Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Réunion du mercredi 21 mars 2018 à 16h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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L'audition débute à seize heures trente.

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Mes chers collègues, je suis heureuse d'accueillir pour cette audition M. Stéphane Costa, professeur des universités à l'université de Caen ; M. Marc Robin, professeur des universités à l'université de Nantes et Mme Catherine Meur-Ferec, professeur des universités à l'université de Brest.

Cette mission d'information a pour objectif d'étudier comment s'organisent les politiques publiques en matière d'anticipation et de gestion des crises causées par les événements climatiques majeurs, et leur impact, notamment en zone littorale. Comment s'organisent les localités, comment les populations sont alertées et préparées, et comment se fait la reconstruction postérieure ? Tous les sujets liés à la maîtrise du foncier, aux règles d'urbanisme ou de construction nous intéressent.

Nous avons souhaité rencontrer le monde de la recherche, les élus locaux et nationaux, et les services publics concernés par la sécurité et la prévision. C'est ce que nous avons commencé à faire au mois de janvier.

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Notre mission souhaiterait savoir quel est l'impact des changements climatiques sur la formation, le développement, la fréquence et l'intensité des événements climatiques majeurs dans les zones littorales ?

Pourriez-vous nous présenter les différents événements climatiques majeurs pouvant affecter les zones littorales françaises, en métropole et outre-mer ?

Quelles sont les conséquences des changements climatiques sur les impacts des événements climatiques majeurs dans les zones littorales : érosion, submersion, salinisation des sols ?

Quelles sont les zones littorales françaises particulièrement vulnérables aux événements climatiques majeurs ? Quelles sont, dans ces zones, les différentes caractéristiques de la vulnérabilité ?

Quel est l'impact de l'urbanisation sur la vulnérabilité des zones littorales ?

Quelles sont les actions et stratégies d'adaptation possibles pour mieux protéger les zones littorales ?

Pourriez-vous nous présenter les stratégies françaises d'adaptation au changement climatique en zone littorale ? Quels sont les différents leviers à actionner ? Existe-t-il des exemples prometteurs d'adaptation, mis en oeuvre en France ou à l'étranger, dont il faudrait s'inspirer ?

Pourriez-vous nous présenter les conséquences des retards pris dans les stratégies d'atténuation et d'adaptation pour les générations futures ? Quelles sont les limites de l'adaptation si l'ampleur et le rythme des changements climatiques augmentent, dans les différentes zones concernées ?

Quelles recommandations peut-on tirer de ces connaissances pour les décennies à venir ? Quelles seront les orientations prioritaires de la recherche ?

Comment aller plus loin pour faire de l'océan et des zones littorales une priorité dans le champ des problématiques traitées par les négociations climatiques ?

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je pense que ces questions vont se poser tout au long de vos auditions, et qu'il ne sera évidemment pas possible d'y répondre totalement.

Notre communication va se faire à trois voix avec mes collègues, et l'objectif de cette présentation est de vous fournir quelques éléments sur les relations littoralforçage climatique majeur, d'identifier les manques pour comprendre le fonctionnement de ce système complexe qu'est le littoral, et d'expliquer comment la recherche s'organise aujourd'hui pour essayer de répondre à ces questions, et ce à trois niveaux. Nous espérons pouvoir ainsi aider efficacement aux politiques publiques.

Nous venons d'une unité mixte de recherche multisites du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), appelée LETG – pour « littoral-environnement-télédétection-géomatique ». Son objet central est la recherche sur le littoral. Elle regroupe plusieurs universités : Amiens, Brest, Caen, Dinard, Nantes et Rennes. En ce qui me concerne, je viens du laboratoire de Caen, où nous travaillons sur l'évolution des paysages actuels et passés, et les risques induits, aussi bien sur les milieux littoraux que sur les milieux continentaux.

Les risques climatiques majeurs génèrent des aléas, principalement l'érosion côtière et l'inondation par la mer. Ces inondations se font par brèche des ouvrages ou des dunes, ou encore par le franchissement de paquets de mer. Dans ces deux premiers cas, les plages ne jouent plus leur rôle de tampon protecteur contre la houle de tempête. Il en résulte que la dissociation entre érosion et submersion, que l'on retrouve trop souvent dans les outils réglementaires, est une erreur. Les débordements de quai sont le troisième type d'inondation.

Ces phénomènes ne sont pas récents, on trouve des récits de submersions marines dans de nombreux écrits historiques. Une thèse réalisée à Caen en 2016 par Suzanne Noël s'est intéressée aux dommages subis par les sociétés littorales entre 1700 et 1940. Elle montre très clairement que les dommages vont crescendo sur les façades qui ont fait l'objet d'une appropriation parfois inconsidérée par l'urbanisation. Dans d'autres secteurs, il y a eu des événements dévastateurs qui n'ont pas été observés au XIXe ou au XXe siècle.

Les phénomènes d'érosion semblent s'accentuer, alors que les forçages ne semblent pas augmenter en fréquence ni en intensité. Cela tient à trois raisons. Tout d'abord, la littoralisation – c'est-à-dire l'appropriation de la bande côtière fragile et dynamique par les biens, les personnes et les activités– accentue la sensibilité à ces phénomènes atmosphériques. Ma collègue Catherine Meur-Ferec développera ce point. La deuxième raison est l'épuisement du stock de sédiments hérité de la dernière période glaciaire. Cette crise sédimentaire explique la baisse d'efficacité des formes d'accumulation contre l'assaut des houles de tempête. Enfin, les actions anthropiques participent également à l'épuisement de ce stock, je pense notamment aux ruptures du transit sédimentaire et aux extractions de sédiments.

Nous avons réalisé un inventaire des submersions de tempête en Manche au cours des soixante dernières années. Nous avons connu de très forts dégâts sur cette période, or il n'y a jamais eu concomitance parfaite de la surcote, du pic de tempête, du pic de marée et du passage du front froid – tous facteurs responsables de l'amplitude des franchissements par la mer. Autrement dit : jusqu'à présent, nous avons eu de la chance. Si nous avions connu une conjonction de ces facteurs, il est fort probable que les événements destructeurs auraient entraîné encore plus dégâts, et la hauteur d'eau aurait été supérieure de plusieurs dizaines de centimètres. Bien évidemment, ce type de discours ne passe pas bien auprès des élus, qui sont souvent dans le déni.

Pour lutter contre cette attitude de déni, nous menons un projet afin de faciliter l'appropriation des connaissances sur les aléas de submersion marine par les élus, grâce à la réalité virtuelle, financé par la Fondation de France et la région Normandie. Ce projet permet d'immerger les élus – si vous me permettez l'expression (Sourires) – dans une salle en réalité virtuelle où l'on rejoue avec eux la tempête historique qui a été observée sur leur territoire. Puis nous leur montrons cet événement historique avec une élévation du niveau des mers d'un mètre. Nous ne nous arrêtons pas là : ensuite, nous les faisons se promener dans la ville côtière potentielle de demain ou après-demain, toujours à l'aide de la réalité virtuelle, et en relation avec nos collègues du Conservatoire du littoral, des urbanistes et des architectes. Nous souhaitons leur montrer qu'il y a encore un champ des possibles, et même si ce n'est pas forcément le modèle de ville qu'ils vont choisir, nous leur montrons que leur commune peut encore être attractive.

Je serai très rapide sur les phénomènes d'érosion côtière des falaises, car elles sont des formes d'érosion, elles ne peuvent que reculer. Et le recul n'est pas uniquement lié aux impacts marins, notamment aux tempêtes, mais aussi à des processus continentaux comme le ruissellement, l'infiltration et l'alternance entre gel et dégel.

Je vais plutôt centrer mon propos sur le deuxième type de côte : les plages et les dunes d'accumulation. Ces plages et ces dunes ont une capacité d'ajustement, avec les forçages que sont la houle, la marée, les courants qui leur sont associés, et le vent. La dynamique littorale est le résultat d'un rapport de force subtil entre un volume de sédiments et des processus d'érosion. Ces plages et ces dunes ont une capacité d'ajustement à différentes échelles de temps.

À l'échelle instantanée, par exemple celle d'une tempête, on peut constater des phénomènes d'érosion. Mais après quelques semaines ou quelques mois, un retour à l'équilibre antérieur se fera. Le système « plages-dunes » peut donc connaître alternativement des phases d'érosion et d'accumulation tout à fait normales ; on parle de degrés de liberté, de respiration de la forme. Le fonctionnement des milieux est fondamentalement non linéaire dans le temps et l'espace, ce qui le rend très complexe à modéliser.

Autre échelle d'ajustement : sur des temps longs, les formes ont la capacité de s'adapter à une transgression marine, une élévation du niveau des mers, en roulant sur elles-mêmes, vers l'intérieur des terres.

