Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Réunion du mardi 20 mars 2018 à 11h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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L'audition débute à onze heures trente-cinq.

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Chers collègues, pour notre audition du jour nous avons le plaisir d'accueillir trois représentants du ministère de l'intérieur : M. Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, Mme Sophie Salaün-Baron, chef de la mission catastrophes naturelles et M. Karim Kerzazi, chef du bureau de l'alerte, de la sensibilisation et de l'éducation des publics.

En préambule, je vous rappelle que notre mission a pour objet de mieux cerner les politiques publiques à la fois en termes d'anticipation et de gestion des événements climatiques majeurs, notamment en zone littorale. Elle s'intéresse aussi à la manière dont on reconstruit l'étape suivante, ce qui est fondamental pour mieux appréhender ces risques.

Aujourd'hui, nous allons nous concentrer sur les phases d'anticipation et d'alerte, de sécurisation des populations et de gestion de la crise au moment où elle survient.

Sans plus tarder, je passe la parole à notre rapporteur qui entrera dans le détail de l'objet de cette audition.

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Je vais, en effet, formuler les questions précises auxquelles nous souhaiterions avoir vos réponses.

Comment est organisée la réponse aux alertes résultant d'événements climatiques majeurs ? Des plans de gestion de ces urgences sont-ils formalisés ?

Existe-t-il des plans spécifiques dans les zones littorales et dans les territoires ultramarins ?

Quelles sont les opérations-types planifiées en cas de survenue d'un événement climatique majeur ? Comment est assurée l'alerte des populations ?

Quelle est l'articulation entre les différents acteurs : ministère de l'intérieur, préfectures, secours, hôpitaux, collectivités locales ? Y a-t-il eu des modifications des plans de crise des événements climatiques majeurs à la suite des dernières tempêtes ou ouragans comme Xynthia ?

Pouvez-vous analyser les ouragans de cet automne s'agissant de la gestion de la crise ? Quels enseignements en tirez-vous ? Quels points pourraient être encore améliorés ? Avez-vous des recommandations pour améliorer la gestion des événements climatiques majeurs dans les zones littorales ?

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Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises

En préambule, je signale que nous sommes le seul pays à utiliser la notion de sécurité civile, les autres préférant celle de protection civile pour décrire une réalité identique. La sémantique est parfois riche d'enseignements.

Quoi qu'il en soit, notre dispositif de sécurité ou de protection civile est extrêmement globalisé. Fruit d'une longue expérience, jalonnée d'événements souvent douloureux, il a notamment permis d'élaborer un corpus juridique et un système d'assurances essentiels pour inciter les citoyens et les structures à s'adapter. Ce dispositif est original dans sa manière d'associer étroitement les élus – l'échelon primaire de la réaction –, les citoyens concernés et l'État qui intervient au titre de l'une de ses missions régaliennes.

Issu de la Révolution française, notre système est assez unique. À chaque crise, il démontre son efficacité. Organisé autour du préfet, le dispositif opérationnel est cohérent et extrêmement réactif : les prises de décision ne nécessitant pas de passage devant un comité ou une commission, les opérations peuvent se déployer de manière immédiate sur l'ensemble du territoire, en Europe ou hors d'Europe. Pour en avoir discuté souvent avec des collègues et ministres étrangers, je peux dire que notre système est regardé avec beaucoup d'attention. La semaine dernière, j'étais en Grèce où mon homologue et le ministre chargé des situations d'urgence m'ont indiqué qu'ils aimeraient que la France puisse les aider à réorganiser leur dispositif. Je souhaitais citer cet exemple en introduction parce qu'il illustre bien le fameux précepte : « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console. » En tout cas, notre système est résilient.

Deuxième observation liminaire : depuis 2015 et les attentats, nous avons réalisé que nous avions un peu oublié la résilience, c'est-à-dire la capacité d'une population à résister à une contrainte exogène qui désorganise la vie dite normale. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à avoir oublié cette notion importante. Comme je le disais à vos collègues du Sénat, il y a deux mois, c'est un domaine où les Ultramarins peuvent malheureusement avoir des choses à apprendre à leurs compatriotes de métropole, en raison des cyclones qui s'abattent régulièrement sur leurs territoires.

Cet aspect résilience fait désormais partie des préoccupations des élus, en tout cas des maires. Les plans communaux de sauvegarde, développés depuis une dizaine d'années, concourent à cette prise de conscience : la sécurité civile est une addition d'ensembles élémentaires et elle ne peut fonctionner que lorsqu'ils sont tous emboîtés dans un engrenage qui fonctionne. La sécurité civile ne peut pas être seulement un dispositif de secours qui vient s'appliquer de manière de manière exogène.

Pour illustrer cette réflexion, je prendrais l'exemple des incendies de l'été 2017, la pire saison de feux de forêt que nous ayons connue depuis 2003. Un peu plus de 60 000 hectares de forêt avaient brûlé en 2003 ; environ 19 000 hectares ont été détruits l'an dernier. Ce chiffre est exceptionnellement élevé par rapport aux données des quinze dernières années, mais il faut rappeler que, l'an dernier, un million d'hectares ont été perdus dans les pays méditerranéens de l'espace européen.

Cet exemple démontre que, même dans des circonstances graves, notre dispositif se révèle efficace car il part de la prévention par des acteurs initiaux – entretien de la forêt dans un réseau extrêmement organisé de collectivités territoriales – et se poursuit avec des dispositifs opérationnels alliant les collectivités et l'État.

