Vous mettez le doigt sur le problème que posent ces intrusions. Deux doctrines s'opposent en l'espèce. D'une part la doctrine américaine, selon laquelle toute personne qui touche à la clôture est réputée être un ennemi sur qui l'on peut tirer sans états d'âme, puisque des écriteaux disséminés tout autour de la zone interdite avertissent du danger. C'est une façon de faire qui fonctionne parfaitement, mais qui n'est pas dans notre tradition ni ce à quoi nous formons nos forces de sécurité. Pour elles, une telle réponse est inacceptable, y compris lorsqu'il s'agit de protéger des installations militaires ; notre code de la sécurité intérieure interdit d'ailleurs le tir sans sommation.
D'où notre choix d'adopter une autre doctrine de défense. On l'a dit, il s'agit de mettre en place une série de barrières concentriques dont on sait qu'elles pourront être franchies l'une après l'autre. Ces barrières ne sont pas conçues pour être infranchissables mais pour retarder la progression des intrus, de manière à ce que les forces d'intervention aient le temps de se positionner pour empêcher l'accès aux éléments vitaux de l'installation. En optant pour ce type de défense, on accepte implicitement qu'il puisse y avoir des intrusions sur le site, dans la mesure où une interdiction légale n'empêche effectivement rien, à moins d'avoir des tribunaux beaucoup plus sévères qu'ils ne le sont aujourd'hui.
Il faut donc des barrières physiques, mais une barrière physique infranchissable, cela n'existe pas. On touche là à la problématique de la défense passive ou active. En termes de sûreté la protection passive est extrêmement efficace, car elle a affaire à un « adversaire » sans intelligence, qui ne cherchera pas à la contourner : on peut se protéger des vagues en construisant une digue, car les vagues ne chercheront pas la brèche. Lorsqu'on raisonne en termes de sécurité, en revanche, il faut compter avec des ennemis intelligents, qui chercheront la faille. L'histoire nous enseigne que toutes les protections passives ont toujours été contournées, l'exemple typique étant celui de la ligne Maginot.
Les protections passives, parce qu'elles sont très longues et très coûteuses à mettre en place, ne sont pas adaptées aux menaces contre lesquelles nous devons nous prémunir. C'est la raison pour laquelle nous avons opté en France pour une défense en profondeur, dans laquelle la défense active, parce qu'on peut l'adapter relativement facilement à l'évolution de la menace, joue un rôle important.
Cela étant, nos PSPG ne devraient pas avoir à faire face à d'autres menaces que la menace terroriste pour laquelle ils sont formés. Dans ces conditions vouloir disposer d'une force qui puisse empêcher des militants de s'introduire sur un site par des moyens adaptés supposerait en réalité d'y positionner deux forces : un force de maintien de l'ordre public et une force antiterroriste. On ne peut pas en effet demander à une force unique d'être prête à réagir en même temps aux deux types de menace, qui requièrent un équipement distinct et font appel à des doctrines d'emploi différentes.
Pour les raisons que vous imaginez, nous avons opté pour des forces antiterroristes, et si, Dieu merci, nos militaires sont bien formés, bien entraînés et savent faire preuve d'un sang-froid qui, jusqu'à présent, les a retenus de faire feu sur des militants, cela finira par arriver : une nuit, à deux heures du matin, dans un contexte de tensions et de stress, soit ils tireront sur un militant, soit, pensant avoir affaire à un militant qui n'en sera pas un, ils ne tireront pas mais se prendront le premier tir.
La législation en la matière a été durcie pour souligner que les intrusions militantes n'étaient pas acceptables et nous devrions prochainement voir ce que donnent les premiers jugements prononcés sur cette nouvelle base légale. Quoi qu'il en soit, comme l'a dit Régine Engström, ces intrusions ne nous apprennent rien mais elles représentent un danger considérable. C'est pour cette raison, plus que pour la publicité dont elles sont entourées, qu'elles nous inquiètent.