Intervention de Stéphane Costa

Réunion du mercredi 21 mars 2018 à 16h15
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je pense que ces questions vont se poser tout au long de vos auditions, et qu'il ne sera évidemment pas possible d'y répondre totalement.

Notre communication va se faire à trois voix avec mes collègues, et l'objectif de cette présentation est de vous fournir quelques éléments sur les relations littoralforçage climatique majeur, d'identifier les manques pour comprendre le fonctionnement de ce système complexe qu'est le littoral, et d'expliquer comment la recherche s'organise aujourd'hui pour essayer de répondre à ces questions, et ce à trois niveaux. Nous espérons pouvoir ainsi aider efficacement aux politiques publiques.

Nous venons d'une unité mixte de recherche multisites du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), appelée LETG – pour « littoral-environnement-télédétection-géomatique ». Son objet central est la recherche sur le littoral. Elle regroupe plusieurs universités : Amiens, Brest, Caen, Dinard, Nantes et Rennes. En ce qui me concerne, je viens du laboratoire de Caen, où nous travaillons sur l'évolution des paysages actuels et passés, et les risques induits, aussi bien sur les milieux littoraux que sur les milieux continentaux.

Les risques climatiques majeurs génèrent des aléas, principalement l'érosion côtière et l'inondation par la mer. Ces inondations se font par brèche des ouvrages ou des dunes, ou encore par le franchissement de paquets de mer. Dans ces deux premiers cas, les plages ne jouent plus leur rôle de tampon protecteur contre la houle de tempête. Il en résulte que la dissociation entre érosion et submersion, que l'on retrouve trop souvent dans les outils réglementaires, est une erreur. Les débordements de quai sont le troisième type d'inondation.

Ces phénomènes ne sont pas récents, on trouve des récits de submersions marines dans de nombreux écrits historiques. Une thèse réalisée à Caen en 2016 par Suzanne Noël s'est intéressée aux dommages subis par les sociétés littorales entre 1700 et 1940. Elle montre très clairement que les dommages vont crescendo sur les façades qui ont fait l'objet d'une appropriation parfois inconsidérée par l'urbanisation. Dans d'autres secteurs, il y a eu des événements dévastateurs qui n'ont pas été observés au XIXe ou au XXe siècle.

Les phénomènes d'érosion semblent s'accentuer, alors que les forçages ne semblent pas augmenter en fréquence ni en intensité. Cela tient à trois raisons. Tout d'abord, la littoralisation – c'est-à-dire l'appropriation de la bande côtière fragile et dynamique par les biens, les personnes et les activités– accentue la sensibilité à ces phénomènes atmosphériques. Ma collègue Catherine Meur-Ferec développera ce point. La deuxième raison est l'épuisement du stock de sédiments hérité de la dernière période glaciaire. Cette crise sédimentaire explique la baisse d'efficacité des formes d'accumulation contre l'assaut des houles de tempête. Enfin, les actions anthropiques participent également à l'épuisement de ce stock, je pense notamment aux ruptures du transit sédimentaire et aux extractions de sédiments.

Nous avons réalisé un inventaire des submersions de tempête en Manche au cours des soixante dernières années. Nous avons connu de très forts dégâts sur cette période, or il n'y a jamais eu concomitance parfaite de la surcote, du pic de tempête, du pic de marée et du passage du front froid – tous facteurs responsables de l'amplitude des franchissements par la mer. Autrement dit : jusqu'à présent, nous avons eu de la chance. Si nous avions connu une conjonction de ces facteurs, il est fort probable que les événements destructeurs auraient entraîné encore plus dégâts, et la hauteur d'eau aurait été supérieure de plusieurs dizaines de centimètres. Bien évidemment, ce type de discours ne passe pas bien auprès des élus, qui sont souvent dans le déni.

Pour lutter contre cette attitude de déni, nous menons un projet afin de faciliter l'appropriation des connaissances sur les aléas de submersion marine par les élus, grâce à la réalité virtuelle, financé par la Fondation de France et la région Normandie. Ce projet permet d'immerger les élus – si vous me permettez l'expression (Sourires) – dans une salle en réalité virtuelle où l'on rejoue avec eux la tempête historique qui a été observée sur leur territoire. Puis nous leur montrons cet événement historique avec une élévation du niveau des mers d'un mètre. Nous ne nous arrêtons pas là : ensuite, nous les faisons se promener dans la ville côtière potentielle de demain ou après-demain, toujours à l'aide de la réalité virtuelle, et en relation avec nos collègues du Conservatoire du littoral, des urbanistes et des architectes. Nous souhaitons leur montrer qu'il y a encore un champ des possibles, et même si ce n'est pas forcément le modèle de ville qu'ils vont choisir, nous leur montrons que leur commune peut encore être attractive.