Un deuxième exemple fait écho à votre dernière question : lors de la saison cyclonique de 2017 dans l'hémisphère nord, les pertes humaines ont été incomparablement moins élevées dans les territoires français que dans les autres États, même si nous avons bien été obligés de subir des dégâts. Ce n'est pas un coup de chance. L'effet chance ou malchance peut jouer un peu, mais le résultat tient surtout aux mesures de prévention prises et appliquées sur un territoire. Parfois, les territoires ne sont pas comparables en termes de qualité de l'habitat et des infrastructures, je pense notamment au sud des États-Unis et à nos territoires. Malgré tout, il nous reste des efforts à faire et des progrès à accomplir.

Notre dispositif de résilience est fondé sur quatre éléments indissociables sans lesquels il n'aurait ni son efficience ni son efficacité ni sa pertinence.

En premier lieu, ce système doit reposer sur la vigilance, c'est-à-dire la capacité à anticiper les événements avant qu'ils ne se produisent. Il suppose un dispositif d'alerte, d'analyse des phénomènes météorologiques ou volcaniques, des mouvements d'eau, de terrain ou autres. En France, nous avons un dispositif ancien qui est doublé par une capacité d'analyse autonome que nous continuons à développer, ce qui nous permet de confronter les systèmes.

D'aucuns estiment que le système américain est meilleur que celui de Météo France, parce qu'il fait davantage appel à l'informatique, à internet, etc. Effectivement, il est toujours possible de trouver un internaute qui a théorisé quelque chose, au fin fond de l'Arizona. On regarde, on n'exclut jamais rien. Néanmoins, on se fonde sur des capacités de calculs et de prévision qui essaient d'être modélisées de manière certaine. La difficulté est que, dans ce domaine complexe, la certitude scientifique n'est possible que lorsque l'expérience a été validée. On sait qu'un cyclone est de catégorie 5 lorsqu'il est là, d'où la difficulté à prendre des décisions.

Nous surveillons la survenue de tous les événements météorologiques le plus en amont possible mais il est rare d'avoir une certitude absolue sur les événements, sans parler des trajectoires. Prenons l'exemple de la série des cinq cyclones que nous avons connus, de manière exceptionnelle, début septembre aux Antilles. Deux d'entre eux sont passés de simple dépression modérée à cyclone de catégorie 5 en vingt-quatre heures, ce qui est quasiment du jamais vu dans l'histoire de la météo. Quant au cyclone qui a touché les îles Loyauté, il y a huit jours, il est passé à la catégorie 5 en quelques heures avant de redescendre en catégorie 3 dans le même laps de temps, sans que les modèles météo ne puissent conduire à des certitudes absolues.

En outre, le champ de déplacement de ce type d'événements peut être assez large puisque, par rapport à un axe médian, il peut se déplacer de 200 kilomètres d'un côté ou de l'autre, dans un délai de vingt-quatre heures, en fonction de la vitesse. Dans l'axe, vous observez des effets majeurs ; à cinquante kilomètres près, c'est très différent.

Depuis la tempête Xynthia, qui s'est abattue en 2010, la partie anticipation a beaucoup progressé parce que nous avons beaucoup appris de ce phénomène. Nous nous sommes souvenus que des phénomènes cycloniques pouvaient toucher des zones tempérées. Nous avons modélisé, grâce au système LiDAR – acronyme de light detection and ranging, en français : détection et estimation de la distance par la lumière –, la totalité du littoral métropolitain et une partie du littoral ultramarin, ce qui nous permet de connaître avec certitude l'application du niveau des eaux, donc la submersion marine sur les côtes. Ces sujets sont un peu décapants parce que les gens ont parfois du mal à imaginer qu'ils pourront avoir les pieds dans l'eau quand cela ne s'est encore jamais produit. C'est l'une des difficultés de résilience que nous pouvons rencontrer. Nous devons donc garder en France une qualité en matière de vigilance et de prévision à l'égard de tous ces phénomènes.

Deuxième pilier sur lequel repose notre dispositif : diffuser l'alerte. Il est évidemment lié à la vigilance : une fois qu'on a la capacité de regarder devant, il faut rapprocher la distance. En voiture, on met les phares pour essayer de voir ce qui peut arriver et, à partir de là, on décide de freiner, d'accélérer ou de tourner. En matière de sécurité civile et de gestion de crise, il faut diffuser l'alerte le plus tôt possible pour que les services compétents et les populations civiles se préparent à la crise. Les premiers doivent vérifier qu'ils sont en mesure d'y faire face ; les secondes doivent envisager l'éventualité d'être évacuées.

Outre-mer, on connaît bien ces sujets. On demande aux gens d'être autonomes en eau potable et en denrées alimentaires pendant au moins quarante-huit heures. On leur demande d'élaguer les branches qui pourraient menacer des câbles électriques ou téléphoniques, et d'enlever les embâcles qui pourraient obstruer les cours d'eau ou les talwegs. Il faut le faire à l'avance car, à deux heures de l'événement, on devra s'occuper d'autre chose.

Troisième pilier : les mesures de protection préventive, que nous avons développées au fil du temps et qui se révèlent efficaces. Ces mesures s'additionnent, en partant d'une planification nationale. En France, la planification est globale et, à ma connaissance, elle prend en compte tous les risques : nucléaires, météorologiques, industriels, de mouvements de population, d'attentats, etc.

