Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Réunion du jeudi 12 avril 2018 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a entendu Mme Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, et son adjoint, M. Mario Pain.

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Chers collègues, nous accueillons Mme Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Madame, nous avions dû annuler votre audition initialement programmée le 29 mars dernier. Nous vous prions à nouveau d'accepter nos excuses.

Aux termes du code de la défense, chaque ministre est assisté par un haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS), lequel relève directement du ministre et a autorité pour l'exercice de sa mission sur l'ensemble des directions et services du ministère. Les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité disposent en propre d'un service spécialisé. Ils sont en liaison permanente avec le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale et avec leurs homologues des autres ministères. Ils sont notamment chargés de l'organisation et du maintien en condition opérationnelle du dispositif ministériel de situation d'urgence, et s'assurent de la mise en place et du bon fonctionnement d'un dispositif permanent de veille et d'alerte.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Régine Engström et M. Mario Pain prêtent successivement serment.

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Je remercie votre commission d'enquête, qui met l'accent sur l'importance accordée à la sécurité nucléaire, d'avoir voulu m'entendre. Cela nous permettra de vous apporter tous les éléments d'éclairage possible quant à vos légitimes préoccupations.

Le secteur de l'énergie, en particulier le sous-secteur nucléaire, fait partie des activités dont le dommage, l'indisponibilité ou la destruction risquerait d'obérer le potentiel, la sécurité ou la capacité de survie de la nation. C'est un secteur d'activité d'importance vitale.

À ce titre, ces activités bénéficient d'une protection particulière et très encadrée. Ainsi, en matière de sécurité, les opérateurs doivent répondre aux obligations du code de la défense, non seulement à celles de l'article L. 1332-1 qui leur imposent de mettre en place des mesures de protection pour faire face aux menaces de référence, mais aussi aux dispositions de l'article L. 1333-1 qui porte des obligations de sécurité supplémentaires visant à la protection et au contrôle des matières nucléaires, des installations et de leur transport contre tout acte de malveillance.

Le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère chargé de l'énergie – aujourd'hui, il s'agit du ministère de la transition écologique et solidaire – est responsable du contrôle de l'application de ces deux réglementations. Ainsi, l'arrêté d'organisation du 9 juillet 2008, consécutif à la création du ministère de l'environnement, de l'énergie et du développement durable précise que le service de défense, de sécurité et d'intelligence économique (SDSIE) est en charge de la protection et du contrôle des matières nucléaires, de leurs installations et de leur transport.

Concrètement, le SDSIE a donc notamment pour rôle d'élaborer la réglementation applicable, en collaboration avec les autres ministères concernés sous l'égide du Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN), d'instruire les demandes d'autorisation pour la détention et le transport des matières nucléaires prévues dans le code de la défense et, enfin, d'assurer le contrôle des dispositions de protection mises en oeuvre par les opérateurs et de diligenter des inspections.

Lorsqu'elle concerne un acte de malveillance ou de terrorisme, la sécurité présente la particularité de relever d'une responsabilité partagée entre, d'une part, l'exploitant, qui a une obligation générale de prévention au regard des risques créés par les installations exploitées, et, d'autre part, l'État qui assume la responsabilité générale de l'ordre public.

Cette complémentarité entre la responsabilité de l'exploitant et celle de l'État est établie pour chaque secteur concerné par des directives nationales de sécurité (DNS) spécifiques, qui définissent un certain nombre de menaces de référence, aussi bien internes qu'externes. Il revient ensuite à l'opérateur de démontrer que son installation est capable de faire face aux menaces. Ce référentiel est élaboré selon un processus rigoureux et conforme aux bonnes pratiques internationales. Il fait intervenir à la fois des informations issues du renseignement et les enseignements résultant de la veille réalisée par les services du haut fonctionnaire de défense et de sécurité sur les menaces et l'évaluation des modes opératoires utilisés par les agresseurs.

L'organisation mise en place par la France pour traiter les questions de sécurité nucléaire a fait l'objet de nombreuses questions lors des auditions de votre commission d'enquête. Notre organisation est en parfaite cohérence avec le dispositif national général prévu pour les secteurs d'activité d'importance vitale, qui confie à chaque ministre compétent la responsabilité de coordonner et d'assurer, dans son périmètre ministériel, la mise en oeuvre des mesures de protection des installations d'importance vitale.

Le pilotage ministériel unique pour l'ensemble des politiques publiques qui touche le nucléaire garantit ainsi une cohérence globale.

Le système actuel de séparation entre l'autorité de sûreté – une autorité indépendante – et l'autorité de sécurité – les services de l'État – permet de surcroît de garantir la prise en compte des enjeux de sûreté et de sécurité de manière complémentaire, avec un challenge assurant à la fois un enrichissement mutuel et l'optimisation des solutions, tout en garantissant un bon niveau d'information des citoyens.

On rappellera toutefois que, si en matière de sûreté nucléaire l'objectif de transparence doit être total, le sujet de la sécurité nucléaire, par nature, ne se prête pas à cet exercice. La sécurité est en effet une compétence régalienne dont l'efficacité dépend notamment de la confidentialité des informations sur lesquelles elle repose.

La menace ayant évolué ces dernières années, passant d'une préoccupation majeure autour de la prolifération – autrement dit, le vol et le détournement des matières nucléaires – à une approche qui intègre aujourd'hui les actes de malveillance et de sabotage, la sécurité des installations est désormais élaborée dans une logique d'amélioration continue en évolution constante.

En conséquence, la France a fait le choix pour la sécurité des sites d'exploitation nucléaire, d'une « défense en profondeur » qui mêle défense passive et défense active selon une logique de performance et non de moyens, avec des dispositifs de protection conçus pour parer à de multiples menaces de haute intensité.

Je souhaite également insister sur le fait que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) avait jugé, dès 2011, que le dispositif de sécurité nucléaire français était solide. Une nouvelle mission de cet organisme, sollicitée par le Président de la République, s'est déroulée du 12 au 22 mars 2018, conduite par neuf experts internationaux désignés par l'Agence. Elle vient de confirmer que le dispositif de sécurité nucléaire français était « bien établi et robuste ».

À plusieurs reprises, le sujet du transport des matières nucléaires a également fait l'objet d'interrogations devant votre commission d'enquête. Il représente aujourd'hui moins de 1 % du flux annuel de transports de matières dangereuses dans le pays. Le transport de matières nucléaires est régi par une réglementation stricte qui tient à la fois aux règles générales relatives au transport de matières dangereuses, et aux règles particulières de sûreté et de sécurité adaptées à la nature des matières transportées. Concrètement, chaque transport est individuellement et préalablement autorisé par mes services qui vérifient les conditions de sécurité prévues dans chaque cas, notamment s'agissant des modalités de l'escorte pour les transports les plus sensibles. Il s'agit d'une activité de faible volume, mais très contrôlée et assurée par des opérateurs spécialisés.

La protection des installations et des matières nucléaires est donc assurée en France par un ensemble de mesures cohérentes relevant d'une conception globale et réinterrogées en permanence, dans une perspective d'anticipation constante et d'amélioration continue, dictée par l'importance des enjeux.

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Madame Engström, nous vous remercions pour ces propos introductifs. Je vais reprendre certaines des questions que nous vous avions fait parvenir préalablement – nous vous prions par ailleurs de bien vouloir répondre à ce questionnaire par écrit ultérieurement.

Pouvez-vous nous expliquer comment votre travail s'articule avec celui des autres organismes chargés de la sécurité du nucléaire dans notre pays : les forces de police et de gendarmerie, le renseignement, les fonctionnaires de défense, les services de sécurité des exploitants…

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

La sécurité du secteur est assurée par un écosystème qui peut paraître complexe. On peut le décrire en évoquant quatre phases : une phase d'anticipation qui relève de l'État ; une phase de prévention pour laquelle les rôles sont partagés entre l'opérateur et l'État ; une phase de protection des installations qui est entièrement dévolue à l'opérateur ; enfin, une phase de gestion de crise qui, en réponse à une agression, combine des actions de l'État et des opérateurs.

La première phase, étape majeure d'anticipation, comprend l'élaboration des réglementations. Le haut fonctionnaire de défense et de sécurité est chargé de les proposer sous l'autorité coordonnatrice du secrétaire général de la défense et la sécurité nationale, en collaboration avec les autres ministères. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) effectue évidemment des relectures. Cette phase conduit par exemple à l'élaboration de la directive nationale de sécurité, document dont nous reparlerons sans doute.

Une veille est également assurée à la fois par mes services, qui surveillent les menaces notamment sur tous les réseaux sociaux et sur internet, et par les services du renseignement du ministère de l'intérieur, en particulier le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (COSSEN). Cela nous amène à fixer des objectifs de sécurité en matière de protection nucléaire.

L'anticipation comprend enfin la réalisation d'exercices, qui sont essentiels. Ils se déroulent sous l'autorité de mes services, en collaboration étroite avec les services du ministère de l'intérieur, notamment les préfets.

La deuxième phase, celle de la prévention, repose sur la complémentarité des actions de l'État et des opérateurs. Elle comprend la conception du dispositif de sécurité qui se fonde sur un certain nombre de plans : le plan de sécurité de l'opérateur qui présente sa politique générale de sécurité dont nous approuvons les principes ; le plan particulier de protection, qui relève d'une validation de mes services et des préfets, et le plan de protection extérieure, élaboré par les préfets, qui relève de la sécurité publique.

Une étude de sécurité particulière par site constitue un document indispensable pour répondre aux objectifs de sécurité fixés dans la phase d'anticipation. Ce document classifié est validé par mes services.

