Intervention de Daniel Fasquelle

Réunion du mercredi 4 avril 2018 à 17h15
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle :

Monsieur Kron, ce n'est pas la première fois que nous nous rencontrons. J'admire toujours autant votre talent. Peut-être avez-vous raté votre carrière : au lieu d'être capitaine d'industrie, vous auriez dû être romancier. Vous êtes très fort pour raconter des histoires. Vous le faites d'une façon qui est forcément à votre avantage, mais qui ne me convainc jamais. Vous nous avez raconté à l'époque que le mariage entre General Electric et Alstom se faisait entre égaux et ne conduirait évidemment pas à la disparition d'Alstom Energie. On allait mettre en place des co-entreprises, co-dirigées par les Français et les Américains. Comme nous le craignions et l'avions dénoncé, la réalité, c'est l'absorption d'un fleuron de l'industrie française par un groupe américain dans un secteur stratégique. Vous nous aviez dit que GE avait pris un certain nombre d'engagements à l'époque, et vous parlez d'emplois. Malheureusement, ces engagements ne sont pas respectés. Il y a tout ce qui concerne le secteur hydroélectrique, mais aussi des craintes sur l'emploi à Belfort.

Il y a donc un très grand décalage entre la jolie histoire que vous nous racontiez à l'époque, ce que vous nous racontez aujourd'hui et ce qui s'est passé en réalité. C'est un scandale et un drame pour l'industrie française que d'avoir perdu un tel fleuron, et ce drame, c'est vous qui en avez été l'acteur.

Vous nous avez aussi raconté à l'époque que grâce à la vente de sa branche Energie, Alstom allait avoir les moyens de développer sa branche Transport et que celle-ci resterait française. Vous disiez même que si on ne vendait pas Alstom « Énergie », on ne pourrait pas sauver Alstom Transport. Qu'en est-il ? Alstom Transport est absorbée par une entreprise allemande, Siemens. Vous avez, en quelques années, démantelé un fleuron de l'industrie française vieux de cent quarante ans. C'est ce que je vous reproche. Je vous reproche encore plus de ne pas l'avoir assumé et de ne toujours pas l'assumer aujourd'hui, d'avoir fait croire aux Français que vous sauviez cette entreprise alors que vous l'avez sacrifiée.

Mais vous avez un tel talent de romancier – dans votre retraite, je vous assure, écrivez des livres – que vous nous avez encore raconté une autre histoire : la cession d'Alstom Energie à une entreprise américaine n'a absolument rien à voir avec le fait que, dès 2010, un certain nombre d'enquêtes ont été lancées aux États-Unis contre l'entreprise, et qu'en 2013 un de ses cadres a été emprisonné. Et c'est bien sûr pure coïncidence si les enquêtes s'arrêtent le lendemain du jour où cette entreprise française a été vendue à une entreprise américaine. Cela n'a rien à voir avec le fait que c'était la cinquième entreprise étrangère déstabilisée par des actions du DOJ que General Electric rachetait. Il ne faut pas se moquer de nous, monsieur Kron. Bien évidemment, vous craigniez des poursuites qui auraient pu remonter jusqu'à vous après avoir atteint un de vos cadres, et vous craigniez très fortement de subir une amende de plus d'un milliard d'euros – même si elle a finalement été moindre. Il n'y a pas de hasard dans la correspondance du calendrier judicaire et de celui de la vente.

Je vais donc vous poser de nouveau des questions qui vous ont déjà été posées, car vous êtes cette fois, à la différence des auditions précédentes, devant une commission d'enquête et vous déposez sous serment.

Avez-vous bradé Alstom pour échapper à des poursuites qui pouvaient vous viser personnellement, cédant ainsi à un chantage exercé par les États-Unis ? Si ce n'est vous directement, le fait que les poursuites pouvaient entraîner des sanctions pour l'entreprise a-t-il une incidence sur la vente à GE, pour faire cesser les poursuites ? Si le cas était isolé, on pourrait vous croire. Mais, et vous le savez très bien, il y a beaucoup d'autres exemples aux États-Unis où le DOJ lance des enquêtes, comme par hasard, et déstabilise une entreprise étrangère qui est finalement rachetée par une entreprise américaine. Est-ce un pur hasard ?

Enfin, qui en France, au plus haut niveau de l'État, était au courant ? Je ne comprends pas que dans un secteur stratégique, l'énergie, le nucléaire, on ait fermé les yeux sur ce qui s'est passé. Qui était au courant ? Le Président de la République de l'époque ? Son conseiller spécial à l'Elysée ? M. Montebourg, évidemment était au courant. Et qui a donné le feu vert pour que cette vente se réalise et que ce fleuron industriel français disparaisse ?

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