Intervention de Olivier Véran

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 9h00
Groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation du parlement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Véran, rapporteur général de la commission des affaires sociales :

J'occupe une fonction nouvelle, qui a été créée en 2014 et qui n'est occupée que depuis le début de cette législature : celle de rapporteur général du budget de la sécurité sociale. Sous la précédente législature, j'ai été rapporteur du budget de la sécurité sociale pour la partie « assurance maladie ». En m'appuyant sur cette petite expérience, je vais faire quelques remarques pour compléter les propos des précédentes oratrices.

Vous m'interrogez sur les moyens de contrôle et d'évaluation du Parlement. Si j'étais un peu provocateur, je vous dirais que la grande question à se poser est la suivante : comment interagir avec les moyens de contrôle de l'exécutif sur les parlementaires ? Pour ma part, je trouve que tout est organisé de façon à ce que le contrôle se fasse dans un sens et le moins possible dans l'autre.

J'identifie trois niveaux de contrôle du Gouvernement.

Premier niveau : le contrôle préalable d'un texte de loi, qui s'appelle une étude d'impact. Sur certains textes budgétaires, le flou et l'illisibilité de ces documents sont tels que, si vous avez compris ce qui est écrit, c'est qu'on vous l'a mal expliqué... (Sourires.) Le type d'expertise peut être extrêmement compliqué. Parfois, il y a vraiment un besoin de chiffrage et de contre-chiffrage. Honnêtement, les administrateurs de l'Assemblée nationale font un travail remarquable. Les Français ne se rendent pas compte à quel point nous avons besoin de cette expertise technique que nous apportent les administrateurs dans notre activité au quotidien. Ils ne font pas des arbitrages politiques mais ils sont en soutien du politique, ce qui est extrêmement précieux.

Au passage, je vais vous livrer une anecdote. Je ne dirai pas sous quel Gouvernement l'histoire se passe puisque j'ai l'avantage d'en avoir connu deux. J'appelle un ministère pour faire remarquer que l'un des chiffres figurant dans l'étude d'impact entraîne des conséquences fiscales et financières et qu'il serait peut-être intéressant que nous en discutions sur le fond. On m'a répondu : vous avez raison, nous allons le retirer de l'étude d'impact… (Sourires.) Il est donc extrêmement important d'avoir une étude qui soit la plus claire possible et qui puisse vraiment servir aux parlementaires pour faire de la politique de façon efficace.

Deuxième niveau : le contrôle au moment de l'examen du texte, par le biais de l'article 40 de la Constitution. Pour un député de la commission des affaires sociales qui a envie de travailler sur la politique de santé à l'occasion de l'examen du budget de la sécurité sociale, l'article 40 est un « tue-l'amour » pour plusieurs raisons.

D'abord, parce que vous ne pouvez pas créer de dépenses, à moins de les compenser par un mécanisme complètement abscons qui consiste à les gager sur les taxes sur le tabac et l'alcool. Dans le dernier exercice budgétaire, si nous avions adopté tous les amendements qui étaient gagés par les taxes sur le tabac et l'alcool, il aurait fallu faire passer tout de suite le prix du paquet de cigarettes à 50 euros.

Ensuite, en raison de ce que l'on appelle le cavalier social. En réalité, le budget de la sécurité sociale est le seul moment, au cours d'un mandat, où l'on peut parler de politique de santé au Parlement de façon efficace et faire bouger les lignes. En vertu de la règle du cavalier social, vous ne pouvez pas aborder un thème qui n'est pas directement lié au texte tel qu'il est écrit. Moi, honnêtement, je vous le dis, je ne comprends pas. Certes, il ne faut pas que ce soit le concours Lépine des amendements ni que l'on refasse le monde à chaque fois que l'on examine le budget de la sécurité sociale. Dans un délai contraint de cinquante jours, nous n'y arriverions pas. En revanche, je pense que l'on peut vraiment faire mieux et laisser un peu plus de marge de manoeuvre aux élus. La règle actuelle est extrêmement frustrante pour le rapporteur et pour les députés, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition.