Cette planification peut paraître un peu « soviétique », en ce sens qu'elle prévoit beaucoup de choses qui, bien souvent, ne se produiront pas. Lorsque j'étais jeune directeur de cabinet, l'un des premiers préfets auxquels j'ai eu affaire m'avait dit : « Les plans, monsieur Witkowski, c'est ce qui est dans l'armoire et que vous ne regarderez pas en cas de crise. Néanmoins, je vous conseille de les connaître. » Quand l'événement survient, on n'a effectivement pas le temps de tout redéployer. Ces plans permettent néanmoins de programmer, de détecter les failles et, surtout, de s'entraîner.

La planification est donc vitale et elle doit être complète, globale et mise à jour. Elle doit donner lieu à des entraînements auxquels, depuis une dizaine d'années, nous associons de plus en plus fréquemment les collectivités locales, contrairement à ce qui se pratiquait par le passé. L'entraînement à la gestion de crise est désormais bien déployé dans les services de l'État. Parmi nos éventuelles préconisations collectives, nous pourrions peut-être demander à ce que les élus fassent des stages communs avec les fonctionnaires de l'État et ceux des collectivités parce que c'est en se connaissant qu'on est meilleur.

La planification repose sur une organisation déployée de l'État, du niveau national jusqu'au niveau local. En France, les préfets de département et les préfets de zone de défense et de sécurité organisent tous les moyens de la puissance publique, voire privée, pour réagir à la crise. Cette caractéristique nous permet d'avoir une réactivité et une efficience qui nous sont souvent jalousées, y compris par de grands pays. Ce modèle nous permet d'organiser une réponse complète, y compris par la voie de la réquisition de moyens privés lorsque c'est nécessaire. L'organisation de l'état-major joue aussi un rôle très important.

La planification repose également sur la déclinaison locale de l'organisation de crise. Tout cela s'applique à des territoires réels, organisés à partir d'une cellule élémentaire de notre organisation sociale et politique : la commune. Dans la loi, les textes réglementaires et les faits, le maire est le point de contact de la population et il est aussi chargé par ses concitoyens d'organiser la réponse locale à la crise. Il connaît son territoire et sa population, et il peut mettre en place des moyens de réponse élémentaires à une situation de crise. À très court terme, nous ne pourrions pas héberger des gens qui ont perdu – momentanément ou définitivement – leur logement, si les maires ne mettaient pas des locaux communaux et du personnel à notre disposition. De même, en matière d'indemnisation, sans les centres communaux d'action sociale (CCAS), il serait très compliqué de faire ce que nous appelons la logistique du dernier mètre, sans laquelle la gestion de crise est un échec. La réponse s'organise autour de la puissance publique étatique, mais elle serait inopérante sans l'organisation des collectivités territoriales.

Il faut aussi que nos concitoyens connaissent les mesures de prévention. Des travaux et des progrès restent à faire dans ce domaine, même si les nouveaux outils de communication, en particulier les smartphones, permettent une irrigation en profondeur du territoire et donc une meilleure diffusion de ces données. Il faut aussi que les citoyens s'approprient ces données.

Le secours doit-il être payant ou gratuit ? Ce débat récurrent va durer encore quelques années. D'aucuns pensent que l'actuel système de gratuité génère des excès. Quoi qu'il en soit, il est universel. Nous sommes très attachés au fait de pouvoir déployer la même qualité de secours, avec le même enthousiasme et la même efficacité, quel que soit le point du territoire où ils s'exercent. Néanmoins, il faut pouvoir aussi limiter les activités à risque, qu'elles soient collectives ou individuelles, grâce à une meilleure connaissance des risques. En cette saison d'enneigement exceptionnel, nous constatons que d'aucuns continuent à prendre des risques connus qui, malheureusement, peuvent se terminer de manière dramatique.

Pour continuer à irriguer le territoire, la diffusion d'alertes est vitale. Ne négligeons pas des moyens anciens qui peuvent paraître désuets – notamment l'alerte par sirène – qui n'excluent pas les outils modernes. Nous commettrions une erreur par simplification en pensant que le smartphone peut remplacer toutes les alertes. Personnellement, lorsque je dors, on peut m'envoyer quinze SMS, cela ne me réveillera pas ! D'autres ont peut-être le sommeil plus léger… Dans mon cas, il vaut mieux passer par le téléphone pour m'alerter – ce qui arrive fréquemment. La sirène reste un moyen d'alerte global et elle garde sa pertinence notamment la nuit et quand une panne d'électricité met les réseaux téléphoniques hors service. La diffusion des alertes le plus profondément et individuellement possible, avec le développement d'une géolocalisation alliée au risque, constituera une avancée assez intéressante tout en n'étant pas universelle.

Quatrième et dernier pilier : des secours entraînés et efficaces, qui puissent à la fois être résilients eux-mêmes et capables de couvrir la totalité des risques connus. Le dispositif français est parmi les plus performants et les plus déployés au monde. En premier lieu, il repose sur 250 000 sapeurs-pompiers volontaires et professionnels civils ou militaires. Les 194 000 sapeurs-pompiers volontaires réalisent à eux seuls 66 % des interventions effectuées sur le territoire national. Les sapeurs-pompiers interviennent toutes les 6,9 secondes, disons toutes les sept secondes, chaque jour en France. Au cours de ces 12 000 interventions quotidiennes, quelque 10 000 personnes sont secourues.

