La commission entend M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité 2018-2022.
La transmission au Parlement du programme de stabilité que le Gouvernement doit communiquer avant la fin du mois d'avril à la Commission européenne présente cette année un caractère particulier. D'habitude, le programme de stabilité est inscrit à l'ordre du jour d'un Conseil des ministres à l'issue duquel les ministres viennent le présenter à notre commission. Cette année, il a simplement fait l'objet d'une « communication » lors du Conseil des ministres de mercredi dernier et n'a été officiellement transmis au Parlement que le surlendemain, vendredi 13 avril, jour où a également été publié l'avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Ces documents vous ont été communiqués le jour même.
Le rapporteur général a donc dû travailler en urgence afin de présenter un rapport avant le débat qui aura lieu demain après-midi en séance publique. Ce débat sera suivi d'un vote ; c'est une bonne chose, car cela n'a pas toujours été le cas. Nous examinerons ce rapport immédiatement après avoir entendu M. Didier Migaud, que nous recevons en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques, comme nous le faisons toujours avant de débuter nos travaux sur la loi de programmation, la loi de finances de l'année et le programme de stabilité. M. Didier Migaud est accompagné de MM. François Monier, Vianney Bourquard, Paul Bérard et Vladimir Borgy, membres du secrétariat permanent du Haut Conseil.
En vertu de l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, le Haut Conseil est saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le programme de stabilité ; son avis est joint au programme de stabilité lorsqu'il est transmis au Parlement.
Je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter les principales conclusions de notre avis sur les prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2018 à 2022.
C'est un Haut Conseil renouvelé qui vient d'adopter cet avis. Comme vous le savez, la loi organique de 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques fixe les conditions de nomination des dix membres de notre institution, auxquels s'ajoute son président. Ces membres sont désignés pour cinq ans et de façon paritaire. Cette année, nous avons accueilli quatre nouveaux membres : Mme Maya Bacache-Beauvallet, qui a été nommée par le président de l'Assemblée nationale en remplacement de M. François Bourguignon, et que vous avez auditionnée ; M. Éric Heyer, nommé par le président de la commission des finances du Sénat, en remplacement de Mme Mathilde Lemoine ; le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) a désigné Mme Isabelle Job-Bazille pour remplacer M. Philippe Dessertine ; enfin, Mme Françoise Bouygard a été désignée en tant que membre de la Cour des comptes en remplacement de Mme Catherine Démier. Je salue l'implication de chacun des membres du Haut Conseil ; nous devons en effet rendre nos avis dans des délais très contraints.
C'est la sixième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le programme de stabilité mais la première fois sous cette législature. Aussi, j'appelle votre attention sur deux spécificités de cet avis.
La première, que vous avez soulignée, monsieur le président, a trait au calendrier. Nous avons publié notre avis vendredi 13 avril, une semaine après avoir été saisis par le Gouvernement ; toutefois, le programme de stabilité a été présenté en conseil des ministres mercredi 11 avril. Il en résulte, pour la première fois dans les avis du Haut Conseil, un léger décalage. S'agissant des avis portant sur les lois de finances initiales, rectificatives ou de règlement, ce léger décalage ne peut exister, la loi organique prévoyant que le Haut Conseil est saisi suffisamment tôt pour pouvoir rendre ses avis en même temps que la présentation des textes en Conseil des ministres.
La seconde spécificité porte sur le mandat du Haut Conseil. Contrairement à ce qui vaut pour l'appréciation des autres textes financiers, notre examen du programme de stabilité ne porte que sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire de finances publiques, non sur la trajectoire de finances publiques elle-même – même si, bien entendu, nous devons tenir compte des éléments relatifs aux finances publiques qui ont un impact sur la macroéconomie.
Le Haut Conseil ne formule pas lui-même de prévisions ; il s'appuie sur des prévisions issues d'un ensemble d'organismes comprenant la Commission européenne, le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de nombreuses institutions ou instituts de prévision nationaux – l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la Banque de France, COE-Rexecode, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)...
Je décrirai rapidement le contexte macroéconomique dans le monde, en zone euro et en France, puis je vous présenterai les observations du Haut Conseil en trois temps, pour vous dire séparément notre appréciation sur les années 2018, 2019 et 2020 à 2022.
S'agissant du contexte international, le Haut Conseil constate le dynamisme de l'environnement mondial et européen. La croissance mondiale s'est en effet renforcée en 2017, au-delà de ce qui était attendu il y a encore un an, et l'accélération constatée concerne aussi bien les économies avancées que les économies émergentes. En particulier, après avoir été en retrait en 2016, l'activité des États-Unis s'est accélérée en 2017. Quant au commerce mondial, il est en nette reprise depuis la fin de l'année 2016 et sa progression se poursuit en ce début d'année 2018.
La croissance s'est également intensifiée dans la zone euro en 2017, s'élevant à 2,5 % en moyenne annuelle, contre 1,8 % en 2016. Ce dynamisme devrait se poursuivre en 2018, sous le double effet d'une demande mondiale et d'une demande intérieure soutenues, cette dernière bénéficiant de la confiance toujours élevée des agents économiques, de conditions monétaires encore favorables et de politiques budgétaires légèrement expansives.
En France, on observe un net redressement de la croissance économique en 2017, à 2 % contre 1,1 % en 2016. La demande intérieure a fortement contribué à la croissance en 2016 et 2017, mais avec une composition différente : en 2017, elle a davantage reposé sur l'investissement des entreprises et l'investissement en logement, et moins sur la consommation des ménages. La contribution du commerce extérieur à la croissance a continué de peser sur l'activité en 2017, mais moins qu'en 2016. La croissance française est toutefois restée inférieure à la moyenne de la zone euro au cours de ces deux années.
Le Haut Conseil estime toutefois que les reprises mondiale, européenne et française sont soumises à des facteurs d'incertitude importants. Le scénario du Gouvernement s'inscrit dans une phase de reprise et, dans ce contexte, il n'est pas rare que les prévisions sous-estiment la croissance. Cela a notamment été le cas en 2017, et cela pourrait l'être à nouveau en 2018 ; la croissance américaine pourrait continuer d'être forte et de soutenir une certaine dynamique.
Cependant, certains aléas pourraient avoir un effet inverse. La politique budgétaire américaine très expansive, dans une économie proche du plein emploi, pourrait alimenter l'inflation plus fortement que prévu et accélérer le resserrement de la politique monétaire. L'application de mesures protectionnistes et les tensions géopolitiques à l'oeuvre font aussi peser des incertitudes fortes sur la croissance mondiale.
