dire plus ou de nous transmettre le moindre document. Or, nous avons eu accès à certaines études affirmant que les centrales ne résisteraient pas à 100 %. Dès lors, on ne peut que s'interroger sur le degré de transparence qui permettrait, sans dévoiler d'informations relevant du secret, de rassurer la population française sur les risques en cas de chute d'avion.