Sur l'ensemble de l'hexagone, Corse incluse, entre le moment où la personne compose le 18 et le moment où les sauveteurs interviennent, il s'écoule en moyenne onze minutes, de jour comme de nuit, quel que soit le lieu ou la distance. Bien évidemment, la réaction est souvent plus rapide à Paris intra-muros que lorsqu'il faut parcourir une vingtaine de kilomètres.

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Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises

Il s'agit d'une durée moyenne, remarquable si l'on compare la France à d'autres pays.

Ce dispositif nécessite que 3 000 sapeurs-pompiers soient, chaque jour, à pied d'oeuvre. Le système ne saurait fonctionner sans les associations de sécurité civile – nous pouvons compter sur 70 000 personnes, formées, qui sont notamment présentes sur les grands événements. Après le passage d'Irma, nous avons déployé de nombreux associatifs aux côtés des sauveteurs. Ils sont intervenus dans les domaines du secours aux personnes, du soutien psychologique – important en post-traumatique –, et du rétablissement des communications. Des associations comme « Internet sans frontière » oeuvrent afin que les sinistrés puissent retrouver le plus rapidement possible une vie sociale.

Ces moyens sont évidemment complétés par les services de police et de gendarmerie, qui concourent aussi aux secours, et, lorsque c'est nécessaire, par les forces armées.

Enfin, et la France est unique de ce point de vue, les trois unités militaires de la sécurité civile peuvent être mobilisées en renfort des moyens locaux. Il peut s'agir d'hélicoptères et d'avions, de moyens de transmissions supplémentaires, mais aussi d'équipes spécialisées, dans le déminage par exemple.

Ces quatre piliers d'organisation reposent sur quatre niveaux de gestion de crise : le niveau communal, où le maire, premier acteur de la sécurité civile, dispose d'une capacité de réaction organisée et pensée grâce au plan communal de sauvegarde ; le niveau départemental – territorial pour l'outre-mer – autour du préfet ou du haut-commissaire lorsqu'il est encore compétent ; le niveau zonal, avec les zones de défense, supra-organisationnel, pourvoyeur de moyens ou coordinateur de gestion ; le niveau national, autour du directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises et d'un état-major de crise permanent, qui anticipe, suit l'événement 24 heures sur 24, anime et coordonne la gestion de crise.

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Nous l'avons compris, et nous en sommes persuadés : le système français de prévision des événements météorologiques est de grande qualité, d'un niveau comparable au système américain. Mais nous avons aussi pu pointer des manques lors de nos déplacements : ainsi, à Saint-Martin, dans la partie des Antilles où les phénomènes de houle sont les plus importants, l'installation d'un houlographe permettrait de mieux anticiper les événements.

Par ailleurs, c'est une préfète déléguée qui est en poste à Saint-Martin et qui a géré la crise. Ne serait-il pas plus efficace, dans cette région particulièrement exposée, que ce soit un préfet, ou une préfète, disposant de pleins pouvoirs, qui soit nommé ? Cela ne permettrait-il pas de raccourcir les délais de décision et de mettre en place plus rapidement les dispositifs d'aide ?

Enfin, ne faudrait-il pas envisager un dispositif semblable au dispositif « alerte enlèvement », qui diffuse toutes les informations et évite que les personnes n'aillent glaner sur internet des informations parfois non fondées ?

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Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises

Sans doute faudrait-il envisager la pose d'un houlographe à Saint-Martin, et en d'autres lieux. Il serait pertinent de pouvoir disposer d'une mesure des phénomènes submersifs, que l'on sait par ailleurs modéliser de manière très précise.

Sur certains risques, comme les inondations, nous devrions peut-être réfléchir collectivement à un durcissement du dispositif réglementaire et législatif en matière d'évacuation. En effet, l'évacuation peut être prononcée par l'autorité locale, notamment le préfet, mais ce n'est que dans de très rares cas qu'elle peut être contrainte.

Vous avez tous vu ces images de personnes qui restent dans leur maison, alors que l'eau arrive à mi-porte. Dans le cas d'Irma, nous avons dû faire face au refus de certaines personnes d'évacuer, alors que nous savions pertinemment que leur maison serait inondée, avec un risque de décès avéré.

Très peu de pays pratiquent l'évacuation contrainte. La réflexion à conduire n'est pas simple : peut-être faut-il améliorer l'évacuation, avec une information plus efficiente, qui pourrait passer, dans des cas extrêmes, par une notification d'évacuation plus directive ? Contraindre quelqu'un à quitter son domicile, c'est se heurter au droit de propriété. Mais le laisser dans son habitat alors qu'il est en danger, n'est-ce pas là une limite de l'exercice de la puissance publique ? C'est une question de droit complexe, mais nous devons nous la poser collectivement.

Le fait que la personne en charge de la crise, lors de la succession des trois cyclones à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, n'était « que » préfète déléguée auprès du préfet de la Guadeloupe n'a été en aucun cas un obstacle à la mise en oeuvre et à l'application du dispositif opérationnel de secours. Elle a monté son centre opérationnel de secours et a traité directement avec nous, à Paris. Bien sûr, le préfet de la zone de défense, qui est le préfet de la Martinique, a été intégré au dispositif, ainsi que le préfet de la Guadeloupe, puisque nous avions décidé d'installer un hub logistique. Mais le préfet de la Guadeloupe a totalement délégué la gestion des opérations à la préfète déléguée. Le problème que nous avons rencontré est d'une tout autre nature : les communications ont été interrompues pendant trente-six heures.