D'autre part, quatre facteurs de risque pèsent sur la croissance de la zone euro. D'abord, la poursuite de la hausse des cours du pétrole : le prix du baril se situe aujourd'hui dans une fourchette de 65 à 70 dollars, contre 52 dollars dans le projet de loi de finances pour 2018. Ensuite, l'appréciation de l'euro vis-à-vis du dollar : il s'est échangé à 1,23 dollar en mars contre 1,18 dollar dans le projet de loi de finances pour 2018. La situation politique de certains pays est également facteur d'incertitudes, de même que les conditions du Brexit, même si nous avons eu connaissance aujourd'hui de quelques éléments plutôt positifs au sujet de la croissance britannique.
J'en viens aux observations du Haut Conseil pour l'année 2018. S'agissant de la croissance, la prévision du Gouvernement est de 2 % dans le programme de stabilité ; elle est supérieure à celle retenue dans la loi de finances pour 2018, qui était de 1,7 %. Le Haut Conseil considère cette nouvelle prévision réaliste. Elle s'appuie en effet sur un acquis de croissance de 0,9 % au quatrième trimestre 2017, ce qui correspond à un niveau sensiblement plus élevé que l'année précédente. Par ailleurs, la prévision moyenne du Consensus Forecasts pour la France, qui synthétise les estimations de vingt-trois prévisionnistes, s'établit en avril à 2,1 % pour 2018.
Le Haut Conseil estime en outre que les enchaînements décrits dans le scénario du Gouvernement pour la France sont plausibles : poursuite d'une forte croissance de l'investissement des entreprises en réponse à des taux élevés d'utilisation des capacités, consommation en légère accélération soutenue par la dynamique des revenus, ralentissement de l'investissement des ménages.
Le Haut Conseil considère également plausibles les prévisions d'emploi et de masse salariale du Gouvernement pour 2018 : le Gouvernement prévoit une augmentation de l'emploi salarié marchand du même ordre qu'en 2017, soit 250 000 en moyenne annuelle. Cette prévision est cohérente avec les dernières enquêtes de conjoncture de l'INSEE. Quant à la masse salariale du secteur privé en valeur, elle progresserait de 3,9 % en 2018, ce qui constitue une hausse sensible par rapport à la prévision du projet de loi de finances pour 2018, qui était de 3,1 %. Cette hausse est cohérente avec les prévisions de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).
Enfin, la prévision d'inflation des prix à la consommation pour 2018 est de 1,4 % dans le programme de stabilité contre 1,1 % dans les hypothèses associées au projet de loi de finances. Au regard de l'estimation du Consensus Forecasts, établie en avril à 1,5 %, le Haut Conseil estime cette nouvelle prévision raisonnable.
Quelques mots des observations du Haut Conseil sur le scénario pour les années 2019 à 2022. J'insiste à titre liminaire sur un point essentiel : les hypothèses retenues par le Gouvernement ne peuvent être analysées sans prendre en compte la position de l'économie française dans le cycle. Cette position s'apprécie à partir de l'écart de production ou output gap, c'est-à-dire l'écart entre le produit intérieur brut (PIB) observé et le PIB potentiel. Le PIB potentiel est la production nationale dite soutenable, celle qui peut être réalisée sans tension de l'appareil productif, et notamment sans création d'effets inflationnistes ou désinflationnistes. L'écart de production constitue en principe un indicateur de la capacité de rebond du pays quand il est négatif, et d'une perspective de ralentissement quand il est positif. Cela signifie que les perspectives de croissance à moyen terme diffèrent selon que l'écart de production en début de période – en 2017 et en 2018 – est négatif ou proche de zéro.
L'estimation d'écart négatif de production avancée par le Gouvernement s'établit à 0,9 point de PIB, un niveau proche de l'estimation de la Commission européenne mais inférieur à celles de l'OCDE et du FMI. Pour le Gouvernement, l'écart de production redeviendrait positif à partir de 2019. Le Haut Conseil considère que les estimations de l'écart de production retenues pour 2017 et 2018 sont acceptables mais soumises à de fortes incertitudes. Comme le Haut Conseil le rappelle dans ses avis et comme nous l'avons évoqué plusieurs fois dans cette enceinte, les estimations de l'écart de production sont en effet fragiles.
Les indicateurs de conjoncture et de prix qui sont en relation avec le cycle économique adressent actuellement des messages contrastés. D'une part, les taux d'utilisation des capacités de production et les difficultés de recrutement s'établissent, début 2018, nettement au-dessus de leur moyenne de long terme ; cela suggère que l'économie française pourrait être plus avancée dans le cycle que ne l'indiquent les estimations de l'écart de production. Mais l'évolution des prix donne un signal inverse : l'inflation sous-jacente reste très basse, indiquant que les tensions demeurent limitées, l'ajustement par une augmentation des prix n'étant pas à l'oeuvre.
L'analyse de l'écart de production en début de période doit être complétée par l'examen des hypothèses de croissance potentielle présentées dans le programme de stabilité pour les années à venir. Le Gouvernement n'a pas modifié ses hypothèses par rapport à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. La croissance potentielle de l'économie française est ainsi estimée à 1,25 % pour chacune des années comprises entre 2017 et 2020. Elle augmenterait très légèrement en fin de période pour tenir compte de l'impact de réformes structurelles et s'établirait à 1,35 % en 2022.
Le Haut Conseil renouvelle son appréciation de septembre dernier sur la croissance potentielle. Il considère que les hypothèses retenues par le Gouvernement pour la période 2018-2022, qui se situent dans la moyenne des estimations disponibles, constituent une base raisonnable pour asseoir une programmation des finances publiques à moyen terme.
Comme il l'a fait pour 2018, le Gouvernement a rehaussé sa prévision de croissance pour 2019 par rapport à la loi de programmation, la faisant passer de 1,7 % à 1,9 %. Il retient donc pour 2019 une croissance en légère décélération mais proche de 2 % pour la troisième année consécutive. Les prévisions des instituts de conjoncture diffèrent à partir de 2019, traduisant des appréciations distinctes quant au scénario de croissance pour la France et dans la zone euro. Dans la plupart des prévisions disponibles, la croissance atteindrait son niveau le plus élevé en 2017 ou 2018 et connaîtrait en 2019 un infléchissement légèrement plus prononcé que dans la prévision du Gouvernement. Le Haut Conseil estime toutefois que la prévision de croissance du Gouvernement, proche du consensus, est atteignable.
Pour ce qui est enfin des années 2020 à 2022, la prévision du Gouvernement, pratiquement inchangée par rapport à la loi de programmation, est de 1,7 % de croissance par an. Nous l'avons vu, le nouveau scénario présenté par le Gouvernement dans le programme de stabilité relève les taux de croissance des premières années de la période de programmation pour prendre en compte la reprise constatée en 2017, mais le Gouvernement ne va pas au terme de la logique d'un scénario cyclique, qui conduirait à un ralentissement plus marqué au-delà de 2020. Le scénario retenu actuellement prévoit que l'écart de production, redevenu positif en 2019, augmente chaque année jusqu'en 2022 ; cela signifie que la croissance effective serait durablement supérieure à son potentiel. C'est possible, mais cela suppose un environnement macroéconomique particulièrement porteur, en raison de l'environnement international ou du policy mix. Par ailleurs, les hypothèses retenues en matière de hausse des taux d'intérêt et de consolidation des finances publiques devraient plutôt freiner la demande globale à horizon 2022. Dans ce contexte, le Haut Conseil considère que le scénario retenu pour les années 2020 à 2022, qui prévoit une croissance effective continûment supérieure à la croissance potentielle, est optimiste.