Tout cela se termine par des demandes de rapport du Gouvernement au Parlement. Lors du premier budget de la sécurité sociale du quinquennat, je crois que nous avions soixante-quinze ou quatre-vingts demandes de rapports sur tous les sujets politiques dont les députés auraient aimé débattre. Ces documents sont assez inutiles. Une fois remis, ils finissent souvent en serre-livres dans ce magnifique bâtiment. Pardonnez-moi d'être un peu provocateur, mais nous sommes là pour nous parler franchement. C'est l'occasion ou jamais. Je pense que nous pouvons changer ça, si nous voulons vraiment accroître le rôle du Parlement.

Troisième niveau : le rétrocontrôle du Gouvernement, grâce aux décrets et à la faiblesse des moyens de contrôle des parlementaires. Au cours de mon mandat précédent, il m'est arrivé de faire adopter un amendement contre l'avis du Gouvernement, en ayant réuni une majorité de parlementaires, et de ne jamais voir sortir le décret. Vous gagnez une bataille politique, pas pour le plaisir de l'emporter contre un gouvernement du même bord que vous mais parce que vous estimez que c'est une bonne mesure. La représentation nationale, élue démocratiquement par une majorité de Français, considère aussi que la mesure va dans le bon sens. Et le décret ne sort jamais. Le parlementaire peut-il sonner à la porte d'un ministre pour lui dire qu'il faut « y aller » ? Si le sujet est suffisamment médiatique, il peut alerter la presse et signaler aux journalistes qu'un décret n'est toujours pas sorti deux ans après le vote d'une loi. Dans ce cas-là, on peut avoir un moyen de contrôle mais, vous en conviendrez, il est très indirect. Il faut vraiment réfléchir à ça.

S'agissant des moyens de contrôle a posteriori du Parlement, j'ai l'expérience de la loi d'application de la loi de sécurité sociale de l'année précédente, dont nous avons eu un exemple cette année. En général, il est de bon ton de compter les articles pour lesquels les décrets d'application ont été publiés et ceux qui sont toujours en attente de décrets. On est moins dans le qualitatif que dans le quantitatif. Au cours des années à venir, j'aimerais que cet exercice devienne un moment politique fort. Je pense que c'est possible.

Dernier point : je trouve qu'il est un peu ambivalent de confier à des élus de la majorité le soin d'aller faire du contrôle sur place et sur pièces de l'activité du Gouvernement. Dans ce cas-là, le contrôleur est toujours en difficulté. C'est compliqué. Si vous allez contrôler le Gouvernement, c'est qu'il a eu tendance à ne pas vouloir fournir certaines données, pour des raisons bien précises. Si vous lui forcez la main en allant sur place pour ouvrir les dossiers et trouver les données en question, cela crée des moments de tension politique. Nous avons eu l'occasion de le constater, lors de la précédente législature, quand le rapporteur général du budget avait fait ce genre de déplacement. Dans la pratique, il n'est pas forcément évident pour un parlementaire de faire valoir son droit de contrôle sur place et sur pièces. Je vais essayer de le faire.

J'ai en tête le cas d'une récente mission parlementaire qui n'a pas obtenu les données chiffrées qui lui auraient permis d'élaborer des scénarios crédibles quant à la réforme proposée. Si elle m'avait saisi, serais-je allé dans le ministère concerné pour exiger que l'on remette les chiffres ? La possibilité existe, mais elle est un peu virtuelle. Je pense qu'il faut lui donner du sens, être tout à fait rigoureux et ne pas reculer pour des raisons de symbolique politique. Pour faire valoir notre capacité de contrôle sur place et sur pièces, on n'a pas nécessairement besoin de moyens supplémentaires colossaux.

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