Ce sont des opérations qui se conçoivent de la même manière que les opérations militaires. Cela peut surprendre, mais il n'y a, dans notre réseau, aucune différence entre ce que nous faisons et ce que font les militaires.
Le niveau de prévention est-il suffisant ? Le directeur général que je suis vous répondra « non ». On n'atteindra jamais l'optimum, qui serait une asymptote zéro risque, zéro effet. Ensuite, sur cette courbe de Gauss, j'estime que la France se situe au milieu du chapeau : il existe des situations pour lesquelles la réflexion et la gestion ne sont pas tout à fait abouties ; mais globalement, nous sommes plutôt bien placés.
Quels sont les points d'amélioration ? D'abord, il faut entretenir la notion de résilience, quelque peu oubliée par nos concitoyens, à la manière des petites flammes, au fond des cavernes, il y a dix mille ans. Nous tendons tous à oublier, très vite : il faut donc expliquer régulièrement à nos concitoyens que le risque peut être présent. Après chaque inondation dramatique, les élus, les médias, voire le juge, se demandent comment on a laissé construire dans un endroit manifestement menacé, par un risque que l'on ne voulait pas assumer. De grands progrès ont été réalisés : tous les campings disposent aujourd'hui d'un dossier de risques et ont des moyens d'alerte ; théoriquement, on est en mesure de prévenir chaque campeur. Mais il a fallu quelques années pour parvenir à ce résultat.
Ce point de résilience est particulièrement important. L'un des leviers qui nous a permis d'y arriver est le levier assurantiel. Le dispositif de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, mis en place en 1982, a permis de progresser de manière considérable et de passer d'une notion de « risque », tirée de la théorie des jeux, à une notion de « garantie ».
Par ailleurs, l'outil de gestion des risques a été considérablement amélioré, notamment grâce à la connaissance globale des risques. Les plans de prévention des risques naturels, les plans de prévention des risques technologiques et leur sous-déclinaison, notamment dans les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les schémas de cohérence territoriale (SCOT), sont indispensables. Aujourd'hui, vous ne pouvez pas acheter un bien sans avoir connaissance de la totalité des risques connus ; si, au bout de cinq ans, vous subissez une inondation, vous pourrez toujours arguer que vous n'avez pas bien lu la carte ou que l'on ne vous avait pas suffisamment dit les choses, mais il est alors certain que vous disposiez de cette connaissance.
On doit affiner et actualiser la connaissance des risques : le ministère de la transition écologique et solidaire s'y emploie, comme le ministère de l'intérieur. Les outils informatiques nous permettent d'avoir de plus en plus recours à la modélisation. Nous sommes ainsi en train de déployer un dispositif interactif qui permettra de zoomer sur une carte de France, en allant presque jusqu'aux anciens îlots de l'INSEE, c'est-à-dire maison par maison, avec un menu déroulant faisant apparaître la population, les réseaux ou encore les hôpitaux. Un système qui doit être déployé à partir de fin 2019 ou début 2020 inclura ensuite les unités déployées sur le terrain.
Les préfets, qui commencent à avoir ces outils en main, peuvent ainsi connaître en un clin d'oeil la population recensée par l'INSEE dans une zone donnée. Il ne s'agit pas tout à fait de la population présente, bien sûr, mais c'est très utile : quand on sait qu'un nuage de pollution doit arriver dans une demi-heure – les données météorologiques étant intégrées dans l'outil informatique –, on peut déterminer combien de personnes devront être évacuées et combien de bus il faudra mobiliser. Ce sont des outils extrêmement pertinents.
Dans le cas d'Irma, mais aussi des feux de forêt, nous avons réussi à faire des modélisations en trois dimensions qui sont très intéressantes. Cela peut paraître étrange, mais les feux de forêt suivent historiquement les mêmes parcours – à peu de chose près, ils repassent aux mêmes endroits. Une fois que l'on a cartographié et modélisé tous les feux connus, on peut dire immédiatement au commandant des opérations de secours comment un feu en cours peut évoluer compte tenu de la météo. On se trompe parfois de 300 ou 400 mètres, mais guère davantage. La modélisation informatique présente un intérêt pour la gestion des crises, même si l'humain reste essentiel pour la suite.
La connaissance du risque est vitale. On ne doit pas affronter un événement sans planification préalable. Il faut savoir quelle est la nature du risque, comment il se traduit et quel est son impact. Cela permet de savoir de quels moyens il faut disposer pour la prévention, l'information des populations et leur alerte. Dans des zones susceptibles de connaître des mouvements de terrain, par exemple, les habitants doivent savoir qu'il faut partir quand la sirène retentit, mais que l'on peut vivre plus ou moins tranquillement le reste du temps.
Cela peut aussi conduire à penser, et c'est un ancien préfet qui vous parle, que l'habitat humain n'est malheureusement plus compatible avec le risque dans certaines zones, notamment littorales. Nos concitoyens doivent l'entendre. Il faudra reculer intelligemment à certains endroits car tout le littoral n'est pas protégeable : on ne peut pas construire un mur en béton suffisamment haut pour faire face à tous les risques sur 20 000 kilomètres de côtes. On a d'ailleurs vu au Japon qu'un mur en béton ne suffit pas nécessairement quand on a affaire à un tsunami.
Je pense qu'il est raisonnable de défendre certaines zones pied à pied, par exemple en ayant recours à la poldérisation, comme aux Pays-Bas, mais qu'il faudra laisser la nature reprendre ses droits ailleurs, en indemnisant correctement les habitants. J'ai connu ce type de débats lorsque j'étais en poste dans la Manche : les collectivités locales peuvent-elles investir dix millions d'euros pour protéger deux maisons en bord de mer ? Est-ce raisonnable et équitable en termes de dépenses publiques ? Ce sont de vraies questions de fond : il ne m'appartient pas d'y répondre, mais je veux souligner qu'elles se posent concrètement. Dans certaines zones, il faudra trouver des dispositifs de défense intelligents dans la durée. On s'aperçoit, en effet, que certains aménagements ne sont pas aussi pertinents qu'on le pensait : je ne veux pas jeter l'anathème sur certains maires ou riverains, mais l'enrochement n'est pas toujours la solution la plus pertinente, même si on se dit que c'est solide et que ça va tenir.
Il y a très clairement un avant et un après-Xynthia sur le plan de la connaissance et en matière de prise en compte de la résilience – c'est un peu moins vrai, en revanche, en ce qui concerne la gestion du risque : il n'y a pas eu autant de conséquences dans ce domaine. Après chaque opération d'une certaine envergure, nous imposons la réalisation d'un retour d'expérience – un « RETEX » dans notre jargon. Il faut regarder comment chaque crise a été gérée, afin d'en tirer les leçons, positives ou négatives. Il en est de même pour les exercices – le pire étant celui où tout se passe bien, car on a l'impression d'être bons et de savoir ce qu'il faut faire. À mes yeux, même si c'est un peu paradoxal à admettre parfois, un bon exercice est celui qui a échoué, car cela permet de ne pas refaire les mêmes erreurs.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, il serait intéressant de développer une culture de crise un peu plus commune entre les différents acteurs – les élus, notamment les maires, les préfets et les sous-préfets, les sapeurs-pompiers, les policiers et les gendarmes. Il faudrait organiser un peu plus systématiquement des stages ou des exercices communs d'une journée.