Le satellite n'apporte pas assez de précision. Les images satellitaires sont composées de pixels représentant une surface de 30 mètres carrés. Les images tirées du LiDAR aéroporté ont une résolution de 10 centimètres environ ; avec le drone, on descend au centimètre. Nous avons besoin de cette précision centimétrique pour établir des cartographies suffisamment précises et minimiser les marges d'erreur. Le satellite sert à beaucoup de choses, mais il est insuffisant pour cartographier le trait de côte.
C'est précisément la définition du trait de côte qui pose problème. Est-ce une ligne, une bande entre la terre et la mer ? Des réflexions sont menées et petit à petit, des protocoles d'observation se mettent en place.
En définitive, il existe trois traits de côte : le trait de côte géomorphologique, qui correspond au contact entre la plage et ce qu'il y a derrière – une digue, un remblai, une dune, une falaise – ; le trait de côte que l'on aperçoit sur les images aériennes ou satellitaires, du type limite de végétation ; le trait de côte hydrologique, c'est-à-dire l'intersection entre la ligne de marée et la terre. C'est là que le LiDAR trouve tout son intérêt, puisqu'il permet de tracer, grâce à une topométrie fine, une ligne homogène sur l'ensemble du territoire métropolitain et ultramarin. Grâce à cette technique, on peut aussi partir d'une surcôte et définir ainsi une côte maximum, dans le cas d'événements extrêmes.
La principale difficulté réside dans la mise à jour des données. Après une tempête, la topo-bathymétrie change, les dunes hydrauliques bougent. Il vaut mieux faire du monitoring haute fréquence pour suivre les tendances à court terme du trait de côte.
Ces tendances à court terme ne sont toutefois pas suffisantes pour asseoir une politique publique. Si l'on se base sur une phase de l'oscillation nord-atlantique très tempêtueuse – vingt-deux tempêtes se sont succédé durant l'hiver 2013-1014 –, avec une évolution très rapide du trait de côte, on prendra une décision dans l'urgence, qui ne collera pas avec la phase suivante, plus calme.
Un bon référentiel, unissant les sphères scientifique et opérationnelle, doit pouvoir donner trois visions de l'évolution du littoral. Une vision à très court terme permet de savoir comment le littoral réagit instantanément – c'est important dans le cas du Signal, à Soulac, qui se trouve à 15 mètres du trait de côte et qui devrait s'effondrer lors de la prochaine tempête, mais aussi pour d'autres barres d'habitation sur le littoral vendéen ou pour des pavillons individuels situés juste derrière un trait de côte dont l'évolution peut être rapide.
La vision à moyen terme permet de dépasser cette rythmique de six ou sept ans à l'oeuvre en métropole, qui fait se succéder des périodes d'énergie et des périodes plus calmes.
Enfin, il faut disposer d'une vision à long terme. Les premiers documents aériens dont nous disposons remontent à 1920, les photos qui ont permis à l'IGN de faire un état des lieux complet du territoire métropolitain datent de 1945. Nous avons donc soixante-dix ans de suivi assez régulier du trait de côte. Mais il faut remonter bien au-delà, grâce à des documents comme le cadastre napoléonien, la carte de Claude Masse ou les cartes d'état-major. Ils sont certes moins précis, mais ils permettent de comprendre la tendance évolutive du littoral.
La Pointe d'Arçay est tout à fait emblématique d'un territoire qui se crée en l'espace de trois siècles, une flèche prodigieuse qui s'étend sur huit kilomètres, un littoral qui prograde et s'urbanise. Si ces trois temps ne sont pas intégrés dans la réflexion, si la connaissance du zonage et des bandes de précaution à respecter n'est pas suffisante, les erreurs du passé se reproduiront.
Il faut aussi prendre en compte les enjeux : que faire pour la baie de La Baule, avec ses remblais et ses buildings, sinon recharger la plage et la drainer, grâce au système Ecoplage, afin de maintenir le plus possible les sédiments ? C'est un plâtre sur une entorse, mais il n'existe pas d'autre solution. La Baule, c'est d'abord une flèche littorale, comme la Pointe d'Arçay, avec de jolies dunes paraboliques qui autrefois bougeaient. Aujourd'hui, elles sont complètement garottées par une installation qui ne tient pas la route.
De la même manière, les lidos du Languedoc ont été urbanisés, des épis de protection ont été installés sur le trait de côte, avec un effet « domino », pour reprendre les termes de Roland Paskoff, puisqu'ils bloquent l'apport de sédiments. Du coup, les bassins versants sont décaissés, l'eau ne sort plus, le déséquilibre est absolu. Mais que faire aujourd'hui de ces centaines de milliers de maisons, de ces zones industrielles, de ce tissu d'activités ? C'est extrêmement angoissant.
Sans vouloir être anxiogène, il faut, à un moment donné, tirer la sonnette d'alarme. Assumons les choix qui ont été faits par le passé – au risque de transférer cette charge aux générations futures –, mais posons aussi les bases d'un nouveau contrat. Il faut avoir le courage de sermonner : « Acceptez de faire des efforts ! S'il faut relocaliser, s'il faut déplacer, s'il faut adapter, allons-y ! » Mais on ne peut faire cela que si l'on a une mémoire, que si l'on dispose de la reconstruction historique du territoire.