Améliorer la diffusion de l'alerte, en outre-mer comme en métropole, est un sujet de préoccupation majeur. Pour avoir été longtemps en poste outre-mer, notamment comme préfet, je sais que les conventions avec les médias audiovisuels ultramarins sont actives et efficientes. De mémoire, y compris lors des derniers événements cycloniques, jamais un média ultramarin n'a rechigné à diffuser les alertes.

Vous l'avez dit, et ce fut flagrant lors des derniers événements aux Antilles, on se trouve en concurrence avec des personnes qui s'informent sur des canaux non officiels et viennent sans cesse contredire nos prévisions. Or il existe des incertitudes, qui font d'ailleurs toute la difficulté d'appliquer un dispositif opérationnel. On l'a vu avec Maria, le fait que le cyclone se soit décalé de 20 kilomètres au sud dans la dernière heure a changé complètement la physionomie de l'événement ; les dégâts ne sont pas du tout les mêmes avec des vents plus forts de 50 kilomètres par heure. Vous trouverez toujours quelqu'un qui s'enorgueillira d'avoir fait cette prévision ; nous, nous nous efforçons d'appliquer des modèles, les plus exacts possible.

L'information de la population mérite toujours d'être améliorée. On rappelle toujours, outre-mer, l'intérêt d'avoir chez soi une petite radio, avec des piles. Lors de la crise d'Irma, un analyste s'est étonné qu'il faille entretenir le réseau de radioamateur à l'heure des moyens modernes de communication. Mais c'est un peu comme pour les sirènes : lorsque tout tombe, il n'y a plus que la radio qui passe. Il ne faut certes pas ignorer le smartphone, un moyen formidable de communication, mais il faut aussi conserver des moyens minimums de résilience.

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Pour prolonger vos propos, ne faudrait-il pas créer une situation juridique de « mise en péril provisoire et imminent » ?

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Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises

Cette question a été posée à plusieurs reprises dans l'histoire de la sécurité civile ; elle mériterait aujourd'hui d'être creusée. Face à certains périls, les gens évacuent facilement : personne ne reste dans sa maison lorsqu'elle est menacée par un feu de forêt. On convainc assez vite les gens de la nécessité de partir car, dans l'inconscient collectif, le feu peut entraîner la mort immédiatement. Mais il est moins facile, quand la mer est calme, d'expliquer aux habitants, soucieux de protéger leurs biens, qu'il faut partir car il y aura dans cinq heures une submersion marine, avec une rupture possible de digue.

Imaginons une situation où quelqu'un décide de rester dans sa maison inondée ; un affaissement de terrain s'ensuit en pleine nuit ; la maison s'effondre ; la personne périt. Qui est responsable ? La question d'un péril provisoire et imminent, pour l'évacuation des personnes, mériterait d'être posée.

Si la réflexion n'aboutit pas sur le plan juridique, elle aura au moins l'intérêt de lancer le débat, notamment sur la prise de risques pour les sauveteurs : une personne qui reste, c'est une personne que l'on identifie et pour laquelle on enverra une nouvelle équipe si le danger s'aggrave, dans des conditions bien plus difficiles.

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Merci pour cet exposé très complet, et encourageant sur certains points.

S'agissant de la prévention, quels progrès sont à espérer ? Selon vous, utilisons-nous tous les dispositifs numériques en notre possession ? Estimez-vous que les citoyens, les maires et les gendarmes sont suffisamment préparés pour coordonner leurs actions dans des situations de crise ?

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Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises

Ce sont des opérations qui se conçoivent de la même manière que les opérations militaires. Cela peut surprendre, mais il n'y a, dans notre réseau, aucune différence entre ce que nous faisons et ce que font les militaires.

Le niveau de prévention est-il suffisant ? Le directeur général que je suis vous répondra « non ». On n'atteindra jamais l'optimum, qui serait une asymptote zéro risque, zéro effet. Ensuite, sur cette courbe de Gauss, j'estime que la France se situe au milieu du chapeau : il existe des situations pour lesquelles la réflexion et la gestion ne sont pas tout à fait abouties ; mais globalement, nous sommes plutôt bien placés.

Quels sont les points d'amélioration ? D'abord, il faut entretenir la notion de résilience, quelque peu oubliée par nos concitoyens, à la manière des petites flammes, au fond des cavernes, il y a dix mille ans. Nous tendons tous à oublier, très vite : il faut donc expliquer régulièrement à nos concitoyens que le risque peut être présent. Après chaque inondation dramatique, les élus, les médias, voire le juge, se demandent comment on a laissé construire dans un endroit manifestement menacé, par un risque que l'on ne voulait pas assumer. De grands progrès ont été réalisés : tous les campings disposent aujourd'hui d'un dossier de risques et ont des moyens d'alerte ; théoriquement, on est en mesure de prévenir chaque campeur. Mais il a fallu quelques années pour parvenir à ce résultat.

Ce point de résilience est particulièrement important. L'un des leviers qui nous a permis d'y arriver est le levier assurantiel. Le dispositif de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, mis en place en 1982, a permis de progresser de manière considérable et de passer d'une notion de « risque », tirée de la théorie des jeux, à une notion de « garantie ».