Une autorisation est enfin accordée par mes services pour la détention et l'utilisation de matières nucléaires.

La troisième phase, vraiment opérationnelle, concerne la protection des installations et relève entièrement de la responsabilité des exploitants. Il s'agit de mettre en oeuvre les dispositifs qui répondent aux obligations de sécurité. Les objectifs de résultats sont fixés par l'État. De son côté, l'exploitant combine un certain nombre de moyens pour répondre à ses obligations de sécurité. Le HFDS contrôle que les dispositions prises par l'exploitant permettent d'atteindre les résultats fixés dans la phase amont.

Enfin, la quatrième phase permet de répondre en cas d'agression. La première réponse relève bien évidemment de l'opérateur qui se trouve sur place avec les forces locales de sécurité, et les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG) qui dépendent du ministère de l'intérieur et qui sont chargés de la première réaction pour fixer la menace. Ensuite interviennent le Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) ou de l'unité Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion (RAID), avec une coordination de la gestion de crise par les préfets.

Durant ces quatre phases, le HFDS vérifie la cohérence du dispositif et son articulation par rapport à la DNS. Dans ce cadre, nous travaillons évidemment en étroite collaboration avec les experts, ceux de l'ASN ou de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et le cas échéant, avec d'autres ministères que je n'ai pas encore cités, comme le ministère des affaires étrangères, lorsque nous gérons des questions qui impliquent des pays voisins, ou le ministère des armées.

Il me paraît important de rappeler que le travail des HFDS est coordonné par le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Cet écosystème permet un enrichissement croisé des expériences et des « modes de faire » entre les ministères intéressés à la sécurité. En matière de prospective, un certain nombre de groupes de travail interministériels auxquels nous participons sont installés au niveau du SGDSN. Ils sont par exemple consacrés à la coordination interministérielle en matière de logistique, à l'aide aux victimes ou à la lutte cybernétique.

Toute l'activité de planification est également coordonnée par le SGDSN. C'est le cas, en matière de protection civile, de l'élaboration du plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur.

La veille et la gestion de crise, indispensables pour demeurer dans une posture d'anticipation et d'amélioration continues, nécessitent aussi de mener des travaux en commun, en particulier sur le développement de la capacité interministérielle de veille et d'alerte, sur la professionnalisation des acteurs de la gestion de crise – cela concerne leur culture, leur formation, voire le vivier des agents – ou sur l'optimisation de la programmation et de la préparation des exercices majeurs.

Tout cela nous permet de capitaliser de l'expérience au niveau national et le SGDSN veille également à cette capitalisation au niveau européen et international.

En matière de veille, le comité de la filière des industries de sécurité, qui comprend de nombreux acteurs intéressés par la sécurité, nous permet de développer en France une filière d'excellence qui profite de toutes les bonnes idées et de toutes les améliorations dont nous pourrions avoir besoin pour améliorer notre système.

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Disposez-vous d'une estimation du nombre d'acteurs qui interviennent dans le domaine de la sécurité des installations nucléaires ? Serez-vous en mesure de nous communiquer ultérieurement, car j'imagine que vous n'avez pas l'information immédiatement, une estimation du coût que la gestion de la sécurité nucléaire représente pour le contribuable ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Je ne dispose pas à l'instant de données chiffrées sur les coûts ou les effectifs, mais nous pourrons les consolider et vous les fournir avec les réponses écrites que nous vous transmettrons. Nous connaissons évidemment nos effectifs, ceux de l'ASN, de l'IRSN ou des PSPG et nous pourrons calculer des ordres de grandeur, y compris en termes de masse salariale, ce qui constitue un premier élément indicatif des coûts à la charge du contribuable.

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Vous avez évoqué le rôle de l'ASN dans le processus d'élaboration des dispositifs de sécurité, y compris dans la phase d'anticipation. L'Autorité nous a cependant expliqué que le fait de ne pas avoir de compétence en matière de sécurité peut lui poser certains problèmes – je parle évidemment de sécurité passive et pas des PSPG.

Même en assurant une séparation nette entre sécurité et sûreté, on est obligé de constater que les deux sujets se croisent parfois. Il est par exemple clair qu'on ne peut plus envisager la conception de bâtiments comme les réacteurs ou les piscines en ne pensant qu'à des risques naturels et à des éventuels accidents, mais qu'il faut inclure les risques d'attaques.

Que pensez-vous de la demande de l'ASN ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Je partage l'analyse selon laquelle il y a énormément de points d'adhérence. Nous travaillons évidemment sur les mêmes objets. Les opérateurs qui ont une obligation de moyens en matière de sécurité et de sûreté conjuguent d'ailleurs les deux préoccupations au sein d'une seule entité. Ce ne sont pas des préoccupations disjointes. La sûreté, la sécurité et la politique de l'énergie appartiennent au champ de responsabilité du ministre de la transition écologique et solidaire : elles sont donc rassemblées sous le commandement d'une seule autorité. La loi elle-même organise déjà la relation avec l'ASN puisque l'article L. 592-25 du code de l'environnement prévoit que : « L'autorité de sûreté nucléaire est consultée sur les projets de décret et d'arrêté ministériel de nature réglementaire relatifs à la sécurité nucléaire. » Il s'agit d'une obligation très positive.

Nous entretenons aujourd'hui des rapports étroits avec l'Autorité. Les études de sûreté conduites par l'ASN sont utilisées par nos services pour élaborer la réflexion sur les obligations en matière de résultats pour gérer les menaces. Nous avons des réunions communes régulières. Nous participons à leurs réunions d'expertise, et ils participent aux nôtres. Nous élaborons et nous effectuons ensemble les exercices nationaux divers. Il nous arrive même de cosigner des notes, comme la directive conjointe de 2014 relative aux instructions destinées aux opérateurs sur la gestion des interfaces entre sûreté nucléaire et sécurité. Nous avons également rédigé un courrier conjoint à Electricité de France (EDF) concernant la prise en compte des actes de malveillance dans le dossier de demande d'autorisation de la mise en oeuvre du réacteur pressurisé européen – European Pressurized Reactor (EPR) – de Flamanville. Il est en effet important de travailler en amont de la conception des futures installations. Au quotidien, nous gérons donc ces points d'adhérence, et nous construisons de véritables collaborations.

Évidemment, les choses peuvent toujours être perfectionnées. Nous pourrions rendre ces échanges encore plus systématiques, ou préciser encore davantage les points sur lesquels nous collaborons.

Cependant, il y a aussi de vraies différences entre nous.

La sûreté travaille énormément sur tout ce qui concerne la défense passive, qui sert principalement à dimensionner et à gérer une installation par rapport à un risque connu. Le risque d'accident lié à la maintenance – la question de l'âge des installations revient beaucoup en ce moment – peut faire l'objet d'études : on peut calculer la durée de vie des systèmes techniques, ou évaluer des périodes de maintenance. Cela relève du calcul probabiliste. De la même façon, le risque naturel ou technologique peut s'apprécier. La gestion des risques météorologiques est par exemple possible avec l'étude des occurrences des incidents.

En revanche, la sécurité doit faire face à une menace plus imprévisible qui repose en particulier sur l'intelligence des terroristes pour élaborer leurs plans d'attaque et qui exclut les calculs prévisionnels. Il s'agit déjà d'une petite différence d'approche dans la façon de considérer le risque. Par ailleurs, si la sécurité et la sûreté font toutes deux appel à certaines compétences techniques similaires et indispensables – elles recrutent par exemple des ingénieurs –, la sécurité a un besoin spécifique de compétences et de personnels militaires.

L'ASN a une obligation de transparence. C'est une excellente chose, et il s'agit de l'un des points forts, reconnu internationalement, de la manière dont le nucléaire est géré en France. En revanche, en matière de sécurité, nous ne pouvons pas nous plier à cette obligation de transparence. Cette question fait d'ailleurs l'objet d'échanges entre nous, et nous pouvons avoir des différends. Par exemple, la sûreté demande des accès simples et la communication d'informations qui donnent aux acteurs une vision d'ensemble de l'installation, alors que la sécurité se fonde sur le principe de cloisonnement des informations, qui consiste à en cacher certaines. Il est clair que nos principes de base nous séparent.

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En tant que citoyens, mais, surtout, en tant que représentants du peuple, démocratiquement élus, nous sommes alertés par des organisations non gouvernementales (ONG), par des scientifiques, sur un certain nombre de risques en termes de sécurité pour les centrales nucléaires. On nous a par exemple remis le rapport de Greenpeace, que vous avez certainement lu aussi. Il pose un certain nombre de questions tout à fait légitimes, auxquelles nous souhaitons évidemment obtenir des réponses.

Nous constatons aussi que, lorsque nous évoquons par exemple les risques liés au transport de matières dangereuses, en particulier le plutonium, l'opérateur nous répond que des tests ont été faits et que tout va bien. Lorsque nous demandons à consulter ces tests, on nous oppose le secret défense.

Aujourd'hui, les représentants du peuple ont un problème. Lorsqu'ils posent la question de la sécurité des installations nucléaires et des transports de matières nucléaires, on leur répond immanquablement : « Tout va bien ; des tests ont été faits. » Je vais vous interroger sur le rapport Greenpeace et vous me répondrez certainement que des tests ont été effectués et que tout va bien.

Évidemment, nous ne pouvons pas nous contenter de cette réponse, et nous demandons – je vous le demanderai – qu'un certain nombre d'entre nous aient accès aux documents relatifs à ces tests. Nous ne souhaitons pas les diffuser, mais nous voulons constater sur pièces et sur place que « tout va bien ». Comment, sans cela, pourrions-nous écrire dans notre rapport que nous avons pu constater, au regard des éléments qui nous ont été transmis, que les menaces ont été prises en compte et que les réponses apportées sont satisfaisantes, ou qu'elles ne le sont pas ?