Le problème est qu'aujourd'hui ces ajustements instantanés ou sur le temps long sont réduits, voire interdits, par la mise en place d'ouvrages de défense contre la mer qui vont localement exacerber l'érosion, voire les phénomènes de submersion, alors même qu'ils sont prévus pour nous protéger. En outre, plages et dunes peuvent disparaître : autrement dit, les communes perdent ce facteur d'attractivité de leurs territoires.

Des inconnues demeurent, faute de données. Certes, il existe de très nombreuses études de grande qualité, mais elles sont souvent faites à des échelles très locales, sur des pas de temps trop courts, avec des techniques et des méthodes hétérogènes, des récurrences de levées limitées, une accessibilité parfois restreinte aux données. Tout cela fait que nous ne pouvons pas comparer les informations. On nous demande de comprendre le film de l'évolution du littoral, mais nous n'avons que quelques séquences de ce film, et nous ne savons pas si elles sont représentatives. Certaines de ces séquences sont étudiées avec une loupe, d'autres avec un microscope, et on nous demande de connaître la fin du film : c'est impossible.

Le problème est que cette imprécision scientifique peut aboutir à une imprécision lors de la prise de décisions politiques. Mais la recherche tente de s'organiser, de façon assez récente, et à trois niveaux scalaires au moins.

Le premier de ces niveaux scalaires est celui de la recherche académique. Depuis 2014, le CNRS, et notamment l'Institut national des sciences de l'univers, a créé les services nationaux d'observation, qui rassemblent vingt et une universités sur trente sites-ateliers répartis sur tous les littoraux. Ils tentent d'organiser sur le long terme l'acquisition, la collecte et la mise en cohérence de données sur la dynamique côtière.

Le deuxième niveau scalaire est la région, avec la création récente d'observatoires régionaux du littoral, qui se développent. Nous allons vous en présenter deux exemples, Mme Meur-Ferec vous en présentera un troisième. Ces observatoires font suite aux transferts de compétences vers les collectivités, la dernière en date étant la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI). Les collectivités territoriales ont décidé de prendre en charge ces éléments pour avoir les connaissances permettant de développer leurs propres politiques locales. De plus, des risques croissants ont entraîné un besoin de connaissances, essentielles pour gérer ces problèmes à l'échelle locale. L'intérêt de ces observatoires régionaux est de développer la coopération nécessaire entre l'État, les collectivités, les établissements publics, pour la connaissance et afin d'alimenter les politiques publiques.

Le premier exemple d'observatoire régional est le Réseau d'observation du littoral normand et des Hauts-de-France, dont l'originalité tient à sa dimension interrégionale. Ce réseau a été créé en 2010, initialement avec les régions Haute-Normandie, Basse-Normandie et Picardie, et avec la collaboration du Conservatoire du littoral. Ce réseau est porté par un conseil scientifique qui réunit les acteurs des régions, les chercheurs, les établissements publics – Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM), Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) – et des groupes d'intérêt public. L'objectif de ce réseau est d'abord de faire un état de l'art : qui fait quoi, où, quand et comment ? Le but est de récolter de l'information, de l'homogénéiser et de la diffuser. Cette diffusion est faite par un atlas informatique en ligne, qui valorise l'ensemble des informations existantes. Cet outil a été voulu interopérable avec toutes les plateformes informatiques existantes, locales et régionales.

La diffusion et la valorisation de la connaissance passe aussi par des colloques et des séminaires scientifiques ouverts au plus grand nombre, des lettres d'information et des ateliers de terrain avec tous les acteurs, notamment les élus.

L'expérience montre que nous n'avons pas les données nécessaires pour organiser la réflexion de façon cohérente sur l'ensemble du littoral. Comme partout, il manque des informations. Il faut donc créer des données socle fiables, homogènes et récurrentes, pour suivre cette dynamique côtière. Le réseau a proposé à ses partenaires une stratégie de suivi topo-bathymétrique depuis le Mont-Saint-Michel jusqu'à la frontière belge. Cela a été rendu possible grâce au développement de nouveaux capteurs, les LiDAR – acronyme de Light Detection And Ranging, soit, en français : détection de la lumière et mesure à distance – aéroportés topo-bathymétriques. Il s'agit de scanners qui vont balayer le paysage continental, et aussi le paysage sous-marin, parce qu'il y a une relation entre ce qui se passe sur la plage et la dune et ce qui se passe sous l'eau, à faible profondeur. Ce développement technique, qui permet de voir au travers des eaux turbides de la Manche, a été déployé de la Baie du Mont-Saint-Michel jusqu'à la frontière belge par le SHOM, qui est partenaire du projet.

Autre originalité de ce projet, son approche partenariale multiple, puisqu'il regroupe les régions Normandie et Hauts-de-France, mais également l'État, les établissements publics tels que les agences de l'eau Seine-Normandie et Artois-Picardie, et l'Union européenne.

Les résultats se présentent sous la forme d'une carte, sur laquelle il est possible de zoomer très fortement, qui offre une information extrêmement fiable du Mont-Saint-Michel à la Belgique, sur un continuum allant de la terre jusqu'aux petits fonds. Ces données sont en open data total, et elles sont aujourd'hui extraites par les bureaux d'études qui réalisent des études diverses sur les risques naturels et par les services de l'État en charge des plans de prévention des risques (PPR) ou des programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI). Ces données permettent de définir des types d'habitat naturel, des structures géologiques, le suivi du trait de côte, les volumes et les transferts sédimentaires entre la dune, la plage, les petits fonds et les zones inondables. C'est la donnée socle absolument indispensable pour prendre les bonnes décisions.

Le troisième niveau scalaire est l'échelle nationale, avec la mise en place de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, portée par le ministère de la transition écologique, et qui résulte du Grenelle de la mer de 2009. Elle a été adoptée par le Gouvernement en 2012 et c'est la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) qui la porte au sein de ce ministère. L'objectif est d'améliorer la connaissance et sa diffusion pour alimenter les politiques publiques en matière de gestion du trait de côte.

L'un des principaux apports de cette stratégie nationale est la création d'un indicateur national qui permet d'avoir enfin une information homogène sur l'ensemble du territoire, métropolitain et ultramarin, concernant l'érosion côtière. La synthèse des connaissances sur les dynamiques côtières et les risques induits en France métropolitaine et dans les territoires ultramarins est en cours, le premier des dix fascicules a été publié hier, et les prochains le seront dans les mois à venir. De plus, un réseau des observatoires du littoral va mettre en ordre de bataille l'ensemble de ces observatoires régionaux afin de fédérer les suivis du littoral pour améliorer la connaissance des risques côtiers – dynamique et érosion côtières –, la diffuser et aider les politiques publiques.

En conclusion, je souhaite vous présenter deux petits textes historiques, parmi les centaines de textes retrouvés en Normandie dans le cadre de la thèse que j'ai évoquée précédemment. Le premier est un texte de 1885 de l'ingénieur des Ponts et Chaussées de Normandie qui se demande : « comment lutter contre un ennemi (la mer) qui ne cesse depuis plusieurs siècles d'être en guerre contre nous ! » Le second texte est une lettre au contrôleur général de 1753 : « (...) On a fait chaque année des réparations et de nouveaux ouvrages mais il n'a pas été possible d'en finir parce qu'il y a eu tous les ans de nouvelles réparations à faire (…) Les suppliants, épuisés par des dépenses et voyant les ouvrages détruits en la plus grande partie, ont demandé au Contrôleur général (...) de répartir sur le Royaume les sommes nécessaires pour la construction d'un ouvrage solide (...) »

J'ai un peu l'impression que l'histoire se répète !

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Marc Robin, professeur à l'Université de Nantes

Dans la droite ligne de ce que vient de dire mon collègue Stéphane Costa sur les observatoires régionaux, et en complément à ses propos, je me concentrerai sur l'observatoire des risques côtiers de la région Pays-de-la-Loire. C'est un observatoire récent, créé en 2016. Cela ne signifie pas qu'il n'y avait rien avant cette date, mais nous essayons de coordonner les différentes actions sur l'observation des risques côtiers dans cette région, pour faciliter la prise de décisions.

L'observatoire a été créé avec l'ensemble des partenaires en région : services de l'État, collectivités, et un certain nombre de partenaires comme le BRGM ou l'Office national des forêts (ONF). Il fonctionne selon la logique du réseau des observatoires que vient d'exposer Stéphane Costa, et il est animé par l'Observatoire des sciences de l'univers de l'Université de Nantes. La gouvernance de cet observatoire réunit un comité technique et un comité de pilotage pour la prise de décisions.