Par ailleurs, l'outil de gestion des risques a été considérablement amélioré, notamment grâce à la connaissance globale des risques. Les plans de prévention des risques naturels, les plans de prévention des risques technologiques et leur sous-déclinaison, notamment dans les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les schémas de cohérence territoriale (SCOT), sont indispensables. Aujourd'hui, vous ne pouvez pas acheter un bien sans avoir connaissance de la totalité des risques connus ; si, au bout de cinq ans, vous subissez une inondation, vous pourrez toujours arguer que vous n'avez pas bien lu la carte ou que l'on ne vous avait pas suffisamment dit les choses, mais il est alors certain que vous disposiez de cette connaissance.

On doit affiner et actualiser la connaissance des risques : le ministère de la transition écologique et solidaire s'y emploie, comme le ministère de l'intérieur. Les outils informatiques nous permettent d'avoir de plus en plus recours à la modélisation. Nous sommes ainsi en train de déployer un dispositif interactif qui permettra de zoomer sur une carte de France, en allant presque jusqu'aux anciens îlots de l'INSEE, c'est-à-dire maison par maison, avec un menu déroulant faisant apparaître la population, les réseaux ou encore les hôpitaux. Un système qui doit être déployé à partir de fin 2019 ou début 2020 inclura ensuite les unités déployées sur le terrain.

Les préfets, qui commencent à avoir ces outils en main, peuvent ainsi connaître en un clin d'oeil la population recensée par l'INSEE dans une zone donnée. Il ne s'agit pas tout à fait de la population présente, bien sûr, mais c'est très utile : quand on sait qu'un nuage de pollution doit arriver dans une demi-heure – les données météorologiques étant intégrées dans l'outil informatique –, on peut déterminer combien de personnes devront être évacuées et combien de bus il faudra mobiliser. Ce sont des outils extrêmement pertinents.

Dans le cas d'Irma, mais aussi des feux de forêt, nous avons réussi à faire des modélisations en trois dimensions qui sont très intéressantes. Cela peut paraître étrange, mais les feux de forêt suivent historiquement les mêmes parcours – à peu de chose près, ils repassent aux mêmes endroits. Une fois que l'on a cartographié et modélisé tous les feux connus, on peut dire immédiatement au commandant des opérations de secours comment un feu en cours peut évoluer compte tenu de la météo. On se trompe parfois de 300 ou 400 mètres, mais guère davantage. La modélisation informatique présente un intérêt pour la gestion des crises, même si l'humain reste essentiel pour la suite.

La connaissance du risque est vitale. On ne doit pas affronter un événement sans planification préalable. Il faut savoir quelle est la nature du risque, comment il se traduit et quel est son impact. Cela permet de savoir de quels moyens il faut disposer pour la prévention, l'information des populations et leur alerte. Dans des zones susceptibles de connaître des mouvements de terrain, par exemple, les habitants doivent savoir qu'il faut partir quand la sirène retentit, mais que l'on peut vivre plus ou moins tranquillement le reste du temps.

Cela peut aussi conduire à penser, et c'est un ancien préfet qui vous parle, que l'habitat humain n'est malheureusement plus compatible avec le risque dans certaines zones, notamment littorales. Nos concitoyens doivent l'entendre. Il faudra reculer intelligemment à certains endroits car tout le littoral n'est pas protégeable : on ne peut pas construire un mur en béton suffisamment haut pour faire face à tous les risques sur 20 000 kilomètres de côtes. On a d'ailleurs vu au Japon qu'un mur en béton ne suffit pas nécessairement quand on a affaire à un tsunami.

Je pense qu'il est raisonnable de défendre certaines zones pied à pied, par exemple en ayant recours à la poldérisation, comme aux Pays-Bas, mais qu'il faudra laisser la nature reprendre ses droits ailleurs, en indemnisant correctement les habitants. J'ai connu ce type de débats lorsque j'étais en poste dans la Manche : les collectivités locales peuvent-elles investir dix millions d'euros pour protéger deux maisons en bord de mer ? Est-ce raisonnable et équitable en termes de dépenses publiques ? Ce sont de vraies questions de fond : il ne m'appartient pas d'y répondre, mais je veux souligner qu'elles se posent concrètement. Dans certaines zones, il faudra trouver des dispositifs de défense intelligents dans la durée. On s'aperçoit, en effet, que certains aménagements ne sont pas aussi pertinents qu'on le pensait : je ne veux pas jeter l'anathème sur certains maires ou riverains, mais l'enrochement n'est pas toujours la solution la plus pertinente, même si on se dit que c'est solide et que ça va tenir.

