La réunion débute à 9 heures 35.
Présidence de M. Jean-Noël Barrot, président.
Le groupe de travail procède à l'audition de M. Raphaël Gauvain, co-rapporteur d'application de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, de Mme Amélie de Montchalin, co-présidente de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC), de M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur de la mission d'information sur l'application de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, de M. Gilles Lurton, co-président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS), et de M. Laurent Saint-Martin, vice-président de la commission des Finances.
Après avoir passé quelques mois à réfléchir sur la question de savoir s'il y avait des verrous constitutionnels à lever pour renforcer les moyens de contrôle du Parlement, notre groupe de travail a remis au Bureau de l'Assemblée nationale quinze propositions. Le Président de l'Assemblée nationale nous a confié la mission de poursuivre notre réflexion en nous concentrant désormais sur la définition et le périmètre des moyens propres du Parlement en matière d'évaluation et de contrôle.
Pour ce faire, nous entendrons, jusqu'au mois de juin, des présidents de groupe et des présidents de commission de l'Assemblée nationale, ainsi que des responsables d'organismes et de contrôle placés auprès de parlements ; et nous entendrons également des sénateurs. Nous prévoyons également diverses visites chez France Stratégie, de même que des déplacements à l'étranger, dans les pays qui possèdent des organismes ou structures propres d'évaluation et de contrôle.
Je voudrais vous présenter des propositions sur la création d'une unité de chiffrage économique et financier intégrée à l'office parlementaire d'évaluation dont vous envisagez la création. Car c'est un besoin que la commission des finances ressent très fortement.
Nous partageons tous ici, quelle que soit notre appartenance politique, le constat du manque criant de moyens d'évaluation économique et financière à la disposition du Parlement, qu'il s'agisse des textes budgétaires qui lui sont soumis ou de nos propres propositions législatives, débattues hors du cadre de la discussion budgétaire.
C'est pourquoi je vous propose ce matin de mettre en place, dans le contexte de la rénovation en cours de la procédure parlementaire et budgétaire, et en complément de la création par ce groupe d'un office d'évaluation des politiques publiques, une unité indépendante et transpartisane de chiffrage économique et financier à l'Assemblée. Aux États-Unis, le Congressional Budget Office (CBO) exerce cette double fonction de chiffrage et d'évaluation, tout comme l'Office for Budget Responsibility au Royaume-Uni, avec une utilité et une autorité incontestées et incontestables.
Je pense qu'il est temps de nous mettre au niveau des démocraties les plus avancées en termes d'évaluation économique et financière, notamment pour mieux installer le Parlement dans notre vie politique et institutionnelle. Créer un office qui puisse à la fois chiffrer nos propositions et celles du Gouvernement et, ensuite, évaluer les politiques mises en oeuvre, est de nature à placer réellement le Parlement français sur un pied d'égalité vis-à-vis du Gouvernement dans le débat économique et budgétaire, et à respecter la lettre de notre rôle constitutionnel de contrôle et d'évaluation.
Sans données fiables, sans traitement indépendant des données fournies par les administrations, sans chiffrage autonome des propositions des parlementaires, sans contrexpertise des propositions remontant de citoyens et de groupes d'intérêts, le pouvoir constitutionnel dont nous disposons n'est trop souvent que littérature ou pouvoir du verbe. Il est absolument essentiel que nous refactualisions notre action.
Cette unité de chiffrage concentrerait toutes les compétences économiques et financières essentielles à l'exercice des pouvoirs du Parlement en matière économique et financière, et qui sont absentes des services de l'Assemblée nationale aujourd'hui. Ces compétences existent pour le moment à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), à la direction générale du Trésor (DGT) et dans les équipes d'économistes universitaires ou du secteur privé. Pour que notre travail devienne sérieux et crédible, je vous propose que de telles compétences soient mises à la disposition de tous députés, de tous les groupes politiques représentés à l'Assemblée, préférablement dès l'examen du projet de loi de finances pour 2019. Car il s'agirait d'une unité assez agile, mobilisable en quelques mois.
En complément des missions d'évaluation des politiques publiques, notamment celles conduites par la MEC et celles que vous souhaitez confier à l'office de manière plus générale et sur tous les sujets, cette unité aurait les missions suivantes : appui à l'examen indépendant des prévisions de finances publiques et de la trajectoire budgétaire du Gouvernement, ce que les économistes appellent le « bouclage macroéconomique et financier », sur lequel une expertise propre serait particulièrement utile ; chiffrage indépendant et transpartisan des mesures fiscales proposées par le Gouvernement comme par les parlementaires pendant la période budgétaire afin que le coût des amendements des parlementaires soit factualisé et que nous entrions dans des discussions rationnelles et étayées, notamment lorsque leur base est le fruit d'une initiative de notre part et que le Gouvernement est appelé à y répondre ; évaluation de l'impact économique et budgétaire de tous les travaux législatifs émanant du Gouvernement et du Parlement, même hors période budgétaire, pour que les propositions parlementaires soient conçues en tenant compte de leurs coûts, de leurs opportunités et de l'impact attendu.