Cet observatoire est structuré en cinq modules : le premier a vocation à compiler l'ensemble de l'information sur le risque côtier en région Pays-de-la-Loire, et il a achevé ses travaux. Le deuxième module est construit autour de la structuration de l'acquisition de l'information géographique complémentaire – j'en dirai un petit mot par la suite. Le troisième module est fondé sur l'histoire des risques, car il est nécessaire de reconstruire une mémoire des événements du territoire, sans laquelle il n'est pas possible de prendre de bonnes décisions. Le quatrième module est structuré autour d'outils de géotraitement, car si l'on sait compiler de l'information, il est beaucoup plus complexe de le faire pour créer des indicateurs intelligents au service des politiques publiques. Nous travaillons à proposer des solutions dont je vous parlerai par la suite. Enfin, le dernier module se consacre à la valorisation et la communication ; un site web vient d'ailleurs d'être mis en ligne.

Cet observatoire doit remplir un certain nombre de missions. J'en ai retenu six, cette liste n'est pas exhaustive. Il faut une base qui permette à l'ensemble des partenaires de se comprendre.

La compréhension des risques est la mission première d'un observatoire, avec la reconstruction d'une mémoire qui manque la plupart du temps. Nous voyons en effet que les catastrophes qui se produisent sont permises par l'absence ou la perte de cette mémoire.

La deuxième mission est de combler le manque important de connaissances actualisées sur le territoire. La prise de décision repose parfois sur certaines lacunes, ce qui peut être dramatique.

Troisièmement, il est nécessaire d'observer les aléas, sur différents pas de temps. La récurrence des tempêtes ne doit être étudiée seulement sur les dix dernières années, il faut remonter dans le temps pour avoir une meilleure connaissance de la périodicité d'une tempête, le rythme d'une surcote ou de l'érosion.

Le quatrième rôle que l'on peut attribuer à l'observatoire, c'est l'observation des enjeux : urbanisation, enjeux humains et non-humains. Si les aléas restent constants au cours de l'histoire, les enjeux varient considérablement. La montée des risques repose souvent sur l'extension, fréquemment incontrôlée, des enjeux en zone côtière.

Le cinquième rôle est la nécessité de construire des indicateurs pour produire des cartes de risques pertinentes et compréhensibles par l'ensemble des partenaires des observatoires et la population.

Enfin, tout ceci, doit être mis au service des politiques publiques.

Je voudrais illustrer ces différents rôles par de la cartographie ou des photographies, sans faire un discours théorique compliqué.

Tout d'abord, pour que chacun prenne conscience de la mémoire du risque, je voudrais revenir sur la tempête Xynthia et la submersion du Marais Poitevin.

La carte que je vous présente met en évidence la construction d'un territoire artificiel par la poldérisation de l'extrémité occidentale du Marais Poitevin depuis le XVIIIe siècle.

Les différentes prises, qui figurent en vert sur la carte, montrent le territoire conquis sur la mer. En l'espace d'une nuit, la mer a repris ses droits sur l'ensemble de ces conquêtes. On a progressivement oublié que l'on construisait sur des zones intertidales, protégées des submersions par des digues. Dans le contexte d'exploitation agricole intensive, les digues se sont révélées gênantes pour la circulation des tracteurs, et elles ont été arasées jusqu'à n'en laisser qu'une seule, face à la mer. Lorsque cette digue lâche, la mer reprend ses droits d'un coup. On construit une territorialisation en oubliant les mécanismes élémentaires des forces en présence. Cette situation est exemplaire d'une perte de la mémoire.

Pourquoi observer les risques côtiers en région Pays-de-la-Loire ? Cette région compte 386 kilomètres de côte et 197 000 hectares de zones basses, 140 kilomètres de côtes dunaires, 135 kilomètres de côtes poldérisées et 111 kilomètres de falaises. Ces côtes cohabitent avec de nombreux enjeux : 58 communes littorales regroupent 296 000 habitants ; l'urbanisation en zone basse à moins de 400 mètres du trait de côte regroupe 10 853 bâtiments, soit 1 474 169 mètres carrés. Cette région présente donc un certain nombre de risques et les questions qui s'y posent justifient la mise en place d'un tel observatoire.

Nos observations se font à court, moyen et long terme. L'observatoire des risques étudie l'aléa submersion et l'aléa érosion côtière, et les enjeux impactés. L'aléa submersion est illustré par la brèche ouverte dans le cordon dunaire de la Belle-Henriette lors de la tempête Xynthia, qui a entraîné l'inondation de La Faute-sur-Mer. Quant à l'érosion côtière, si l'on se concentre en France sur la côte atlantique, il y a aussi en Vendée des constructions très proches d'un trait de côte en recul chronique.

Les moyens de l'observation sont divers. Nous mettons en oeuvre des relevés de terrain, des enquêtes auprès des populations, diverses analyses en laboratoire des types de sédiments. La spécificité de l'observatoire des Pays-de-la-Loire est la mise à disposition par l'université de caméras bispectrales et d'un LiDAR topo-bathymétrique, qui nous permet de faire des levées beaucoup plus régulièrement que des opérateurs tels que l'Institut géographique national (IGN) ou le SHOM, dont les missions sont nationales, voire internationales. Nous sommes uniquement concentrés sur la région, donc nous pouvons régulièrement actualiser nos connaissances. Surtout, nous pouvons faire une couverture post-tempête dans l'urgence.

Les deux images suivantes montrent un relevé de côte effectué par l'IGN avec un laser aéroporté en 2011, et le même lieu en 2017.

En six ans, nous constatons une importante modification du trait de côte, avec l'apparition d'une brèche et une mobilité sédimentaire qui nécessiterait un survol annuel. Dans le cadre de l'observatoire, nous nous sommes justement engagés à réactualiser les données chaque année, car attendre dix ans pour mettre à jour les données ne permet pas de mettre en évidence une évolution.

Les enjeux doivent aussi être observés sur un plus court terme : je donne un simple exemple à La Tranche-sur-Mer qui montre les constructions apparues entre 1945 et 1958, puis entre 1958 et 1968, entre 1968 et 1978, puis en 1985, 1991, 2006 et 2013. On constate l'extension des enjeux d'urbanisation et de population qui s'installe sur un littoral très peu urbanisé au départ. Cette évolution est connue de toutes les communes de France, elle a pour nom littoralisation, la mise en relation de ce phénomène avec l'émergence des risques est très parlante.

L'observation des aléas ne doit pas être négligée, et il faut remonter le temps ; travail auquel s'attache le module 3 de l'Observatoire sur une période de plus de mille ans. Ce travail recourt à des carottes sédimentaires, à la dendrochronologie, qui analyse les troncs d'arbre, ainsi qu'à l'étude des documents historiques, deux thèses portant sur ce sujet sont d'ailleurs en cours.

Une carotte de 70 centimètres prélevée à La Turballe permet, à travers des indicateurs géochimiques, de remonter jusqu'à l'ouragan des 14 et 15 mars 1751 qui a marqué cet espace, nous sommes alors tout à fait capables d'évaluer le niveau de cette tempête.

Une autre tempête particulièrement remarquable, survenue en 1936 est observée, une autre en en 1890. Nous reconstituons ainsi une chronologie des tempêtes et paléotempêtes ainsi que des événements extrêmes. La question est de savoir si ces événements se reproduiront de plus en plus souvent ; des coups de boutoir très puissants sont observés aux XVe et XIVe siècles sans que nous connaissions l'équivalent aujourd'hui.

Ces méthodes permettent de poser un diagnostic beaucoup plus précis sur la question de l'influence du changement climatique sur les aléas, bien qu'il ne s'agisse là que d'une petite partie de la question.

L'érosion du trait de côte à moyen terme, sur une période d'environ un siècle, s'apprécie sur la base d'une cartographie établie à l'aide de photos prises à partir de 1920, d'ailleurs mises à la disposition du SHOM et de l'IFREMER. On retrouve les tendances séculaires qui nous permettent de cerner les segments de côte soumis à l'érosion, ce qui donne un exemple d'aléa à moyen terme.

Pour le court terme, nous disposons d'instruments comme le LiDAR aéroporté, qui permet de voir très précisément comment bougent les sédiments. Le pays de Monts, par exemple, a fait l'objet de campagnes aéroportées bisannuelles, qui mettent en évidence la mobilité de la côte.

Au niveau du pont d'Yeu, en face de l'île d'Yeu, du côté du pays de Monts, on observe l'effet de la tempête Xynthia, survenue en 2010, et la falaise dunaire montre un recul côtier très important, de quinze mètres par endroits. En 2011, une reconstruction du trait de côte est constatée ; les sédiments qui étaient partis reviennent jusqu'en 2012. En 2014 survient une nouvelle série de tempête, et, au cours de l'hiver 2013-2014, le trait de côte recule. Il y a donc un battement du trait de côte qui fait que l'on peut conseiller aux élus, en cas de mobilité intempestive du trait de côte, d'attendre un peu avant de lancer des opérations de dépenses côtières trop lourdes, dont les enjeux – qui demeurent importants – ne sont pas extrêmement sensibles à l'arrière.