J'évoquerai pour conclure l'impact du scénario macroéconomique du Gouvernement sur les finances publiques. Ce scénario conduirait à un solde des administrations publiques positif en 2022 et à une trajectoire de dette publique favorable. Comme je viens de l'indiquer, le scénario de finances publiques est construit sur une trajectoire de croissance optimiste. L'excédent affiché en 2022 suppose un effet favorable de la conjoncture économique sur le solde public : du fait des hypothèses de croissance, le solde effectif serait supérieur au solde structurel de 0,9 point en 2022. Le solde structurel, qui n'est pas affecté par les hypothèses de croissance effective, s'améliorerait sensiblement mais demeurerait toutefois négatif pendant toute la période. Je l'ai dit, cette perspective repose sur une trajectoire de croissance optimiste. En tout état de cause, le Haut Conseil a souhaité rappeler que l'atteinte des objectifs de finances publiques demandera le strict respect des engagements de maîtrise de la dépense contenus dans la loi de programmation.
Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir présenté cet avis, qui n'excède pas le périmètre défini par la loi organique du 17 décembre 2012. Il est particulièrement positif : qu'il s'agisse de la prévision de la croissance pour 2018 et 2019, des hypothèses de croissance potentielle ou de l'estimation de l'écart de production initiale pour 2017 qui sert de base au calcul du déficit structurel et conjoncturel, vous indiquez que ces hypothèses sont « réalistes, acceptables, atteignables et raisonnables ». Ces qualificatifs sont remarquables étant donné le champ lexical habituel du Haut Conseil des finances publiques qui, dans son avis relatif au projet de loi de finances pour 2017, avait estimé « incertain » le retour du déficit sous la barre des 3 % du PIB et « improbable » la réduction du déficit public à 2,7 % du PIB – un déficit qui s'établit finalement à 2,6 %.
Cet avis avait été formulé au regard du scénario proposé à l'époque par le Gouvernement, avec une hypothèse de croissance à 1,5 %. Ne faisons pas dire au Haut Conseil ce qu'il n'a pas dit. Le terme « improbable » était d'ailleurs très modéré.
Mon observation taquine tendait à souligner que l'analyse sémantique des avis du Haut Conseil ne manque pas d'intérêt. Avez-vous pour principe la prudence, ce qui expliquerait un biais lexical quelque peu pessimiste ? Si tel était le cas, les hypothèses émises étant raisonnablement acceptables, ne pourrions-nous constater d'autres bonnes surprises ? Le Haut Conseil indique d'autre part que « la croissance française est restée inférieure à la moyenne de la zone euro dans son ensemble au cours de ces deux années » et que l'écart « provient essentiellement de la contribution négative des échanges extérieurs ». Quel est l'impact sur les finances publiques du solde négatif de la balance commerciale pendant la période couverte par le programme de stabilité ?
Je ne sais si le Haut Conseil peut être dit pessimiste. Il convient de toujours se situer dans le contexte de l'époque à laquelle un avis a été rendu. La prévision est un art difficile, pour le Gouvernement comme pour les prévisionnistes. Je le redis, le Haut Conseil avait exprimé un avis à partir du scénario présenté par le Gouvernement, fondé sur une hypothèse de croissance de 1,5 %, avec toutes les conséquences que l'on pouvait en tirer sur les autres hypothèses macroéconomiques et sur le scénario des finances publiques ; il paraissait improbable de parvenir à un déficit de 2,6 % du PIB avec une croissance de 1,5 %. J'aurai l'occasion d'y revenir lorsque je présenterai, au nom de la Cour des comptes, le rapport sur l'exécution du budget de l'État et le rapport sur la situation et perspectives des finances publiques. Si nous parvenons aujourd'hui à un déficit de 2,6 % du PIB avec une croissance de 2 %, comment y serait-on parvenu avec une croissance de 1,5 % ?
Quand le Gouvernement avait révisé son hypothèse de croissance pour la porter à 1,5 % au moment de définir le programme de stabilité, nous avions considéré que c'était tout à fait possible, alors même que le Consensus Forecasts était encore beaucoup plus bas. Il faut reconnaître que les prévisions des instituts de conjoncture ou des organismes internationaux ne prennent pas toujours en compte certains éléments d'enquête dont on peut avoir connaissance. C'est pourquoi il convient de relativiser ou de replacer ces prévisions en perspective. Mais je reconnais qu'il s'agit là d'une science difficile. Pour les années 2018 et 2019, nous utilisons les adjectifs que vous avez rappelés, mais nous sommes plus sceptiques pour la période commençant en 2020 car l'extrême difficulté de dire quel sera le contexte macroéconomique exact à ce moment fragilise les scénarios construits à partir de prévisions que l'on peut qualifier d'optimistes.
Pour ce qui est de l'incidence de la performance à l'exportation dans le programme de stabilité, les exportations ont nettement progressé en 2017 après le ralentissement de 2016, augmentant de 3,3 % après avoir augmenté de 1,9 %. Ce dynamisme est dû à la progression de la demande étrangère et à des facteurs exceptionnels, en particulier le rebond du tourisme depuis le quatrième trimestre 2016 : il a augmenté de 6,9 % en 2016 et de 4,6 % en 2017, après dix trimestres consécutifs d'une baisse due pour partie aux attentats. La contribution du commerce extérieur à la croissance avait cependant été négative en 2016 mais, cette année-là, des facteurs exceptionnels avaient pénalisé et nos exportations agricoles et le tourisme. Une forte différence marque les résultats observés en 2016 et en 2017 et il convient de prendre en compte les circonstances particulières qui ont tiré les résultats de l'année 2016 vers le bas.
Dans le scénario du programme de stabilité, les exportations, soutenues par une demande mondiale croissante, devraient rester dynamiques en 2018 et en 2019. De plus, les livraisons de grands contrats devraient contribuer davantage que par le passé au dynamisme des exportations. Enfin, les exportations de produits agricoles pourraient rebondir après avoir été pénalisées par des conditions météorologiques adverses en 2016 et en 2017.
Cela étant, il convient de rappeler que la France a perdu des parts de marché tout au long de la décennie 2000-2010, la part de ses exportations de biens dans les exportations mondiales passant de 5 % au début des années 2000 à 3 % environ en 2012. Cette dégradation s'est ralentie depuis quelques années, avec une quasi-stabilisation depuis 2012.
