Intervention de Jacques Witkowski

Réunion du mardi 20 mars 2018 à 11h30
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises :

En préambule, je signale que nous sommes le seul pays à utiliser la notion de sécurité civile, les autres préférant celle de protection civile pour décrire une réalité identique. La sémantique est parfois riche d'enseignements.

Quoi qu'il en soit, notre dispositif de sécurité ou de protection civile est extrêmement globalisé. Fruit d'une longue expérience, jalonnée d'événements souvent douloureux, il a notamment permis d'élaborer un corpus juridique et un système d'assurances essentiels pour inciter les citoyens et les structures à s'adapter. Ce dispositif est original dans sa manière d'associer étroitement les élus – l'échelon primaire de la réaction –, les citoyens concernés et l'État qui intervient au titre de l'une de ses missions régaliennes.

Issu de la Révolution française, notre système est assez unique. À chaque crise, il démontre son efficacité. Organisé autour du préfet, le dispositif opérationnel est cohérent et extrêmement réactif : les prises de décision ne nécessitant pas de passage devant un comité ou une commission, les opérations peuvent se déployer de manière immédiate sur l'ensemble du territoire, en Europe ou hors d'Europe. Pour en avoir discuté souvent avec des collègues et ministres étrangers, je peux dire que notre système est regardé avec beaucoup d'attention. La semaine dernière, j'étais en Grèce où mon homologue et le ministre chargé des situations d'urgence m'ont indiqué qu'ils aimeraient que la France puisse les aider à réorganiser leur dispositif. Je souhaitais citer cet exemple en introduction parce qu'il illustre bien le fameux précepte : « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console. » En tout cas, notre système est résilient.

Deuxième observation liminaire : depuis 2015 et les attentats, nous avons réalisé que nous avions un peu oublié la résilience, c'est-à-dire la capacité d'une population à résister à une contrainte exogène qui désorganise la vie dite normale. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à avoir oublié cette notion importante. Comme je le disais à vos collègues du Sénat, il y a deux mois, c'est un domaine où les Ultramarins peuvent malheureusement avoir des choses à apprendre à leurs compatriotes de métropole, en raison des cyclones qui s'abattent régulièrement sur leurs territoires.

Cet aspect résilience fait désormais partie des préoccupations des élus, en tout cas des maires. Les plans communaux de sauvegarde, développés depuis une dizaine d'années, concourent à cette prise de conscience : la sécurité civile est une addition d'ensembles élémentaires et elle ne peut fonctionner que lorsqu'ils sont tous emboîtés dans un engrenage qui fonctionne. La sécurité civile ne peut pas être seulement un dispositif de secours qui vient s'appliquer de manière de manière exogène.

Pour illustrer cette réflexion, je prendrais l'exemple des incendies de l'été 2017, la pire saison de feux de forêt que nous ayons connue depuis 2003. Un peu plus de 60 000 hectares de forêt avaient brûlé en 2003 ; environ 19 000 hectares ont été détruits l'an dernier. Ce chiffre est exceptionnellement élevé par rapport aux données des quinze dernières années, mais il faut rappeler que, l'an dernier, un million d'hectares ont été perdus dans les pays méditerranéens de l'espace européen.

Cet exemple démontre que, même dans des circonstances graves, notre dispositif se révèle efficace car il part de la prévention par des acteurs initiaux – entretien de la forêt dans un réseau extrêmement organisé de collectivités territoriales – et se poursuit avec des dispositifs opérationnels alliant les collectivités et l'État.

Un deuxième exemple fait écho à votre dernière question : lors de la saison cyclonique de 2017 dans l'hémisphère nord, les pertes humaines ont été incomparablement moins élevées dans les territoires français que dans les autres États, même si nous avons bien été obligés de subir des dégâts. Ce n'est pas un coup de chance. L'effet chance ou malchance peut jouer un peu, mais le résultat tient surtout aux mesures de prévention prises et appliquées sur un territoire. Parfois, les territoires ne sont pas comparables en termes de qualité de l'habitat et des infrastructures, je pense notamment au sud des États-Unis et à nos territoires. Malgré tout, il nous reste des efforts à faire et des progrès à accomplir.

Notre dispositif de résilience est fondé sur quatre éléments indissociables sans lesquels il n'aurait ni son efficience ni son efficacité ni sa pertinence.

En premier lieu, ce système doit reposer sur la vigilance, c'est-à-dire la capacité à anticiper les événements avant qu'ils ne se produisent. Il suppose un dispositif d'alerte, d'analyse des phénomènes météorologiques ou volcaniques, des mouvements d'eau, de terrain ou autres. En France, nous avons un dispositif ancien qui est doublé par une capacité d'analyse autonome que nous continuons à développer, ce qui nous permet de confronter les systèmes.

