Intervention de Marc Robin

Réunion du mercredi 21 mars 2018 à 16h15
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Marc Robin, professeur à l'Université de Nantes :

Dans la droite ligne de ce que vient de dire mon collègue Stéphane Costa sur les observatoires régionaux, et en complément à ses propos, je me concentrerai sur l'observatoire des risques côtiers de la région Pays-de-la-Loire. C'est un observatoire récent, créé en 2016. Cela ne signifie pas qu'il n'y avait rien avant cette date, mais nous essayons de coordonner les différentes actions sur l'observation des risques côtiers dans cette région, pour faciliter la prise de décisions.

L'observatoire a été créé avec l'ensemble des partenaires en région : services de l'État, collectivités, et un certain nombre de partenaires comme le BRGM ou l'Office national des forêts (ONF). Il fonctionne selon la logique du réseau des observatoires que vient d'exposer Stéphane Costa, et il est animé par l'Observatoire des sciences de l'univers de l'Université de Nantes. La gouvernance de cet observatoire réunit un comité technique et un comité de pilotage pour la prise de décisions.

Cet observatoire est structuré en cinq modules : le premier a vocation à compiler l'ensemble de l'information sur le risque côtier en région Pays-de-la-Loire, et il a achevé ses travaux. Le deuxième module est construit autour de la structuration de l'acquisition de l'information géographique complémentaire – j'en dirai un petit mot par la suite. Le troisième module est fondé sur l'histoire des risques, car il est nécessaire de reconstruire une mémoire des événements du territoire, sans laquelle il n'est pas possible de prendre de bonnes décisions. Le quatrième module est structuré autour d'outils de géotraitement, car si l'on sait compiler de l'information, il est beaucoup plus complexe de le faire pour créer des indicateurs intelligents au service des politiques publiques. Nous travaillons à proposer des solutions dont je vous parlerai par la suite. Enfin, le dernier module se consacre à la valorisation et la communication ; un site web vient d'ailleurs d'être mis en ligne.

Cet observatoire doit remplir un certain nombre de missions. J'en ai retenu six, cette liste n'est pas exhaustive. Il faut une base qui permette à l'ensemble des partenaires de se comprendre.

La compréhension des risques est la mission première d'un observatoire, avec la reconstruction d'une mémoire qui manque la plupart du temps. Nous voyons en effet que les catastrophes qui se produisent sont permises par l'absence ou la perte de cette mémoire.

La deuxième mission est de combler le manque important de connaissances actualisées sur le territoire. La prise de décision repose parfois sur certaines lacunes, ce qui peut être dramatique.

Troisièmement, il est nécessaire d'observer les aléas, sur différents pas de temps. La récurrence des tempêtes ne doit être étudiée seulement sur les dix dernières années, il faut remonter dans le temps pour avoir une meilleure connaissance de la périodicité d'une tempête, le rythme d'une surcote ou de l'érosion.

Le quatrième rôle que l'on peut attribuer à l'observatoire, c'est l'observation des enjeux : urbanisation, enjeux humains et non-humains. Si les aléas restent constants au cours de l'histoire, les enjeux varient considérablement. La montée des risques repose souvent sur l'extension, fréquemment incontrôlée, des enjeux en zone côtière.

Le cinquième rôle est la nécessité de construire des indicateurs pour produire des cartes de risques pertinentes et compréhensibles par l'ensemble des partenaires des observatoires et la population.

Enfin, tout ceci, doit être mis au service des politiques publiques.

Je voudrais illustrer ces différents rôles par de la cartographie ou des photographies, sans faire un discours théorique compliqué.

Tout d'abord, pour que chacun prenne conscience de la mémoire du risque, je voudrais revenir sur la tempête Xynthia et la submersion du Marais Poitevin.

La carte que je vous présente met en évidence la construction d'un territoire artificiel par la poldérisation de l'extrémité occidentale du Marais Poitevin depuis le XVIIIe siècle.

Les différentes prises, qui figurent en vert sur la carte, montrent le territoire conquis sur la mer. En l'espace d'une nuit, la mer a repris ses droits sur l'ensemble de ces conquêtes. On a progressivement oublié que l'on construisait sur des zones intertidales, protégées des submersions par des digues. Dans le contexte d'exploitation agricole intensive, les digues se sont révélées gênantes pour la circulation des tracteurs, et elles ont été arasées jusqu'à n'en laisser qu'une seule, face à la mer. Lorsque cette digue lâche, la mer reprend ses droits d'un coup. On construit une territorialisation en oubliant les mécanismes élémentaires des forces en présence. Cette situation est exemplaire d'une perte de la mémoire.