Dans son avis sur le programme de stabilité de l'année dernière, le Haut Conseil s'était interrogé sur la capacité de l'appareil productif français à tirer avantage de l'augmentation de la demande nationale et étrangère. Cette évolution défavorable reflète, ou a reflété, le manque de compétitivité coûts et hors coûts de notre économie au cours de cette décennie. La compétitivité coûts a commencé à se redresser depuis cinq ans – ainsi, les coûts salariaux horaires dans l'ensemble des secteurs marchands progressent moins vite en France qu'en Allemagne, en grande partie grâce aux allégements de cotisations et notamment au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). C'est un indicateur intéressant pour mesurer la compétitivité de notre économie.
L'art de la prévision est effectivement difficile et l'on peut comme d'habitude s'opposer longuement sur ces questions. On notera la qualité des travaux du Haut Conseil sur un périmètre restreint de compétences en ce qui concerne l'avis sur ce type de textes, et notamment sur la croissance. Mais le sujet prête évidemment à bien des discussions, notamment sur la répartition entre ce qui relève de phénomènes conjoncturels et ce qui relève de phénomènes structurels.
Au sujet de la trajectoire des finances publiques, l'avis laisse penser que le Gouvernement n'entreprend aucune mesure d'économie et se repose principalement sur la conjoncture. Pourtant, le programme de stabilité prévoit un effort historique de diminution des dépenses publiques de plus de 100 milliards d'euros d'ici la fin du quinquennat. Cela permettra un excédent budgétaire en 2022 et mettra fin à la tradition française de la dette publique, qui a débuté en 1974. L'avis du Haut Conseil ne s'attardant pas sur les objectifs de réduction des dépenses publiques, je voudrais connaître votre avis à ce sujet. Les précédents programmes de stabilité annonçaient le retour à l'équilibre des finances publiques, et les avis rendus par le Haut Conseil étaient critiques à ce sujet ; celui que vous nous avez présenté ne l'est pas. Est-ce, précisément, parce que le Haut Conseil a pris en compte le réalisme des objectifs de réduction de la dépense ? Cet effort, engagé dès 2018, se poursuivra tout au long du quinquennat, notamment par le biais des travaux menés par le Comité Action publique 2022 (CAP22) qui rendra prochainement ses conclusions. Le Haut Conseil prévoit-il d'analyser les mesures qui seront annoncées et d'en évaluer l'impact ?
L'avis que vous nous avez présenté m'inquiète, car je sais que vous en avez pesé chaque mot. En 2017, la croissance a été de 2 % et l'inflation de 1 % ; qu'en aurait-il été sans cela, vous demandez-vous en réalité ? De fait, cette conjonction a conduit à des recettes fiscales et sociales supplémentaires de 40 milliards d'euros, un montant énorme. On se réjouit de ce résultat favorable, mais la nécessité d'analyser ce qui a permis d'y parvenir demeure.
En ce qui concerne les recettes, je regrette le taux annoncé des prélèvements obligatoires. En juillet 2017, le taux projeté pour 2022 était fixé à 43,5 % du PIB. Revu à la hausse, le taux s'établit désormais à 44,3 %, soit 0,8 point de PIB en plus, ce qui est considérable ; on en revient finalement au niveau de prélèvements constaté en 2016, soit 44,6 %. Un tel niveau, très supérieur à ce qui existe au niveau européen, n'est-il pas un handicap pour notre économie ?
Pour ce qui est du niveau de la dépense publique, je suis en désaccord avec l'analyse de M. Roseren : on ne peut parler de maîtrise de la dépense quand la nouvelle trajectoire fixée en 2018 anticipe une hausse de 0,7 % de la dépense par rapport à ce qui était envisagé il y a quelques mois. Le Haut Conseil a-t-il pris en compte le fait que la contractualisation prévue avec les collectivités territoriales n'est pas très bien engagée ?
Vous dites « plausibles » les enchaînements décrits dans le scénario macroéconomique du programme de stabilité, et « réalistes » les prévisions de croissance du Gouvernement pour 2018 et pour 2019. Que le Haut Conseil use de termes aussi positifs pour décrire la situation de la France est devenu suffisamment rare ces dernières années pour qu'on le souligne. Mais que l'on se réjouisse légitimement de cette trajectoire positive ne doit pas anesthésier l'action du Gouvernement et de notre majorité. En effet, si l'augmentation de l'activité économique et de la croissance réduit mécaniquement le déficit, la réalisation de ce scénario de finances publiques demande, vous le rappelez à juste titre, le strict respect des engagements de maîtrise de la dépense publique. Il faut donc savoir si les mesures prises et les mesures à venir – notamment la réduction des contrats aidés, la réforme de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), la future réforme dite Action publique 2022 – suffiront selon vous à donner un véritable coup de frein à la dépense publique pour aboutir à une baisse significative du déficit public. La réforme territoriale si souvent préconisée ne permettrait-elle pas un progrès ?
Vous formulez une réserve et vous en appelez à la prudence sur les deux points critiques que sont le commerce extérieur et la compétitivité. Étant donné la politique économique et budgétaire très expansive menée par M. Donald Trump, et pour faire face à l'instauration de mesures protectionnistes par les États-Unis ou d'autres pays tiers, quelles solutions sont envisageables aux niveaux national et européen, les pays membres de l'Union peinant déjà à harmoniser leurs fiscalités respectives ?
Enfin, les tensions géopolitiques mondiales sont très fortes. En ce qui concerne l'Europe, l'activité au sein de l'union monétaire pourrait également ralentir en raison des incertitudes qui pèsent sur la situation politique de certains pays. La récente attaque décidée par le Gouvernement en Syrie et le risque de représailles peuvent-ils dissuader certains investisseurs d'envisager leur installation en France ? Plus largement, la montée des populistes et des eurosceptiques peuvent-ils dissuader les entreprises d'investir en Europe ? L'enjeu pour la France, en matière de développement économique, n'est-il pas finalement de politique étrangère ?
Il n'y a plus de cycles économiques dans les prévisions : les taux sont de 2 %, 1,9 %, 1,7 % et l'on ne parle pas de ralentissement économique, dont de nombreux économistes pensent pourtant qu'il a été amorcé avec la remontée des taux d'intérêt. Quelle est l'opinion du Haut Conseil à ce sujet ? On lit, à la page 16 de l'avis, que les écarts de production s'inverseront à partir de 2019, et l'on est continûment dans une tension croissante culminant à 1,6 point de PIB en 2022. Est-il réaliste de penser qu'il n'y aura pas une inversion de cycle à partir de 2019-2020 et un affaissement de la croissance de la zone euro et du monde ?