Il ne s'agit pas de recréer une administration de toutes pièces, mais de disposer le plus vite possible, dans un premier temps, d'une structure agile formée de cinq à huit praticiens opérationnels des sujets économiques et financiers, maîtrisant les outils de modélisation et de chiffrage nécessaires aux trois objectifs que j'ai cités, en appui du travail des administrateurs et des équipes de collaborateurs des parlementaires. Une première équipe d'économistes statisticiens, d'analystes en modélisation économique serait mobilisable sur tous les sujets non fiscaux, qu'il s'agisse du logement, du soutien aux petites et moyennes entreprises (PME), de l'énergie ou des infrastructures ; une équipe d'experts en finances publiques, « chiffreurs » de mesures fiscales, serait mobilisable pendant la discussion du projet de loi de finances. Des experts sectoriels complèteraient ce groupe. Un groupe de cinq praticiens possédant un profil d'administrateur de l'INSEE pourrait déjà accomplir beaucoup de travail.
Point essentiel à mettre en avant : l'unité pourrait être saisie par les députés de la majorité comme de l'opposition pendant la période budgétaire, et sur la base d'un droit de tirage par groupe hors période budgétaire.
Pour réussir ses objectifs, il va sans dire que cette unité recevrait de droit la liasse fiscale de l'année n-1, ainsi que les données macroéconomiques et sociales publiques et téléchargeables à jour de l'INSEE. Elle pourrait avoir accès de droit et sur simple demande aux données réunies par la Cour des comptes, France Stratégie ou les corps d'inspection pour préparer leurs rapports thématiques ou annuels. Elle serait également notre véhicule privilégié, au sein de l'office, pour auditionner ou solliciter tous les experts et économistes – universitaires ou du secteur public et privé – utiles pour renforcer la solidité de nos travaux et de nos hypothèses et, dans un second temps, pour signer éventuellement des conventions avec des experts extérieurs. Avec ces derniers, des échanges pourraient naître. L'unité serait toute désignée pour les suivre.
Je suis co-rapporteur d'application de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT). Cette loi, adoptée en vue de la sortie de l'état d'urgence, a transposé dans le droit commun quatre des dispositions de ce régime d'exception. Le Parlement exerce sur la mise en application de ces quatre dispositions un contrôle renforcé, prolongeant le contrôle mis en place, sous la précédente législature, pour la mise en oeuvre de l'état d'urgence.
Le Parlement exerce ainsi un contrôle des mesures administratives prises par l'exécutif. En pratique, comme sous la législature antérieure, ce contrôle est exercé par la commission des lois. Sa présidente, Éric Ciotti et moi-même recevons tous les mois du ministère de l'intérieur toutes les décisions prises sur le fondement de ces dispositions spéciales de la loi SILT : arrêtés de contrôle sur les périmètres de sécurité, les mesures individuelles contre les personnes…
Nous assurons ainsi le suivi précis des mesures prises par l'administration. Nous conduisons, en complément, des auditions, dont nous rendons compte aussi à l'ensemble de la commission des lois, au sein de laquelle se déroule enfin un débat sur le sujet, comme cela fut fait au mois de décembre.
Au mois de janvier, nous avons effectué deux déplacements. Le premier nous a conduits à Fleury-Mérogis, auprès de l'unité de contrôle de la radicalisation. Le second nous a conduits dans le département du Nord, où nous nous sommes entretenus avec le préfet, après avoir vu les périmètres de sécurité de la gare du Nord. En avril, nous entendrons les juges des libertés et de la détention du ressort de Paris. Nous en rendrons compte devant la commission des lois.
Ce contrôle est exceptionnel, puisque les actes de l'exécutif sont transmis aux députés. Les déplacements, de même que nos discussions auprès des préfets, nous permettent d'évaluer la mise en oeuvre de la loi, de voir s'il faut y apporter des correctifs. Ce travail parlementaire pourrait cependant être effectué dans le cadre normal de notre contrôle. Les seules difficultés qui pourraient naître sont celles auxquelles nous nous heurterions si nous nous interrogions sur des mesures prises par un préfet à Bordeaux ou à Marseille, et que ce préfet refusait de nous recevoir. Le problème serait alors, cependant, de nature moins juridique que politique.
S'agissant des moyens mis à notre disposition et de la création éventuelle d'un organisme d'évaluation, je dois dire que, dans le cadre de mon expérience de co-rapporteur d'application de la loi SILT, je m'appuie seulement sur les administrateurs des services de l'Assemblée nationale, et que ce sont leurs moyens qu'il faudrait renforcer s'il fallait renforcer le contrôle des services de l'État. Il est possible d'organiser des déplacements, mais nous devons nous appuyer sur des administrateurs pour cela. Par exemple, aussi, nous ne pouvons mener à bien le contrôle et l'analyse de l'ensemble des décisions et arrêtés qui nous sont transmis qu'en nous appuyant sur leur travail.
Le renforcement de notre contrôle passe donc par un renforcement du nombre des administrateurs des services de l'Assemblée nationale.
Le chevalet installé devant moi indique seulement ma qualité de co-rapporteur de la mission d'information sur l'application de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, mais je puiserai également dans mon expérience longue de six ans comme député, dans mon expérience de trois ans comme membre du Conseil d'État et dans mon expérience de sept ans comme membre du cabinet du Président de la République ou du cabinet de divers ministres, en espérant apporter ainsi également le regard opérationnel de l'exécutif.
Je voudrais d'abord souligner les grandes qualités des collaborateurs permanents dont nous disposons comme députés. Il est précieux que ces administrateurs de haute technicité et très bien formés ne soient pas habités par des soucis de carrière vis-à-vis de l'exécutif, n'ayant à plaire ni à tel ministre ni à tel chef de corps pour faire carrière. Ils sont également parfaitement indépendants vis-à-vis des intérêts privés, étanches aux intérêts extérieurs, et ainsi à l'abri des conflits d'intérêt.