Pourquoi observer les risques côtiers en région Pays-de-la-Loire ? Cette région compte 386 kilomètres de côte et 197 000 hectares de zones basses, 140 kilomètres de côtes dunaires, 135 kilomètres de côtes poldérisées et 111 kilomètres de falaises. Ces côtes cohabitent avec de nombreux enjeux : 58 communes littorales regroupent 296 000 habitants ; l'urbanisation en zone basse à moins de 400 mètres du trait de côte regroupe 10 853 bâtiments, soit 1 474 169 mètres carrés. Cette région présente donc un certain nombre de risques et les questions qui s'y posent justifient la mise en place d'un tel observatoire.

Nos observations se font à court, moyen et long terme. L'observatoire des risques étudie l'aléa submersion et l'aléa érosion côtière, et les enjeux impactés. L'aléa submersion est illustré par la brèche ouverte dans le cordon dunaire de la Belle-Henriette lors de la tempête Xynthia, qui a entraîné l'inondation de La Faute-sur-Mer. Quant à l'érosion côtière, si l'on se concentre en France sur la côte atlantique, il y a aussi en Vendée des constructions très proches d'un trait de côte en recul chronique.

Les moyens de l'observation sont divers. Nous mettons en oeuvre des relevés de terrain, des enquêtes auprès des populations, diverses analyses en laboratoire des types de sédiments. La spécificité de l'observatoire des Pays-de-la-Loire est la mise à disposition par l'université de caméras bispectrales et d'un LiDAR topo-bathymétrique, qui nous permet de faire des levées beaucoup plus régulièrement que des opérateurs tels que l'Institut géographique national (IGN) ou le SHOM, dont les missions sont nationales, voire internationales. Nous sommes uniquement concentrés sur la région, donc nous pouvons régulièrement actualiser nos connaissances. Surtout, nous pouvons faire une couverture post-tempête dans l'urgence.

Les deux images suivantes montrent un relevé de côte effectué par l'IGN avec un laser aéroporté en 2011, et le même lieu en 2017.

En six ans, nous constatons une importante modification du trait de côte, avec l'apparition d'une brèche et une mobilité sédimentaire qui nécessiterait un survol annuel. Dans le cadre de l'observatoire, nous nous sommes justement engagés à réactualiser les données chaque année, car attendre dix ans pour mettre à jour les données ne permet pas de mettre en évidence une évolution.

Les enjeux doivent aussi être observés sur un plus court terme : je donne un simple exemple à La Tranche-sur-Mer qui montre les constructions apparues entre 1945 et 1958, puis entre 1958 et 1968, entre 1968 et 1978, puis en 1985, 1991, 2006 et 2013. On constate l'extension des enjeux d'urbanisation et de population qui s'installe sur un littoral très peu urbanisé au départ. Cette évolution est connue de toutes les communes de France, elle a pour nom littoralisation, la mise en relation de ce phénomène avec l'émergence des risques est très parlante.

L'observation des aléas ne doit pas être négligée, et il faut remonter le temps ; travail auquel s'attache le module 3 de l'Observatoire sur une période de plus de mille ans. Ce travail recourt à des carottes sédimentaires, à la dendrochronologie, qui analyse les troncs d'arbre, ainsi qu'à l'étude des documents historiques, deux thèses portant sur ce sujet sont d'ailleurs en cours.

Une carotte de 70 centimètres prélevée à La Turballe permet, à travers des indicateurs géochimiques, de remonter jusqu'à l'ouragan des 14 et 15 mars 1751 qui a marqué cet espace, nous sommes alors tout à fait capables d'évaluer le niveau de cette tempête.

Une autre tempête particulièrement remarquable, survenue en 1936 est observée, une autre en en 1890. Nous reconstituons ainsi une chronologie des tempêtes et paléotempêtes ainsi que des événements extrêmes. La question est de savoir si ces événements se reproduiront de plus en plus souvent ; des coups de boutoir très puissants sont observés aux XVe et XIVe siècles sans que nous connaissions l'équivalent aujourd'hui.

Ces méthodes permettent de poser un diagnostic beaucoup plus précis sur la question de l'influence du changement climatique sur les aléas, bien qu'il ne s'agisse là que d'une petite partie de la question.