En termes d'adaptation, il convient donc de s'orienter vers une pratique flexible, plutôt que de maintenir de façon fixe, quasi cartésienne, le trait de côte à un endroit donné. Il faut accepter de perdre un peu de terre afin d'éviter des problèmes futurs.

Par ailleurs, pour comprendre les risques il faut considérer ensemble un certain nombre de variables : un indicateur d'exposition au risque d'érosion, c'est-à-dire prenant en compte la présence d'un certain nombre de bâtiments, la distance les séparant du trait de côte, la rapidité du repli côtier – mesurable sur des périodes pouvant aller du siècle à la décennie –, en intégrant l'ensemble de ses rythmes, et la surface des bâtiments.

Il s'agit donc de croiser des éléments relativement simples, susceptibles d'être automatisés par des outils de traitement, ce qui permet de mettre en évidence de façon très raffinée, depuis des unités spatiales allant de vingt mètres au sol jusqu'à une unité régionale, les territoires les plus exposés.

Dans le même ordre d'idée, un indicateur calculé au cours de la période récente montre, dans une petite partie de La Tranche-sur-Mer, la répartition progressive de l'exposition au risque. Ainsi, certaines maisons proches d'un trait de côte reculant relativement vite sont soumises à un péril, sinon immédiat très sensible, lié au risque d'érosion. La même démarche effectuée à partir de l'état de 1950, en employant le même algorithme, met en évidence l'absence de risque.

On constate ainsi que ce n'est pas l'accroissement d'un aléa « érosion » ou de tempête qui provoque l'émergence du risque, mais bel et bien la répartition d'enjeux sur un espace donné, positionnés de façon quelque peu intempestive – n'importe comment en fait – au regard de la possibilité d'occurrence de ces aléas et de leur impact sur le territoire.

Cela pose clairement la question de la mémoire du risque.

S'agissant de la submersion, question récurrente dans les secteurs bas bordés par des courants dunaires ou des défenses côtières, c'est-à-dire la notion de brèche et de leur localisation, des indicateurs croisant des variables de topométrie fine font ressortir les zones de submersion et de bréchage potentiels ; ce qui peut encore aider à la prise de décision. Il est ainsi possible de produire sous forme d'atlas des documents couvrant toute la région, illustrant la sensibilité à la submersion des différents enjeux situés immédiatement en zone rétrolittorale.

La même démarche de compréhension du risque, appliquée par Axel Creach dans son travail de thèse, consiste à produire des documents facilement lisibles et compréhensibles à partir de la position de chaque maison par rapport à la distance au trait de côte, au niveau moyen de la mer, à la rapidité potentielle d'évolution d'une surverse et d'une submersion, etc.

Pour toute autre observation, je vous renvoie vers le site internet que nous avons ouvert la semaine dernière, et que nous alimentons progressivement.

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Catherine Meur-Ferec, professeur à l'Université de Bretagne Occidentale

La question qui revient en permanence, liée à la succession d'événements majeurs que nous avons connus, et notamment les décès entraînés par la tempête Xynthia en 2011 et l'ouragan Irma en 2017, est de savoir comment nous en sommes arrivés là. Comme le disaient Stéphane Costa et Marc Robin, il est très important d'avoir une idée de la profondeur historique, car la situation ne vient pas de survenir, elle s'est construite petit à petit.

Ce schéma montre l'évolution dans le temps de la distance entre la ligne de rivage et les principales habitations humaines. Il fait apparaître le recul progressif de la ligne du rivage vers l'intérieur des terres, tandis que les constructions se concentrent à proximité du rivage. Le temps passant, progressivement, l'espace tampon de plusieurs kilomètres entre les villages anciens et la mer s'est réduit jusqu'au boom du développement balnéaire dans la deuxième moitié du XXe siècle, et les risques côtiers émergent quand la dynamique du trait de cote rencontre la dynamique des installations humaines. C'est le croisement entre aléas et enjeux dont parlait Marc Robin.

Le changement climatique est un facteur aggravant de cette tendance au recul de la ligne de rivage, à l'érosion et à la submersion marine. Ce n'est pas le moteur du problème, mais un facteur aggravant aujourd'hui, et plus encore à l'avenir. La réaction des populations suite à la rencontre de ces deux courbes a été de fixer la ligne de rivage pour protéger les enjeux qui y ont été installés, et nous devons aujourd'hui gérer cette situation, dont nous héritons.

En Bretagne, on n'a malheureusement pas encore d'observatoire régional, mais on a des idées. Nous travaillons depuis plusieurs années au concept de vulnérabilité systémique, développé dans un programme de recherche appelé « Cocorisco », qui est maintenant terminé. L'idée centrale est que la vulnérabilité est la résultante de quatre composantes.

Tout d'abord ; les aléas, dont nous parlons beaucoup et qui regroupent tous les phénomènes d'érosion et de submersion marine. Les enjeux, ensuite, regroupent les enjeux humains que sont les risques de pertes en vies humaines ; et les enjeux bâtis : les constructions que nous risquons de perdre. Ce sont les deux dimensions classiques des risques.

Nous y ajoutons deux autres dimensions qui nous semblent essentielles pour comprendre la vulnérabilité des territoires. Il s'agit de la gestion, qui englobe toutes les politiques publiques de prévention et de gestion de crises, et tous les ouvrages et les travaux que l'on peut faire pour limiter cette vulnérabilité. Et la quatrième dimension, également très importante, est ce que nous appelons les représentations ou perceptions, des élus, des gestionnaires, des habitants. Ce qu'en pensent les gens est extrêmement important.

C'est la résultante de l'interaction de ces quatre composantes qui créé la vulnérabilité systémique. Nous avons basé tous nos travaux de recherche depuis plus d'une dizaine d'années sur cette approche.

Parmi ces quatre dimensions, les aléas sont les plus étudiés, les approches sont souvent centrées sur les aléas. C'est bien sûr très important, et nous nous intéressons à ces processus très difficiles à modéliser parce qu'ils ne sont pas linéaires. C'est là que s'inscrivent les effets aggravants du changement climatique, notamment la remontée du niveau marin et la question du stock sédimentaire, qui est hérité. Les aléas ont donc tendance à se renforcer et font l'objet de beaucoup d'efforts de recherche.

Les enjeux bâtis me semblent être au coeur du problème. C'est parce que nous avons ces enjeux que se pose la question des risques. Le problème est que ces enjeux continuent à croître et représentent des valeurs financières considérables, parce que la pression foncière sur le littoral ne se relâche pas, malgré toutes les régulations mises en place, ou parfois à cause d'elles. La densité du bâti est plus forte sur ces territoires. Les prix des terrains à la vente constituent une donnée extrêmement importante, et nous lançons une thèse pour savoir à combien ces terrains au bord de la mer s'échangent. Les valeurs sont très élevées, et je pense que c'est un point crucial et un frein à la politique de gestion des risques côtiers.

Les représentations sont souvent oubliées, parce que la mer attire et fait rêver. La maison les pieds dans l'eau continue à être valorisée, et les enquêtes que nous avons réalisées auprès des habitants montrent que deux tiers d'entre eux ne pensent pas spontanément aux risques d'érosion et de submersion liés à la mer. C'est peut-être une bonne chose qu'ils ne soient pas toujours angoissés, mais c'est tout de même révélateur : toutes les aménités du bord de mer prennent le pas sur la dimension du risque.

La gestion, enfin, est le levier qui permet d'agir sur les politiques publiques. En France la gestion des risques côtiers est largement prise en charge financièrement par le secteur public ; malgré la vieille loi de 1807, ce sont souvent les finances publiques qui vont prendre en charge les travaux de défense. Il existe un système d'assurance, nommé CatNat, fondé sur la solidarité nationale mais qui exclut sans fondement scientifique l'érosion marine ; et le fonds Barnier. Nous comptons aussi une pléthore de lois et d'outils de gestion. Nous n'en manquons pas, mais c'est leur application qui est plus difficile. Enfin, nous avons une stratégie nationale qui encourage la relocalisation, mais sur le terrain, on rencontre des forces de résistance très importantes, qui peuvent se comprendre. Il est utile d'avoir une vision de ce décalage entre la théorie à un niveau global et les difficultés sur le terrain.

À la suite du programme Cocorisco, l'Université de Brest a lancé le programme Osirisc, financé par la Fondation de France, et le programme Osirisc+, financé la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Bretagne. L'idée est de reprendre ces quatre dimensions : les aléas, les enjeux, les représentations et la gestion, et d'en faire un diagnostic, mais aussi un suivi. Parce que nous savons que la vulnérabilité systémique n'est pas fixe, ses quatre dimensions évoluent dans le temps. Il y a déjà beaucoup de suivi du trait de côte, l'idée serait de mettre en place des observatoires qui suivraient les quatre dimensions. Nous n'en sommes qu'au stade de la recherche, c'est encore expérimental, car faire le suivi des représentations n'est pas simple. Nous sommes en train de mettre en place les indicateurs qui nous permettront de refléter les données que nous pouvons avoir sur les aléas, les enjeux, la gestion et les représentations.

