Tout d'abord, merci beaucoup, monsieur Bézard, pour la vision de la politique industrielle que vous venez d'énoncer, en deux axes.
D'un côté, une vision très conquérante : notre tissu industriel compte, avez-vous dit, de nombreuses entreprises qui tirent leur force du développement international. Vous avez aussi dit que notre intérêt était d'être « à la conquête ». Vous avez aussi appelé à ne pas céder à la tentation du repli et de la protection au motif qu'un dossier nous a marqués. Personnellement, j'apprécie beaucoup cette manière de voir les choses.
De l'autre côté, une vision protectrice : il ne faut pas être naïf, il faut protéger. Dans certains secteurs, les Chinois interdisent certains investissements étrangers alors que nous, nous les autorisons, et si nous faisions le millionième de ce que font nos partenaires, nous serions crucifiés à Bruxelles…
Nous pouvons accepter la libre circulation des capitaux et l'ouverture aux investissements étrangers et, en même temps, défendre une vision protectrice et le principe de réciprocité. Nous ne pouvons, en revanche, accepter que d'autres ne suivent pas les mêmes règles du jeu.
Vous avez proposé un cadre européen pour la négociation et un cadre national pour l'exécution, mais sommes-nous vraiment en mesure de définir, au niveau européen, ce qu'est une entreprise qualifiée « stratégique » ? Les intérêts des différents États membres de l'Union européenne, leurs terreaux industriels respectifs, leurs perspectives ne sont-ils pas trop différents ? Comment arrêter au niveau européen la liste des secteurs à protéger si nous n'avons pas les mêmes forces, ni les mêmes faiblesses, ni les mêmes ambitions ?
Par ailleurs, vous nous avez appelés à ne pas figer la définition de l'entreprise « stratégique » au risque de la voir totalement dépassée au bout de deux ans. Je partage totalement votre avis mais, du coup, l'Europe peut-elle être flexible, c'est-à-dire capable de définir un cadre non seulement commun, mais aussi capable d'évoluer dans le temps, qui puisse changer tous les trois ou six mois au rythme des innovations, des ruptures technologiques ?
Si ce n'est pas possible au niveau européen, quelle option nous reste-t-il au niveau franco-français ? Avons-nous une marge de manoeuvre juridique ou devons-nous rester sur une stratégie non écrite d'influence, de pression amicale sur des investisseurs qui s'intéresseraient de trop près à des fleurons industriels et ne respecteraient pas les règles de réciprocité que vous avez énoncées ?
Enfin, si nous parvenions à établir un cadre européen et un cadre d'exécution français, avez-vous observé, au cours de vos nombreux voyages, des bonnes pratiques qui respectent les deux principes que vous avez posés, l'ouverture et la réciprocité ? C'est, pour reprendre le terme barbare que vous avez employé, la question du benchmark.