Ce corps d'administrateurs de grande qualité n'a rien à envier aux membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou des corps d'inspection.
Comme membre du cabinet du ministre des affaires sociales, j'ai pu me rendre compte que leurs compétences techniques étaient supérieures à celles qui sont disponibles dans les grands ministères, et égales à celles des grands corps. Ayons-en conscience.
Le statut pérenne de fonctionnaire donne aussi à ce personnel un certain recul. Par-delà les changements de législature, une mémoire institutionnelle est conservée. Ainsi, nous ne sommes pas la génération spontanée de juin 2017 ; nous nous inscrivons aussi dans la durée de ce que nos prédécesseurs parlementaires ont débattu et construit.
Notre force d'évaluation et de contrôle réside dans la qualité des administrateurs qui nous assistent et que nous dirigeons, notre devoir étant un devoir d'arbitrage et de direction. Nous avons en tout cas une grande chance de les avoir.
J'en viens à mon second point, à savoir l'accès à l'information classifiée, que j'aborderai comme commissaire aux lois spécialisé dans les questions régaliennes. C'est un problème qu'on évoque assez rarement pour l'Assemblée nationale. Depuis mai 2012, à savoir depuis que je ne suis plus conseiller juridique du Président de la République, je n'ai pas eu accès à une note « secret défense » ou à une note classifiée. Vu de l'extérieur, on pourrait pourtant imaginer que j'aie, comme élu de la Nation et comme co-rapporteur d'application de la loi sur le renseignement, un accès encadré à de l'information stratégique. Il n'en est rien, car le pouvoir exécutif en est en fait le seul destinataire. Il me semble donc nécessaire de permettre à des parlementaires, ès qualités, l'accès à ces données.
C'est pourquoi j'ai déposé, le 17 janvier 2018, la proposition de loi n°172 portant création de l'office parlementaire de sécurité nationale. Bien sûr, cela vaut ce que cela vaut. À mes yeux, il s'agit cependant d'une porte d'entrée pour la discussion. Un organe ad hoc, peut-être bicaméral, pourrait en tout cas rassembler ès qualités des parlementaires qui seraient habilités à connaitre de ces matières. Certes, notre délégation parlementaire au renseignement (DPR) existe déjà, mais elle a pour objet exclusif le contrôle des services de renseignement ; il ne s'agit précisément pas pour elle d'accéder à des informations stratégiques rendant possibles l'évaluation d'une politique de sécurité intérieure. Son « job », pour louable qu'il soit, est donc trop restreint, et laisse de côté l'évaluation des politiques de sécurité. Nous devons donc travailler sur ce sujet.
Troisièmement, il me semble qu'il faut une évaluation large, qui s'étende jusqu'aux nominations aux principaux leviers de l'exécutif. Lorsqu'il était Président de la République, Nicolas Sarkozy avait engagé une révision constitutionnelle qui avait abouti, en 2008, à l'adoption de l'actuel article 13 de notre Constitution, selon lequel les commissions compétences se prononcent, à une majorité négative des trois cinquièmes, pour refuser une nomination, dans un certain nombre de cas.
Je suis partisan d'un double élargissement de ce pouvoir de contrôle du Parlement sur les nominations.
D'abord, le périmètre des nominations prévu par l'article 13 et par la loi organique me semble trop restrictif. Il me semble que le champ du contrôle pourrait être élargi, par exemple, à la nomination à la direction générale du Trésor, l'un des postes administratifs les plus puissants de France, ou à la représentation permanente de la France auprès des Nations unies ou encore à la préfecture d'Île-de-France. Cet élargissement du champ des nominations contrôlées supposerait une révision de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique.
Ensuite, la majorité négative des trois cinquièmes pourrait se muer en majorité de 50 %. On y gagnerait ainsi, en ce que ces nominations essentielles pour la vie de la Nation seraient plus consensuelles. Je rappelle qu'un seul candidat a été « blackboulé » au cours de la dernière législature. Présidée par Jean-Jacques Urvoas, majorité et opposition avaient, de conserve, exprimé leur opposition à une nomination au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Une majorité de 50 % rendrait plus étendu l'exercice de notre pouvoir de contrôle.
Ce dernier n'a en effet de sens que s'il nous investit d'un vrai pouvoir de décision. Le Parlement ne doit pas rester un simple lieu de délibération. Car nous sommes un pouvoir. L'État ne se réduit pas au pouvoir exécutif. L'État, c'est nous aussi, puisqu'il se compose à la fois de l'autorité judiciaire, du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Nous sommes donc une composante majeure de l'État. Nous ne devons donc pas être seulement un lieu de la délibération, mais aussi un des lieux de la décision.
Dans les propositions que nous avons remises au Bureau, nous évoquons la possibilité, pour un certain nombre de nominations, d'exiger une majorité des trois cinquièmes de votes positifs. Cela va donc encore plus loin que ce que vous proposez.
Monsieur le président, je suis là en tant que coprésident de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS). C'est une mission issue de la commission des affaires sociales, composée de membres de la commission des affaires sociales, et coprésidée par un parlementaire de la majorité en place, et par un parlementaire d'une des oppositions – actuellement Annie Vidal pour la majorité, et moi-même pour l'opposition.
La MECSS travaillait jusqu'à présent sur la base des rapports rendus par la Cour des comptes sur des situations particulières. Dans le dernier, la Cour décrivait la situation de la politique d'achat des hôpitaux au regard des nouvelles réformes, et notamment de la réforme de modernisation du système de santé votée sous le précédent quinquennat. La MECSS s'est emparée de ce rapport et a fait des propositions visant à améliorer et à rationaliser financièrement la politique d'achat des hôpitaux.