D'autre part, alors que notre perte de compétitivité nous a coûté 0,5 point de croissance chaque année pendant dix ans et encore 0,3 point en 2017, subitement notre commerce extérieur aurait une contribution positive en 2018, et encore en 2020, 2021 et 2022. Quels facteurs de compétitivité peuvent expliquer cette tendance ? Quel est le sérieux de prévisions qui supposent que la France regagne en compétitivité relative par rapport aux pays avec lesquels nous commerçons ?
On peut se réjouir de perspectives plutôt positives, tout en sachant qu'elles sont davantage liées à la conjoncture qu'à des efforts structurels. La prévision est effectivement un art difficile reposant sur l'analyse d'un constat, notamment celui de la croissance effective, laquelle, comme le souligne le Haut Conseil dans son avis, était liée en 2017 à l'investissement des entreprises et aux investissements dans le logement et, dans une moindre mesure, à l'amélioration de la consommation. Selon vous, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) fait-il partie des dispositifs qui ont encouragé l'investissement dans les entreprises ? Quel effet pourrait avoir sa transformation ? L'évolution de la consommation intérieure reste timide : l'heure n'est-elle pas venue de la redistribution, d'une politique plus visible de la demande pour dynamiser l'artisanat et le commerce, et avec eux la croissance ?
Vous avez évoqué les aléas, tel le prix du baril de pétrole ou l'effondrement de l'euro. Pouvez-vous revenir sur les incertitudes liées aux conditions du Brexit ? Comment estimer leur influence sur notre économie ? Quel impact attendre des mesures protectionnistes prises par les autorités américaines ? À l'échelle européenne, l'avis du Haut Conseil dit la bonne santé économique de l'Italie, mais son instabilité politique actuelle assombrit les perspectives.
Le Haut Conseil juge plausibles les enchaînements décrits dans le scénario du Gouvernement, notamment du point de vue de la consommation et donc du pouvoir d'achat, mais cette reprise ne se confirme pas sur tous les territoires, singulièrement là où l'absence de richesse privée se fait cruellement sentir sous l'effet, notamment, de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG). Pouvez-vous préciser le point de vue du Haut Conseil sur la consommation des ménages, alors que le programme de stabilité prévoit une hausse de l'inflation de 1,4 % ?
Dans le droit fil du rôle du Haut Conseil, qui est d'apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques du Gouvernement et de vérifier la cohérence de la trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques avec les engagements européens de la France, l'avis relaye la doctrine de l'orthodoxie budgétaire issue des traités européens. On constate que les chiffres de « bonne santé » de l'économie française sont surtout dus à une croissance mondiale qui est à peu près deux fois supérieure à celle de la France. Le contexte est donc fragile, en raison des questions conjoncturelles que vous avez soulignées mais surtout parce que le problème structurel du système financier international n'ayant pas été résolu, l'écart entre l'économie réelle et l'économie financière est tel que, chacun le sait, l'éclatement des bulles spéculatives est encore devant nous. Cela fragilise considérablement les prévisions à long terme, la politique proposée ne faisant qu'accroître ce risque.
L'avis est sous-tendu par la logique de l'application des politiques du Gouvernement : la réduction du rôle de l'État par la baisse des dépenses publiques et par celle des recettes – principalement celles qui sont prélevées sur les plus riches – d'une part, une politique de l'offre qui vise les revenus salariés d'autre part ; n'est-il pas écrit en toutes lettres dans le programme de stabilité que « la maîtrise des revalorisations salariales permettra notamment une nette décélération de la masse salariale publique » ? Tel est l'objectif visé, et je vous fais grâce des autres extraits qui donnent crédit à mes propos.
Ma grande inquiétude tient à ce cap politique, celui de la baisse des déficits publics présentée comme l'alpha et l'oméga, alors que le déficit public est l'un des moteurs possibles de l'économie. Faut-il rappeler que l'État est un acteur économique dont les dépenses – ses commandes – produisent des recettes ? La politique de l'offre comprime les salaires et je crains fort que l'économie française, quand viendra le retournement de conjoncture, ne se trouve en grande difficulté.
Enfin, le Haut Conseil a auditionné des organismes extérieurs à l'administration des finances, au nombre desquels Natixis. Je suis surpris qu'une banque d'investissement privée soit amenée à donner son avis sur la pertinence des prévisions macroéconomiques gouvernementales.
En 2019 se cumuleront le CICE et la baisse de cotisations sociales proposée par la majorité. Pourriez-vous préciser comment se traduira ce cumul, et en points de PIB et en montant, et définir ainsi, en creux, quel serait le niveau du déficit sans ce cumul ? Ces données ont cela d'intéressant qu'elles permettent d'illustrer la politique du « deux poids deux mesures » en matière de dette : on peut la laisser filer lorsqu'il s'agit d'alléger la fiscalité des grosses entreprises ou des hauts revenus du patrimoine, mais la dépense publique est sacrilège lorsqu'il s'agit d'investir pour aider et accompagner nos concitoyens, notamment les plus fragiles.
Je ne peux pas répondre à beaucoup de vos questions : la plupart portent sur le scénario de finances publiques et le Haut Conseil ne s'est pas exprimé à ce sujet, sinon par une incidente dans le dernier développement, sans porter d'appréciation particulière. Peut-être serai-je en mesure, cette fois en ma qualité de Premier président de la Cour des comptes, de répondre à quelques-unes de vos questions lorsque je vous présenterai le rapport sur l'exécution du budget de l'État et sur l'explication que nous avons du résultat de 2,6 % de déficit, qui résulte bien davantage d'une augmentation de la croissance que d'un effort structurel important. Cela se traduit d'ailleurs dans les chiffres, pour 2017 comme pour 2018, et c'est assumé, me semble-t-il, dans les documents du Gouvernement.
L'effort structurel étant quasi nul, l'ajustement structurel de 0,5 point de PIB en 2017 résulte de l'élasticité des recettes fiscales. Il est toujours intéressant de rechercher les raisons d'un résultat ; c'est aussi pourquoi j'ai souligné précédemment que le taux de 2,6 % de déficit auquel la France est parvenue a une explication complètement différente du déficit prévu dans la loi de finances initiale. Il faut en tout temps reconstituer précisément les facteurs pour avoir une appréciation exacte de ce qui est advenu. D'ailleurs, dans le projet de loi de programmation comme dans le programme de stabilité, l'effort structurel est plus important en 2020, 2021 et 2022. Nous ne portons d'appréciation ni ne contestons : nous disons seulement que des prévisions sont formulées, qu'elles devront se concrétiser et que le respect de ce scénario repose à la fois sur une croissance optimiste, plutôt à partir de 2020, et sur le strict respect des engagements pris. Nous n'avons aucune raison d'avoir des doutes, mais le Haut Conseil des finances publiques raisonne à partir de ce qu'il constate, et nous constatons qu'en 2017, il n'y a pas eu de maîtrise plus importante des dépenses publiques. Ces éléments sont à la fois documentés et à concrétiser. C'est l'objet des lois de finances, et l'on peut supposer que les lois de finances pour 2019, 2020 et 2021 apporteront les éléments expliquant comment la dépense publique peut diminuer en proportion du PIB. Je rappelle à M. Coquerel que la dépense publique continue d'augmenter en volume, et qu'en 2017 elle a augmenté plus sensiblement que prévu à l'origine.