Je serai très rapide sur les phénomènes d'érosion côtière des falaises, car elles sont des formes d'érosion, elles ne peuvent que reculer. Et le recul n'est pas uniquement lié aux impacts marins, notamment aux tempêtes, mais aussi à des processus continentaux comme le ruissellement, l'infiltration et l'alternance entre gel et dégel.

Je vais plutôt centrer mon propos sur le deuxième type de côte : les plages et les dunes d'accumulation. Ces plages et ces dunes ont une capacité d'ajustement, avec les forçages que sont la houle, la marée, les courants qui leur sont associés, et le vent. La dynamique littorale est le résultat d'un rapport de force subtil entre un volume de sédiments et des processus d'érosion. Ces plages et ces dunes ont une capacité d'ajustement à différentes échelles de temps.

À l'échelle instantanée, par exemple celle d'une tempête, on peut constater des phénomènes d'érosion. Mais après quelques semaines ou quelques mois, un retour à l'équilibre antérieur se fera. Le système « plages-dunes » peut donc connaître alternativement des phases d'érosion et d'accumulation tout à fait normales ; on parle de degrés de liberté, de respiration de la forme. Le fonctionnement des milieux est fondamentalement non linéaire dans le temps et l'espace, ce qui le rend très complexe à modéliser.

Autre échelle d'ajustement : sur des temps longs, les formes ont la capacité de s'adapter à une transgression marine, une élévation du niveau des mers, en roulant sur elles-mêmes, vers l'intérieur des terres.

Le problème est qu'aujourd'hui ces ajustements instantanés ou sur le temps long sont réduits, voire interdits, par la mise en place d'ouvrages de défense contre la mer qui vont localement exacerber l'érosion, voire les phénomènes de submersion, alors même qu'ils sont prévus pour nous protéger. En outre, plages et dunes peuvent disparaître : autrement dit, les communes perdent ce facteur d'attractivité de leurs territoires.

Des inconnues demeurent, faute de données. Certes, il existe de très nombreuses études de grande qualité, mais elles sont souvent faites à des échelles très locales, sur des pas de temps trop courts, avec des techniques et des méthodes hétérogènes, des récurrences de levées limitées, une accessibilité parfois restreinte aux données. Tout cela fait que nous ne pouvons pas comparer les informations. On nous demande de comprendre le film de l'évolution du littoral, mais nous n'avons que quelques séquences de ce film, et nous ne savons pas si elles sont représentatives. Certaines de ces séquences sont étudiées avec une loupe, d'autres avec un microscope, et on nous demande de connaître la fin du film : c'est impossible.

Le problème est que cette imprécision scientifique peut aboutir à une imprécision lors de la prise de décisions politiques. Mais la recherche tente de s'organiser, de façon assez récente, et à trois niveaux scalaires au moins.

Le premier de ces niveaux scalaires est celui de la recherche académique. Depuis 2014, le CNRS, et notamment l'Institut national des sciences de l'univers, a créé les services nationaux d'observation, qui rassemblent vingt et une universités sur trente sites-ateliers répartis sur tous les littoraux. Ils tentent d'organiser sur le long terme l'acquisition, la collecte et la mise en cohérence de données sur la dynamique côtière.

Le deuxième niveau scalaire est la région, avec la création récente d'observatoires régionaux du littoral, qui se développent. Nous allons vous en présenter deux exemples, Mme Meur-Ferec vous en présentera un troisième. Ces observatoires font suite aux transferts de compétences vers les collectivités, la dernière en date étant la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI). Les collectivités territoriales ont décidé de prendre en charge ces éléments pour avoir les connaissances permettant de développer leurs propres politiques locales. De plus, des risques croissants ont entraîné un besoin de connaissances, essentielles pour gérer ces problèmes à l'échelle locale. L'intérêt de ces observatoires régionaux est de développer la coopération nécessaire entre l'État, les collectivités, les établissements publics, pour la connaissance et afin d'alimenter les politiques publiques.

Le premier exemple d'observatoire régional est le Réseau d'observation du littoral normand et des Hauts-de-France, dont l'originalité tient à sa dimension interrégionale. Ce réseau a été créé en 2010, initialement avec les régions Haute-Normandie, Basse-Normandie et Picardie, et avec la collaboration du Conservatoire du littoral. Ce réseau est porté par un conseil scientifique qui réunit les acteurs des régions, les chercheurs, les établissements publics – Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM), Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) – et des groupes d'intérêt public. L'objectif de ce réseau est d'abord de faire un état de l'art : qui fait quoi, où, quand et comment ? Le but est de récolter de l'information, de l'homogénéiser et de la diffuser. Cette diffusion est faite par un atlas informatique en ligne, qui valorise l'ensemble des informations existantes. Cet outil a été voulu interopérable avec toutes les plateformes informatiques existantes, locales et régionales.

