Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. Bruno Bézard, principalement au titre de son ancienne fonction de directeur général du Trésor, poste qu'il a occupé de mai 2014 à juin 2016. M. Bézard a ensuite rejoint, en tant que managing partner, Cathay Capital, un fonds d'investissement sino-français.
Au cours de votre carrière, monsieur Bézard, vous avez occupé d'autres postes prestigieux : vous avez été conseiller au cabinet du Premier ministre, Lionel Jospin, et directeur général des finances publiques, qui est celle des directions de Bercy qui compte le plus grand nombre de fonctionnaires ; vous avez également été en poste à l'Agence des participations de l'État (APE), au moment de la création de cette entité, en 2004, puis à sa tête de 2007 à 2010. À l'APE et au Trésor, vous avez eu à connaître de nombreux dossiers concernant les participations publiques dans différentes entreprises. Vous avez également siégé dans de nombreux conseils d'administration en qualité de représentant de l'État : EDF, Areva, la SNCF, Thales, La Poste, Air France, Engie et PSA.
Nous souhaitons vous entendre sur trois sujets principaux.
Tout d'abord, l'État actionnaire. Puisque nous avons déjà entendu un ancien patron de l'APE et le directeur général de Bpifrance, nous ne vous interrogerons pas tant sur l'articulation des logiques d'intervention des différents bras de l'État que sur les conditions de désignation et les missions des administrateurs qui le représentent dans les conseils d'administration. Des évolutions sont-elles intervenues dans ce domaine au cours des dernières années ? Constate-t-on une professionnalisation de cette fonction ?
Vous avez notamment assisté à l'effondrement d'Areva et aux premières difficultés d'EDF en tant que représentant de l'État aux conseils d'administration de ces deux grandes entreprises publiques. À votre connaissance, les administrateurs ont-ils alerté le Gouvernement sur les défaillances du management ? En avaient-ils connaissance et, le cas échéant, disposaient-ils réellement du pouvoir d'exercer un droit d'alerte face à un management choisi au plus haut niveau de l'État ? Ne faudrait-il pas revoir le mode de gouvernance des grandes entreprises publiques ou de celles dans lesquelles l'État est présent, afin de donner davantage de poids à la collégialité des administrateurs représentant l'État ?
Nous souhaiterions vous entendre ensuite sur la procédure de contrôle des investissements étrangers en France.
Vous étiez le patron du Trésor lorsqu'a été publié le décret « Montebourg ». M. Dufourcq, qui vous a précédé dans cette salle, nous a décrit la manière dont Bercy a dû élaborer, dans l'urgence, une réponse à la situation de crise née de l'annonce par Bloomberg du rachat de la branche « Énergie » d'Alstom par General Electric (GE). En tant que directeur du Trésor à partir du mois de mai, vous avez participé à l'élaboration de cette réponse. Pouvez-vous remettre ce décret en perspective par rapport à la législation antérieure, qui remonte à 1966 – article L. 151-3 du code monétaire et financier –, modifiée en 2004, puis précisée par le décret Villepin ?
La Cour des comptes invite régulièrement l'État « à limiter ses interventions en capital au strict nécessaire et à utiliser davantage les alternatives aux participations, notamment en utilisant les outils juridiques de protection des intérêts essentiels de la Nation ». Ces outils, ce sont les conditions dont l'État peut assortir son autorisation dans le cadre d'opérations d'investissements étrangers. Toutefois, l'article R. 153-9, qui précise ses conditions, dresse en réalité une liste d'objectifs : le maintien des centres de recherche, des capacités de développement et des savoir-faire associés, l'intégrité et la continuité des approvisionnements… Il ne fait donc référence à aucun outil juridique, sauf à l'obligation de cession d'une partie de l'activité de l'entreprise rachetée. De fait, le respect de ces objectifs s'apprécie parfois de manière un peu subjective. Ne faudrait-il donc pas définir plus précisément dans les textes les pouvoirs dont dispose le ministre et les conditions dont il peut assortir l'autorisation d'investissement ? Je pense à la golden share, qui existe déjà, ou à des mesures nouvelles, telles que la nomination d'un proxy board.
Le troisième sujet sur lequel nous souhaitons vous interroger est la cession de la branche « Power » d'Alstom à GE. L'accord-cadre a été signé le 21 juin 2014, soit quelques semaines après votre prise de fonctions. Pouvez-vous rappeler à notre commission la chronologie de ce dossier ? Le Trésor a-t-il eu son mot à dire sur les modalités de création des trois coentreprises résultant de cette vente, sur lesquelles GE a immédiatement disposé d'une entière responsabilité opérationnelle ?
En ce qui concerne la coentreprise GEAST, le partage de son capital – 80 % pour GE, 20 % seulement pour Alstom – ne vous est-il pas apparu comme manifestement déséquilibré ? L'existence d'une golden share entre les mains de l'État était-elle à vos yeux une protection suffisante ? Au regard de la sensibilité particulière de cette coentreprise, comment l'État a-t-il désigné son administrateur ? On sait que la désignation de ce représentant – qui, contrairement à ce qui a été dit, a été pris sur le contingent d'Alstom et non en sus des représentants de cette dernière – était une exigence du ministre.
Non-exercice par l'État de son option d'achat des actions Bouygues, retrait annoncé d'Alstom des trois joint-ventures, remise en cause de l'activité de certains sites dont on pouvait imaginer qu'ils étaient protégés par l'accord, rachat in fine par Siemens des activités « Transport » d'Alstom : trois ans après, avez-vous le sentiment que les « intérêts nationaux », pour reprendre les termes de la loi, ont été correctement défendus, en dépit des efforts des uns et des autres ?
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.