En résumé, je ne suis pas en mesure de répondre à vos questions sur les finances publiques. Le Haut Conseil dit seulement que le scénario de finances publiques proposé par le Gouvernement dans le programme de stabilité repose sur des hypothèses réalistes et plausibles pour 2018 et 2019 et plus optimistes à partir de 2020, et aussi sur le strict respect d'une maîtrise de la dépense publique plus importante que par le passé. Or, l'effort de maîtrise de la dépense publique proposé dans le programme de stabilité comme dans la loi de programmation étant presque sans précédent dans l'histoire de nos finances publiques, on peut avoir quelques interrogations : l'effort structurel attendu est plus important en 2020, 2021 et 2022, avec un cycle économique qui peut justement toucher à sa fin, ce que le Gouvernement prend peut-être insuffisamment en considération puisqu'il prévoit un ralentissement de la croissance moins prononcé que ne le font beaucoup de prévisionnistes ou d'institutions internationales.
Je pense qu'il y a toujours des cycles économiques, monsieur de Courson. Ils peuvent être plus longs que dans le passé. Le Gouvernement pense en termes de cycle économique pour les plus proches années à venir mais il ne porte pas le raisonnement à son terme car quand on est parvenu en haut d'un cycle, un ralentissement suit – qui ne signifie pas une récession. Dans le scénario proposé par le Gouvernement, ce ralentissement est peu prononcé. En 2020 et 2021, tous les pays de la zone euro seront-ils exactement au même point du cycle ? Le niveau de l'économie européenne sera-t-il le même que celui de l'économie américaine sur le cycle ? À ces questions, les économistes apportent des réponses très différentes, ou nuancées. C'est pourquoi on a toujours beaucoup plus de certitudes sur l'année en cours ou sur l'année à venir, sans même parler de l'année écoulée – encore que, là encore, la prudence commande d'attendre les résultats définitifs. Voyez ce qu'il en a été pour le premier trimestre 2017 : l'INSEE estime aujourd'hui que la croissance, ce trimestre-là, n'a pas augmenté de 0,4 point, mais de 0,7 point. Quand on pense combien les esprits s'agitent parfois pour une variation de 0,1 point !
Monsieur Coquerel, la contribution du commerce extérieur à la croissance a été négative ; la croissance a été tirée par la demande intérieure. Ce sont des éléments objectifs : ces chiffres sont désormais confirmés.
Au sujet de la compétitivité et du fait que les résultats du commerce extérieur pourraient être meilleurs en 2018, nous avons eu de longs débats avec les services du Trésor et en interne. Les éléments qui nous ont été apportés confortent plutôt les estimations contenues dans le programme de stabilité, en tout cas pour les années 2018 et 2019.
Le Haut Conseil n'a pas mesuré l'impact du CICE, car ce n'est pas sa mission ; je ne peux donc vous dire, monsieur Dufrègne, le bilan que l'on peut tirer. Je pourrai vous apporter quelques éléments complémentaires lors de la présentation des rapports à venir de la Cour des comptes, quand cette évaluation aura été faite, ce qui n'est pas encore le cas, non plus que pour la transformation du CICE en allégement de charges.
Il ne m'appartient pas de dire quel est le bon niveau de prélèvements obligatoires. Le Haut Conseil raisonne en fonction des objectifs que vous arrêtez et des prévisions macroéconomiques qui permettent ensuite la construction des scénarios macroéconomiques et de finances publiques préparés par le Gouvernement et qui vous sont soumis.
Monsieur le président Migaud, vous nous dites que nous ne pouvons pas vous interroger, dans ce cadre, sur les engagements de maîtrise des dépenses publiques... C'est le supplice de Tantale !
Je tente quand même de vous poser deux questions sur la trajectoire des finances des collectivités territoriales.
D'abord, leurs dépenses d'investissement devraient augmenter de 5,7 % en 2018. C'est un niveau extrêmement élevé pour la deuxième année consécutive. On peut s'en féliciter. Mais pensez-vous que cela entraînera une forte hausse de leurs dépenses de fonctionnement dans les années suivantes ?
Ensuite, dans le programme de stabilité, pour la période 2017-2019, l'État prévoit de diminuer ses dépenses en valeur de 3,4 points de PIB. En revanche, la dépense locale diminuerait de 1,1 point en 2018 mais augmenterait de 0,8 point en 2019. Peut-on y voir une rupture de tendance ? Ce serait en effet la première fois que l'État consentirait un effort supérieur à celui des collectivités territoriales.
Parmi les facteurs d'incertitude importants, vous mentionnez la situation budgétaire des États-Unis. Le niveau de leur dette pourrait entraîner une crise des dettes souveraines. Selon vous, le risque qu'un tel phénomène se concrétise dans les prochains mois est-il faible ou réel ? Cela aurait, bien entendu, des conséquences sur la trajectoire des finances publiques de notre pays.
Pour 2018, le Haut Conseil des finances publiques estime que les scénarios décrit dans le programme de stabilité sont plausibles, tout comme les prévisions d'emploi, de masse salariale et d'inflation. Mais il mentionne aussi, comme d'ordinaire, des incertitudes, notamment en ce qui concerne les écarts de production et constate qu'au début de 2018, le taux d'utilisation des capacités de production et les difficultés de recrutement s'établissent nettement au-dessus de leur moyenne de long terme. Selon une récente étude de Pôle emploi, les entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises (PME), anticiperaient encore plus de difficultés de recrutement qu'en 2017. Dans la région des Pays de la Loire, où le taux de chômage est le plus faible de France, je rencontre constamment des chefs d'entreprise qui se heurtent à cette difficulté – récemment, le groupe Brangeon par exemple. Estimez-vous que ce risque de ce manque de main-d'oeuvre risque d'entraver la reprise économique ? Quelles conséquences pourrait-il avoir sur les estimations du taux d'utilisation des capacités de production ?
Dans la partie macroéconomique du programme de stabilité, il est indiqué que le pouvoir d'achat des ménages augmenterait nettement, de 1,9 %, en 2019, dans un contexte de création d'emplois toujours plus dynamique. Peut-on décomposer cette hausse selon les déciles de population pour mieux appréhender qui en profite le plus et qui en profite le moins ?
Merci, monsieur le président du Haut Conseil des finances publiques, pour ce document toujours aussi intéressant. C'est notre référence pour étudier le programme de stabilité et lors de la discussion du budget.