La diffusion et la valorisation de la connaissance passe aussi par des colloques et des séminaires scientifiques ouverts au plus grand nombre, des lettres d'information et des ateliers de terrain avec tous les acteurs, notamment les élus.

L'expérience montre que nous n'avons pas les données nécessaires pour organiser la réflexion de façon cohérente sur l'ensemble du littoral. Comme partout, il manque des informations. Il faut donc créer des données socle fiables, homogènes et récurrentes, pour suivre cette dynamique côtière. Le réseau a proposé à ses partenaires une stratégie de suivi topo-bathymétrique depuis le Mont-Saint-Michel jusqu'à la frontière belge. Cela a été rendu possible grâce au développement de nouveaux capteurs, les LiDAR – acronyme de Light Detection And Ranging, soit, en français : détection de la lumière et mesure à distance – aéroportés topo-bathymétriques. Il s'agit de scanners qui vont balayer le paysage continental, et aussi le paysage sous-marin, parce qu'il y a une relation entre ce qui se passe sur la plage et la dune et ce qui se passe sous l'eau, à faible profondeur. Ce développement technique, qui permet de voir au travers des eaux turbides de la Manche, a été déployé de la Baie du Mont-Saint-Michel jusqu'à la frontière belge par le SHOM, qui est partenaire du projet.

Autre originalité de ce projet, son approche partenariale multiple, puisqu'il regroupe les régions Normandie et Hauts-de-France, mais également l'État, les établissements publics tels que les agences de l'eau Seine-Normandie et Artois-Picardie, et l'Union européenne.

Les résultats se présentent sous la forme d'une carte, sur laquelle il est possible de zoomer très fortement, qui offre une information extrêmement fiable du Mont-Saint-Michel à la Belgique, sur un continuum allant de la terre jusqu'aux petits fonds. Ces données sont en open data total, et elles sont aujourd'hui extraites par les bureaux d'études qui réalisent des études diverses sur les risques naturels et par les services de l'État en charge des plans de prévention des risques (PPR) ou des programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI). Ces données permettent de définir des types d'habitat naturel, des structures géologiques, le suivi du trait de côte, les volumes et les transferts sédimentaires entre la dune, la plage, les petits fonds et les zones inondables. C'est la donnée socle absolument indispensable pour prendre les bonnes décisions.

Le troisième niveau scalaire est l'échelle nationale, avec la mise en place de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, portée par le ministère de la transition écologique, et qui résulte du Grenelle de la mer de 2009. Elle a été adoptée par le Gouvernement en 2012 et c'est la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) qui la porte au sein de ce ministère. L'objectif est d'améliorer la connaissance et sa diffusion pour alimenter les politiques publiques en matière de gestion du trait de côte.

L'un des principaux apports de cette stratégie nationale est la création d'un indicateur national qui permet d'avoir enfin une information homogène sur l'ensemble du territoire, métropolitain et ultramarin, concernant l'érosion côtière. La synthèse des connaissances sur les dynamiques côtières et les risques induits en France métropolitaine et dans les territoires ultramarins est en cours, le premier des dix fascicules a été publié hier, et les prochains le seront dans les mois à venir. De plus, un réseau des observatoires du littoral va mettre en ordre de bataille l'ensemble de ces observatoires régionaux afin de fédérer les suivis du littoral pour améliorer la connaissance des risques côtiers – dynamique et érosion côtières –, la diffuser et aider les politiques publiques.

En conclusion, je souhaite vous présenter deux petits textes historiques, parmi les centaines de textes retrouvés en Normandie dans le cadre de la thèse que j'ai évoquée précédemment. Le premier est un texte de 1885 de l'ingénieur des Ponts et Chaussées de Normandie qui se demande : « comment lutter contre un ennemi (la mer) qui ne cesse depuis plusieurs siècles d'être en guerre contre nous ! » Le second texte est une lettre au contrôleur général de 1753 : « (...) On a fait chaque année des réparations et de nouveaux ouvrages mais il n'a pas été possible d'en finir parce qu'il y a eu tous les ans de nouvelles réparations à faire (…) Les suppliants, épuisés par des dépenses et voyant les ouvrages détruits en la plus grande partie, ont demandé au Contrôleur général (...) de répartir sur le Royaume les sommes nécessaires pour la construction d'un ouvrage solide (...) »

J'ai un peu l'impression que l'histoire se répète !

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