La nouvelle MECSS constituée à la suite des élections de juin 2017 a pris la décision, à la demande de ses membres, de s'affranchir un peu des rapports de la Cour des comptes, pour s'emparer de dossiers sur lesquels elle estime qu'un travail est nécessaire, afin d'essayer de mieux rationaliser les dépenses de la sécurité sociale. Pour le moment, comme un travail a déjà été entamé sous le précédent quinquennat sur la politique d'achat des hôpitaux, nous avons décidé de poursuivre ce travail avant de passer à d'autres types de rapports.
Fort de mon expérience, j'exprimerai toutefois un regret : à l'exception des quelques amendements déposés par les anciens coprésidents, les rapports de la MECSS ont rarement été suivis d'effets. Or ce sont des rapports de qualité, qui peuvent apporter beaucoup d'éléments susceptibles de nous aider à réduire les dépenses de la sécurité sociale.
Je pense plus particulièrement à un rapport rendu par notre ancien collègue Pierre Morange, co-président de la précédente MECSS, sur l'utilisation des véhicules sanitaires légers ou des ambulances pour se rendre dans les établissements hospitaliers, que ce soit pour des visites externes ou des hospitalisations. Ces transports sont très largement utilisés, et la MECSS avait fait des propositions pour tenter de diminuer une telle pratique. Plus récemment, la ministre des solidarités et de la santé a déclaré qu'elle voulait aussi travailler sur ce sujet. Nous lui avons écrit pour lui indiquer qu'un excellent rapport de la MECSS avait fait des propositions qui étaient toujours d'actualité. J'ai malheureusement le sentiment que le travail de la mission est rarement suivi d'effet, et que l'on recommence toujours la même chose, soit dans les ministères, soit dans d'autres groupes de travail.
Enfin, nous avons institué, au début de ce quinquennat, une procédure de contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Ce contrôle s'exerce au fil des mois, depuis le vote de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) jusqu'au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFS)S suivant. Actuellement, cette procédure de contrôle est confiée à un parlementaire de la majorité, le rapporteur des comptes de la sécurité sociale, Olivier Véran, et à un parlementaire de l'opposition ; je l'ai été cette année, mais ce n'est pas forcément le même tous les ans. Je trouve que ce travail, pour avoir un caractère encore plus indépendant, devrait être poursuivi tout au long de l'année par la MECSS. Je pense qu'il y gagnerait en crédibilité et en objectivité.
J'interviens à un triple titre : en tant que vice-président de la commission des finances ; en tant que membre du groupe de travail présidé par le président de la commission des finances et le rapporteur général autour, notamment, de la procédure budgétaire ; en tant qu'organisateur et animateur, avec Marie-Christine Dalloz, d'un groupe de travail sur le renforcement du rôle des rapporteurs spéciaux.
En premier lieu, la réforme constitutionnelle de 2008 avait déjà mis en exergue une certaine forme de renforcement de la mission de contrôle de l'action du Gouvernement, la question étant moins de recréer les choses que de les renforcer.
A ainsi été inséré dans la Constitution un article 47-2, relatif à la Cour des comptes, et que notre collègue Jean-François Éliaou, rapporteur de votre groupe de travail, connaît très bien. Je voudrais profiter de ce propos pour mettre en avant le courrier adressé au Premier ministre par le président de la commission des finances et le rapporteur, proposant la création d'un article 47-3, qui viendrait renforcer cette mission de contrôle en intégrant l'INSEE et France Stratégie dans une mission d'assistance au Parlement, et qui permettrait de faciliter l'accès des parlementaires aux rapports des inspections, voire de requérir ces dernières.
Je voudrais aussi insister sur ce qui a déjà été fait ces dernières semaines, et rappeler que les représentants de l'INSEE ont été auditionnés, dans cette optique, par la commission des finances le 24 janvier et le 21 mars derniers.
Maintenant, pour en venir plus précisément à la matière budgétaire, je dirai que les besoins d'expertise du Parlement – et c'est totalement complémentaire avec les propos d'Amélie de Montchalin – s'expriment plus particulièrement dans deux phases critiques, qui ont-elles-mêmes des temporalités différentes.
Il y a d'abord le moment du dépôt des projets de lois, du projet de loi de finances (PLF) et du PLFSS, l'urgence étant de mieux s'emparer des effets d'impact et de mieux comprendre les conséquences juridiques et financières d'un projet de loi avant son examen. Je voudrais insister sur cette étape-là, qui est trop souvent oubliée. On parle beaucoup d'évaluation ex post. Il faut aussi parler de l'appropriation, par les parlementaires, d'un projet de loi avant son examen, et notamment de son chiffrage. Cela rejoint, là encore, ce que disait Amélie de Montchalin. Pour cela, votre proposition n° 7 va dans le bon sens, puisqu'elle offre la possibilité de mobiliser les moyens de l'exécutif par une modification de l'article 24 de la Constitution.
Il y a ensuite l'essentiel, qui est de renforcer l'évaluation des dispositions votées. Et il convient de ne pas limiter l'évaluation au suivi du nombre de décrets, ce à quoi l'exercice se résume un peu trop facilement. Cette évaluation doit se faire de manière scientifique. C'est là où le rôle d'un office prend tout son sens. C'est là où le rôle de France Stratégie peut prendre tout son sens. Et c'est là aussi, où le rôle des rapporteurs spéciaux prend également tout son sens.
