Je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter les principales conclusions de notre avis sur les prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2018 à 2022.
C'est un Haut Conseil renouvelé qui vient d'adopter cet avis. Comme vous le savez, la loi organique de 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques fixe les conditions de nomination des dix membres de notre institution, auxquels s'ajoute son président. Ces membres sont désignés pour cinq ans et de façon paritaire. Cette année, nous avons accueilli quatre nouveaux membres : Mme Maya Bacache-Beauvallet, qui a été nommée par le président de l'Assemblée nationale en remplacement de M. François Bourguignon, et que vous avez auditionnée ; M. Éric Heyer, nommé par le président de la commission des finances du Sénat, en remplacement de Mme Mathilde Lemoine ; le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) a désigné Mme Isabelle Job-Bazille pour remplacer M. Philippe Dessertine ; enfin, Mme Françoise Bouygard a été désignée en tant que membre de la Cour des comptes en remplacement de Mme Catherine Démier. Je salue l'implication de chacun des membres du Haut Conseil ; nous devons en effet rendre nos avis dans des délais très contraints.
C'est la sixième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le programme de stabilité mais la première fois sous cette législature. Aussi, j'appelle votre attention sur deux spécificités de cet avis.
La première, que vous avez soulignée, monsieur le président, a trait au calendrier. Nous avons publié notre avis vendredi 13 avril, une semaine après avoir été saisis par le Gouvernement ; toutefois, le programme de stabilité a été présenté en conseil des ministres mercredi 11 avril. Il en résulte, pour la première fois dans les avis du Haut Conseil, un léger décalage. S'agissant des avis portant sur les lois de finances initiales, rectificatives ou de règlement, ce léger décalage ne peut exister, la loi organique prévoyant que le Haut Conseil est saisi suffisamment tôt pour pouvoir rendre ses avis en même temps que la présentation des textes en Conseil des ministres.
La seconde spécificité porte sur le mandat du Haut Conseil. Contrairement à ce qui vaut pour l'appréciation des autres textes financiers, notre examen du programme de stabilité ne porte que sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire de finances publiques, non sur la trajectoire de finances publiques elle-même – même si, bien entendu, nous devons tenir compte des éléments relatifs aux finances publiques qui ont un impact sur la macroéconomie.
Le Haut Conseil ne formule pas lui-même de prévisions ; il s'appuie sur des prévisions issues d'un ensemble d'organismes comprenant la Commission européenne, le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de nombreuses institutions ou instituts de prévision nationaux – l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la Banque de France, COE-Rexecode, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)...
Je décrirai rapidement le contexte macroéconomique dans le monde, en zone euro et en France, puis je vous présenterai les observations du Haut Conseil en trois temps, pour vous dire séparément notre appréciation sur les années 2018, 2019 et 2020 à 2022.
S'agissant du contexte international, le Haut Conseil constate le dynamisme de l'environnement mondial et européen. La croissance mondiale s'est en effet renforcée en 2017, au-delà de ce qui était attendu il y a encore un an, et l'accélération constatée concerne aussi bien les économies avancées que les économies émergentes. En particulier, après avoir été en retrait en 2016, l'activité des États-Unis s'est accélérée en 2017. Quant au commerce mondial, il est en nette reprise depuis la fin de l'année 2016 et sa progression se poursuit en ce début d'année 2018.
La croissance s'est également intensifiée dans la zone euro en 2017, s'élevant à 2,5 % en moyenne annuelle, contre 1,8 % en 2016. Ce dynamisme devrait se poursuivre en 2018, sous le double effet d'une demande mondiale et d'une demande intérieure soutenues, cette dernière bénéficiant de la confiance toujours élevée des agents économiques, de conditions monétaires encore favorables et de politiques budgétaires légèrement expansives.
En France, on observe un net redressement de la croissance économique en 2017, à 2 % contre 1,1 % en 2016. La demande intérieure a fortement contribué à la croissance en 2016 et 2017, mais avec une composition différente : en 2017, elle a davantage reposé sur l'investissement des entreprises et l'investissement en logement, et moins sur la consommation des ménages. La contribution du commerce extérieur à la croissance a continué de peser sur l'activité en 2017, mais moins qu'en 2016. La croissance française est toutefois restée inférieure à la moyenne de la zone euro au cours de ces deux années.
Le Haut Conseil estime toutefois que les reprises mondiale, européenne et française sont soumises à des facteurs d'incertitude importants. Le scénario du Gouvernement s'inscrit dans une phase de reprise et, dans ce contexte, il n'est pas rare que les prévisions sous-estiment la croissance. Cela a notamment été le cas en 2017, et cela pourrait l'être à nouveau en 2018 ; la croissance américaine pourrait continuer d'être forte et de soutenir une certaine dynamique.
