Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du jeudi 29 mars 2018 à 9h35
Groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation du parlement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAmélie de Montchalin, co-présidente de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) :

Je voudrais vous présenter des propositions sur la création d'une unité de chiffrage économique et financier intégrée à l'office parlementaire d'évaluation dont vous envisagez la création. Car c'est un besoin que la commission des finances ressent très fortement.

Nous partageons tous ici, quelle que soit notre appartenance politique, le constat du manque criant de moyens d'évaluation économique et financière à la disposition du Parlement, qu'il s'agisse des textes budgétaires qui lui sont soumis ou de nos propres propositions législatives, débattues hors du cadre de la discussion budgétaire.

C'est pourquoi je vous propose ce matin de mettre en place, dans le contexte de la rénovation en cours de la procédure parlementaire et budgétaire, et en complément de la création par ce groupe d'un office d'évaluation des politiques publiques, une unité indépendante et transpartisane de chiffrage économique et financier à l'Assemblée. Aux États-Unis, le Congressional Budget Office (CBO) exerce cette double fonction de chiffrage et d'évaluation, tout comme l'Office for Budget Responsibility au Royaume-Uni, avec une utilité et une autorité incontestées et incontestables.

Je pense qu'il est temps de nous mettre au niveau des démocraties les plus avancées en termes d'évaluation économique et financière, notamment pour mieux installer le Parlement dans notre vie politique et institutionnelle. Créer un office qui puisse à la fois chiffrer nos propositions et celles du Gouvernement et, ensuite, évaluer les politiques mises en oeuvre, est de nature à placer réellement le Parlement français sur un pied d'égalité vis-à-vis du Gouvernement dans le débat économique et budgétaire, et à respecter la lettre de notre rôle constitutionnel de contrôle et d'évaluation.

Sans données fiables, sans traitement indépendant des données fournies par les administrations, sans chiffrage autonome des propositions des parlementaires, sans contrexpertise des propositions remontant de citoyens et de groupes d'intérêts, le pouvoir constitutionnel dont nous disposons n'est trop souvent que littérature ou pouvoir du verbe. Il est absolument essentiel que nous refactualisions notre action.

Cette unité de chiffrage concentrerait toutes les compétences économiques et financières essentielles à l'exercice des pouvoirs du Parlement en matière économique et financière, et qui sont absentes des services de l'Assemblée nationale aujourd'hui. Ces compétences existent pour le moment à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), à la direction générale du Trésor (DGT) et dans les équipes d'économistes universitaires ou du secteur privé. Pour que notre travail devienne sérieux et crédible, je vous propose que de telles compétences soient mises à la disposition de tous députés, de tous les groupes politiques représentés à l'Assemblée, préférablement dès l'examen du projet de loi de finances pour 2019. Car il s'agirait d'une unité assez agile, mobilisable en quelques mois.

En complément des missions d'évaluation des politiques publiques, notamment celles conduites par la MEC et celles que vous souhaitez confier à l'office de manière plus générale et sur tous les sujets, cette unité aurait les missions suivantes : appui à l'examen indépendant des prévisions de finances publiques et de la trajectoire budgétaire du Gouvernement, ce que les économistes appellent le « bouclage macroéconomique et financier », sur lequel une expertise propre serait particulièrement utile ; chiffrage indépendant et transpartisan des mesures fiscales proposées par le Gouvernement comme par les parlementaires pendant la période budgétaire afin que le coût des amendements des parlementaires soit factualisé et que nous entrions dans des discussions rationnelles et étayées, notamment lorsque leur base est le fruit d'une initiative de notre part et que le Gouvernement est appelé à y répondre ; évaluation de l'impact économique et budgétaire de tous les travaux législatifs émanant du Gouvernement et du Parlement, même hors période budgétaire, pour que les propositions parlementaires soient conçues en tenant compte de leurs coûts, de leurs opportunités et de l'impact attendu.

Il ne s'agit pas de recréer une administration de toutes pièces, mais de disposer le plus vite possible, dans un premier temps, d'une structure agile formée de cinq à huit praticiens opérationnels des sujets économiques et financiers, maîtrisant les outils de modélisation et de chiffrage nécessaires aux trois objectifs que j'ai cités, en appui du travail des administrateurs et des équipes de collaborateurs des parlementaires. Une première équipe d'économistes statisticiens, d'analystes en modélisation économique serait mobilisable sur tous les sujets non fiscaux, qu'il s'agisse du logement, du soutien aux petites et moyennes entreprises (PME), de l'énergie ou des infrastructures ; une équipe d'experts en finances publiques, « chiffreurs » de mesures fiscales, serait mobilisable pendant la discussion du projet de loi de finances. Des experts sectoriels complèteraient ce groupe. Un groupe de cinq praticiens possédant un profil d'administrateur de l'INSEE pourrait déjà accomplir beaucoup de travail.

Point essentiel à mettre en avant : l'unité pourrait être saisie par les députés de la majorité comme de l'opposition pendant la période budgétaire, et sur la base d'un droit de tirage par groupe hors période budgétaire.

Pour réussir ses objectifs, il va sans dire que cette unité recevrait de droit la liasse fiscale de l'année n-1, ainsi que les données macroéconomiques et sociales publiques et téléchargeables à jour de l'INSEE. Elle pourrait avoir accès de droit et sur simple demande aux données réunies par la Cour des comptes, France Stratégie ou les corps d'inspection pour préparer leurs rapports thématiques ou annuels. Elle serait également notre véhicule privilégié, au sein de l'office, pour auditionner ou solliciter tous les experts et économistes – universitaires ou du secteur public et privé – utiles pour renforcer la solidité de nos travaux et de nos hypothèses et, dans un second temps, pour signer éventuellement des conventions avec des experts extérieurs. Avec ces derniers, des échanges pourraient naître. L'unité serait toute désignée pour les suivre.

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