Cet outil est construit avec les gestionnaires des risques, des collectivités territoriales volontaires et les services de l'État. Nous faisons des allers-retours entre le laboratoire et le terrain pour caler ces indicateurs. Ils servent à la recherche académique, mais ils ont aussi vocation à aider la décision publique et à être alimentés par les gestionnaires de risques. Ces travaux ne sont pas terminés, nous espérons qu'ils aboutiront à la création d'observatoires plus larges, qui permettront d'aborder d'autres thématiques.

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Merci pour ces présentations très riches, qui incitent à penser qu'il serait bon que les outre-mer puissent disposer des mêmes outils scientifiques que la Métropole, car les événements climatiques y sont plus violents, emportent plus de conséquences et connaissent une intensité croissante.

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Quelle perception ont les élus et les citoyens de vos travaux ? Constatez-vous une évolution encourageante dans ce domaine ?

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

Nous avons commencé nos travaux voici quelques décennies, et nous constatons que les mentalités évoluent. Il y a encore dix ans, lorsque nous parlions de ces phénomènes et de relocalisation des biens et des personnes, les réunions publiques ne se passaient pas bien, et nous étions traités de doux rêveurs, de gens qui feraient mieux de sortir de leur laboratoire.

Aujourd'hui, nous trouvons une oreille attentive. Bien évidemment, au début des réunions, nos élus locaux nous disent, si vous me passez l'expression : « Je veux du béton financé par le chéquier de l'État. » Ce n'est plus possible, d'abord parce que l'argent s'est raréfié, ensuite parce que nous avançons des arguments historiques et physiques qui montrent que les ouvrages mis en place vont à l'encontre de l'effet recherché. Il est illusoire de vouloir se protéger partout et de tout par des ouvrages.

On assiste à une réelle prise de conscience des élus qui sont passés du « Cela n'est pas possible » à « Pourquoi pas ? », voire à « Comment fait-on ? ». Je me déplace dans toute la France, j'ai d'ailleurs travaillé à Oléron dans le cadre de la Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, et je constate qu'une prise de conscience est apparue après la tempête Xynthia. Il y a vraiment un avant et un après ; on s'est rendu compte qu'en France plusieurs dizaines de morts pouvaient subvenir à cause d'une tempête.

Les travaux qui ont été poursuivis après Xynthia ont montré que des situations comparables à La Faute-sur-Mer étaient nombreuses en France. La responsabilité des élus me paraît ainsi croissante : ils nous écoutent et nous entendent, et ont envie de progresser avec nous.

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Catherine Meur-Ferec, professeur à l'Université de Bretagne Occidentale

J'ajouterai que les élus et nous avons besoin d'apprendre à nous connaître, car ils ont parfois une fausse idée des scientifiques. Nous devons faire passer la notion d'incertitude, peut-être le faisons-nous mal, et les élus nous demandent régulièrement quel sera le niveau de la mer sur les rivages de leur commune en 2100. Nous leur répondons qu'il est impossible de le savoir, et – ce qu'ils comprennent parfaitement – que cette question ne peut être reportée sur le scientifique.

Nous gérons des risques, de l'incertitude, c'est donc au politique qu'il revient de prendre la décision ; c'est parfois dans ces relations que se glisse de l'incompréhension. Mais, comme l'a relevé Stéphane Costa, les choses évoluent positivement lorsque l'on parvient à mieux se connaître grâce aux contacts entre les deux mondes.

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Je vous prie de bien vouloir excuser mon retard, dû à la concomitance de deux réunions, résultat de notre « millefeuille » administratif à la simplification duquel nous travaillons. Je salue tout particulièrement nos interlocuteurs, particulièrement Marc Robin que j'ai eu l'occasion de revoir il y a peu.

J'ai entendu aujourd'hui les représentants d'une association de Soulac-sur-Mer, commune sur le territoire de laquelle se trouve le fameux immeuble « Le Signal ». Un de mes interlocuteurs a considéré que le zonage des territoires à risque présentait le défaut de regarder le phénomène de l'érosion côtière depuis la terre, alors que le SHOM l'analyse depuis la mer.

Selon vous, ce phénomène est-il vraiment différent selon le point de vue à partir duquel on le considère ? Ces points de vue sont-ils complémentaires ? Faut-il allier les deux afin d'avoir l'analyse la plus fine possible ?

Dans le cadre de nos travaux législatifs, j'avais eu un échange avec Marc Robin ; pour ma part, je considère que nous avons besoin d'une base très solide, ce qui passe par le zonage le plus fin possible.

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Nos interlocuteurs ont abordé cette question, et défendu le point de vue « terre-mer intégré » en relevant que cela constituait tout l'enjeu d'une amélioration de la recherche et des connaissances.

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

Vous avez très clairement répondu, madame la présidente : il faut effectivement regarder des deux côtés, sans quoi une partie est oubliée, car l'équilibre des plages et des dunes est fonction de ce qui se passe sous l'eau. Travailler sur le seul trait de côte est trop simpliste, et ne permet pas de répondre à la question de la mobilité des rivages, qui doit être considérée dans la perspective d'un continuum terre-mer évident.

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La remarque de notre collègue est intéressante, car on voit bien que les habitants ont cette approche tronquée du phénomène, alors qu'il faut lier les deux points de vue qui sont complémentaires. J'ai d'ailleurs pu entendre le son de cloche inverse, affirmant que l'on prenait trop la terre en compte au détriment de la mer. Or tout l'enjeu à venir consiste à savoir comment intégrer les deux.

On parle beaucoup d'approche transversale et intégrée, vous avez beaucoup insisté sur le fait que l'on s'efforce désormais de mettre les recherches en cohérence, en coordonnant les visions locale et régionale. J'ai cru comprendre que l'on travaillait à rassembler les diverses études afin d'aboutir à un ensemble cohérent, mais cette complémentarité est-elle de mise en amont, avant le lancement des travaux ? Bâtissez-vous en amont des stratégies nationales de recherche, en répartissant les travaux entre les divers acteurs afin notamment d'éviter de financer deux fois la même recherche ?

Je souhaiterais par ailleurs que vous puissiez vous exprimer au sujet des territoires ultramarins, et nous faire part de votre perception des événements climatiques majeurs qu'ont constitués les ouragans Irma, Maria et José.

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Selon vous, un fondement légal de la stratégie de recul du trait de côte serait-il nécessaire ?

Vous avez par ailleurs indiqué que, concernant la protection des rivages, entre le cordon littoral naturel il faut laisser évoluer et la digue : existe-t-il une solution ou faut-il une diversité de solutions ? Car la suppression de certaines digues protégeant des habitations n'est pas envisageable.

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Considérez-vous que le trait de côte recule toujours plus au fil des années, ou bien que le phénomène est cyclique, dû à des périodes de mauvais temps ?

La maire de Houat est très inquiétée par l'effondrement de la dune sur l'île. Quant au maire d'Erdeven, il n'avait jamais vu le trait de côte souffrir autant, au point que des débris du cargo TK Bremen ont émergé.

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

En réponse à Mme la présidente, je dirais que, dans le domaine de la recherche académique, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'université dont nous dépendons tentent de travailler en complémentarité et en synergie. La chose n'est toutefois pas si simple, car nous répondons à des appels d'offres nationaux, et c'est l'Agence nationale de la recherche (ANR) qui, avec des experts, choisit qui aura le droit de faire de la recherche ou non, selon des critères de qualité.

Il n'est donc pas toujours facile de s'organiser. En revanche, au travers de ces observatoires régionaux dans lesquels nous sommes très généralement investis, dans le cadre de la stratégie nationale impulsée par le ministère, nous nous rencontrons régulièrement, car notre communauté n'est pas très large. C'est par le biais des observatoires que nous tâchons de nous organiser, en créant des liens entre nous, avec les services de l'État et le ministère.

Je considère toutefois que des choses restent à améliorer en la matière. Cela vaut aussi pour les établissements publics, qui me semblent très complémentaires, mais qui, à mon sens, sont mis en compétition depuis de nombreuses années pour des raisons financières, ce qui est cause d'une perte d'efficacité, alors que ces établissements sont extrêmement complémentaires, mais c'est un schéma classique.

Pour dire les choses clairement, il me semble qu'il existe des façons de travailler plus efficaces, et qu'une volonté collégiale de travailler ensemble est présente. J'évoque ce que je vis au sein d'un réseau auquel je participe dans le cadre de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte.

À monsieur Buchou, je confirme qu'il est absurde de dissocier inondation et érosion. Cela peut arranger certaines structures…

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Qu'en est-il de la limite séparant le domaine public maritime de la terre ?

