Je partage l'analyse selon laquelle il y a énormément de points d'adhérence. Nous travaillons évidemment sur les mêmes objets. Les opérateurs qui ont une obligation de moyens en matière de sécurité et de sûreté conjuguent d'ailleurs les deux préoccupations au sein d'une seule entité. Ce ne sont pas des préoccupations disjointes. La sûreté, la sécurité et la politique de l'énergie appartiennent au champ de responsabilité du ministre de la transition écologique et solidaire : elles sont donc rassemblées sous le commandement d'une seule autorité. La loi elle-même organise déjà la relation avec l'ASN puisque l'article L. 592-25 du code de l'environnement prévoit que : « L'autorité de sûreté nucléaire est consultée sur les projets de décret et d'arrêté ministériel de nature réglementaire relatifs à la sécurité nucléaire. » Il s'agit d'une obligation très positive.
Nous entretenons aujourd'hui des rapports étroits avec l'Autorité. Les études de sûreté conduites par l'ASN sont utilisées par nos services pour élaborer la réflexion sur les obligations en matière de résultats pour gérer les menaces. Nous avons des réunions communes régulières. Nous participons à leurs réunions d'expertise, et ils participent aux nôtres. Nous élaborons et nous effectuons ensemble les exercices nationaux divers. Il nous arrive même de cosigner des notes, comme la directive conjointe de 2014 relative aux instructions destinées aux opérateurs sur la gestion des interfaces entre sûreté nucléaire et sécurité. Nous avons également rédigé un courrier conjoint à Electricité de France (EDF) concernant la prise en compte des actes de malveillance dans le dossier de demande d'autorisation de la mise en oeuvre du réacteur pressurisé européen – European Pressurized Reactor (EPR) – de Flamanville. Il est en effet important de travailler en amont de la conception des futures installations. Au quotidien, nous gérons donc ces points d'adhérence, et nous construisons de véritables collaborations.
Évidemment, les choses peuvent toujours être perfectionnées. Nous pourrions rendre ces échanges encore plus systématiques, ou préciser encore davantage les points sur lesquels nous collaborons.
Cependant, il y a aussi de vraies différences entre nous.
La sûreté travaille énormément sur tout ce qui concerne la défense passive, qui sert principalement à dimensionner et à gérer une installation par rapport à un risque connu. Le risque d'accident lié à la maintenance – la question de l'âge des installations revient beaucoup en ce moment – peut faire l'objet d'études : on peut calculer la durée de vie des systèmes techniques, ou évaluer des périodes de maintenance. Cela relève du calcul probabiliste. De la même façon, le risque naturel ou technologique peut s'apprécier. La gestion des risques météorologiques est par exemple possible avec l'étude des occurrences des incidents.
En revanche, la sécurité doit faire face à une menace plus imprévisible qui repose en particulier sur l'intelligence des terroristes pour élaborer leurs plans d'attaque et qui exclut les calculs prévisionnels. Il s'agit déjà d'une petite différence d'approche dans la façon de considérer le risque. Par ailleurs, si la sécurité et la sûreté font toutes deux appel à certaines compétences techniques similaires et indispensables – elles recrutent par exemple des ingénieurs –, la sécurité a un besoin spécifique de compétences et de personnels militaires.
L'ASN a une obligation de transparence. C'est une excellente chose, et il s'agit de l'un des points forts, reconnu internationalement, de la manière dont le nucléaire est géré en France. En revanche, en matière de sécurité, nous ne pouvons pas nous plier à cette obligation de transparence. Cette question fait d'ailleurs l'objet d'échanges entre nous, et nous pouvons avoir des différends. Par exemple, la sûreté demande des accès simples et la communication d'informations qui donnent aux acteurs une vision d'ensemble de l'installation, alors que la sécurité se fonde sur le principe de cloisonnement des informations, qui consiste à en cacher certaines. Il est clair que nos principes de base nous séparent.