Dans le cadre du groupe de travail et du président Woerth et du rapporteur général Joël Giraud, nous avons fait des propositions visant à donner au rapporteur spécial un rôle clé au printemps, et non plus uniquement à l'automne. Cela revient à déplacer le rôle du rapporteur spécial vers le contrôle des dépenses et des crédits passés. Aujourd'hui, le rapporteur spécial exprime un avis sur la façon dont les crédits seront dépensés l'année n+1. Si cela se répète chaque année sans que l'on regarde comment les crédits ont été effectivement utilisés, on se prive de la possibilité de savoir s'ils ont été bien utilisés. Il est donc extrêmement important de compléter cette phase d'automne, qu'il faut conserver et alléger, avec une phase de contrôle réel, qui interviendrait fin mai ou début juin, avant que la loi de règlement soit présentée en conseil des ministres.
Il faut absolument créer des commissions d'évaluation des politiques publiques, où les rapporteurs spéciaux viendraient contrôler l'utilisation des crédits l'année n-1. Ainsi, les députés et les commissaires de la commission des finances pourront voter une loi de règlement en conscience, et toute connaissance de cause, en ayant compris comment les crédits ont été utilisés. Aujourd'hui, la loi de règlement est votée en quelques heures, sans qu'on ait procédé à un contrôle qualitatif.
Instituer des commissions d'évaluation des politiques publiques au printemps serait le moyen de responsabiliser le parlementaire dans son rôle de rapporteur spécial – même si les rapporteurs pour avis le seraient aussi, dans le cadre d'un travail collégial. L'idée est que l'on est rapporteur spécial tout au long de l'année. On ne se réveille pas tout à coup en juillet avec un questionnaire fourni par un administrateur et que l'on envoie aux directeurs d'administration et aux responsables de programme, ni en octobre avec un discours de cinq minutes que l'on prononce devant une commission élargie.
Certes, cela ne brille pas beaucoup. Certes, c'est peu connu. Mais si nous voulons véritablement renforcer le rôle d'évaluation des parlementaires, il faut d'abord utiliser à fond, pleinement, les outils déjà existants. Au sein du Parlement, le rapporteur spécial a un rôle puissant. Il faut le porter à son maximum.
Par ailleurs, sur chaque loi, il faut probablement adopter une attitude beaucoup plus volontariste en matière d'évaluation. Je vais prendre l'exemple d'une loi que je connais bien, en tant que responsable de texte : la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) – que Mme Beaudouin-Hubière connaît bien elle aussi.
Nous avons mis en place un « conseil de la réforme » ; un vrai comité de suivi, évidemment transpartisan, composé de parlementaires issus de l'Assemblée nationale et du Sénat, et de personnalités extérieures qualifiées, capables de juger le bon suivi de chaque article. Il ne s'agit pas de se contenter d'un suivi quantitatif s'intéressant au nombre de décrets, mais de vérifier, études d'impact à la clé, si ce fameux rapport de confiance entre l'administration et les usagers, que nous avons prôné, est effectif sur le terrain. Et il faudra le faire régulièrement plusieurs fois par an.
Cela étant dit, je ne pense pas que le but de cette audition et, plus largement, de votre mission, dont les propositions sont vraiment pertinentes, soit d'« inventer pour inventer ». Il faut d'abord faire connaître ce qui existe. Par exemple, la direction du budget produit des documents formidables, très bien explicités, très pédagogiques : les projets annuels de performance, les rapports annuels de performance, etc. Ces documents permettent de comprendre comment sont utilisés les crédits. Franchement, il n'y a pas besoin de les « réinventer ». Il faut juste savoir comment y avoir accès, et probablement d'en faire l'outil central de l'office que vous appelez de vos voeux.
Je terminerai sur un point qui peut sembler annexe, mais qui est important : si l'on veut être crédible, il ne faut pas noyer les administrations de demandes, ni les intervenants extérieurs de demandes de rapports. Il faut déterminer des modalités de saisine assez strictes, les bureaux des commissions me semblant être le bon niveau pour le faire – c'est une proposition. Nous ne sommes pas là pour demander des rapports à tout va. Le Conseil constitutionnel l'a d'ailleurs rappelé lors de l'examen de la loi de finances pour 2018. Je fais amicalement référence à tous les amendements d'un certain groupe politique, qui avait sollicité des centaines de rapports ! Davantage d'évaluation, oui. Mais attention à ne pas étouffer de façon bureaucratique tout ce qui existe autour de nous.
Merci, mes chers collègues, d'avoir apporté plus que de l'eau à nos moulins. N'étant ni juriste, ni financier, j'espère pouvoir apporter un regard neuf ou en tout un peu extérieur.
Dans le cadre de ce groupe de travail, nous avons fait des préconisations, que j'ai eu l'honneur de rapporter. Et de l'ensemble de ces préconisations, ressort l'idée qu'il convient de mettre en place un contrôle et une évaluation plus en profondeur des lois que nous votons – ex-ante et ex-post.
Dans cette perspective, je pensais que le fait de s'adjoindre, au sein de l'Assemblée, les compétences d'un office indépendant était une des solutions que l'on pouvait apporter à notre manque de solidité en termes d'évaluation et de contrôle. Après avoir auditionné, la semaine dernière, un certain nombre de présidents de commission et le rapporteur général de la commission des affaires sociales sur le budget de la sécurité sociale, et après vous avoir écoutés, j'en suis de moins en moins convaincu.
