Intervention de Olivier Marleix

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 11h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix, président :

Mes chers collègues, nous recevons maître Astrid Mignon Colombet et maître Laurent Cohen-Tanugi, avocats au barreau de Paris.

Maître Mignon Colombet, vous avez rejoint le cabinet Soulez Larivière & Associés en 2004. Votre audition nous a semblé particulièrement intéressante dans la mesure où vous conseillez les entreprises dans la mise en place de stratégies de prévention des risques en matière industrielle et intervenez sans doute fréquemment dans des dossiers de droit pénal des affaires – corruption d'agent public étranger, escroquerie, espionnage industriel, abus de confiance etc. Praticiens des droits anglo-saxons, vous disposez d'une expertise sur des dossiers de corruption transnationale, notamment dans la négociation auprès des autorités d'accords de justice en liaison avec les avocats américains – Deferred Prosecution Agreement (DPA), ou accord de poursuite différée – ainsi qu'en matière de loi de blocage.

Maître Cohen-Tanugi, avant de fonder le cabinet franco-américain qui porte votre nom, vous avez été associé des cabinets juridiques internationaux Cleary Gottlieb, dont la commission d'enquête a déjà entendu parler, et Skadden Arps, ainsi que Senior Vice-Président « Affaires juridiques » du laboratoire Sanofi. Vous êtes, à ce jour, l'un des seuls avocats français à avoir exercé les fonctions d'Independent Corporate Monitor – c'est-à-dire « moniteur indépendant » –, au titre du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) sur nomination du Department of Justice (DoJ). J'ajoute qu'en 2017, l'un de vos associés, maître Emmanuel Breen a publié un livre de droit très actualisé « FCPA : La France face au droit américain anti-corruption ».

Maîtres, je vous poserai des questions autour de deux axes.

Le premier concerne l'extraterritorialité des législations nationales, notamment des législations anticorruption américaines, et ses conséquences sur nos entreprises industrielles. Notre arsenal juridique permet-il aujourd'hui de faire en sorte que les poursuites ne soient pas systématiquement préemptées par des règlements transactionnels aux États-Unis, au Royaume-Uni, ou dans d'autres pays européens ?

Quels sont les critères appliqués par les autorités américaines pour accorder leur confiance, en matière de lutte contre la corruption transnationale, à la justice d'un pays allié ? J'avais par exemple cru comprendre que, lorsque les Britanniques ouvraient une procédure au titre du Bribery Act, les Américains leur faisaient confiance, mais j'observe, dans le cas d'Airbus, que cela ne semble pas être suffisant. Votre expérience vous permet-elle de nous expliquer pourquoi ?

Maître Cohen-Tanugi, pouvez-vous nous parler de votre rôle comme moniteur indépendant dans les procédures FCPA ? J'ai entendu à la radio vos propos plutôt rassurants sur ces procédures, qui ne correspondent pas exactement à ceux tenus habituellement à ce sujet. Ce n'est peut-être pas tout à fait le discours du directeur de l'Agence française anticorruption (AFA), que nous allons entendre cet après-midi.

Les États-Unis disposent d'un système d'intelligence économique puissant, puisque les acteurs font remonter beaucoup d'informations vers les pouvoirs publics sur la nature et les enjeux de l'ensemble des opérations auxquelles ils participent. Selon vous, le système de veille et d'intelligence économique français tient-il suffisamment compte de la vulnérabilité des entreprises françaises du fait des procédures de discovery américaines ?

Nous demandons régulièrement qui met en oeuvre, en France, la loi du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, dite « loi de blocage ». Depuis sa création, l'AFA fait le travail dans le domaine de la corruption ; pour le reste nous n'avons pas encore identifié qui pilotait auparavant. Quelles seraient vos suggestions pour rendre plus pertinente la mise en oeuvre de cette loi dite « de blocage » – des propositions de notre commission d'enquête pourraient constituer sa contribution à l'élaboration de la future loi dite « PACTE ».

La loi Sapin 2 introduit, en droit français, la « convention judiciaire d'intérêt public » qui s'inspire du dispositif américain que vous connaissez bien. Quelle est la portée de cette nouvelle forme de transaction ?

Le deuxième axe de mes questions concerne le contrôle des investissements étrangers, notamment par comparaison avec le mécanisme américain du Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS).

Quel regard portez-vous sur la procédure IEF c'est-à-dire d'autorisation préalable des investissements directs étrangers en France, tant du point de vue de la veille concernant les entreprises considérées comme stratégiques, de l'instruction des dossiers, ou des conditions auxquelles sont soumis les investisseurs – les outils juridiques dont dispose le ministre, tels qu'ils sont énumérés à l'article R. 153-9 du code monétaire et financier, vous paraissent-ils suffisamment solides, en droit, dans l'hypothèse où ce dernier voudrait prononcer des sanctions ? Qu'en est-il du suivi des engagements pris par les investisseurs dans le cadre des lettres d'engagement ?

Une nouvelle réglementation relative au contrôle des investissements pourrait être prochainement adoptée aux États-Unis grâce au Foreign Investment Risk Review Modernization Act (FIRRMA). Ce texte, dont la discussion débute au Congrès, vise à préciser dans la loi les notions de « technologie sensible » et de « technologie critique ». Il vise également à mieux contrôler les joint-ventures, et les prises de participation par les investisseurs dormants, car, malgré un niveau de participation peu élevé, ces acteurs peuvent obtenir de l'information stratégique. Que pensez-vous de ce possible changement de réglementation ? Quelles en seraient les conséquences pour nos entreprises souhaitant investir aux États-Unis ?

Nous souhaitons recueillir votre précieux témoignage sous serment car vous avez pu avoir à connaître des dossiers qui nous intéressent, en conséquence, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

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