Cependant, certains aléas pourraient avoir un effet inverse. La politique budgétaire américaine très expansive, dans une économie proche du plein emploi, pourrait alimenter l'inflation plus fortement que prévu et accélérer le resserrement de la politique monétaire. L'application de mesures protectionnistes et les tensions géopolitiques à l'oeuvre font aussi peser des incertitudes fortes sur la croissance mondiale.
D'autre part, quatre facteurs de risque pèsent sur la croissance de la zone euro. D'abord, la poursuite de la hausse des cours du pétrole : le prix du baril se situe aujourd'hui dans une fourchette de 65 à 70 dollars, contre 52 dollars dans le projet de loi de finances pour 2018. Ensuite, l'appréciation de l'euro vis-à-vis du dollar : il s'est échangé à 1,23 dollar en mars contre 1,18 dollar dans le projet de loi de finances pour 2018. La situation politique de certains pays est également facteur d'incertitudes, de même que les conditions du Brexit, même si nous avons eu connaissance aujourd'hui de quelques éléments plutôt positifs au sujet de la croissance britannique.
J'en viens aux observations du Haut Conseil pour l'année 2018. S'agissant de la croissance, la prévision du Gouvernement est de 2 % dans le programme de stabilité ; elle est supérieure à celle retenue dans la loi de finances pour 2018, qui était de 1,7 %. Le Haut Conseil considère cette nouvelle prévision réaliste. Elle s'appuie en effet sur un acquis de croissance de 0,9 % au quatrième trimestre 2017, ce qui correspond à un niveau sensiblement plus élevé que l'année précédente. Par ailleurs, la prévision moyenne du Consensus Forecasts pour la France, qui synthétise les estimations de vingt-trois prévisionnistes, s'établit en avril à 2,1 % pour 2018.
Le Haut Conseil estime en outre que les enchaînements décrits dans le scénario du Gouvernement pour la France sont plausibles : poursuite d'une forte croissance de l'investissement des entreprises en réponse à des taux élevés d'utilisation des capacités, consommation en légère accélération soutenue par la dynamique des revenus, ralentissement de l'investissement des ménages.
Le Haut Conseil considère également plausibles les prévisions d'emploi et de masse salariale du Gouvernement pour 2018 : le Gouvernement prévoit une augmentation de l'emploi salarié marchand du même ordre qu'en 2017, soit 250 000 en moyenne annuelle. Cette prévision est cohérente avec les dernières enquêtes de conjoncture de l'INSEE. Quant à la masse salariale du secteur privé en valeur, elle progresserait de 3,9 % en 2018, ce qui constitue une hausse sensible par rapport à la prévision du projet de loi de finances pour 2018, qui était de 3,1 %. Cette hausse est cohérente avec les prévisions de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).
Enfin, la prévision d'inflation des prix à la consommation pour 2018 est de 1,4 % dans le programme de stabilité contre 1,1 % dans les hypothèses associées au projet de loi de finances. Au regard de l'estimation du Consensus Forecasts, établie en avril à 1,5 %, le Haut Conseil estime cette nouvelle prévision raisonnable.
Quelques mots des observations du Haut Conseil sur le scénario pour les années 2019 à 2022. J'insiste à titre liminaire sur un point essentiel : les hypothèses retenues par le Gouvernement ne peuvent être analysées sans prendre en compte la position de l'économie française dans le cycle. Cette position s'apprécie à partir de l'écart de production ou output gap, c'est-à-dire l'écart entre le produit intérieur brut (PIB) observé et le PIB potentiel. Le PIB potentiel est la production nationale dite soutenable, celle qui peut être réalisée sans tension de l'appareil productif, et notamment sans création d'effets inflationnistes ou désinflationnistes. L'écart de production constitue en principe un indicateur de la capacité de rebond du pays quand il est négatif, et d'une perspective de ralentissement quand il est positif. Cela signifie que les perspectives de croissance à moyen terme diffèrent selon que l'écart de production en début de période – en 2017 et en 2018 – est négatif ou proche de zéro.
L'estimation d'écart négatif de production avancée par le Gouvernement s'établit à 0,9 point de PIB, un niveau proche de l'estimation de la Commission européenne mais inférieur à celles de l'OCDE et du FMI. Pour le Gouvernement, l'écart de production redeviendrait positif à partir de 2019. Le Haut Conseil considère que les estimations de l'écart de production retenues pour 2017 et 2018 sont acceptables mais soumises à de fortes incertitudes. Comme le Haut Conseil le rappelle dans ses avis et comme nous l'avons évoqué plusieurs fois dans cette enceinte, les estimations de l'écart de production sont en effet fragiles.