M. Saint-Martin l'a rappelé il y a une seconde, et M. Larrivé l'avait rappelé aussi, nous disposons de tous les outils nécessaires. Mais alors, pourquoi ne l'a-t-on pas fait avant ?
Nous disposons, avec la loi pour un Etat au service d'une société de confiance (ESSOC), d'un objet expérimental : d'abord parce que ce n'est pas une commission permanente qui s'est chargée d'instruire le dossier, mais une commission spéciale ; ensuite parce que, à l'initiative d'un certain nombre de nos collègues, nous avons introduit un titre III dont l'unique objet est d'évaluer un certain nombre d'articles en matière financière et économique. Mais je remarque, en tant que député de la Nation, que ce titre fait l'objet de fortes critiques de la part de structures qui, a priori, sont là pour nous aider. Cela pose problème : on ne nous empêche pas de mener à bien notre mission de contrôle et d'évaluation, mais disons qu'on nous met un peu des bâtons dans les roues...
Je suis tout à fait d'accord avec les collègues qui ont mis en avant la très grande qualité des administrateurs de cette maison. Je me dis que, finalement, en augmentant le nombre de ces administrateurs, en diversifiant peut-être leur expertise, on aurait suffisamment d'outils pour pouvoir évaluer et contrôler les lois et l'action du Gouvernement. Et pourtant, cela ne se fait pas.
Tout à l'heure, notre collègue Amélie de Montchalin s'est exprimée sur la mise en place d'une unité de chiffrage, qui pourrait être extrêmement efficace. Cela nécessite-t-il des moyens nouveaux ? Peut-on la mettre en place avec nos moyens actuels ? Il faut procéder à une évaluation financière.
Je m'interroge aussi sur l'article 40 de la Constitution. À chaque fois que les députés veulent introduire une mesure supplémentaire dans la loi, on leur oppose le couperet de l'article 40. Je ne m'insurge pas contre l'article 40, mais cela nécessite, là encore, une évaluation.
Maintenant, monsieur le président, je souhaiterais aborder un autre point, qui a été soulevé après l'audition de certains de nos collègues. Cédric Villani, qui ne peut pas être là aujourd'hui et au nom duquel je m'exprime, a remarqué qu'une activité d'évaluation ex ante peut porter sur ce qui n'est pas financier, mais sociétal, technologique et scientifique.
Après toutes ces réflexions, je vous poserai une question qui, pour moi, est extrêmement importante : a-t-on besoin d'une structure d'évaluation indépendante, de type France Stratégie ou autre ? Notamment, a-t-on besoin d'une structure d'évaluation indépendante en matière budgétaire ?
On a proposé de mettre en place d'un suivi du budget, et de procéder à une évaluation en mai ou juin de l'année n, plutôt que de l'année n-1. En faisant cette évaluation six mois après le vote du budget de l'année, on pourrait éventuellement corriger une trajectoire. Car l'important problème auquel nous nous heurtons est que, malgré la qualité du travail parlementaire et du travail des administrateurs, le suivi des conclusions et des résultats de nos débats est largement en deçà de ce que l'on pourrait attendre.
L'unité de chiffrage que vous proposez de créer, madame de Montchalin, serait-elle placée au sein de l'office dédié à l'évaluation, ou ne servirait-elle que la commission des finances ? Pourrait-elle se saisir des amendements « substantiels » présentés en cours de discussion ? Cette possibilité est déjà théoriquement prévue dans le Règlement, mais le Comité d'évaluation et de contrôle (CEC) est loin de disposer des moyens humains et de l'expertise nécessaires pour évaluer les amendements en question – qui, parfois, représentent pourtant des sommes de plusieurs millions d'euros voire davantage.
D'autre part, comment nos collègues envisagent-ils la question du droit de suite, que M. Lurton a évoquée ? Les rapports d'évaluation et de contrôle sont de bonne qualité mais rarement suivis d'effets, disait-il ; c'est exact. Les commissions ne pourraient-elles s'employer à inscrire systématiquement des semaines de contrôle à leur ordre du jour, plutôt que des échanges entre les députés et les ministres qui, avouons-le, sont souvent convenus et rarement passionnants ? Est-il envisagé d'inscrire l'examen des rapports à l'ordre du jour dans le cadre d'un dialogue avec l'exécutif, afin qu'il rende compte des suites qu'il donne aux propositions émanant des parlementaires ?
Il est vrai que nous passons trois mois sur la loi de finances initiale et trois heures sur la loi de règlement. En 2012, monsieur Saint-Martin, le président Bartolone m'avait confié, avec François Cornut-Gentille, un rapport et une expérimentation visant à mieux exploiter les mois de mai et juin. Nous avons passé les responsables de deux programmes – lui la défense, moi le sport – sur le gril. Certes, il existe déjà la note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes, mais celle dont sont chargés les députés passe sous les radars ; il faudrait réaliser ce travail plus tôt. À mon sens, les mois de mai et juin devraient être consacrés entre autres à passer la loi de règlement au crible – une activité dans laquelle les rapporteurs spéciaux doivent jouer un rôle moteur.
Chacun d'entre vous a semblé indiquer que le Parlement disposait des moyens nécessaires, à l'exception de Mme de Montchalin qui propose la création d'une unité de chiffrage. Comment expliquer, dans ces conditions, que nous, parlementaires, n'utilisions pas suffisamment ce pouvoir de contrôle et d'évaluation, à telle point que nous nous soyons sentis obligés d'ajouter à la loi pour un État au service d'une société de confiance un titre III consacré au contrôle et à l'évaluation ? Il m'a pourtant semblé que certains de nos moyens sont contraints. Que faut-il faire ? Que faut-il exploiter davantage ? Quelles sont les pistes de développement, avec les moyens actuels, de l'évaluation et du contrôle ?