Aujourd'hui, nous sommes incapables de traiter ce sujet et de répondre aux questions qui se posent. Il me semble grave d'un point de vue démocratique, même si le secret est évidemment nécessaire, que les représentants du peuple n'aient pas accès à ces informations, quitte à ce qu'ils ne les divulguent pas. Ces élus votent le budget, ils votent les textes relatifs à la politique énergétique et on leur demande de « faire confiance ». Il ne me paraît pas normal qu'en démocratie on demande à des députés de prendre des décisions en « faisant confiance ».

Selon un rapport du SGDSN publié en 2015, on comptait, à cette époque, 288 000 documents classés secret défense en France et 50 % de ces documents provenaient du ministère de l'énergie, contre 44 % du ministère de la défense. Vous êtes donc un gros producteur de secret défense, ce qui montre la sensibilité du nucléaire civil. En 2015, 413 000 personnes étaient habilitées au secret défense, dont seulement quatre députés et quatre sénateurs.

Selon vous, par quels moyens les représentants du peuple peuvent-ils avoir accès à ces documents afin de vérifier ce qui leur est dit lors des auditions ? Nous ne mettons évidemment pas du tout en cause les fonctionnaires qui nous répondent et nous ne doutons pas de leur dévouement, mais nous estimons simplement qu'il nous revient de vérifier démocratiquement les informations qui nous sont communiquées.

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Madame la rapporteure, je ne suis pas juriste et je ne peux pas vous répondre sur la possibilité de vous communiquer des documents classés secret défense. À ma connaissance, il n'est pas possible de les transmettre à des personnes non habilitées. J'imagine que vous avez interrogé la Secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale. Je pense qu'une telle question doit être étudiée avec le gouvernement et le SGDSN.

Bien évidemment, nous ne pouvons qu'être favorables à la possibilité de donner le maximum d'informations au Parlement – c'est la moindre des choses – et au grand public, dans la mesure où la sécurité des citoyens n'est pas remise en cause.

Sur le fond, cela ne pose aucun problème ; il faut seulement respecter un équilibre, délicat à trouver, entre la nécessaire information des citoyens et leur protection. Le Parlement a un rôle spécifique et une place un peu différente de celle du citoyen « classique » et j'entends la question que vous posez.

Je signale tout de même que ce sujet est apparu lors de l'audit mené au mois de mars dernier. L'AIEA nous a recommandé de travailler sur la classification des documents. Autrement dit, à la différence d'une demande de transparence, nos auditeurs ont estimé que nous avions des efforts à faire dans la définition des informations sensibles et que nous devions sans doute être plus « regardants » sur les informations que nous diffusons. J'entends les éléments statistiques que vous présentez, mais les observateurs externes nous incitent à diffuser encore moins de documents.

Nous réfléchirons évidemment à ces conclusions avec le SGDSN, et nous travaillerons pour améliorer la stratégie de la politique de classification des documents.

Je vous confirme que nous en avons été destinataires du rapport de Greenpeace. Il a été établi sur la base d'informations publiques – le contraire aurait été inquiétant. Nous n'avons donc rien appris de particulier. Si nous disposions déjà de toutes les informations, il présente l'avantage, si on peut dire, d'en avoir fait une compilation en un document unique, ce qui donne une lisibilité au sujet.

Tous les scénarios élaborés par Greenpeace dans ce rapport ont été étudiés dans le cadre de la DNS, qui en comporte d'autres que Greenpeace ne présente pas. Il s'agit d'un point important, qui doit rassurer ceux qui s'inquiètent de l'existence éventuelle de « trous dans la raquette ». Notre éventail d'analyse des situations possibles de risque est, en tout cas, largement plus complet que celui proposé par Greenpeace, et les scénarios de réponses ont évidemment été pris en compte dans la directive nationale de sécurité. J'entends que ma réponse ne correspond pas complètement à vos attentes, mais je peux en tout cas vous donner cette assurance.

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Bien évidemment, j'imagine que nous ne pourrons pas obtenir communication de cette directive nationale de sécurité…

Comme cela a déjà été le cas pour certaines questions relatives à la sûreté, notre commission d'enquête semble se heurter à un mur invisible au sujet de cette question portant sur la sécurité, à laquelle il nous est impossible d'obtenir une réponse précise. Si nous en sommes toujours au même point en juin, cela va poser un problème car nous serons alors dans l'incapacité de dire que nous avons procédé aux vérifications qui s'imposent et que tout va bien. Nous ne pourrons pas affirmer, par exemple, qu'un camion transportant du plutonium résisterait à un tir de lance-roquettes. Il paraît que oui, mais nous ne pouvons pas en acquérir la certitude.

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Mario Pain

Pour ce qui est du système de classification des informations, on y réfléchit en France depuis la Première Guerre mondiale. Dans le dispositif actuel, c'est le premier ministre qui décide qui a le droit d'accéder à telle ou telle information. Or, quand cette décision concerne un député, cela pose très clairement un problème au regard de la séparation des pouvoirs.

La deuxième problématique tient au fait que l'habilitation n'est délivrée qu'à l'issue d'une enquête portant sur la personne concernée, afin de déterminer si elle présente des vulnérabilités particulières – par exemple, si elle entretient une relation adultère qui pourrait être utilisée pour exercer un chantage contre elle. Imaginez-vous une autorité de classification menant une enquête sur des élus de la Nation et décidant que tel élu peut, ou ne peut pas, se voir attribuer une habilitation ?

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Je me permets de vous dire qu'aujourd'hui, les parlementaires membres de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) sont habilités secret défense ès qualités, sans avoir fait l'objet d'aucune enquête. Je ne porte pas de jugement sur cette situation, mais le fait est qu'elle existe et, en tout état de cause, j'estime que si un membre de la DPR est habilité secret défense pour la seule raison qu'il a été désigné pour occuper, au sein de cette délégation, une place revenant à son groupe politique, il serait logique que les membres de notre commission d'enquête puissent avoir accès aux mêmes informations que lui.

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Mario Pain

Comme vous le savez, la question de l'habilitation des membres de la DPR avait donné lieu, en son temps, à des échanges compliqués, notamment avec le Conseil d'État, et cette habilitation n'a été délivrée qu'à titre exceptionnel. Il ne nous appartient pas de décider si d'autres parlementaires sont fondés à bénéficier d'une exception similaire, c'est à la représentation nationale de se prononcer sur ce point.

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Le fait de nous priver de notre pouvoir de contrôle constitue également, à mon sens, un problème au regard de la séparation des pouvoirs.

Vous êtes prescripteurs en matière de sécurité et vous vous basez pour établir vos prescriptions sur différents travaux scientifiques, ainsi que sur les informations que vous tirez de vos échanges avec les militaires et les autres acteurs de la filière intervenant en matière de sécurité. Pouvez-vous nous expliquer comment vous contrôlez l'application de ces prescriptions ? Par ailleurs, des sanctions sont-elles prévues dans le cas d'un non-respect de ces prescriptions et, le cas échéant, de telles sanctions ont-elles déjà été appliquées ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

En matière de contrôle, nous avons trois objectifs. Le premier consiste à connaître le niveau de sécurité atteint par l'installation que nous contrôlons ; le deuxième consiste à s'assurer de la conformité de l'existant aux autorisations délivrées ; enfin, le troisième consiste à inspecter le dispositif pour en vérifier la suffisance.

Ces contrôles concernent la totalité des activités soumises à autorisation préalable, à savoir l'importation, l'exportation, le transfert, le transport, l'élaboration, la détention et l'utilisation des matières nucléaires.

Le contrôle est effectué par les inspecteurs de matière et de sécurité nucléaire du SDSIE (le service de défense, de sécurité et d'intelligence économique), donc rattachés à mes services. Ces fonctionnaires assermentés ont des profils très variés, ce qui leur permet d'être plus pertinents dans les contrôles : on trouve parmi eux des ingénieurs, des personnels des armées, de la gendarmerie et de la police. Ils reçoivent une formation particulière, en interne par nos services, mais aussi avec l'IRSN, et peuvent avoir recours à des expertises externes en cas de besoin, notamment de la part de l'IRSN, du SGDSN et des services du ministère de l'intérieur. Enfin, ils échangent régulièrement avec l'AIEA afin de procéder à des évaluations comparatives avec nos collègues étrangers et améliorer les conditions de contrôle.

Les inspecteurs ont la possibilité de pénétrer dans les installations à tout moment, de les visiter, de se faire communiquer tous les documents relatifs à la sécurité afin de procéder soit à des contrôles sur pièces, soit à des inventaires, et de contrôler les dispositifs de protection. Leurs opérations constituent le contrôle de deuxième niveau, le contrôle de premier niveau étant, lui, effectué par l'opérateur lui-même dans le cadre d'une procédure d'autocontrôle. Nous vérifions la conformité et les écarts qui pourraient être relevés par rapport aux arrêtés d'autorisation.

Nous menons également une politique d'exercices de sécurité de grande envergure. Je précise que les exercices n'ont pas une fonction d'entraînement, mais servent à procéder à l'évaluation des dispositifs de protection ainsi qu'à la vérification du fait que l'on apporte la bonne réponse aux menaces. Il existe trois types d'exercices : d'abord les exercices propres aux opérateurs, où nous nous contentons de contrôler que la politique d'exercices de l'exploitant existe et qu'elle est mise en oeuvre – il faut au moins un exercice par trimestre – ensuite les exercices ayant lieu au moins une fois par an avec les forces de sécurité intérieure au niveau du département, enfin, au niveau national, quatre grands exercices portant sur les installations ainsi que le transport et l'inventaire des matières nucléaires en situation d'urgence.