Il y a très clairement un avant et un après-Xynthia sur le plan de la connaissance et en matière de prise en compte de la résilience – c'est un peu moins vrai, en revanche, en ce qui concerne la gestion du risque : il n'y a pas eu autant de conséquences dans ce domaine. Après chaque opération d'une certaine envergure, nous imposons la réalisation d'un retour d'expérience – un « RETEX » dans notre jargon. Il faut regarder comment chaque crise a été gérée, afin d'en tirer les leçons, positives ou négatives. Il en est de même pour les exercices – le pire étant celui où tout se passe bien, car on a l'impression d'être bons et de savoir ce qu'il faut faire. À mes yeux, même si c'est un peu paradoxal à admettre parfois, un bon exercice est celui qui a échoué, car cela permet de ne pas refaire les mêmes erreurs.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, il serait intéressant de développer une culture de crise un peu plus commune entre les différents acteurs – les élus, notamment les maires, les préfets et les sous-préfets, les sapeurs-pompiers, les policiers et les gendarmes. Il faudrait organiser un peu plus systématiquement des stages ou des exercices communs d'une journée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'aimerais revenir sur la question des retours d'expérience. Vous avez dit qu'il y a eu un avant-Xynthia et un après-Xynthia : y aura-t-il aussi un avant et un après-Irma ? Ce cyclone a été d'une ampleur exceptionnelle, et nous sommes très frappés par la situation de Saint-Martin, y compris aujourd'hui encore, même s'il n'y a pas de doute sur les moyens, conséquents, qui ont été déployés. Nous avons bien vu quelles étaient capacités d'organisation au niveau départemental comme au niveau régional et quel pont aérien a été instauré – ce que vous avez appelé le hub logistique.

Au niveau national, quel usage fait-on des RETEX consécutifs à Irma ? Envisage-t-on une réponse dédiée aux outre-mer ? Tous les territoires français dans cette zone – la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin – ont été menacés. Lors de nos auditions sur place, nous avons bien senti qu'il avait fallu procéder à un arbitrage, à un moment donné, et que l'on s'était donc orienté vers une organisation régionale, garantissant des moyens suffisants pour gérer la situation sur chacune des îles. Par ailleurs, il nous est assez vite apparu évident qu'un appui national est fondamental, comme le prévoit déjà le mode d'organisation actuel.

Qu'envisage-t-on pour demain ? Il n'y a pas qu'Irma, en effet. Vous le savez, car vous avez servi à plusieurs reprises dans l'outre-mer. Je rappelle qu'il y a des territoires français dans l'hémisphère Sud et dans l'hémisphère Nord, et que nous sommes en pleine saison cyclonique dans l'océan Indien et dans le Pacifique. Des événements tragiques sont d'ailleurs en cours : l'île de Madagascar a été touchée et une nouvelle alerte a été déclenchée à La Réunion. Se dirige-t-on vers une sorte de task force nationale qui serait dédiée aux outre-mer ? Une organisation régionale de la réponse n'est pas toujours suffisante, car les moyens disponibles sur une île peuvent y être nécessaires aussi.

La mission « catastrophes naturelles » du ministère de l'intérieur, qui est notamment en charge du secteur assurantiel, doit récupérer l'ensemble des retours d'expérience : comment faites-vous pour agréger et optimiser ces travaux ? Pourrez-vous nous communiquer des éléments statistiques sur les niveaux d'indemnisation, notamment à la suite de la dernière crise qui a touché les Antilles ? Au regard de l'intensité prévisible des événements climatiques, serons-nous en mesure de répondre correctement aux demandes d'indemnisation de demain ? Par ailleurs, quelle est l'articulation entre le ministère de l'intérieur et le secteur privé ?

Ma dernière question concerne l'organisation du tissu associatif. Notre système repose beaucoup sur les bénévoles. Vous avez rappelé tout à l'heure que 66 % des interventions sont réalisées par des pompiers volontaires, ce qui est exceptionnel, mais je pense aussi aux sauveteurs en mer, qui prennent en charge 70 % de leurs propres budgets. Avez-vous des ratios concernant les interventions outre-mer ?

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Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises

Des RETEX ont systématiquement lieu. Un bureau s'en charge au sein de ma direction générale pour tous les exercices nationaux, et nous nous occupons aussi des RETEX locaux, soit en les réalisant soit en les accompagnant. En revanche, nous n'expertisons pas nous-mêmes, pour des raisons déontologiques : nous ne voulons pas être pollués par notre propre vision.

Trois RETEX ont été engagés après Irma. L'un d'eux est terminé : il s'agit d'un RETEX local, qui a été confié au préfet de la zone de défense, avec l'accompagnement de ma direction générale. Le but était de regarder comment les choses se sont passées, en lien avec les quatre préfets concernés – celui de Guyane ayant aussi apporté des moyens – et d'en tirer toutes les conclusions. Ce RETEX s'est achevé il y a dix jours et j'en attends le rapport. Deux autres RETEX, qui ne sont pas encore terminés, ont lieu au plan national. Le premier a été engagé à l'initiative du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, qui est en charge du secrétariat du centre interministériel de crise (CIC) : il s'agit de voir comment la crise a été gérée au niveau de l'état-major. Le ministre d'État, ministre de l'intérieur, a par ailleurs confié au chef de l'inspection générale de l'administration un RETEX sur la crise Irma en ce qui concerne le ministère de l'intérieur – j'ai notamment été auditionné dans ce cadre. Vous pourrez vous rapprocher du cabinet du ministre lorsque cet exercice sera achevé, ce qui ne saurait tarder, afin de prendre connaissance des conclusions.

Ces RETEX sont très importants. Un premier volet concerne le personnel : il faut regarder quel a été le comportement individuel de ceux qui ont eu à gérer la crise, ainsi que le niveau global de formation. Il y a aussi la question de l'organisation : était-elle adaptée et a-t-elle fait preuve de résilience ? Doit-elle évoluer ou non ? Les conséquences peuvent aussi être beaucoup plus larges, par exemple sur le plan assurantiel ou en matière législative. Le droit a ainsi évolué après les inondations qui ont frappé le Sud de la France il y a quelques années, ou après certains incendies dramatiques – ceux du 5-7, des Thermes de Barbotan et de Furiani. S'agissant d'Irma, il me semble que notre mission a été remplie, mais il y a forcément des leçons à tirer quand on entre dans le détail. À titre personnel, je pense que je ne referais pas tout de la même manière si j'étais confronté de nouveau à la même situation.

