Ce projet de loi ne nous paraît en aucun cas fidèle aux propos du candidat Emmanuel Macron ou à certaines déclarations humanistes du Président de la République, notamment devant le Conseil européen, lorsqu'il affirmait vouloir que la France assume mieux ses responsabilités par rapport aux réfugiés.
Il nous paraît aussi inutile. Le Conseil d'État a souligné, dans son avis, l'incontinence législative dont nous sommes atteints en matière de droits des étrangers : les lois s'accumulent et se succèdent sans que les services aient eu le temps de les mettre en oeuvre et que l'on puisse juger de leur efficacité. Tout se passe comme s'il s'agissait de saturer l'espace du débat public en s'adressant à l'opinion majoritaire. Or, dans tous les pays européens, lorsqu'on a servi à l'opinion publique ce qui pouvait la satisfaire, elle a voté pour les solutions jugées les plus efficaces mais aussi les plus simplistes, c'est ce qui explique en grande partie la montée de l'extrême-droite.
Nous mettons en garde ce Gouvernement comme il aurait fallu mettre en garde les précédents, contre cette volonté de légiférer à tout prix dans le seul but de s'adresser à l'opinion publique, mais en faisant preuve d'une absence totale d'humanisme et en n'apportant aucune réponse efficace aux drames dont notre pays est le théâtre.
Nous ne comprenons pas qu'une loi puisse mêler dans un même intitulé les questions de l'asile et de l'immigration. L'asile est un droit fondamental régi par des conventions internationales. Cela n'a rien à voir avec la législation dont se dote un pays pour gérer ses flux migratoires. Assimiler les deux ne procède pas seulement d'une confusion technique et formelle, mais d'une confusion idéologique dangereuse, que l'on veut entretenir chez nos concitoyens et qui risque, à terme, de les inciter à rompre avec cette tradition d'accueil qui a marqué notre histoire.
Outre qu'il n'est pas efficace – rien n'y est proposé pour renforcer les moyens d'accueil des migrants alors qu'on sait les préfectures au mieux sous tension, au pire dans l'incapacité de faire face –, ce texte est également déséquilibré puisqu'il divise par deux le temps accordé aux demandeurs d'asile pour formuler leur demande ou déposer un recours. Mais il double, en revanche, le temps de leur rétention.
Nous considérons donc avec beaucoup de réserve – c'est le moins que l'on puisse dire – ce projet de loi. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls, puisqu'il fait également l'unanimité contre lui parmi les associations qui oeuvrent dans le secteur, jusqu'aux agents de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui ont manifesté leur réprobation à maintes reprises.
Nous regrettons enfin que ce projet fasse l'impasse, d'une part, sur le premier accueil – rien n'est fait pour permettre aux dispositions législatives déjà adoptées de s'appliquer correctement – et l'accès à la procédure ; d'autre part, sur les milliers d'immigrés qui sont en situation irrégulière et qui ne seront pas reconduits à la frontière. Tant qu'ils seront en situation irrégulière, ils alimenteront le travail au noir et les marchands de sommeil – bref, toute une économie parallèle. Il serait donc bon d'avoir le courage de sortir de cette hypocrisie et de prendre, parallèlement aux dispositions visant à réguler les flux migratoires, des mesures de régularisation. Cela s'est déjà fait par le passé sans que jamais cela ait créé un appel d'air : ni lors de la vague de régularisation de 1999, ni en 2004 quand on a procédé à des régularisations au titre de la vie privée et familiale. Allons-nous enfin permettre à ces dizaines de milliers de femmes et d'enfants qui participent à l'enrichissement de notre pays, qui sont les invisibles de la République, d'accéder aux droits et devoirs qui vont avec ?