Les indicateurs de conjoncture et de prix qui sont en relation avec le cycle économique adressent actuellement des messages contrastés. D'une part, les taux d'utilisation des capacités de production et les difficultés de recrutement s'établissent, début 2018, nettement au-dessus de leur moyenne de long terme ; cela suggère que l'économie française pourrait être plus avancée dans le cycle que ne l'indiquent les estimations de l'écart de production. Mais l'évolution des prix donne un signal inverse : l'inflation sous-jacente reste très basse, indiquant que les tensions demeurent limitées, l'ajustement par une augmentation des prix n'étant pas à l'oeuvre.
L'analyse de l'écart de production en début de période doit être complétée par l'examen des hypothèses de croissance potentielle présentées dans le programme de stabilité pour les années à venir. Le Gouvernement n'a pas modifié ses hypothèses par rapport à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. La croissance potentielle de l'économie française est ainsi estimée à 1,25 % pour chacune des années comprises entre 2017 et 2020. Elle augmenterait très légèrement en fin de période pour tenir compte de l'impact de réformes structurelles et s'établirait à 1,35 % en 2022.
Le Haut Conseil renouvelle son appréciation de septembre dernier sur la croissance potentielle. Il considère que les hypothèses retenues par le Gouvernement pour la période 2018-2022, qui se situent dans la moyenne des estimations disponibles, constituent une base raisonnable pour asseoir une programmation des finances publiques à moyen terme.
Comme il l'a fait pour 2018, le Gouvernement a rehaussé sa prévision de croissance pour 2019 par rapport à la loi de programmation, la faisant passer de 1,7 % à 1,9 %. Il retient donc pour 2019 une croissance en légère décélération mais proche de 2 % pour la troisième année consécutive. Les prévisions des instituts de conjoncture diffèrent à partir de 2019, traduisant des appréciations distinctes quant au scénario de croissance pour la France et dans la zone euro. Dans la plupart des prévisions disponibles, la croissance atteindrait son niveau le plus élevé en 2017 ou 2018 et connaîtrait en 2019 un infléchissement légèrement plus prononcé que dans la prévision du Gouvernement. Le Haut Conseil estime toutefois que la prévision de croissance du Gouvernement, proche du consensus, est atteignable.
Pour ce qui est enfin des années 2020 à 2022, la prévision du Gouvernement, pratiquement inchangée par rapport à la loi de programmation, est de 1,7 % de croissance par an. Nous l'avons vu, le nouveau scénario présenté par le Gouvernement dans le programme de stabilité relève les taux de croissance des premières années de la période de programmation pour prendre en compte la reprise constatée en 2017, mais le Gouvernement ne va pas au terme de la logique d'un scénario cyclique, qui conduirait à un ralentissement plus marqué au-delà de 2020. Le scénario retenu actuellement prévoit que l'écart de production, redevenu positif en 2019, augmente chaque année jusqu'en 2022 ; cela signifie que la croissance effective serait durablement supérieure à son potentiel. C'est possible, mais cela suppose un environnement macroéconomique particulièrement porteur, en raison de l'environnement international ou du policy mix. Par ailleurs, les hypothèses retenues en matière de hausse des taux d'intérêt et de consolidation des finances publiques devraient plutôt freiner la demande globale à horizon 2022. Dans ce contexte, le Haut Conseil considère que le scénario retenu pour les années 2020 à 2022, qui prévoit une croissance effective continûment supérieure à la croissance potentielle, est optimiste.
J'évoquerai pour conclure l'impact du scénario macroéconomique du Gouvernement sur les finances publiques. Ce scénario conduirait à un solde des administrations publiques positif en 2022 et à une trajectoire de dette publique favorable. Comme je viens de l'indiquer, le scénario de finances publiques est construit sur une trajectoire de croissance optimiste. L'excédent affiché en 2022 suppose un effet favorable de la conjoncture économique sur le solde public : du fait des hypothèses de croissance, le solde effectif serait supérieur au solde structurel de 0,9 point en 2022. Le solde structurel, qui n'est pas affecté par les hypothèses de croissance effective, s'améliorerait sensiblement mais demeurerait toutefois négatif pendant toute la période. Je l'ai dit, cette perspective repose sur une trajectoire de croissance optimiste. En tout état de cause, le Haut Conseil a souhaité rappeler que l'atteinte des objectifs de finances publiques demandera le strict respect des engagements de maîtrise de la dépense contenus dans la loi de programmation.