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

Dans les cas que nous évoquons, qui sont extrêmement violents, ou dans celui de l'élévation du niveau des mers lié au changement climatique, ces limites sont largement dépassées. Elles ont leur raison juridique, mais ne correspondent plus à question que nous nous posons sur les risques naturels, ou dits naturels.

Au même titre que les inondations marines, le trait de côte doit avoir un statut juridique clair et précis ; et, dans la mesure du possible, il ne faut surtout pas dissocier les deux. Il a été en effet observé que l'érosion des dunes peut causer des inondations par la mer dans les zones basses se trouvant immédiatement derrière. Il y aurait donc effectivement du sens à créer ce lien.

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Catherine Meur-Ferec, professeur à l'Université de Bretagne Occidentale

S'agissant de la relocalisation, je pense qu'il est important de légiférer. Les travaux de votre ancienne collègue Pascale Got, que nous avons suivis, ont permis une avancée importante. Il est toutefois dommage que cette belle proposition de loi ait été entrelardée de dispositions tendant à assouplir la loi « littoral ». C'est un avis qui n'engage que moi, mais j'estime que la loi « littoral » est suffisamment souple pour être appliquée et qu'elle permet, précisément, de réinstaller dans des zones déjà urbanisées des bâtiments que l'on aurait délocalisés parce que trop près du bord.

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

S'agissant des digues, toute la difficulté consiste à gérer à la fois l'événement et la réponse des élus et des services de l'État. Ceux-ci tendront, à juste titre, à installer rapidement des éléments en dur pour éviter des morts ou des dégâts trop importants. Mais il faut faire en sorte que cette gestion de crise ne soit pas pérenne, qu'elle ne nuise pas à la dynamique future.

Il n'existe pas de solution unique pour l'ensemble du littoral, mais des solutions pour chaque site. Pendant plus de cinquante ans, l'ingénierie a été considérée comme salvatrice ; il ne s'agit pas aujourd'hui de tomber dans le travers inverse en interdisant d'installer quoi que ce soit et de laisser le littoral suivre son cours naturel. Là où les enjeux sont les plus grands, on peut se permettre de protéger les territoires avec des ouvrages en dur. Cela doit précisément donner du temps pour s'organiser et, éventuellement, déplacer les biens et les personnes. Il ne faut pas être dogmatique et interdire les ouvrages, certains enjeux le méritent, mais leur mise en place doit permettre une réflexion sur les dispositions à prendre dans un futur plus ou moins proche – et surtout pas justifier une nouvelle urbanisation !

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Catherine Meur-Ferec, professeur à l'Université de Bretagne Occidentale

Plus on construit d'ouvrages, plus on reporte sur les générations futures le coût de l'entretien de ces ouvrages. Souvent, les riverains demandent un gros mur bien solide, mais un tel mur, ça s'entretient ! Tout ce qui est fixe sur une côte mobile nécessite des coûts d'entretien importants. La réflexion doit intégrer cette donnée.

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

Vous nous avez interrogés sur l'évolution du trait de côte, qui semble plus marquée ces dernières années. Certains forçages sont eux-mêmes cycliques : à une décennie très tempêtueuse peut succéder une période où les tempêtes seront moins nombreuses, l'érosion moins forte. Mais, cela a été dit, la plage évolue chaque saison avec un certain degré de liberté et il y a une tendance lourde à l'épuisement du stock de sédiments hérités de la période glaciaire. Malheureusement, on ne va pas dans le bon sens !

Il est compliqué de mettre en évidence une accélération de cette évolution. Les ouvrages de défense contre la mer ayant profondément modifié la dynamique du milieu, il est difficile de faire la part des choses. En certains endroits, le recul du trait de côte est beaucoup plus rapide, en lien avec les actions humaines. Ailleurs, il recule moins vite parce que celles-ci n'ont pas encore eu trop d'effets.

Il faut ajouter à cela l'élévation du niveau des mers. Lorsqu'on parlait de 40, de 50, voire de 60 centimètres, on pouvait s'attendre à des phénomènes ponctuels. Mais avec une hausse d'un mètre, on sait ce qui va se passer : cela n'ira pas du tout dans le bon sens ! Il faut anticiper, sans quoi la nature nous imposera son timing. Il faudra alors gérer dans l'urgence. Or l'urgence est mauvaise conseillère, et généralement très onéreuse.

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Marc Robin, professeur à l'Université de Nantes

Le recul du trait de côte est fonction de l'élévation du niveau de la mer et de la rythmique. Permettez-moi de vous présenter un graphique réalisé par le SHOM, qui a analysé à nouveau l'ensemble des relevés marégraphiques de la station de Saint-Nazaire depuis 1860. On dispose d'une série pour Brest qui remonte à 1820 et d'une autre pour Marseille qui débute en 1840. L'augmentation du niveau de la mer est progressive et l'on s'aperçoit que le niveau ne s'est élevé que de 10 ou 15 centimètres depuis 1860, ce qui n'est rien, finalement, par rapport à une surcote.

Il faut raisonner à deux échelles. Au niveau global, la mer, plus haute, va aller taper dans terres et faire reculer la côte de façon relativement régulière. Au niveau local, les effets peuvent être différents. Au sud de la Vendée, la Pointe d'Arçay, tout comme la Pointe de l'Aiguillon, n'existait pas il y a trois siècles ; La Faute-sur-Mer s'est déployée sur une unité sédimentaire récente, dans un contexte de hausse du niveau de la mer. Ainsi, il existe des endroits où la remontée du niveau de la mer s'accompagne d'une accrétion du littoral, grâce à une redistribution des stocks sédimentaires : c'est le cas de la baie de Pont-Mahé, de la flèche sableuse de Noirmoutier, du littoral du Pays de Monts ou encore de l'estuaire de la Baisse, que les Grognards de Bonaparte traversaient à pied et qui est aujourd'hui recouvert d'un cordon dunaire.

Dans d'autres endroits, la hausse du niveau de la mer entraîne une érosion. Le recul de la cote peut être aussi associé à la mise en place des défenses côtières, mais c'est normal puisqu'elles se trouvent là où les enjeux sont les plus grands, lorsqu'il y a une extension urbaine le long du littoral. À partir du moment où on a engendré les conditions de fixation du trait de côte, on met des défenses côtières et, par malheur, le trait de côte recule.

Certains secteurs côtiers connaissent une accrétion, d'autres, un recul chronique. Si on n'assoit pas la réflexion sur la notion de mémoire – une reconstitution des enjeux et des aléas sur plusieurs siècles –, on se retrouve à côté de la plaque : c'est ainsi que l'on construit un Soulac dans une zone peu éloignée de la Passe d'Arcachon – un risque majeur dans ce milieu éminemment mobile.

Sur le long terme, il peut y avoir de l'érosion chronique. L'oscillation nord-atlantique fait qu'une période de deux ou trois ans de plus grande houle sera suivie d'une période beaucoup plus calme. Le trait de côte reculera de façon effrénée, avant une phase de résilience. En Guyane, les fameux wagons sédimentaires se succèdent, selon un rythme de six ou sept ans. La côte se met en accrétion, prograde, la mangrove s'installe puis, progressivement, le wagon sédimentaire passe et une belle érosion apparaît. Il ne faut pas arriver tels des kamikazes pour urbaniser un secteur en accrétion, sans comprendre que cette phase peut être suivie d'un recul de 500 ou de 1 000 mètres ! Ces déplacements sédimentaires se produisent sur l'ensemble de nos littoraux.

L'aménagement du littoral était inconsidéré dans les années 1970. Il nous faut gérer aujourd'hui cette crise, en adaptant la réponse : mettre des défenses côtières, corseter le littoral lorsque cela coûterait trop cher de déplacer les biens et les personnes ; et quand on peut se le permettre, déménager les enjeux et laisser le littoral évoluer librement.

Nos petites îles – Ré, Oléron, Noirmoutier – sont des cordons sédimentaires qui se sont déplacés progressivement ces six mille dernières années. Il y a deux mille ou trois mille ans, ils ont « shifté » de plus de trois kilomètres. Ces îles, qui étaient autrefois plus à l'ouest, sont aujourd'hui garrottées par des défenses côtières, avec des enjeux très importants.

Oui, les solutions dont il s'agit sont peu pérennes. Mais on ne conçoit le développement durable que sur un demi-siècle ; sinon, il entrave le développement économique d'une société. Nous sommes face à cette contradiction absolue : nous parlons de développement ou de gestion durables, alors que nous nous projetons à cinquante ans. Si nous devions regarder à cent, deux cents ou trois cents ans, il faudrait sortir le chéquier - une catastrophe absolue pour la société ! Nous devons adopter une gestion de bon père de famille, au coup par coup, sans établir de règle absolue. Finalement, ce que nous gérons au quotidien, c'est une crise.

