Le statu quo était sans doute la position la plus confortable. D'ailleurs, on me reprochait en 2014 de m'agiter autant. Mais il aurait conduit l'entreprise dans le mur. Le pronostic vital était engagé pour la branche énergie, qui aurait probablement entraîné la branche transport dans sa chute. Je regardais, en préparant cette audition, les derniers documents émis par Siemens, GE etc. Ils disent en substance que le marché de l'énergie a connu des bouleversements inédits par leur ampleur et par leur vitesse. Je voyais qu'on arrivait sur un mur, et on y est arrivé encore plus rapidement que je ne l'anticipais à l'époque. Ne pas bouger aurait donc été une faute grossière et c'est très légitimement que ceux qui auraient fait l'analyse post mortem auraient demandé pourquoi un chef d'entreprise bien payé n'avait pas cette capacité d'anticipation qu'on attend de lui. Par exemple, le marché des turbines à gaz, qui comportait de gros enjeux de recherche-développement, était à l'époque de 300 à 400 unités par an ; selon Siemens, il est maintenant de 100 turbines, avec une capacité de production mondiale de 400 unités. La consolidation du secteur était nécessaire. Ce qui m'a, si je puis dire, arraché les tripes, c'est qu'Alstom a été le consolidé, pas le consolideur. Dans l'épisode précédent, Alstom avait récupéré le groupe ABB – avec des conséquences d'ailleurs qui auraient pu être fatales, mais c'est un autre problème. Cette fois, il n'était pas en position d'être le consolideur. On est, comme vous le dites, dans l'économie-fiction, mais les arguments sont imparables, la réalité incontournable. Il fallait bouger vite. Si M. Montebourg ne partage pas cette opinion, j'en suis triste.
Y avait-il une alternative ? L'accord avec GE laissait toute possibilité à qui que ce soit de faire une autre offre. C'est ce qu'on fait Siemens et Mitsubishi. On a jugé leur proposition inapplicable, car elle conduisait à découper en tranches l'activité énergie. Or si une entreprise n'a pas la taille critique nécessaire, ses fragments l'auront encore moins. Il se posait en outre de gros conflits d'intérêts. Des gens compétents et indépendants ont donc décidé contre, et je partageais cette opinion. Le cabinet Roland Berger fait toute une liste de possibilités. Mais comment se fait-il alors que ces partenaires théoriques ne se soient pas manifestés ? Il est plus facile d'écrire que de faire. Alors que nous avions un partenariat avec Dongfang, croyez-vous que je n'aie pas essayé de voir comment s'organiser, entre la Chine et le reste du monde ? Je les ai vus cent fois. Mais rien n'était possible. Ils préféraient se débrouiller seuls.