D'aucuns estiment que le système américain est meilleur que celui de Météo France, parce qu'il fait davantage appel à l'informatique, à internet, etc. Effectivement, il est toujours possible de trouver un internaute qui a théorisé quelque chose, au fin fond de l'Arizona. On regarde, on n'exclut jamais rien. Néanmoins, on se fonde sur des capacités de calculs et de prévision qui essaient d'être modélisées de manière certaine. La difficulté est que, dans ce domaine complexe, la certitude scientifique n'est possible que lorsque l'expérience a été validée. On sait qu'un cyclone est de catégorie 5 lorsqu'il est là, d'où la difficulté à prendre des décisions.

Nous surveillons la survenue de tous les événements météorologiques le plus en amont possible mais il est rare d'avoir une certitude absolue sur les événements, sans parler des trajectoires. Prenons l'exemple de la série des cinq cyclones que nous avons connus, de manière exceptionnelle, début septembre aux Antilles. Deux d'entre eux sont passés de simple dépression modérée à cyclone de catégorie 5 en vingt-quatre heures, ce qui est quasiment du jamais vu dans l'histoire de la météo. Quant au cyclone qui a touché les îles Loyauté, il y a huit jours, il est passé à la catégorie 5 en quelques heures avant de redescendre en catégorie 3 dans le même laps de temps, sans que les modèles météo ne puissent conduire à des certitudes absolues.

En outre, le champ de déplacement de ce type d'événements peut être assez large puisque, par rapport à un axe médian, il peut se déplacer de 200 kilomètres d'un côté ou de l'autre, dans un délai de vingt-quatre heures, en fonction de la vitesse. Dans l'axe, vous observez des effets majeurs ; à cinquante kilomètres près, c'est très différent.

Depuis la tempête Xynthia, qui s'est abattue en 2010, la partie anticipation a beaucoup progressé parce que nous avons beaucoup appris de ce phénomène. Nous nous sommes souvenus que des phénomènes cycloniques pouvaient toucher des zones tempérées. Nous avons modélisé, grâce au système LiDAR – acronyme de light detection and ranging, en français : détection et estimation de la distance par la lumière –, la totalité du littoral métropolitain et une partie du littoral ultramarin, ce qui nous permet de connaître avec certitude l'application du niveau des eaux, donc la submersion marine sur les côtes. Ces sujets sont un peu décapants parce que les gens ont parfois du mal à imaginer qu'ils pourront avoir les pieds dans l'eau quand cela ne s'est encore jamais produit. C'est l'une des difficultés de résilience que nous pouvons rencontrer. Nous devons donc garder en France une qualité en matière de vigilance et de prévision à l'égard de tous ces phénomènes.

Deuxième pilier sur lequel repose notre dispositif : diffuser l'alerte. Il est évidemment lié à la vigilance : une fois qu'on a la capacité de regarder devant, il faut rapprocher la distance. En voiture, on met les phares pour essayer de voir ce qui peut arriver et, à partir de là, on décide de freiner, d'accélérer ou de tourner. En matière de sécurité civile et de gestion de crise, il faut diffuser l'alerte le plus tôt possible pour que les services compétents et les populations civiles se préparent à la crise. Les premiers doivent vérifier qu'ils sont en mesure d'y faire face ; les secondes doivent envisager l'éventualité d'être évacuées.

Outre-mer, on connaît bien ces sujets. On demande aux gens d'être autonomes en eau potable et en denrées alimentaires pendant au moins quarante-huit heures. On leur demande d'élaguer les branches qui pourraient menacer des câbles électriques ou téléphoniques, et d'enlever les embâcles qui pourraient obstruer les cours d'eau ou les talwegs. Il faut le faire à l'avance car, à deux heures de l'événement, on devra s'occuper d'autre chose.

Troisième pilier : les mesures de protection préventive, que nous avons développées au fil du temps et qui se révèlent efficaces. Ces mesures s'additionnent, en partant d'une planification nationale. En France, la planification est globale et, à ma connaissance, elle prend en compte tous les risques : nucléaires, météorologiques, industriels, de mouvements de population, d'attentats, etc.

Cette planification peut paraître un peu « soviétique », en ce sens qu'elle prévoit beaucoup de choses qui, bien souvent, ne se produiront pas. Lorsque j'étais jeune directeur de cabinet, l'un des premiers préfets auxquels j'ai eu affaire m'avait dit : « Les plans, monsieur Witkowski, c'est ce qui est dans l'armoire et que vous ne regarderez pas en cas de crise. Néanmoins, je vous conseille de les connaître. » Quand l'événement survient, on n'a effectivement pas le temps de tout redéployer. Ces plans permettent néanmoins de programmer, de détecter les failles et, surtout, de s'entraîner.