En premier lieu, vous constatez que la croissance réelle sera plus élevée que la croissance potentielle. Mais l'effort structurel a été nul en 2017, sera quasi nul en 2018. Le Gouvernement reporte, semble-t-il, tous les efforts en fin de quinquennat – aux calendes grecques ! Or, dans votre rapport, vous estimez aussi qu'un scénario de maintien d'une croissance réelle supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 est optimiste. N'y a-t-il pas là une sorte d'incohérence ?
En second lieu, dans la part de nos exportations de biens dans les exportations mondiales, qui figure à la page 22 du rapport, intègre-t-on les gros contrats, ceux que le Président de la République annonce à coups de milliards d'euros lors de ses voyages à l'étranger ?
Depuis le « rapport Pébereau » de 2005, on sait combien la dette incontrôlée est dangereuse. Les gouvernements précédents n'ont pourtant pas jugé utile d'agir sur cette situation, et la dette publique approche les 100 % du PIB – 97 % exactement en 2017, à 2 218 milliards d'euros. En 2018, ce taux devrait diminuer, à 96,4 %, grâce à la réduction du déficit et à la reprise de l'activité. Selon les prévisions, cette tendance se poursuivrait jusqu'en 2022. Jugez-vous cela possible ?
D'autre part, quel impact une hausse des taux d'intérêt aurait-elle sur cette dette ? Je ne l'ai pas vu dans le programme de stabilité. De même, le Président de la République a annoncé, dimanche, que l'État reprendra une part substantielle de la dette de la SNCF, qui s'élève à 50 milliards d'euros. Quel impact cette reprise aurait-elle sur la trajectoire des finances publiques ? Enfin le prélèvement à la source en 2019, qui est certes un outil de modernisation fiscale, aura-t-il des conséquences sur les recettes publiques d'ici 2022 ?
Je rappelle que la commission auditionne demain les responsables de la SNCF et de l'État sur la dette ferroviaire.
Les prévisions en matière de finances publiques seraient réalistes pour 2018, atteignables en 2019, et « optimistes » pour 2020-2022. Sur le taux de croissance de 1,7 % durant cette dernière période, vous êtes réservé, on le comprend, en raison du risque de retournement de la conjoncture internationale et de l'évolution des taux d'intérêt, c'est-à-dire de facteurs exogènes. Mais peut-être cette prévision de croissance de 1,7 % du Gouvernement est-elle au contraire sous-évaluée, faute de tenir compte de facteurs endogènes que sont les réformes structurelles qui ont été engagées – concernant le facteur capital, la libéralisation du marché du travail, la formation, la qualification, qui sont de nature à améliorer la productivité, la libéralisation de l'épargne pour l'investissement productif, la stratégie gouvernementale en faveur de l'innovation. Au total, n'accordez-vous pas plus de poids à des facteurs exogènes, par nature incertains, qu'à des facteurs endogènes qui tiennent à la politique économique que nous mettons en oeuvre, aux réformes structurelles que nous avons engagées, qui vont porter leurs fruits dans les années à venir et nous permettre d'atteindre un taux de croissance peut-être supérieur au 1,7 % annoncé ? Je ne crois pas à l'effet de cycle, mais plutôt au volontarisme politique.
Je rejoins l'interrogation de M. Hetzel sur le risque que fait courir la progression constante de la dette mondiale. Elle serait, fin 2017, de 237 000 milliards de dollars selon certaines estimations, de 164 000 milliards de dollars selon celle, plus modeste, du FMI. De plus, la politique de M. Trump menace la soutenabilité de la dette américaine. Tient-on suffisamment compte de ce risque dans le scénario macroéconomique du programme de stabilité ? Quel serait l'impact d'une telle crise de la dette, serait-il brutal ou pourrait-on l'amortir ?
Il apparaît que la trajectoire de la baisse des déficits se consolide et est même plus favorable que prévu, et permet de faire face à des charges ponctuelles comme la suppression de la taxe sur les dividendes ou la prise en charge en même temps du CICE et de la baisse des cotisations sociales. Avant les bonnes nouvelles économiques qui viennent de nous parvenir, on était à 2,9 % pour les deux exercices suivants. On est désormais plus à l'aise. Mais comment appréciez-vous l'impact sur cette trajectoire de la reprise partielle ou totale de la dette de la SNCF ?
J'insiste à mon tour sur la dette mondiale. Les dernières crises sont quand même celle des subprimes en 2007-2008 et celle des dettes souveraines en 2010-2011, et la dette est de nouveau supérieure, en volume du moins, à ce qu'elle était avant 2007. Parmi les écueils qui sont devant nous, vous évoquez l'inflation. Elle peut justement être liée à une crise de la dette. Pourtant, vous n'évoquez pas ce dernier facteur de fragilité. Pourquoi ?
Je souhaite vous interroger sur le financement de la dépendance. Le Président de la République l'évoquait justement lors du débat – du combat ? – télévisé de dimanche dernier. On sait qu'il est nécessaire de conforter la démarche de sortie de la procédure pour déficit excessif à l'été 2018. Le scénario de réduction des dépenses publiques annoncé par le Gouvernement nécessite un strict respect des engagements de maîtrise des dépenses publiques. Il importe donc de tenir compte de la démographie dans les prévisions macroéconomiques. Après le baby-boom, voici venu le temps du « papy-crash ». La création, envisagée, d'une cinquième branche de la sécurité sociale consacrée à la dépendance est-elle de nature à modifier substantiellement les dépenses au titre de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) et donc le scénario des dépenses publiques ?
Selon vous, l'hypothèse de croissance pour 2020-2022 est optimiste. Vous dites même que la croissance de la zone euro pourrait également pâtir d'incertitudes qui caractérisent la situation politique de certains pays et les conditions du Brexit. Dans la mission d'information parlementaire sur le Brexit, dont je suis membre, on nous a indiqué que le départ du Royaume-Uni va augmenter mécaniquement notre contribution annuelle de 3 à 6 milliards d'euros à partir de 2021. Au-delà de cet aspect, vos services ont-ils mené des études sur différents scénarios de Brexit et sur les conséquences, notamment sur les échanges commerciaux, d'un Brexit dur ? Si oui, l'impact sur nos finances publiques peut-il être très significatif à partir de 2021-2022 ?
D'autres collègues l'ont dit, la trajectoire des finances publiques dépend trop des soubresauts de la conjoncture. Celle-ci s'améliore, mais sans nous rendre des marges d'autonomie financière dignes de ce nom ni permettre le retour à une pression fiscale plus acceptable et une réduction significative du déficit. Dans une interview au Point le 21 mars dernier, Jean Arthuis, président de la commission des budgets du Parlement européen, appelait de ses voeux une véritable gouvernance économique, financière et budgétaire au niveau européen, en ces termes : « Le Mécanisme européen de stabilité financière devrait devenir un Fonds monétaire européen et la zone euro doit se doter d'un budget spécifique pour faire face aux chocs éventuels, soutenir la mise en convergence des législations nationales et accompagner les réformes structurelles. » Cette recommandation forte traduit les insuffisances du pacte de stabilité. J'aimerais connaître votre point de vue sur cette position.