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

À chaque site, sa solution environnementale et sa solution de gestion. Plusieurs mois ou plusieurs années après le passage de tempêtes, des plages et des dunes peuvent se reconstruire. En Polynésie française, les cyclones et les tempêtes tropicales arrachent des morceaux de corail sur le platier corallien pour alimenter les motu, les plages lagonaires. Des travaux montrent que, dans l'hexagone, les tempêtes transportent des sédiments des petits fonds sur la plage et la dune. Encore faut-il qu'il reste des stocks de sédiments ; ils sont épuisés en certains endroits, ce qui annonce des situations très compliquées.

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Catherine Meur-Ferec, professeur à l'Université de Bretagne Occidentale

Il est normal que les digues soient endommagées. En stabilisant la ligne de rivage, la digue empêche la mobilité naturelle et provoque un abaissement de la plage. Si l'on souhaite que cela ne bouge plus, la seule solution est de recharger en sable. C'est une pratique souvent décriée, perçue comme inutile et comparée à un travail de Shadoks – on met du sable, qui disparaît. Mais si vous avez un parc urbain à entretenir, vous n'imaginez pas élaguer les arbres ou tondre la pelouse une fois pour toutes ! Une plage urbaine, c'est pareil : pour que la ligne de rivage ne bouge pas, il faut rajouter du sable, à un rythme qui dépendra des particularités du site. Ce n'est pas si idiot que cela. Le problème, c'est le coût, et la question est toujours la même : qui paye ? Est-ce le jouisseur ?

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Nous avons parlé du zonage, de la complémentarité entre la vision terrestre et la vision maritime. Nos travaux législatifs comportent un volet économique et financier, qui nous interpelle, et qui s'appuiera sur ce zonage. Quelle est, selon vous, la bonne durée pour analyser ce phénomène extrêmement dynamique ? Quel serait le temps nécessaire pour cartographier, vu de la terre et de la mer, l'ensemble du littoral français – si tant est que cela n'existe pas déjà ?

Il semble que ce zonage soit le moins discutable scientifiquement. Le texte qui s'appuierait dessus serait ainsi moins problématique pour les élus concernés. J'ai conscience de la difficulté de la réponse…

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

Vous m'avez vu grimacer… Le réseau d'observation du littoral normand et picard s'est lancé, avec le SHOM et toute une série de partenaires – État, services de l'État, régions Normandie et Hauts-de-France, agences de l'eau, Union européenne, dans un projet de cartographie topo-bathymétrique. Le projet concerne un continuum territorial qui va de la baie du Mont-Saint-Michel à la frontière belge, de 400 mètres à l'intérieur des terres jusqu'à l'isobathe de moins cinq mètres. Cette expérience a commencé il y a deux ans et demi ; nous en sommes à peine à la moitié du levé. Il est fort probable que la restitution des données aura lieu d'ici un an. Pour un tel linéaire – près de 3 000 kilomètres carrés –, il faut donc compter environ trois ans. Mais la Manche est une mer compliquée, très turbide, qui nous oblige à passer plusieurs fois, et les conditions climatiques en Normandie et dans les Hauts-de-France ne sont pas toujours idoines pour un LiDAR topo-bathymétrique.

Dès lors que l'on considérera cette donnée comme la donnée socle, le réseau des observatoires a proposé, dans le cadre de la stratégie nationale, que nous nous mettions en ordre de bataille. À partir du moment où l'avion et le LiDAR seront mobilisés, nous pourrons faire des économies de temps en nous transportant de Bretagne en Méditerranée si les conditions climatiques ne sont pas réunies. S'il nous faudra quand même quelques années pour effectuer l'ensemble des levés, c'est, à mon avis, la voie qu'il faut suivre.

Cette technique fournit des informations extrêmement fines, puisque chaque point – plusieurs au mètre carré – est connu en longitude, en latitude, et en altitude, à quelques décimètres près.

Le réseau a mis en place une stratégie de suivi qui se veut récurrente : une première tranche est constituée d'un levé topo-bathymétrique, puis, trois ans plus tard, d'un levé topographique ; une deuxième phase lui succéderait trois ans après, avec un nouveau levé topo-bathymétrique. Nous obtiendrions ainsi le film de l'évolution.

Le coût de la première tranche, depuis la frontière belge jusqu'à la baie du Mont-Saint-Michel, est de 5 millions d'euros. Ce n'est rien au regard des dégâts, ou de la réfection d'une digue.

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L'observation satellite ne suffirait-elle pas ?

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Marc Robin, professeur à l'Université de Nantes

Le satellite n'apporte pas assez de précision. Les images satellitaires sont composées de pixels représentant une surface de 30 mètres carrés. Les images tirées du LiDAR aéroporté ont une résolution de 10 centimètres environ ; avec le drone, on descend au centimètre. Nous avons besoin de cette précision centimétrique pour établir des cartographies suffisamment précises et minimiser les marges d'erreur. Le satellite sert à beaucoup de choses, mais il est insuffisant pour cartographier le trait de côte.

C'est précisément la définition du trait de côte qui pose problème. Est-ce une ligne, une bande entre la terre et la mer ? Des réflexions sont menées et petit à petit, des protocoles d'observation se mettent en place.

En définitive, il existe trois traits de côte : le trait de côte géomorphologique, qui correspond au contact entre la plage et ce qu'il y a derrière – une digue, un remblai, une dune, une falaise – ; le trait de côte que l'on aperçoit sur les images aériennes ou satellitaires, du type limite de végétation ; le trait de côte hydrologique, c'est-à-dire l'intersection entre la ligne de marée et la terre. C'est là que le LiDAR trouve tout son intérêt, puisqu'il permet de tracer, grâce à une topométrie fine, une ligne homogène sur l'ensemble du territoire métropolitain et ultramarin. Grâce à cette technique, on peut aussi partir d'une surcôte et définir ainsi une côte maximum, dans le cas d'événements extrêmes.

La principale difficulté réside dans la mise à jour des données. Après une tempête, la topo-bathymétrie change, les dunes hydrauliques bougent. Il vaut mieux faire du monitoring haute fréquence pour suivre les tendances à court terme du trait de côte.

Ces tendances à court terme ne sont toutefois pas suffisantes pour asseoir une politique publique. Si l'on se base sur une phase de l'oscillation nord-atlantique très tempêtueuse – vingt-deux tempêtes se sont succédé durant l'hiver 2013-1014 –, avec une évolution très rapide du trait de côte, on prendra une décision dans l'urgence, qui ne collera pas avec la phase suivante, plus calme.

Un bon référentiel, unissant les sphères scientifique et opérationnelle, doit pouvoir donner trois visions de l'évolution du littoral. Une vision à très court terme permet de savoir comment le littoral réagit instantanément – c'est important dans le cas du Signal, à Soulac, qui se trouve à 15 mètres du trait de côte et qui devrait s'effondrer lors de la prochaine tempête, mais aussi pour d'autres barres d'habitation sur le littoral vendéen ou pour des pavillons individuels situés juste derrière un trait de côte dont l'évolution peut être rapide.

La vision à moyen terme permet de dépasser cette rythmique de six ou sept ans à l'oeuvre en métropole, qui fait se succéder des périodes d'énergie et des périodes plus calmes.

Enfin, il faut disposer d'une vision à long terme. Les premiers documents aériens dont nous disposons remontent à 1920, les photos qui ont permis à l'IGN de faire un état des lieux complet du territoire métropolitain datent de 1945. Nous avons donc soixante-dix ans de suivi assez régulier du trait de côte. Mais il faut remonter bien au-delà, grâce à des documents comme le cadastre napoléonien, la carte de Claude Masse ou les cartes d'état-major. Ils sont certes moins précis, mais ils permettent de comprendre la tendance évolutive du littoral.

La Pointe d'Arçay est tout à fait emblématique d'un territoire qui se crée en l'espace de trois siècles, une flèche prodigieuse qui s'étend sur huit kilomètres, un littoral qui prograde et s'urbanise. Si ces trois temps ne sont pas intégrés dans la réflexion, si la connaissance du zonage et des bandes de précaution à respecter n'est pas suffisante, les erreurs du passé se reproduiront.

Il faut aussi prendre en compte les enjeux : que faire pour la baie de La Baule, avec ses remblais et ses buildings, sinon recharger la plage et la drainer, grâce au système Ecoplage, afin de maintenir le plus possible les sédiments ? C'est un plâtre sur une entorse, mais il n'existe pas d'autre solution. La Baule, c'est d'abord une flèche littorale, comme la Pointe d'Arçay, avec de jolies dunes paraboliques qui autrefois bougeaient. Aujourd'hui, elles sont complètement garottées par une installation qui ne tient pas la route.