La planification est donc vitale et elle doit être complète, globale et mise à jour. Elle doit donner lieu à des entraînements auxquels, depuis une dizaine d'années, nous associons de plus en plus fréquemment les collectivités locales, contrairement à ce qui se pratiquait par le passé. L'entraînement à la gestion de crise est désormais bien déployé dans les services de l'État. Parmi nos éventuelles préconisations collectives, nous pourrions peut-être demander à ce que les élus fassent des stages communs avec les fonctionnaires de l'État et ceux des collectivités parce que c'est en se connaissant qu'on est meilleur.

La planification repose sur une organisation déployée de l'État, du niveau national jusqu'au niveau local. En France, les préfets de département et les préfets de zone de défense et de sécurité organisent tous les moyens de la puissance publique, voire privée, pour réagir à la crise. Cette caractéristique nous permet d'avoir une réactivité et une efficience qui nous sont souvent jalousées, y compris par de grands pays. Ce modèle nous permet d'organiser une réponse complète, y compris par la voie de la réquisition de moyens privés lorsque c'est nécessaire. L'organisation de l'état-major joue aussi un rôle très important.

La planification repose également sur la déclinaison locale de l'organisation de crise. Tout cela s'applique à des territoires réels, organisés à partir d'une cellule élémentaire de notre organisation sociale et politique : la commune. Dans la loi, les textes réglementaires et les faits, le maire est le point de contact de la population et il est aussi chargé par ses concitoyens d'organiser la réponse locale à la crise. Il connaît son territoire et sa population, et il peut mettre en place des moyens de réponse élémentaires à une situation de crise. À très court terme, nous ne pourrions pas héberger des gens qui ont perdu – momentanément ou définitivement – leur logement, si les maires ne mettaient pas des locaux communaux et du personnel à notre disposition. De même, en matière d'indemnisation, sans les centres communaux d'action sociale (CCAS), il serait très compliqué de faire ce que nous appelons la logistique du dernier mètre, sans laquelle la gestion de crise est un échec. La réponse s'organise autour de la puissance publique étatique, mais elle serait inopérante sans l'organisation des collectivités territoriales.

Il faut aussi que nos concitoyens connaissent les mesures de prévention. Des travaux et des progrès restent à faire dans ce domaine, même si les nouveaux outils de communication, en particulier les smartphones, permettent une irrigation en profondeur du territoire et donc une meilleure diffusion de ces données. Il faut aussi que les citoyens s'approprient ces données.

Le secours doit-il être payant ou gratuit ? Ce débat récurrent va durer encore quelques années. D'aucuns pensent que l'actuel système de gratuité génère des excès. Quoi qu'il en soit, il est universel. Nous sommes très attachés au fait de pouvoir déployer la même qualité de secours, avec le même enthousiasme et la même efficacité, quel que soit le point du territoire où ils s'exercent. Néanmoins, il faut pouvoir aussi limiter les activités à risque, qu'elles soient collectives ou individuelles, grâce à une meilleure connaissance des risques. En cette saison d'enneigement exceptionnel, nous constatons que d'aucuns continuent à prendre des risques connus qui, malheureusement, peuvent se terminer de manière dramatique.

Pour continuer à irriguer le territoire, la diffusion d'alertes est vitale. Ne négligeons pas des moyens anciens qui peuvent paraître désuets – notamment l'alerte par sirène – qui n'excluent pas les outils modernes. Nous commettrions une erreur par simplification en pensant que le smartphone peut remplacer toutes les alertes. Personnellement, lorsque je dors, on peut m'envoyer quinze SMS, cela ne me réveillera pas ! D'autres ont peut-être le sommeil plus léger… Dans mon cas, il vaut mieux passer par le téléphone pour m'alerter – ce qui arrive fréquemment. La sirène reste un moyen d'alerte global et elle garde sa pertinence notamment la nuit et quand une panne d'électricité met les réseaux téléphoniques hors service. La diffusion des alertes le plus profondément et individuellement possible, avec le développement d'une géolocalisation alliée au risque, constituera une avancée assez intéressante tout en n'étant pas universelle.

Quatrième et dernier pilier : des secours entraînés et efficaces, qui puissent à la fois être résilients eux-mêmes et capables de couvrir la totalité des risques connus. Le dispositif français est parmi les plus performants et les plus déployés au monde. En premier lieu, il repose sur 250 000 sapeurs-pompiers volontaires et professionnels civils ou militaires. Les 194 000 sapeurs-pompiers volontaires réalisent à eux seuls 66 % des interventions effectuées sur le territoire national. Les sapeurs-pompiers interviennent toutes les 6,9 secondes, disons toutes les sept secondes, chaque jour en France. Au cours de ces 12 000 interventions quotidiennes, quelque 10 000 personnes sont secourues.

Sur l'ensemble de l'hexagone, Corse incluse, entre le moment où la personne compose le 18 et le moment où les sauveteurs interviennent, il s'écoule en moyenne onze minutes, de jour comme de nuit, quel que soit le lieu ou la distance. Bien évidemment, la réaction est souvent plus rapide à Paris intra-muros que lorsqu'il faut parcourir une vingtaine de kilomètres.

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