Intervention de Maître Laurent Cohen-Tanugi

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 11h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Maître Laurent Cohen-Tanugi, avocat au barreau de Paris :

S'agissant de votre première question, les États-Unis ne reconnaissent pas juridiquement le principe non bis in idem. La solution, d'un point de vue pragmatique, consiste donc plutôt en une coopération entre les autorités nationales. Aussi la France doit-elle mettre en oeuvre contre ses propres entreprises des procédures anticorruption qui, d'une part, obéissent à un calendrier comparable à celui des autres autorités et, d'autre part, se traduisent par des amendes de niveau comparable à ce qui est pratiqué ailleurs, que ce soit aux États-Unis, en Angleterre ou aux Pays-Bas.

C'est à cette condition que l'on assistera à un partage, voire à un désistement des autres autorités nationales.

Quant au dossier Airbus, je ne le connais pas particulièrement ; je lis la presse comme tout le monde. Je comprends que des procédures ont été ouvertes au Royaume-Uni et en France. J'ignore quel est l'état de la procédure aux États-Unis, mais il y a certainement une communication entre autorités nationales, même si une enquête formelle n'est pas ouverte – c'est relativement courant. Je ne peux pas vous en dire davantage à ce sujet.

En ce qui concerne la loi « de blocage », il faut savoir que le moniteur intervient en quelque sorte après la bataille : le processus de sa nomination débute une fois que l'accord a été négocié. Lorsque je suis arrivé dans le dossier Alcatel-Lucent, l'accord intergouvernemental franco-américain avait donc déjà été signé. À ma connaissance, c'est l'entreprise elle-même qui a invoqué la loi « de blocage », pour éviter qu'on ne lui impose un moniteur, ses avocats ayant plaidé que l'institution même du monitoring violerait cette loi. L'argument n'a pas été retenu, mais la discussion a abouti à cet accord intergouvernemental dans lequel il était prévu que les rapports du moniteur devaient être transmis d'abord à l'autorité française.

De manière plus générale, à ma connaissance, avant la loi Sapin 2, aucune institution n'était chargée d'appliquer la loi dite « de blocage ». L'obligation pèse donc sur les entreprises et les personnes physiques ; c'est à elles de gérer ce problème. Or, souvent, il faut reconnaître que cette loi, par le caractère très général de ses dispositions, pose un problème aux entreprises et aux personnes physiques françaises impliquées dans des procédures étrangères. L'interdiction est en effet tellement large qu'elle peut les empêcher de se défendre efficacement. Cependant, comme l'a indiqué Astrid Mignon-Colombet, cela renvoie aux conventions internationales : des procédures sont prévues pour la communication d'informations entre autorités, qui permettent de se défendre. Ainsi, une convention conclue avec l'AMF prévoit, dans le domaine financier, une procédure spécifique pour la transmission d'informations aux autorités américaines. Mais disons que, telle qu'elle est rédigée, cette loi est souvent un problème pour les entreprises françaises.

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