L'érosion du trait de côte à moyen terme, sur une période d'environ un siècle, s'apprécie sur la base d'une cartographie établie à l'aide de photos prises à partir de 1920, d'ailleurs mises à la disposition du SHOM et de l'IFREMER. On retrouve les tendances séculaires qui nous permettent de cerner les segments de côte soumis à l'érosion, ce qui donne un exemple d'aléa à moyen terme.

Pour le court terme, nous disposons d'instruments comme le LiDAR aéroporté, qui permet de voir très précisément comment bougent les sédiments. Le pays de Monts, par exemple, a fait l'objet de campagnes aéroportées bisannuelles, qui mettent en évidence la mobilité de la côte.

Au niveau du pont d'Yeu, en face de l'île d'Yeu, du côté du pays de Monts, on observe l'effet de la tempête Xynthia, survenue en 2010, et la falaise dunaire montre un recul côtier très important, de quinze mètres par endroits. En 2011, une reconstruction du trait de côte est constatée ; les sédiments qui étaient partis reviennent jusqu'en 2012. En 2014 survient une nouvelle série de tempête, et, au cours de l'hiver 2013-2014, le trait de côte recule. Il y a donc un battement du trait de côte qui fait que l'on peut conseiller aux élus, en cas de mobilité intempestive du trait de côte, d'attendre un peu avant de lancer des opérations de dépenses côtières trop lourdes, dont les enjeux – qui demeurent importants – ne sont pas extrêmement sensibles à l'arrière.

En termes d'adaptation, il convient donc de s'orienter vers une pratique flexible, plutôt que de maintenir de façon fixe, quasi cartésienne, le trait de côte à un endroit donné. Il faut accepter de perdre un peu de terre afin d'éviter des problèmes futurs.

Par ailleurs, pour comprendre les risques il faut considérer ensemble un certain nombre de variables : un indicateur d'exposition au risque d'érosion, c'est-à-dire prenant en compte la présence d'un certain nombre de bâtiments, la distance les séparant du trait de côte, la rapidité du repli côtier – mesurable sur des périodes pouvant aller du siècle à la décennie –, en intégrant l'ensemble de ses rythmes, et la surface des bâtiments.

Il s'agit donc de croiser des éléments relativement simples, susceptibles d'être automatisés par des outils de traitement, ce qui permet de mettre en évidence de façon très raffinée, depuis des unités spatiales allant de vingt mètres au sol jusqu'à une unité régionale, les territoires les plus exposés.

Dans le même ordre d'idée, un indicateur calculé au cours de la période récente montre, dans une petite partie de La Tranche-sur-Mer, la répartition progressive de l'exposition au risque. Ainsi, certaines maisons proches d'un trait de côte reculant relativement vite sont soumises à un péril, sinon immédiat très sensible, lié au risque d'érosion. La même démarche effectuée à partir de l'état de 1950, en employant le même algorithme, met en évidence l'absence de risque.

On constate ainsi que ce n'est pas l'accroissement d'un aléa « érosion » ou de tempête qui provoque l'émergence du risque, mais bel et bien la répartition d'enjeux sur un espace donné, positionnés de façon quelque peu intempestive – n'importe comment en fait – au regard de la possibilité d'occurrence de ces aléas et de leur impact sur le territoire.

Cela pose clairement la question de la mémoire du risque.

S'agissant de la submersion, question récurrente dans les secteurs bas bordés par des courants dunaires ou des défenses côtières, c'est-à-dire la notion de brèche et de leur localisation, des indicateurs croisant des variables de topométrie fine font ressortir les zones de submersion et de bréchage potentiels ; ce qui peut encore aider à la prise de décision. Il est ainsi possible de produire sous forme d'atlas des documents couvrant toute la région, illustrant la sensibilité à la submersion des différents enjeux situés immédiatement en zone rétrolittorale.

La même démarche de compréhension du risque, appliquée par Axel Creach dans son travail de thèse, consiste à produire des documents facilement lisibles et compréhensibles à partir de la position de chaque maison par rapport à la distance au trait de côte, au niveau moyen de la mer, à la rapidité potentielle d'évolution d'une surverse et d'une submersion, etc.

Pour toute autre observation, je vous renvoie vers le site internet que nous avons ouvert la semaine dernière, et que nous alimentons progressivement.

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