Les exercices sont tous définis par un cahier des charges très précis, prévoyant des évaluations rigoureuses et donnent systématiquement lieu à des retours d'expérience que nous partageons avec l'exploitant, mais aussi les préfets et éventuellement l'ASN et l'IRSN. Nous émettons ensuite des recommandations adressées aux opérateurs et dont nous assurons le suivi. Les exercices peuvent servir à orienter la stratégie de protection, quand on se rend compte qu'il existe des possibilités d'amélioration ; ils peuvent aussi orienter la stratégie de réponse à la gestion de crise, orienter les contrôles en inspection, pointer les sujets qui nécessitent des réflexions approfondies. Ils ont ainsi mis en évidence l'importance d'avoir une seule structure de gestion de crise, en réponse à la fois aux accidents de sûreté et aux problèmes de sécurité.

Pour ce qui est des sanctions, elles existent, la plus élevée étant le retrait de l'autorisation de détenir des matières nucléaires. Des amendes administratives peuvent également être prononcées en cas de manquement à certaines obligations en vertu de l'article L. 1333-4-1 du code de la défense, ainsi que des sanctions pénales. Par ailleurs, il existe des sanctions spécifiques pour manquement aux règles de protection des informations classifiées.

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Des sanctions sont-elles régulièrement prononcées ? Pouvez-vous nous donner un ordre d'idée ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

À ma connaissance, il n'a pas été appliqué de sanctions pénales ni été ordonné de retraits d'autorisation. Les rapports que nous avons avec les exploitants sont à la fois répétitifs et marqués par une certaine fermeté. Compte tenu de la prise de conscience de la menace actuelle, les réponses apportées à nos prescriptions sont satisfaisantes. En cas de constatation d'un manquement à la sécurité, nous demandons à l'exploitant de nous proposer des mesures de réponse, qui peuvent consister en des investissements ou un changement d'organisation, et de s'engager sur un calendrier. Nous vérifions alors que le calendrier est acceptable et que les évolutions planifiées sont bien effectuées en temps et en heure.

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Il nous a été dit au cours de nombreuses auditions qu'un des points de vulnérabilité en termes de sécurité des installations nucléaires portait sur les personnels qui y travaillaient – non pas tant les salariés directs de l'opérateur que les sous-traitants. Nous avons évoqué avec certaines personnes auditionnées les systèmes de criblage qui ont été mis en place – qu'il est inutile de nous expliquer à nouveau, puisque nous les connaissons. Ce que nous avons retenu, c'est que le criblage des sous-traitants pouvait laisser à désirer, surtout pour ce qui est des remplacements effectués à la dernière minute. Avez-vous eu connaissance de ces problèmes, et comment y répondez-vous ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Les sous-traitants sont soumis au même système que les salariés de l'entreprise. Les enquêtes administratives préalables à l'accès à une installation sont effectuées à la demande d'EDF ou d'Orano, mais d'un point de vue juridique elles ne sont pas obligatoires : les opérateurs s'y plient systématiquement, mais ne le font qu'au titre du respect d'une bonne pratique. Peut-être l'exigence d'une enquête administrative mériterait-elle d'être consacrée par une mesure législative.

Il y a eu des progrès en ce qui concerne les sous-traitants, un décret pris en application de la loi du17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ayant ainsi limité à deux le nombre de niveaux de sous-traitance pour les activités sensibles. Par ailleurs, la réglementation prévoit que certaines activités ne peuvent pas être sous-traitées : je pense notamment au représentant désigné pour la sécurité ou au préposé à la garde des matières nucléaires. Sur ce point, l'une des améliorations possibles pourrait consister à revoir la liste des fonctions ne pouvant pas être sous-traitées.

La question des sous-traitants ayant recours à des agents de nationalité étrangère pose un problème particulier dans la mesure où les inspecteurs chargés des enquêtes administratives n'ont pas toujours accès aux fichiers concernant ces agents étrangers. Je sais que le ministère de l'intérieur travaille au niveau européen sur cette question, afin de voir s'il pourrait être possible d'interroger les fichiers pour des motifs administratifs, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

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Savez-vous combien de personnes étrangères travaillent dans les centrales françaises ?

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Mario Pain

Il y en a maintenant quelques milliers, ce qui n'est pas totalement négligeable. Cela dit, ils ne se voient généralement pas confier des fonctions très importantes : ce sont souvent des agents de logistique, qui n'accèdent pas aux zones vitales. La question se pose cependant avec une acuité croissante, d'autant que les règles de concurrence ne permettent pas d'exclure une personne au motif qu'elle est étrangère. Le ministère de l'intérieur travaille beaucoup, actuellement, sur la possibilité d'accéder dans le cadre d'enquêtes administratives aux fichiers qui, aujourd'hui, ne peuvent être consultés que par les autorités judiciaires.

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Il convient de souligner la vraie amélioration qu'a représentée la création du COSSEN. En matière de renseignement, cela a permis de centraliser le dispositif d'enquête administrative et de le professionnaliser, ce qui constitue déjà une grande avancée. Par ailleurs, il est encore un peu tôt pour le faire, mais nous avons bien l'intention de tirer, le moment venu, des enseignements du fonctionnement de ce service nouvellement créé et placé sous cotutelle du ministère de l'intérieur et du ministère de la transition énergétique et solidaire. Il conviendra pour cela d'analyser l'amélioration des pratiques et de mener une réflexion sur les systèmes d'information, dans l'objectif de mieux classer et partager les renseignements recueillis. Enfin, toujours dans la logique d'une défense en profondeur, nous devrons également travailler sur l'augmentation de la fréquence des enquêtes, en envisageant la possibilité de moduler la nature et l'ampleur de l'enquête en fonction du poste occupé par la personne qui en fait l'objet. Il existe donc encore des voies d'amélioration méritant d'être explorées.

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À plusieurs reprises, des sites nucléaires ont été survolés par des drones, en particulier en 2014. Savez-vous si ce phénomène s'est reproduit ? Selon vous, quelles réponses peut-on apporter à ce type d'intrusion ?

Par ailleurs, il nous a été dit que des puissances étrangères et certains groupes hostiles chercheraient à collecter des renseignements sur les dispositifs de sécurité et les capacités de résistance des installations nucléaires civiles en France au moyen de pratiques d'espionnage directes ou en passant par les réseaux informatiques : que savez-vous de ces tentatives et comment, selon vous, peut-on les déjouer ?

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Pour ce qui est des drones, a-t-on identifié les auteurs de la série de survols effectués en 2014 ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Pour ce qui est de la série de survols de drones de 2014, je sais que certains auteurs ont été identifiés et poursuivis ; pour les autres survols, les enquêtes sont en cours et je ne peux donc pas vous renseigner sur l'identité des personnes impliquées.

D'autres survols ont bien eu lieu, en effet, depuis cette date, mais nous ne les attribuons pas à une organisation identifiée et ne les considérons pas comme une menace supérieure. Il ne s'agit pas, en tout cas, d'une menace nouvelle par rapport aux événements pris en compte par la directive nationale de sécurité. Cela dit, nous ne sous-estimons pas le problème des drones, car il s'agit d'une technologie qui évolue très rapidement. Un groupe de travail placé sous l'égide du SGDSN est chargé de surveiller l'évolution technologique des drones et de travailler sur tout ce qui peut nous permettre de les identifier et de les neutraliser. Sur ce point, nous travaillons également avec des opérateurs et de grands industriels. Par ailleurs, nous avons pour objectif de fixer une doctrine d'utilisation des moyens visant à renforcer la capacité de lutte anti-drones, valable pour le nucléaire, mais aussi pour les autres secteurs d'importance vitale qui peuvent être concernés.

Aujourd'hui, le fait que les drones prennent des photographies présente un intérêt très limité pour les individus qui auraient de mauvaises intentions, étant donné tout ce que l'on peut déjà trouver sur internet. Pour ce qui est du risque consistant en une attaque à l'explosif, le port de charges autorisé par les drones n'est pas suffisant pour que cela représente une vraie menace actuellement. Cependant, nous restons très attentifs, notamment en raison du fait que la réglementation évolue : ainsi, en fixant les obligations applicables en matière de détention et d'usage des drones, la loi du 24 octobre 2016 relative au renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils a facilité l'identification des drones aériens coopératifs, ce qui nous permet de mieux détecter, par déduction, ceux qui ne le sont pas. Au niveau international, nous participons à un groupe de réflexion qui rassemble neuf pays et mène, en coopération avec l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), des travaux sur les menaces que peuvent représenter les drones.

En matière de cybersécurité, nous n'avons pas eu connaissance à ce jour d'attaques menées contre des unités nucléaires. Cela dit, les cyberattaques font partie du référentiel de menaces et doivent faire l'objet d'une grande vigilance compte tenu de la constante évolution des méthodes employées par les auteurs de ces attaques. Nous travaillons avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), où nous pouvons compter sur les compétences de spécialistes. Au sein de notre propre service, un responsable de sécurité des installations est chargé de vérifier, en coordination avec l'ANSSI, que les opérateurs mettent bien en place ce qui est prévu. Ce contrôle ne s'effectue pas seulement dans le secteur nucléaire, mais dans tous ceux présentant une importance vitale : tous les systèmes d'information (SI) doivent être déclarés. Nos inspecteurs de sécurité réalisent des inspections complémentaires pour vérifier l'application des règles applicables en la matière, notamment dans le champ de la cybersécurité. Au sein de nos centrales nucléaires, les systèmes de contrôle-commande sont le plus souvent en logique câblée, ce qui leur confère une certaine robustesse, donc une bonne résistance aux intrusions de type cyber. En revanche, les systèmes de gestion sont plutôt en logique programmée et leur protection s'effectue à l'aide de pare-feux.