En tant que membre de la commission des finances, je suis tout à fait d'accord avec les propos qui ont été tenus. Il va de soi que nous ne disposons pas des moyens nécessaires. J'ai moi-même eu à demander l'assistance des services de l'Assemblée pour chiffrer les amendements déposés par mon groupe politique sur le projet de loi de finances. Les administrateurs qui, incontestablement, sont des serviteurs de l'État très professionnels, m'ont fait une réponse honnête en m'indiquant que les moyens de réaliser ce chiffrage n'existaient pas. Autrement dit, les amendements des groupes politiques au projet de loi de finances ne sont pas chiffrés. Sans doute est-ce une question de moyens, mais aussi d'expertise. Les administrateurs de l'Assemblée nous permettent d'effectuer un travail de fabrication de la loi de très grande qualité mais, pour ce qui concerne le contrôle budgétaire, nous ne disposons pas des profils nécessaires, que l'Assemblée devra selon moi recruter pour répondre à ce besoin.
En effet, nous disposons de nombreux outils mais nous ne les avons pas tous. L'expertise très spécifique du chiffrage nécessite tout d'abord de disposer des données : l'Assemblée ne dispose d'aucune des données de la liasse fiscale de l'année n-1, des données de l'INSEE ni des données que la Cour des comptes utilise pour rédiger son rapport annuel. Ayant été responsable du budget pour la majorité, je sais qu'il nous faut demander certains chiffrages à Bercy, qu'ils ne correspondent pas toujours aux calculs que nous avons-nous-mêmes effectués par nos moyens informels, et qu'il nous est répondu que la vérité doit se trouver entre les deux… En somme, nous travaillons dans le flou. L'Assemblée n'a pas la compétence du chiffrage.
À la question des données s'en ajoute une autre : les administrateurs de l'Assemblée sont en effet d'excellents professionnels de la fabrique de la loi et sont d'ailleurs recrutés par un concours juridique – ce qui explique qu'ils soient d'excellents juristes, constitutionnalistes, légisticiens – mais soyons lucides : ce concours ne compte aucune partie dédiée à l'expertise économique et statistique. Pour y remédier, deux solutions : à très court terme, pour le prochain projet de loi de finances, cette unité de chiffrage s'appuierait sur des compétences externes – il m'est arrivé dans ma carrière d'effectuer des bouclages macrofinanciers avec une équipe de quatre personnes, il ne s'agit donc pas de créer une équipe pléthorique ou une administration centrale – de quatre ou cinq économistes chevronnés et sur des données, ce qui permettra de répondre aux besoins des groupes et des députés ; à plus long terme, M. Larrivé me suggérait l'idée d'ouvrir une deuxième filière de recrutement des administrateurs via un concours auquel pourraient se présenter, par exemple, des ingénieurs et des statisticiens. J'en serais ravie : cela nous aiderait tous à effectuer ce travail d'évaluation dont parlait Mme Beaudouin-Hubière. Sur le papier, nous disposons des moyens et des rapports mais, pour ce qui concerne les études d'impact économiques, il nous manque la compétence.
M. Juanico demande si le chiffrage des amendements se fera en temps réel. Tous les organismes privés et académiques savent parfaitement chiffrer en trente-six heures les principales propositions qui leur parviennent. L'idée est de pouvoir contre-expertiser ce que nous propose le Gouvernement, pas forcément pour s'y opposer mais au moins pour vérifier les hypothèses afin de nourrir une discussion beaucoup plus factuelle en commission comme dans l'hémicycle. À quoi nous sert-il d'être élus au service des citoyens et de formuler des propositions si nous cantonnons nos travaux au pouvoir du verbe ? Si le Gouvernement et les administrations considèrent souvent que le travail parlementaire s'apparente à une cerise sur le gâteau sans substance, c'est en partie parce que nous n'avons pas les moyens de donner de la substance à notre travail.
Quant au rattachement de l'unité de chiffrage, mon intuition est la suivante : il me semble important qu'elle serve l'Assemblée dans son ensemble. Pendant la période budgétaire, les membres de la commission des finances pourraient avoir un droit de tirage prioritaire, mais il est essentiel que les députés des autres commissions sachent combien coûtent leurs propositions – sur la mobilité et les infrastructures, par exemple mais en matière sociale également. Le but n'est pas que tous les députés se spécialisent en matière budgétaire, mais le fait est que l'action publique génère une dépense et il est très sain, et même salutaire, que tous les députés, de l'opposition comme de la majorité, aient ces droits à égalité afin que le débat parlementaire gagne en qualité et en pertinence. Autrement, seule la majorité obtiendrait des données auprès des administrations tandis que l'opposition resterait dans le brouillard.
Cette unité de chiffrage doit être considérée comme un outil technique et non politique, au service de tous les députés et chargé d'établir combien coûtent – ou rapportent – les mesures proposées. Elle reposerait sur une petite équipe qui, en période budgétaire, pourrait travailler en priorité avec la commission des finances et, le reste de l'année, être saisie par chacun. Elle serait un service de l'Assemblée, comme la bibliothèque, par exemple, ou comme toute autre ressource transversale. Elle présenterait l'avantage de pouvoir recueillir des données provenant de l'INSEE, de la liasse fiscale, voire – sur demande – des rapports de la Cour des comptes et des inspections. Prenons l'exemple du projet de loi faisant suite aux Etats généraux de l'alimentation : plusieurs de ses dispositions, relatives à l'assurance ou à la sécurité alimentaire, créent de la dépense publique. Malgré l'encadrement par l'article 40, les députés ne disposent pas des moyens permettant de proposer des amendements précis et chiffrés.
