J'ai suivi deux fois le parcours des camions transportant du plutonium, mais seule l'une des deux séquences est montrée dans le film – je précise que l'une et l'autre ont été tournées avec la même facilité.
Pour ce qui est de la sécurisation des points de vulnérabilité situés sur le trajet des convois nucléaires, elle me paraît inexistante. Il y a dix ans, des personnels étaient postés sur ces points de vulnérabilité, notamment sur les ponts, mais cette mesure de sécurité a été abandonnée, et je ne sais pas par quoi elle a été remplacée. L'un des arguments utilisés par les acteurs du nucléaire, c'est qu'il y a autre chose que les dispositifs visibles ; si cela fait dix ans que j'entends dire cela, il m'est difficile d'y croire, surtout après avoir tourné ce film.
Nous avons filmé les camions à plusieurs reprises sur le même parcours, sans que les personnes chargées du convoyage et de la sécurité se rendent compte de grand-chose. Je sais qu'elles nous ont repérés sur le premier pont, mais cela a été la seule fois. J'ai doublé les camions deux fois, avant de les filmer dans une station-service où les véhicules se ravitaillaient en carburant. Au total, nous avons suivi les camions à deux voitures sur 400 kilomètres, et les avons filmés à cinq reprises sans nous faire repérer : aucun dispositif de sécurité n'a permis de détecter notre présence, ce qui constitue une vraie préoccupation. Peut-être y a-t-il ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, mais en l'occurrence, c'est nous qui n'avons pas été vus !
J'ai filmé une séquence à partir d'un pont surplombant la route empruntée par le convoi, et qui n'est pas facilement accessible : or, on trouve des points de fragilité de ce genre tout au long du trajet – j'ai même envisagé, à un moment donné, de tourner une séquence où nous les aurions comptés.
Il ne faut pas perdre de vue que la partie la plus dangereuse du trajet est constituée par les 80 premiers kilomètres au départ de La Hague, sur lesquels le convoi emprunte toujours la même route. Il existe ensuite quatre itinéraires possibles, en principe classés secret défense, mais que nous montrons dans le film, puisque tout le monde les connaît. Cela fait dix ans que Greenpeace dénonce ces transports : la première fois, des membres de l'association ont même bloqué un camion de plutonium à Chalon-sur-Saône. Malheureusement, aucune amélioration n'a été apportée au dispositif en dix ans : les transports cessent parfois pendant quelque temps, mais finissent toujours par reprendre, et le seul changement notable dans l'organisation des transports, c'est qu'il y a désormais un départ tous les lundis à dix heures du matin. Alors qu'il y avait autrefois une petite incertitude sur le fait qu'un convoyage allait avoir lieu prochainement ou pas – pour se renseigner sur ce point, il suffisait d'aller vérifier si l'escorte de gendarmerie était stationnée à l'hôtel Ibis du coin –, le nouveau protocole a rendu les choses encore plus prévisibles !
Le choix structurel consistant à produire de la matière radioactive dans la Manche et à la transformer à l'autre bout de la France, dans le Gard, constitue une véritable impasse, car cela nécessitera toujours de faire circuler des camions à travers tout le pays : s'il fallait cesser de faire circuler ces camions, il faudrait aussi fermer l'usine de La Hague. J'insiste sur le caractère extrêmement dangereux des 80 premiers kilomètres, qui ne peuvent s'effectuer que sur une seule route, traversant des villages. On ne montre pas tout dans le film, mais il serait très simple, pour une personne ayant de mauvaises intentions, de se poster dans l'une des innombrables maisons situées le long de cette route, et d'attendre le passage des camions, qui se fait sensiblement à la même heure toutes les semaines. Franchement, on a beau nous dire qu'il existe des dispositifs de sécurité restant secrets, je ne vois vraiment pas ce qui pourrait empêcher des terroristes de se poster en embuscade sur le trajet des camions : j'aurais moi-même pu le faire sans problème si j'avais été malveillant. Pour moi, les exploitants sont vraiment dans une impasse sur ce point-là.