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Le document établi par Greenpeace inclut un scénario avec des drones, partant du principe que la charge d'emport pourrait atteindre et même dépasser 25 kilogrammes, ce qui serait suffisant pour créer des dommages importants. Sur ce point, on voit bien que la question est empreinte d'une certaine subjectivité, car tout se joue sur la capacité réelle des drones. J'espère que le secret défense ne vous empêchera pas de me répondre sur ce point…

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Vous nous avez dit que certains commanditaires de la série de survols de 2014 avaient été identifiés. Sans vous demander de nous dévoiler qui sont ces personnes, pouvez-vous nous préciser si l'on peut écarter l'hypothèse, tenant un peu du fantasme, selon laquelle ces survols auraient été effectués à la demande de puissances étrangères afin de nous intimider en nous montrant qu'elles étaient en mesure de s'approcher des centrales nucléaires françaises ? En d'autres termes, pouvez-vous simplement nous indiquer à quelle catégorie appartenaient les auteurs identifiés : s'agissait-il d'auteurs isolés ou d'associations ?

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Mario Pain

Pour ce qui est de l'emport des drones, je peux vous dire sans révéler de véritable secret que l'hypothèse du crash d'un tout petit avion porteur d'explosifs a été envisagée dans les directives nationales de sécurité. Or, la capacité d'emport des drones n'est actuellement pas supérieure à celle d'un appareil de ce type. Par ailleurs, s'il est exact que certains drones peuvent emporter 10 à 15 kilogrammes d'explosif, ces appareils ne sont pas en libre-service, mais réservés à l'usage de certains services étrangers.

Une enquête judiciaire étant en cours, je ne peux pas entrer dans les détails au sujet des auteurs des survols par drone de 2014. Je vous précise cependant que ce sont des gens bien de chez nous, et non des services étrangers, qui se trouvaient derrière ces opérations. Cela dit, nous considérons que les services étrangers seraient bien bêtes de ne pas chercher à obtenir des informations sur nos installations et ne nous faisons donc pas d'illusions sur ce point ; c'est pourquoi une partie de notre dispositif est conçue pour bloquer les tentatives qui pourraient avoir cette origine. Nos services de renseignement sont particulièrement sensibilisés à ce risque.

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Je ne sais pas quelles seront les conclusions de notre commission d'enquête mais, plus nous avançons, plus je m'achemine vers une conclusion personnelle : si l'État ne se réforme pas pour garantir plus de transparence au peuple dont nous sommes les représentants, la défiance continuera à grandir dans notre pays, jusqu'à avoir un jour, peut-être, raison de l'État lui-même. J'ai le sentiment que notre volonté d'obtenir des renseignements se heurte constamment à des obstacles : une procédure pénale en cours, le secret défense, la nécessité de ne pas dévoiler ce qui pourrait éventuellement donner des idées à certains… C'est un peu comme si la grande muraille de Chine de la raison d'État se dressait devant notre commission et je trouve cela extrêmement préoccupant.

Évoquant le rapport de Greenpeace, vous avez dit, utilisant sensiblement les mêmes termes que ceux qui vous ont précédés à cette table, qu'il s'agissait d'une « bonne compilation ». Tout le monde affirme que le rapport de Greenpeace ne révèle rien de nouveau, tous les éléments qu'il contient étant déjà connus de longue date, et que son seul mérite consiste donc à réunir ces éléments en un seul document. En disant cela, vous confirmez implicitement la vulnérabilité technique des piscines à d'éventuelles attaques, mise en évidence par le rapport de Greenpeace. Dès lors, pouvez-vous nous préciser quelles solutions vous avez imaginées afin d'éviter que les piscines ne fassent l'objet d'attaques ?

Enfin, les intrusions qui ont eu lieu sur les sites de Cattenom et Cruas-Meysse vous semblent-elles révéler des failles dans le dispositif de sécurité ou considérez-vous qu'elles ne démontrent rien, car des individus mal intentionnés auraient, le cas échéant, été identifiés comme tels par les forces de sécurité et, dès lors, auraient été empêchés de commettre des actes malveillants – je ne pense pas seulement à des dégradations matérielles, mais aussi et surtout à une attaque commise sur des agents EDF qui, symboliquement, peuvent aussi constituer des cibles ?

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Pour ce qui est des piscines de stockage, nous avons entendu parler du projet de construction d'une nouvelle piscine d'entreposage de combustibles usés, notamment de MOx. Le coût de cette installation complètement bunkérisée, qui présenterait un niveau de sécurité inégalé, serait de l'ordre de 10 milliards d'euros – une somme non négligeable, surtout au regard de l'état de nos finances publiques.

Puisque nous n'avons accès à aucune information au sujet des piscines existantes, nous sommes obligés de nous en tenir à des conjectures et de procéder à des raisonnements par déduction. En l'occurrence, si le prix de construction d'une piscine répondant à toutes les exigences en matière de sécurité est de 10 milliards d'euros et que les piscines existantes n'ont pas coûté ce prix-là, nous sommes tentés de penser qu'elles n'ont pas le même niveau de sécurité et ne présentent donc pas toutes les garanties requises. Que pouvez-vous nous dire sur ce point ?

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Selon vous, existe-t-il un trafic de matières fissiles et radioactives en France, et le cas échéant, quels risques représente-t-il ? Pensez-vous que nos ports et nos aéroports sont équipés pour déceler ces risques ?

Il semble qu'une coopération européenne et internationale soit indispensable pour lutter contre ce trafic. Avez-vous, au sein des ministères chargés de l'écologie et de l'énergie d'autres pays, des homologues travaillant sur ces sujets ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

En ce qui concerne les piscines, il faut avant tout garder à l'esprit que tous les dispositifs de réponse aux menaces contre la sécurité participent d'une logique globale. En matière de sécurité passive, on peut donc considérer que les nouvelles piscines sont encore plus performantes que les précédentes mais, comme l'a souligné le rapport d'audit de l'AIEA, la force de notre système de protection réside dans le fait qu'il est fondé sur une obligation de performance et non sur une obligation de dimensionnement des moyens, passifs ou actifs. En d'autres termes, notre système de sécurité repose sur la conjugaison de plusieurs moyens qui permettent de retarder les intrusions, là où les Américains misent au premier chef sur la solidité de leur défense passive, le stade suivant étant, en cas d'intrusion, le tir sans sommation.

S'agissant de la vulnérabilité des piscines, nous avons évidemment envisagé les diverses menaces potentielles – tirs, crashs d'avion… –, pour lesquelles je n'entrerai pas dans le détail sachant là encore, qu'il s'agit d'informations classifiées. Je peux vous dire néanmoins que nous avons procédé en 2016 à toute une série de tirs d'essai, avec toutes les armes possibles et imaginables, pour vérifier la résistance des structures de béton. Les résultats de ces tests sont confidentiels mais ils ont été satisfaisants. Tout ça pour vous dire que nous ne nous limitons pas à des simulations théoriques mais que nous procédons à des essais in situ. Quoi qu'il en soit, j'insiste une nouvelle fois sur le fait que la sécurité ne repose pas sur le seul dimensionnement des structures, mais obéit à un dispositif global.

Cela m'amène à la question des intrusions des militants de Greenpeace sur des sites nucléaires, à l'automne dernier. Je rappelle que, depuis la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, les intrusions sur des sites nucléaires dont l'accès est réglementé sont des infractions à la loi et sont donc punis de sanctions dissuasives. Je rappelle également que, selon le Défenseur des droits, « les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale […], ne peuvent faire l'objet d'une alerte ».

Cela étant posé, si je comprends l'objectif poursuivi par ces intrusions, dont le but est de démontrer la vulnérabilité de nos installations nucléaires à d'éventuelles attaques terroristes, elles ne nous apprennent rien que les exercices que nous pratiquons n'aient déjà appris à nos inspecteurs.

Ensuite, le principe de défense en profondeur, qui est notre principe d'action, n'est pas, en réalité, d'empêcher les intrusions sur le site, mais plutôt de les retarder par toute une série de dispositifs non prévisibles et non visibles, qui seront déclenchés pour ralentir la progression des intrus et leur interdire l'accès à la zone d'importance vitale. Le délai ainsi gagné doit permettre, dans un premier temps, l'intervention des PSPG puis, dans un second temps, en cas de risque avéré, celle du RAID et du GIGN. De ce point de vue-là, ce n'est donc pas parce qu'il a été démontré que l'une des barrières pouvait être franchie que le système est défaillant.

Reste que ce genre d'intrusion pose de vrais problèmes, au premier rang desquels la sécurité des intrus eux-mêmes. Certes, ils s'identifient rapidement comme faisant partie d'une ONG, ce qui retient les forces de l'ordre d'agir comme elles sont entraînées à le faire en cas d'attaque. Mais on pourrait fort bien imaginer qu'il s'agisse de terroristes se faisant passer pour des membres d'une ONG, auquel cas le moindre temps de latence dans la réaction des gendarmes pourrait leur être fatal et être fatal aux agents d'EDF présents sur le site.