De la même manière, les lidos du Languedoc ont été urbanisés, des épis de protection ont été installés sur le trait de côte, avec un effet « domino », pour reprendre les termes de Roland Paskoff, puisqu'ils bloquent l'apport de sédiments. Du coup, les bassins versants sont décaissés, l'eau ne sort plus, le déséquilibre est absolu. Mais que faire aujourd'hui de ces centaines de milliers de maisons, de ces zones industrielles, de ce tissu d'activités ? C'est extrêmement angoissant.

Sans vouloir être anxiogène, il faut, à un moment donné, tirer la sonnette d'alarme. Assumons les choix qui ont été faits par le passé – au risque de transférer cette charge aux générations futures –, mais posons aussi les bases d'un nouveau contrat. Il faut avoir le courage de sermonner : « Acceptez de faire des efforts ! S'il faut relocaliser, s'il faut déplacer, s'il faut adapter, allons-y ! » Mais on ne peut faire cela que si l'on a une mémoire, que si l'on dispose de la reconstruction historique du territoire.

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Cela signifie qu'il faut préserver le budget du SHOM.

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

Pas seulement ! Il faut mettre en ordre de bataille toute une série d'établissements publics, aux compétences diverses et variées. Il ne s'agit pas de les opposer ou d'en choisir certains, tous ont un intérêt, et certains souffrent de financements insuffisants. Les compétences dont nous disposons en France sont remarquables, nous avons tout ce qu'il faut pour faire quelque chose de bien ensemble. Face à une tâche aussi ample, à des enjeux aussi considérables, la solution ne peut être que collective. En plus des établissements publics, il faut intégrer la recherche académique qui réfléchit sur les concepts, les méthodes, les techniques, les bons indicateurs. C'est aussi notre coeur de métier.

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Je souhaiterais connaître votre avis sur les sciences participatives. Mesurant les besoins en termes de connaissances et de mise à jour des données, je me suis demandé si l'on ne pourrait pas mobiliser les populations afin que, de spectatrices de ces évolutions, elles deviennent actrices et contribuent aux recherches. J'ai pu échanger avec certains scientifiques qui se plaignent du manque de passerelles avec les sciences humaines. En outre, la démarche participative conduit de facto à une meilleure sensibilisation des populations. Ce que vous avez proposé en matière de réalité virtuelle pour « saisir » les élus pourrait permettre de les impliquer davantage.

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Catherine Meur-Ferec, professeur à l'Université de Bretagne Occidentale

Avant de vous apporter une réponse, madame la présidente, je souhaiterais compléter les propos de mes collègues sur le temps et les moyens que requiert une cartographie de zonage.

Je pense que cette cartographie peut être réalisée à différentes échelles, en commençant par le zonage des enjeux urgents. On peut les identifier en quelques années, l'idée étant de les démolir lorsqu'ils ne sont pas protégés et qu'ils sont peu denses.

Viennent ensuite les enjeux de deuxième ligne. L'idée de la proposition de loi de Pascale Got est qu'une personne publique les acquière, puis les exploite en les louant. Cela permet d'attendre le temps nécessaire, puisque l'on ne sait pas avec certitude la vitesse à laquelle ces phénomènes se produiront. Lorsque les choses s'accéléreront, la personne publique pourra demander aux locataires de partir, et procéder à la démolition. Cette notion « en deux temps » est importante dans le zonage des enjeux.

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

La communication, madame la présidente, est assurée aujourd'hui par les géographes. Nous avons essayé d'emboîter les échelles spatiales et temporelles, clé de voûte de toute compréhension de systèmes complexes. L'échelle spatiale concerne aussi bien les services de l'État que la commune. Se contenter de gérer au niveau de la commune serait grotesque, gérer seulement au niveau de l'État impliquerait une vision trop éloignée. Il faut rapprocher les échelles pour aboutir à une gestion plus concertée.

Géographes, nous pratiquons à la fois les sciences humaines et les sciences sociales. La spécificité de la géographie réside justement dans cette approche systémique, pluridisciplinaire. Nous nous intéressons aux interrelations entre les éléments qui constituent les milieux sur lesquels nous travaillons. Nous nous plaçons légitimement entre nature et société et étudions aussi bien les phénomènes physiques que les phénomènes humains et sociaux. Il est certain qu'il faut rapprocher la physique des sciences humaines et sociales. Le littoral, c'est l'interface par excellence entre nature et société !

Les sciences participatives sont effectivement fondamentales. Nous conduisons en Normandie le projet « Coquelicot », qui consiste à demander aux habitants, aux élèves, aux touristes de prendre des photos du littoral. Nous imposons un protocole minimum afin que les données puissent être exploitables. Il s'agit de photographier, toujours sous le même angle, un certain nombre de points. La plus-value de cette technique est qu'elle permet l'appropriation par les populations des dynamiques côtières, donc des risques quotidiens. Cette culture scientifique, voire cette culture du risque partagé, est fondamentale. Il existe des précurseurs en la matière : Météo-France dispose d'une batterie de personnes passionnées par la mesure météorologique, qui participent aux recherches en respectant un protocole assez rigoureux.

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Catherine Meur-Ferec, professeur à l'Université de Bretagne Occidentale

Nous n'avons pas répondu à votre question concernant Irma. Je ne suis pas du tout spécialiste de ces territoires, mais il me semble qu'un aléa identique, les ouragans, ont causé des dommages très différents selon les îles. On en revient à la question de la vulnérabilité systémique : ce qui fait le dommage, ce n'est pas seulement le phénomène déclencheur, ce sont aussi les facteurs structurels d'organisation des sociétés, et leur plus ou moins grande richesse. C'est ce qui explique qu'Haïti soit toujours frappée de façon catastrophique. S'il est important de connaître la trajectoire du cyclone et son intensité, les facteurs structurels d'organisation de la société sont fondamentaux pour déterminer la vulnérabilité des territoires.

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Stéphane Costa, professeur à l'université de Caen-Normandie

Je conclurai sur trois mots-clés, qui reviennent régulièrement dans nos propos et dans les questions qui nous ont été posées. Le premier d'entre eux est « partenariat ». Il faut tisser des partenariats entre les organismes de recherche, les services de l'État et les collectivités, territoriales ou locales. Il faut mettre tout le monde autour de la table pour discuter des contraintes, des enjeux, et que tous puissent se comprendre.

Le deuxième mot-clé sera celui de « collégialité ». On est toujours plus intelligents à plusieurs, aussi faut-il rapprocher les différents angles de vue, les sciences physiques – atmosphérique, géologique – et les sciences humaines et sociales.

« Solidarités » est le troisième mot-clé, qui renvoie à la solidarité de l'État envers les territoires, mais aussi aux solidarités entre les collectivités. Il faut mettre en place des solidarités le long du transit sédimentaire – la cellule hydro-sédimentaire étant la cellule minimale de gestion, de la même manière que le bassin versant est l'échelle idoine pour les crues continentales. Les communes littorales et les communes sur l'arrière littoral doivent également être solidaires.

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Catherine Meur-Ferec, professeur à l'Université de Bretagne Occidentale

Dans les deux sens, pour les bénéfices et pour les coûts !

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Marc Robin, professeur à l'Université de Nantes

J'ajouterai, pour ma part, le mot « mémoire », car une société sans mémoire, c'est une société sans liens. Il faut reconstituer les mémoires environnementales et sociétales. De ce point de vue, la science participative peut être intéressante en permettant de reconstruire la trajectoire des territoires avant le temps zéro qui est le nôtre.

Lorsque l'on commence à interroger la mémoire et à remettre en perspective la trajectoire d'évolution territoriale, on peut questionner plus vivement la notion de développement durable. Il faut savoir choisir les bonnes solutions par rapport à nos possibilités économiques, sociales, à notre modèle de développement et surtout à notre propre trajectoire. Lorsque l'on regarde ce qui s'est passé ces cent dernières années sur le littoral, on s'aperçoit que l'on aurait pu prévoir ce qui nous arrive aujourd'hui. Il est peut-être encore temps de limiter la casse, même si, dans certains secteurs, cela paraît compliqué. Il ne faut pas faire l'autruche, mais regarder les problèmes et les replacer dans une dimension historique. C'est vrai pour tout ce qui est physique, comme pour tout ce qui est humain.

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Il me reste à vous remercier sincèrement pour votre temps, votre disponibilité et ces échanges, extrêmement riches et éclairants. Vos présentations méritent d'être partagées, aussi je souhaiterais pourvoir les annexer à nos travaux.

Par ailleurs, nous prévoyons, sous l'égide de la Présidence de l'Assemblée, un déplacement en Vendée en mai ou en juin. Peut-être pourrions-nous affiner ensemble le programme et prévoir la visite de centres de recherche, afin de rencontrer, sur le terrain, les équipes de chercheurs et les spécialistes des observatoires régionaux du littoral.

L'audition s'achève à dix-huit heures quinze.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 21 mars 2018 à 16 h 15

Présents. - M. Stéphane Buchou, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, Mme Maina Sage

Assistait également à la réunion. - M. Jimmy Pahun