Notre modèle d'organisation pour l'outre-mer est-il adapté à l'éloignement et à la montée en puissance de certains risques, notamment à cause du réchauffement climatique ? De manière générale, la remise en cause doit être permanente. Je crois par ailleurs que les attentes de nos concitoyens ultramarins sont de plus en plus fortes à l'égard de la puissance publique dans ce domaine. Le système doit donc être plus performant. Vous savez que les Assises des outre-mer déboucheront sur un Livre bleu, à la demande de la ministre. En matière de sécurité, et notamment de gestion du risque, il faut assurer la résilience de notre dispositif pour les années à venir. Des travaux ont été engagés : j'ai apporté une contribution, mais je ne sais pas encore quelles seront les préconisations.

Je considère que nous avons besoin d'un système local disposant de toute la palette des moyens pour répondre à la totalité des risques. Vous savez que des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR) ont été créés il y a une vingtaine d'années : signés par le préfet et élaborés par les services départementaux – ou territoriaux – d'incendie et de secours, ces documents répertorient la totalité des risques connus dans un département – ou un territoire – et déclinent les moyens existants ou à acquérir afin de les couvrir. Les schémas départementaux sont révisés régulièrement – une révision d'ensemble est ainsi en cours au niveau national. Afin d'aller plus loin, un nouveau type de document a été créé l'année dernière au niveau des zones de défense et de sécurité. L'objectif est de voir si l'on a les capacités nécessaires au plan local, sans passer par le niveau national, en gardant aussi à l'esprit qu'il faut améliorer la dépense publique – avec les mêmes crédits, on doit faire plus ou mieux, voire les deux en même temps.

La dépense publique s'élève à 79 euros par habitant en matière d'incendie et de secours – ce montant a baissé de deux euros au cours des dernières années et il est nettement inférieur à la dépense pour l'enlèvement des ordures ménagères. Avec ces 79 euros par habitant, on doit couvrir la totalité des risques connus, dans un délai moyen de 11 minutes et en tenant compte des recrutements effectués. Je pense que nous y arrivons à l'heure actuelle.

Les SDACR et les différents plans de prévention sont des outils de management du risque extrêmement pertinents. Il faut veiller à ce que la qualité de ces documents soit sans faille : sinon, les moyens nécessaires ne seront pas disponibles. Notre modèle d'organisation prévoit aussi des moyens nationaux de projection, dont je dispose. Ils sont conçus pour répondre à des crises majeures au niveau national, européen ou international.

À l'initiative du Président de la République, nous proposons à nos partenaires une modification du mécanisme européen de protection civile, qui est géré par le commissaire Christos Stylianides – la direction générale dite ECHO étant en charge de la protection civile et des opérations d'aide humanitaire au plan européen. Notre démarche avance bien et pourrait conduire à des décisions dès cet été, dans le cadre d'une révision à mi-parcours du mécanisme européen de protection civile. Le Président de la République souhaite aller au-delà grâce à la création d'une force de projection européenne surnuméraire, comme en matière de défense, afin de couvrir des risques qu'un État aurait du mal à prendre en charge seul, quel que soit le niveau de ses capacités.

Je pense que notre modèle d'organisation pour l'outre-mer, qui consiste à s'appuyer sur les moyens locaux, en veillant à ce qu'ils soient pertinents et adaptés aux risques, et à disposer par ailleurs de moyens surnuméraires au plan national, nous permet de répondre aux risques pendant encore quelques années sans manquer de capacités. La question de l'éloignement de nos lignes logistiques se pose évidemment : plus il faut aller loin, plus c'est compliqué. On a une couverture correcte à Tahiti, par exemple, mais la situation est plus difficile ailleurs, au milieu de l'océan, ne serait-ce qu'en raison du temps de vol – mais cela dépend aussi de l'existence de pistes – ou non – et des contingences météorologiques. Ce sont des éléments à prendre en compte.

Je n'ai pas nécessairement tous les chiffres que vous souhaitez, mais nous veillerons à vous les communiquer.

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Sophie Salaün-Baron, chef de la mission « catastrophes naturelles »

Nous allons demander les chiffres et faire un point exhaustif sur Irma. On est en tout cas au-delà d'un milliard d'euros.

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Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises

Il faut distinguer la reconstruction, qui ne dépend pas de ma direction générale, l'indemnisation et les secours d'extrême urgence, que nous avons mis en oeuvre – de mémoire, cela représentait 2,5 millions d'euros, mais nous vérifierons –, et les opérations de secours, qui s'élèvent à environ 35 millions. Nous vous communiquerons aussi des éléments concernant les pompiers volontaires outre-mer. Les chiffres sont moins importants que sur le reste du territoire national, pour des raisons historiques. On observe de fortes variations selon les territoires, là aussi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il me reste à vous remercier. Nous pourrons continuer à échanger sur ces différents points.

L'audition s'achève à douze heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 20 mars 2018 à 11 h 30

Présents. - M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, Mme Maina Sage

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Bertrand Bouyx, M. Philippe Michel-Kleisbauer