Cette forme d'activisme est donc extrêmement dangereuse, et nous devons sans doute faire en sorte, en travaillant de concert avec les ONG, que de telles intrusions ne se reproduisent plus, d'autant que les ONG en question ont bien d'autres moyens de se faire entendre, par voie de presse, en s'adressant aux parlementaires ou encore aux commissions locales d'information (CLI).

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En faisant ce qu'ils font, les militants de Greenpeace veulent prouver qu'il est possible de pénétrer sur les sites nucléaires. Vous nous rétorquez que, s'il ne s'agissait pas d'eux, ils seraient arrêtés sans problème, ce dont ces militants veulent précisément avoir la preuve. Il ne s'agit évidemment pas de leur tirer dessus, mais il existe des moyens de neutraliser des activistes, cela a été démontré dans d'autres circonstances.

Vous affirmez des choses que vous ne démontrez pas, ce qui est problématique lorsqu'on sait que la sécurité est aussi une question de communication. Dans ces conditions, on ne peut s'empêcher de douter, a fortiori lorsque l'on regarde certaines images prises lors de ces intrusions, qui laissent penser que les services de sécurité ont bel et bien été pris de court.

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Je nous vois mal conclure, au terme de notre commission d'enquête, que l'intrusion sur un site nucléaire n'est pas très compliquée et que l'on peut tout à fait y pénétrer en nombre et rapidement, même si, une fois à l'intérieur, il paraît que la progression est plus difficile… Pourquoi, dans un souci de clarification, ne pas carrément interdire les intrusions, comme on sait le faire pour les sites militaires, tout en conservant le reste du dispositif de sécurité, dont je ne doute pas qu'il soit efficace ?

Les militants de Greenpeace qui ont pénétré sur le site de Cruas n'avaient pas envie de se faire tirer dessus comme des lapins et ils ont donc passé un coup de fil à la gendarmerie, mais une fois seulement qu'ils étaient à l'intérieur. Mais qui peut affirmer qu'un militant qui se revendique comme tel n'est pas en réalité un dangereux terroriste ?

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Il faut préciser qu'il est légalement interdit de pénétrer sur ces sites, ce qui ne m'empêche pas d'être extrêmement inquiet – et je ne cesserai de le répéter – des risques de riposte létale de la part des forces de l'ordre.

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Mario Pain

Vous mettez le doigt sur le problème que posent ces intrusions. Deux doctrines s'opposent en l'espèce. D'une part la doctrine américaine, selon laquelle toute personne qui touche à la clôture est réputée être un ennemi sur qui l'on peut tirer sans états d'âme, puisque des écriteaux disséminés tout autour de la zone interdite avertissent du danger. C'est une façon de faire qui fonctionne parfaitement, mais qui n'est pas dans notre tradition ni ce à quoi nous formons nos forces de sécurité. Pour elles, une telle réponse est inacceptable, y compris lorsqu'il s'agit de protéger des installations militaires ; notre code de la sécurité intérieure interdit d'ailleurs le tir sans sommation.

D'où notre choix d'adopter une autre doctrine de défense. On l'a dit, il s'agit de mettre en place une série de barrières concentriques dont on sait qu'elles pourront être franchies l'une après l'autre. Ces barrières ne sont pas conçues pour être infranchissables mais pour retarder la progression des intrus, de manière à ce que les forces d'intervention aient le temps de se positionner pour empêcher l'accès aux éléments vitaux de l'installation. En optant pour ce type de défense, on accepte implicitement qu'il puisse y avoir des intrusions sur le site, dans la mesure où une interdiction légale n'empêche effectivement rien, à moins d'avoir des tribunaux beaucoup plus sévères qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Il faut donc des barrières physiques, mais une barrière physique infranchissable, cela n'existe pas. On touche là à la problématique de la défense passive ou active. En termes de sûreté la protection passive est extrêmement efficace, car elle a affaire à un « adversaire » sans intelligence, qui ne cherchera pas à la contourner : on peut se protéger des vagues en construisant une digue, car les vagues ne chercheront pas la brèche. Lorsqu'on raisonne en termes de sécurité, en revanche, il faut compter avec des ennemis intelligents, qui chercheront la faille. L'histoire nous enseigne que toutes les protections passives ont toujours été contournées, l'exemple typique étant celui de la ligne Maginot.

Les protections passives, parce qu'elles sont très longues et très coûteuses à mettre en place, ne sont pas adaptées aux menaces contre lesquelles nous devons nous prémunir. C'est la raison pour laquelle nous avons opté en France pour une défense en profondeur, dans laquelle la défense active, parce qu'on peut l'adapter relativement facilement à l'évolution de la menace, joue un rôle important.

Cela étant, nos PSPG ne devraient pas avoir à faire face à d'autres menaces que la menace terroriste pour laquelle ils sont formés. Dans ces conditions vouloir disposer d'une force qui puisse empêcher des militants de s'introduire sur un site par des moyens adaptés supposerait en réalité d'y positionner deux forces : un force de maintien de l'ordre public et une force antiterroriste. On ne peut pas en effet demander à une force unique d'être prête à réagir en même temps aux deux types de menace, qui requièrent un équipement distinct et font appel à des doctrines d'emploi différentes.

Pour les raisons que vous imaginez, nous avons opté pour des forces antiterroristes, et si, Dieu merci, nos militaires sont bien formés, bien entraînés et savent faire preuve d'un sang-froid qui, jusqu'à présent, les a retenus de faire feu sur des militants, cela finira par arriver : une nuit, à deux heures du matin, dans un contexte de tensions et de stress, soit ils tireront sur un militant, soit, pensant avoir affaire à un militant qui n'en sera pas un, ils ne tireront pas mais se prendront le premier tir.

La législation en la matière a été durcie pour souligner que les intrusions militantes n'étaient pas acceptables et nous devrions prochainement voir ce que donnent les premiers jugements prononcés sur cette nouvelle base légale. Quoi qu'il en soit, comme l'a dit Régine Engström, ces intrusions ne nous apprennent rien mais elles représentent un danger considérable. C'est pour cette raison, plus que pour la publicité dont elles sont entourées, qu'elles nous inquiètent.

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Je voudrais ajouter que, dans le souci d'améliorer en permanence la sécurité, nous sommes en train de doter la totalité des murs d'enceinte de nos centrales d'équipements de détection.

Monsieur Zulesi, vous m'avez interrogée sur les trafics de matières fissiles. C'est un sujet qui dépasse les seules compétences du ministère de la transition écologique, et sur lequel nous travaillons avec le ministère des affaires étrangères, Bercy et la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), ainsi que le ministère de l'intérieur.

L'Agence internationale de l'énergie atomique a émis, concernant les flux de matières fissiles, un certain nombre de prescriptions que nous avons intégrées à notre réglementation. À la date d'aujourd'hui, nous n'avons aucun renseignement permettant d'alimenter une quelconque présomption de trafic.

Par ailleurs, les arrêtés d'exploitation imposent aux opérateurs des normes de comptabilité matière extrêmement strictes. Des contrôles réguliers ont lieu, qui permettent une traçabilité des matières qui entrent ou sortent de nos unités. Lorsque des écarts ont été constatés, des explications ont toujours été trouvées. Il ne me semble donc pas qu'il y ait de problème particulier dans ce domaine.

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Vous venez d'évoquer les caméras que vous positionnez autour des centrales, mais avez-vous d'autres pistes pour renforcer la sécurité ? En effet, les militants de Greenpeace jouent en quelque sorte le rôle de lanceurs d'alerte et, lorsque nous aurons affaire à des terroristes, il faudra pouvoir leur opposer des réponses efficaces.

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Je le répète, on ne peut parler de lanceurs d'alerte pour ce qui touche à la sécurité. Cela étant, il m'est difficile de vous exposer les systèmes de protection mis en place puisqu'il s'agit d'informations classifiées, mais je redis que nous faisons environ cent cinquante exercices par an, qui nous permettent de tester différentes situations auxquelles l'exploitant n'est pas préparé et de vérifier sa réponse à la menace. Si elle n'est pas satisfaisante, nous lui demandons de nous faire des propositions pour mettre en place de nouveaux systèmes.

Tout ce travail est effectué avec les différents ministères concernés et les services de renseignement. Nous opérons une veille régulière sur les réseaux sociaux djihadistes pour glaner des informations sur leurs modes opératoires et nous sommes enfin en lien permanent avec tous les opérateurs gérant des objectifs vitaux pour échanger sur nos pratiques et notre appréhension du risque terroriste.

Nous sommes donc dans une démarche permanente de réflexion et c'est probablement le seul secteur où j'ai vu des cadres remettre en permanence leurs pratiques en question. La routine n'existe pas, l'idée est plutôt de se dire qu'en matière de sécurité on ne détient jamais la solution définitive, qu'il faut toujours progresser.

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Avez-vous tiré des leçons opérationnelles de l'accident de la Germanwings, qui soulève deux questions : comment empêcher, malgré le renforcement des mesures de sécurité dans les aéroports, qu'un avion de ligne soit délibérément dirigé sur une installation nucléaire pour s'y écraser ? Comment détecter des personnes potentiellement mal intentionnées parmi les personnels qui travaillent dans les installations nucléaires, parfois depuis des années et sans avoir particulièrement attiré l'attention sur eux ?