Je vais continuer à vous décevoir, car je ne veux pas répondre à vos questions concernant le scénario des finances publiques. Ce n'est pas dans le mandat du Haut Conseil, et il n'a pas débattu de l'ensemble des questions que vous posez. Peut-être aurai-je la possibilité de répondre avec plus de précision à l'occasion de la présentation des rapports de la Cour des comptes sur 2018, encore que, sur un certain nombre d'engagements pris par les autorités politiques, nous n'avons pas de commentaire à faire. Lorsqu'ils se concrétiseront, nous en examinerons l'impact sur les finances publiques. Mais nous le ferons a posteriori. Les seuls éléments de commentaire que nous pouvons livrer, c'est à propos de la situation et des perspectives des finances publiques, en nous plaçant dans les scénarios proposés, en examinant ce qui se passe dans d'autres pays voisins et comment se situe la France dans la zone euro et le reste du monde.
Effectivement, un certain nombre de réformes structurelles sont engagées. Quel en sera l'impact, il est difficile de le dire. Nous constatons que le Gouvernement a décidé en conséquence de porter le taux de croissance potentielle de 1,25 % à 1,35 %, ce qui n'est pas un changement significatif. Nous pourrions porter une appréciation différente, y compris sur l'ensemble du scénario de la croissance, si l'on avait procédé à une hausse plus importante pour la croissance potentielle.
S'agissant des échanges extérieurs, le programme de stabilité retient que leur contribution redeviendra neutre ou légèrement positive, avec plusieurs arguments à l'appui, telles les livraisons à court terme pour de gros contrats comme des paquebots et des avions Rafale. Puisqu'on a posé la question, les gros contrats sont pris en compte au moment de la livraison, non de la commande. Entre les deux, il peut se passer du temps. Ce mode de prise en compte explique certaines variations des résultats du commerce extérieur d'une année sur l'autre. Il y a aussi à effectuer la correction en fonction des facteurs exceptionnels de 2016-2017 comme les crises agricoles, celle du tourisme à la suite des attentats.
Du fait d'une petite amélioration de notre compétitivité, nos parts de marché ont baissé mais se sont stabilisées à hauteur de 3 % des échanges mondiaux. Ces éléments nous ont permis de dire que, s'agissant du commerce extérieur, ce qu'avançait le Gouvernement était plausible, réaliste...
Bien entendu, à côté des facteurs exogènes comme la politique monétaire et l'environnement international, jouent des facteurs endogènes, et la politique budgétaire en est un. Le programme de stabilité prévoit un effort structurel plus important en fin de période, donc une politique budgétaire plus restrictive qu'aujourd'hui, qui peut avoir des conséquences sur la croissance. Cet aspect est-il suffisamment pris en compte dans le scénario macroéconomique du Gouvernement, qui table sur un ralentissement plus modéré en fin de cycle que ne le font beaucoup d'autres ? On peut en débattre, on verra ce qui se passe.
On constate en effet que les freins aux capacités de production, les goulots de production, les difficultés de recrutement ont beaucoup augmenté en 2017 et sont à des niveaux nettement supérieurs à la moyenne de long terme. Certains économistes prévoient que ces contraintes d'offre peuvent rapidement entraver la croissance. Mais est-ce certain ? Dans le passé, on a pu constater que ces indicateurs pouvaient atteindre un niveau élevé pendant une période plus longue sans vraiment freiner la croissance. C'est un peu ce qui se passe aux États-Unis et en Allemagne. Il est difficile d'avoir des certitudes. Cela peut entraîner des tensions et un ralentissement, mais à quel moment ? Parallèlement, des efforts de formation et quelques réformes structurelles peuvent améliorer, à terme, les capacités d'utilisation de la main-d'oeuvre. L'enchaînement de ces facteurs est incertain, et on peut dire la même chose en ce qui concerne les tensions sur l'emploi.
La réforme fiscale aux États-Unis peut-elle dégénérer en crise de la dette souveraine ? Elle soutient l'activité à court terme, mais va accroître le déficit budgétaire et peut contribuer à augmenter l'inflation au-delà des prévisions actuelles. Cela pourrait conduire la Fed à resserrer plus vite sa politique monétaire et l'augmentation de ses taux d'intérêt aurait des conséquences pour la croissance des autres pays, développés comme émergents. Mais les banques centrales manifestent une certaine prudence et si elles augmentent les taux d'intérêt, le font de façon modérée. Nous surveillons de près cette situation, mais pour l'heure ni la Banque centrale européenne (BCE), ni la Réserve fédérale des États-Unis ne se dirigent vers un resserrement budgétaire. Le programme de stabilité indique, en page 28, qu'une augmentation de 1 % des taux d'intérêt a un impact de plus de 2 milliards d'euros l'année suivante et de 19 milliards au bout de dix ans. Une telle hausse peut donc avoir des conséquences sur les marges de manoeuvre budgétaires de l'État.
Je ne peux répondre à propos de l'investissement des collectivités locales. La question n'entre pas dans notre champ.
Certains pays, en situation plus fragile, peuvent présenter des risques. Mais, s'agissant du Brexit, pour le moment, toutes les mauvaises nouvelles ne sont pas confirmées, même pour le Royaume-Uni. Les scénarios catastrophe mettent du temps, pour le moins, à se concrétiser, même s'il y aura, s'il y a déjà, des conséquences : la croissance est faible au Royaume-Uni. D'autres pays sont plus fragilisés par le niveau d'endettement, public ou privé. Autant d'aléas qui peuvent affecter la poursuite de la reprise économique et qu'il faut prendre en compte comme il faut prendre en compte des éléments plus positifs. Après tout, on a sous-estimé la croissance de 2017 – dont le taux peut encore être révisé à la hausse par l'INSEE. Les optimistes penseront de même pour 2018.
La commission examine ensuite le rapport d'information sur le programme de stabilité 2018 2022 (M. Joël Giraud, rapporteur général) et en autorise la publication.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 17 avril 2018 à 17 heures
Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Jean-Noël Barrot, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, M. Éric Coquerel, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Dominique David, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, Mme Sarah El Haïry, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, M. Stanislas Guerini, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Amélie de Montchalin, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, M. Xavier Roseren, M. Benoit Simian, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth
Excusés. - Mme Justine Benin, Mme Sophie Errante, M. Marc Le Fur, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, M. Olivier Serva, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas
Assistaient également à la réunion. - M. Xavier Breton, M. Pierre Cordier, M. M'jid El Guerrab, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian
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