Par ailleurs, vous parlez beaucoup des exercices que vous organisez, mais nous avons le sentiment que la population est rarement impliquée dans ce type d'exercice. Estimez-vous que la population soit prête à réagir de manière appropriée en cas d'accident nucléaire, qu'il s'agisse d'un défaut de sureté ou de sécurité ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Des accidents comme celui de la Germanwings sont typiquement des événements qui nous font réfléchir, moins du fait du crash de l'avion, qui figure depuis longtemps dans notre référentiel de menaces, mais à cause des circonstances, qui posent la question du danger représenté par un individu déviant. C'est une problématique sur laquelle nous devons continuer à travailler. Les procédures d'autorisation telles qu'elles fonctionnent actuellement ne permettent pas de parer à des cas de ce type. Nous misons beaucoup en revanche sur l'information et sur la diffusion d'une culture de la sécurité parmi les personnels. Outre les enquêtes administratives, qui permettent de se renseigner sur le passé d'un employé, le meilleur instrument de détection reste l'entourage et, en l'espèce, l'entourage professionnel au sens large – hiérarchie, collègues, inspection du travail, organisations syndicales –, susceptible de déceler un comportement « à risques ». Dans cette optique, nous sommes très attentifs à ce que nos formations incluent une sensibilisation à la réalité de la menace et à tout ce qui peut paraître suspect.

En ce qui concerne les exercices destinés à la population, ils relèvent plutôt de la sécurité civile.

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Mario Pain

Il ne faut pas confondre les exercices de sécurité avec les exercices de sûreté, qui ont notamment pour objectif de préparer la population aux conséquences des rejets radioactifs et portent sur le confinement ou l'évacuation. Lors des exercices de sécurité, on travaille sur des échelles de temps beaucoup plus courtes. Une simulation d'intrusion n'excède pas la demi-heure et l'exercice ne porte pas sur ce qui se produit après.

Nous avons le projet de réaliser un exercice simulant un incident de sécurité, qui provoquerait un accident nucléaire, lequel enclencherait ensuite des conséquences gérées par la sécurité civile. Mais pour le moment aucun exercice de ce type n'a encore été effectué.

Dans les exercices de sûreté, il arrive que l'on associe la population. Cela s'est notamment fait avec l'évacuation d'une maison de retraite ou celle d'une école. Cela reste néanmoins des exercices assez ponctuels. À ma connaissance, aucun exercice portant sur une évaluation de masse n'a jamais été réalisé en France.

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Cette question est un sujet de préoccupation légitime, sachant qu'en matière d'exercices de sûreté c'est surtout le ministère de l'intérieur qui a la main. Nous réunissons d'ailleurs régulièrement les préfets qui ont une unité nucléaire sur leur zone de responsabilité.

Il me paraît en tout cas important d'envisager des exercices conjoints, sachant que nous avons déjà demandé aux opérateurs de ne plus dissocier sureté et sécurité dans la gestion de crise, car le risque zéro n'existe pas et, en cas d'attaque, les conséquences peuvent être les mêmes qu'en cas de dysfonctionnement d'une centrale. C'est un domaine dans lequel nous sommes prêts à accentuer notre collaboration et avec l'ASN et avec le ministère de l'intérieur.

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J'aimerais revenir sur la sécurité interne. Des données concernant la centrale nucléaire de Cattenom ont été volées il y a quelques semaines sur un parking d'Amnéville. Il se trouve que le voleur, en s'emparant de l'ordinateur portable d'un sous-traitant, ne visait pas spécifiquement ces informations mais nous pouvons imaginer des vols ciblés ou des fuites internes intentionnelles. Quelles mesures avez-vous prévu ? Quelles sont vos préconisations pour faire évoluer la législation ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Cela renvoie aux procédures d'habilitation et à l'obligation que nous pourrions imposer aux exploitants, dans le cadre des autorisations, de se doter d'une politique renforcée de confidentialité des données. Certains auditeurs étrangers ont évoqué, en outre, la nécessité d'aller plus loin dans la définition des informations classées « confidentiel défense ».

Je souligne également que ce ne sont pas les données techniques, prises isolément, qui revêtent un caractère sensible, mais leur agrégation.

Nous ne sommes pas encore allés au bout de nos réflexions en matière de transparence et d'accessibilité des données ni de recours aux ordinateurs portables au sein des entreprises. Ce sont des questions dont nous traitons au sein des groupes de travail avec l'ANSSI.

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Une question récurrente dans cette commission d'enquête porte sur la fragilité des piscines de refroidissement. Qu'en est-il de leur vulnérabilité en cas d'exposition à un tir direct, notamment à charge creuse ?

M. Pain nous a communiqué des photos d'essais de tirs que nous allons faire circuler parmi vous, chers collègues, et j'aimerais qu'il les commente.

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Mario Pain

Je vais essayer de vous donner des informations dans les limites autorisées par le code pénal.

La protection passive, même si elle ne constitue pas selon moi une panacée, est nécessaire. Et comme beaucoup d'interrogations entourent les piscines de refroidissement, nous avons décidé de procéder à des essais. Nous avons construit un mur dans le même béton que celui utilisé par l'ingénierie nucléaire, puis nous avons installé une charge devant – sans lanceur car ce n'était pas nécessaire – que nous avons ensuite fait exploser en simulant le contact avec le béton. Les explosifs qui nous ont été fournis par l'armée sont bien plus puissants qu'un lance-grenades RPG-7. Ils ne sont même pas disponibles dans les circuits clandestins. Et je peux vous dire que les résultats ont été tout à fait rassurants.

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Mario Pain

Sans entrer dans les détails techniques, l'effet pénétrant, dans le cas d'une charge creuse, est lié non pas à l'énergie cinétique mais à l'explosion de la tête. Les experts de l'armée se sont chargés de cet aspect et nous avons procédé à une dizaine de tirs. Et je le répète, les résultats ont été tout à fait rassurants même si je ne peux pas vous communiquer les photos montrant le stand de test après le tir.

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Quand nous avons évoqué les risques de chute d'avion de ligne sur les piscines de refroidissement, nous avons recueilli des réponses variées. Les représentants d'Orano ont, par exemple, avancé que l'avion se disloquerait avant. Or, lors de l'attaque du 11 septembre, les avions ne se sont pas disloqués avant, puisqu'ils ont conduit à l'effondrement des Tours jumelles. D'autres insistent sur le fait que la sécurité des piscines de refroidissement repose sur toutes les mesures prises en amont pour éviter qu'un avion ne soit détourné et que c'est la conjonction de ces diverses mesures qui permet d'assurer une sécurité optimale.

D'après vos tests, un avion qui tomberait sur une piscine de refroidissement, notamment celle de La Hague, ou sur les piscines d'entreposage de combustibles autour des centrales provoquerait-il un dénoyage ?

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Mario Pain

Malheureusement, ces questions sont trop complexes pour qu'on y réponde par oui ou par non. Comme nous n'avons pas la possibilité de procéder à des essais avec des avions, nous sommes obligés de nous appuyer sur des calculs.

Permettez-moi de vous corriger sur un point, madame la rapporteure : le 11 septembre, les avions se sont bel et bien disloqués. Si les tours se sont effondrées, ce n'est pas par un effet mécanique, mais à cause de l'incendie du combustible qui a provoqué une fusion des structures.

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Mario Pain

Un avion a une rigidité relativement faible et se disloque au moment de la collision. Ses seuls éléments à représenter un danger sont les moteurs car ils ont une masse et une solidité suffisantes pour avoir un effet pénétrant. L'appareil lui-même est très fragile. Les calculs prennent donc en compte le choc avec les moteurs et les effets d'un éventuel incendie.

La problématique est différente suivant que les piscines sont enterrées ou situées en hauteur comme celles des centrales. Ces dernières sont en effet exposées à une collision latérale. Les mesures varient donc car il est vrai que la sécurité des piscines est assurée par une conjonction de mesures : mesures de prévention, renseignement, protection passive, conception des sites pour empêcher un avion d'approcher sous l'angle le plus favorable. Autrement dit, il n'y a pas que l'épaisseur du béton qui doit être prise en compte.

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Nous voulons simplement savoir si l'épaisseur de béton est à elle seule suffisante. Chaque fois que je pose cette question, je n'obtiens pas de réponse.

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Mario Pain

La seule chose que je peux vous dire, c'est que les calculs montrent qu'elle est suffisante. Maintenant, les calculs peuvent être mis en doute. Je ne suis pas un expert du calcul de la résistance des structures en béton, vous l'imaginez bien. Je ne peux vous donner que cette réponse-là. Je n'ai pas de conviction personnelle à ce sujet.

Pour les avions, nous ne pouvons naturellement pas faire d'essais en grandeur réelle. Les Américains ont procédé à quelques tests en faisant s'écraser de vieux Boeing 747 sur des structures en béton. Nous utilisons les données qui en sont issues pour qualifier les modèles de calcul. Après, on croit ou non aux calculs. En tant qu'ingénieur, j'ai tendance à y croire mais il est important de réinterroger en permanence ces calculs à mesure que nous disposons de nouvelles données.

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À quels résultats ont abouti les crash-tests effectués avec les 747 ?

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Mario Pain

Comme vous vous en doutez, ils n'ont pas été lancés sur des centrales mais sur des structures-types. Les paramètres de l'essai ont été utilisés pour vérifier si les modèles de calcul aboutissaient aux bons résultats et ils ont été ensuite appliqués à des structures différentes.

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Les photos de simulations concernent-elles des murs de piscine de refroidissement ou des murs de réacteur ? Un tir direct avec une arme de type RPG à charge creuse est susceptible de parcourir une épaisseur de béton armé supérieure à un mètre cinquante voire deux mètres. Quand je regarde vos photos, même s'il faut prendre en compte la subjectivité de l'angle de vue, il semblerait – et j'emploie à dessein le conditionnel – que l'épaisseur du mur de béton soit inférieure à un mètre cinquante.

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Mario Pain

Je comprends votre préoccupation, mais il faut prendre en compte la nature du béton, son ferraillage, sa densité, ses agrégats. Il n'y a pas un béton, mais des bétons. Et nous avons choisi, pour les essais, du béton construit avec exactement les mêmes diagrammes de ferraillage que celui des centrales. Par ailleurs, je crois que les essais ont été faits pour les bâtiments réacteurs mais je vous le confirmerai.

N'oublions pas qu'il y a déjà eu un tir réel au lance-roquettes contre une centrale nucléaire, celle de Creys-Malville, dans les années 1970, et qu'il a fait des dégâts minimes.

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Oui, mais c'était avec un armement des années 1970 sur du béton des années 1970.

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Mario Pain

Le béton des centrales date précisément des années 1970.

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Je ne doute pas des capacités des ingénieurs des centrales nucléaires spécialistes du béton, mais il ne faut pas sous-estimer non plus celles des ingénieurs de l'armement. Ils créent des armes destinées à attaquer à distance des cibles comme des bunkers construits pour résister aux attaques.

Mais nous allons écourter ces questionnements car nous risquons de tourner en rond. Nos échanges sont représentatifs de ce que cette commission d'enquête vit semaine après semaine : les personnes auditionnées, à un moment, répondent qu'elles ne peuvent pas aller plus loin que ce qu'elles ont déjà dit.

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Je reviens à la doctrine française en matière de sécurité, très différente de la doctrine américaine. Relativement ancienne, elle s'est construite par sédimentation et a été établie bien avant que le terrorisme ne frappe notre pays et que la menace terroriste n'ait atteint le niveau que nous connaissons aujourd'hui.

L'État a-t-il réinterrogé cette doctrine ? L'a-t-il confirmée depuis que la menace terroriste s'est exacerbée ? Autrement dit, compte-t-il s'en tenir à l'attitude qui consiste à freiner les intrusions sans avoir recours aux tirs ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Cette doctrine est réexaminée en permanence et nous avons développé la doctrine de la défense en profondeur, saluée par nos homologues étrangers. Fondée sur la performance, elle répond aux menaces terroristes car elle met de l'intelligence dans le système et ne repose pas uniquement sur la défense passive. De ce point de vue, elle est assez robuste.

Les règles d'usage des armes à feu par les gendarmes qui protègent les sites sont fixées par le code de la sécurité intérieure, qui a fait l'objet de révisions. Une personne qui défend un lieu ne peut pas tirer sans sommation. Des réflexions juridiques sont en cours sur l'instauration de zones de défense renforcée. Il s'agit de déterminer si une autre qualification des zones vitales et de leurs abords pourrait être établie et quelle incidence elle aurait sur la conduite à tenir des agents de l'État chargés de les défendre. Nous cherchons à savoir si ces modifications sont opportunes et de nature à renforcer la sécurité.

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Nous avons à peine évoqué la question du transport de matières radioactives.

Aujourd'hui, tous les transports sont-ils sécurisés ? Les responsables de l'ordre public, en particulier les maires de communes traversées par les convois, sont-ils informés du passage des camions ou des trains sur leur territoire pour leur permettre de prévoir les dangers éventuels ? Considérez-vous qu'il existe des marges d'amélioration en ce domaine ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Le transport des matières radioactives est encadré par la règlementation générale relative au transport des matières dangereuses et par la réglementation spécifique au transport de substances radioactives. Le principe de la proportionnalité par rapport au danger de la substance transportée s'applique, dans le cadre de la défense en profondeur.

Il existe plusieurs niveaux de protection des matières transportées. Le premier concerne les emballages agréés par l'ASN après des séries de tests de résistance aux incendies, à la chute ou au perçage. Le deuxième niveau porte sur l'agrément des véhicules et des sociétés de transport. Ensuite, chaque transport est individuellement autorisé par les services après vérification des garanties de sécurité. Pour certains, des demandes d'escorte sont envoyées au ministère de l'intérieur. Enfin, chaque transport fait l'objet d'un suivi en temps réel. Le maître mot est la traçabilité, ce qui réclame un gros système d'assurance-qualité.

Les élus locaux sont informés du passage de transports de matières radioactives sur le territoire de leur commune mais ne connaissent pas le jour et l'heure précisément. Les exploitants ou nos services les rencontrent pour évoquer les prescriptions générales. Du moins, c'est que qui doit être fait.

L'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN), à laquelle adhèrent trente-trois des États membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), considère que ce type de transport ne constitue pas une préoccupation majeure. Il s'agit en effet de quantités faibles par rapport à celles que l'on peut trouver dans nos installations et elles sont extrêmement dispersées dans les divers convois. En outre, les transports sont entourés de toutes les garanties nécessaires.

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Certes, mais je ne sais pas si, parmi les trente-deux autres pays, il y en a beaucoup où l'on transporte du plutonium sur une distance de 1 000 kilomètres comme c'est le cas en France.

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Effectivement, les transports de matières radioactives sont plus importants en France qu'ailleurs du fait de la part que le nucléaire occupe. Cela dit, ces substances ne représentent qu'une part assez faible du total des matières dangereuses transportées : elle avoisine 1 %. Et, au sein du transport de matières radioactives, la part de l'industrie nucléaire est de 12 %, le reste relevant de l'industrie non nucléaire et de la médecine.

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Nous avons été alertés sur le fait que la réglementation autorisait un taux d'émission de radiations des substances radioactives transportées de 2 millisieverts par heure alors que la dose maximale pour l'exposition du public est de 1 millisievert par an. En une demi-heure, une personne qui se trouverait à proximité d'un convoi de substances radioactives recevrait deux fois la dose maximale à laquelle elle peut être exposée en un an. Cela pose problème pour les transports en train, notamment, car une personne sur un quai de gare pourrait se trouver à proximité d'un train contenant de telles substances. Cela nous a paru incroyable, d'autant que cela se ferait dans la plus pure légalité.

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

C'est surprenant en effet. Je ne peux vous apporter de réponses aujourd'hui, mais je procéderai à des vérifications.

J'aimerais préciser que l'ASN travaille à la rédaction d'un guide destiné aux acteurs du transport de substances radioactives, contenant des conseils en matière de sûreté pour assurer les transports dans les meilleures conditions possibles et prendre en compte les agents qui en ont la charge.

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Nous avons reçu les journalistes qui ont réalisé le documentaire Sécurité nucléaire : le grand mensonge, diffusé sur Arte. J'imagine que vous l'avez vu. Vous a-t-il permis de découvrir certaines choses ? A-t-il suscité des questions ou de nouvelles réflexions, notamment sur les risques d'engorgement sous un pont ou la prévisibilité du passage des camions ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

La prédictibilité des transports est l'un des sujets sur lesquels nous travaillons avec ceux qui sont à l'origine des substances à transporter et ceux qui les transportent. Nous avons mis en place un groupe de travail spécifique qui associe l'ASN et l'IRSN. Le ministre d'État a fait part aux entreprises concernées de sa préoccupation et leur a demandé de rendre ces transports plus aléatoires.

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Retenons l'hypothèse que la sécurité est optimale sur toutes nos installations. Y a-t-il certaines installations qui demandent plus d'attention que les autres parce qu'elles sont plus fragiles ou plus sensibles pour diverses raisons ? Si c'est le cas, pouvez-vous nous dire lesquelles ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Les installations que nous surveillons sont éminemment différentes et les dispositifs proposés par chacun des exploitants varient de site en site selon la géographie et le type d'activité – production d'électricité, gestion des déchets, recherche. La réponse aux menaces dont les sites pourraient être l'objet est donc forcément différente.

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Soyons clairs : plusieurs personnes auditionnées ont souligné que certaines installations demandaient plus d'attention, et donc plus de moyens, que d'autres, notamment celle de La Hague qui a la plus forte concentration de matières radioactives en France. Y en a-t-il d'autres dans le même cas ?

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Régine Engström, secrétaire générale et haut fonctionnaire de défense et de sécurité auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Le nombre de réacteurs, le volume des substances radioactives, la superficie des sites sont autant de paramètres que nous prenons en compte pour augmenter les moyens de sécurité. La Hague en fait partie, bien sûr.

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Pour revenir à ce dont nous parlions tout à l'heure, les administrateurs de la commission viennent de me communiquer une note soulignant l'importance de l'énergie cinétique. Ils appellent mon attention sur les pénétrateurs à énergie cinétique, munitions qui utilisent l'énergie cinétique pour pénétrer leur cible. Ainsi, les flèches se déplacent à environ 975 mètres par seconde, ce qui génère une force de 1 500 tonnes lorsqu'elles entrent en contact avec un objet fixe.

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Mario Pain

C'est exact, mais je vous rappelle que la question que vous m'avez posée portait sur les charges creuses, dont la pénétration est fondée non pas sur l'énergie cinétique, comme pour les obus, mais sur la pression exercée sur la tête, qui créé l'explosion.

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Mario Pain

La pénétration des munitions utilisant l'énergie cinétique est aujourd'hui considérée comme étant trop faible pour l'attaque de cibles modernes.

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Madame Engström, monsieur Pain, je vous remercie des réponses que vous avez apportées à la commission. Je vous saurais gré de bien vouloir nous envoyer les réponses aux questionnaires que nous vous avons adressés.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 12 avril 2018 à 9 heures :

Présents. - M. Philippe Bolo, M. Anthony Cellier, M. Adrien Morenas, M. Jimmy Pahun, Mme Barbara Pompili, M. Jean-Pierre Pont, Mme Isabelle Rauch, M. Hervé Saulignac, M. Jean-Marc Zulesi.

Excusés. – Mme Émilie Cariou, M. Paul Christophe, M. Grégory Galbadon, M. Patrice Perrot.