En clair, plus cette unité serait transversale et ouverte à tous – étant entendu qu'il faudra encadrer le droit de tirage, car elle ne pourra pas traiter les quelque cinq mille amendements déposés chaque année – et plus nous pourrons illustrer sa pertinence pour le rôle démocratique des députés. Les citoyens attendent de nous un travail sérieux ; même dans les milieux économiques, ils n'imaginent pas que l'Assemblée ne dispose pas des données et de l'expertise nécessaire pour les traiter. Les autres pays européens se sont dotés de ressources de cette nature, et il ne s'agit jamais d'équipes pléthoriques, encore moins d'une administration centrale, mais d'une structure agile au service des députés afin de rendre leur travail sérieux et crédible. Si nous voulons politiquement maîtriser la dépense publique, il ne faut pas en faire un objectif d'austérité, mais de responsabilité.
Je suis obligé d'apporter un bémol à cette dernière phrase : s'agissant de sérieux et d'économies budgétaires – nous avons eu cette discussion dans le cadre du groupe de travail à la commission des finances –, il faut respecter les opinions de tous les groupes politiques ; il convient de ne pas en faire une obligation systématique dans l'exercice de l'évaluation, par respect pour le pluralisme politique.
M. Larrivé a signalé à juste titre que la qualité du travail qu'effectuent les administrateurs de l'Assemblée tient en partie à leur indépendance à l'égard du pouvoir exécutif. Il faut l'avoir à l'esprit avant de décider ou non d'internaliser l'unité de chiffrage, qui est par ailleurs une excellente idée. Reprenons l'exemple récent et concret de la taxe sur les dividendes : avait été adopté un amendement gouvernemental mal calibré, mal chiffré et mal formulé sur le plan juridique – et chacun connaît la suite. La majorité actuelle, avec les outils dont elle dispose, l'aurait adopté de la même manière, car nous n'avons pas de pouvoirs supplémentaires par rapport à nos collègues de la majorité précédente. Que se serait-il passé si nous avions pu nous appuyer sur des économistes spécialisés de l'administration ou d'ailleurs ? Ce sujet étant largement abordé dans l'ensemble de la sphère économique, le recours à des économistes extérieurs, même excellents, aurait peut-être présenté un risque de porosité. Au contraire, des administrateurs de l'Assemblée auraient permis de reprendre la réflexion depuis l'origine sur la viabilité juridique et financière de la taxe sur les dividendes, et sur l'absence de risques à l'égard de l'Union européenne et du Conseil constitutionnel. La réflexion sur l'indépendance totale – pourvu que l'on estime que la séparation des pouvoirs est elle aussi totale – des administrateurs est très intéressante.
Concernant la documentation dont nous disposons, madame Beaudouin-Hubière, la priorité serait de la rassembler, car elle est éparpillée, et de déterminer comment l'utiliser. C'est la base de l'évaluation : utiliser correctement les données existantes.
Quant à la Cour des comptes, le problème est réel : aujourd'hui, un responsable de programme agit en fonction de la manière dont il pense que la Cour des comptes le jugera. En dépit du professionnalisme de la Cour, cela signifie que nous n'effectuons pas notre travail d'évaluation. Nous ne sommes pas des contrôleurs et des magistrats de la Cour des comptes ; nous portons un regard différent sur l'efficience de l'évaluation des politiques publiques et de l'utilisation des derniers publics ; ce n'est pas la même chose. La Cour des comptes a naturellement occupé le vide laissé depuis longtemps par le Parlement. Il nous appartient de reprendre cette place, en toute légitimité, sans nous livrer à une quelconque guerre de chapelles.
Enfin, monsieur le rapporteur, le contrôle budgétaire de l'année n-1 et l'évaluation ex ante de l'année n+1 obligent constamment à contrôler l'exécution de l'année n : nous ne disposons certes pas des données chiffrées pour contrôler l'exécution du budget en cours de la même manière que celle de l'année précédente, étant donné le mode de remontée des données à la direction du budget, mais nous évaluons tout de même le budget de l'année en cours. Si nous constituons ces fameuses commissions d'évaluation des politiques publiques, je demanderai par exemple, en tant que rapporteur spécial, au ministre Darmanin de m'expliquer l'utilisation des crédits pour 2017 et les éventuels mouvements significatifs qui se seraient produits au premier semestre 2018. Nous examinerons donc forcément l'année n lors de cet exercice.
J'en conviens, mais il est encore impossible de modifier une trajectoire d'utilisation des crédits sur les six derniers mois, par exemple. On peut la visualiser mais pas l'amender.
Lorsque j'évoquais l'indépendance des administrateurs de l'Assemblée à l'égard du Gouvernement, monsieur Saint-Martin, j'avais aussi à l'esprit ceci : je ne voudrais pas qu'il soit un jour possible de détacher des administrateurs civils du Gouvernement dans des fonctions d'administrateur à l'Assemblée. Prenons l'exemple concret d'un « junior » de Bercy, adjoint au chef d'un bureau du Trésor : une fois arrivé au sein d'une commission de l'Assemblée, sa production sera forcément scrutée par sa hiérarchie au ministère et il n'aura aucune indépendance pour aider un député à rédiger un rapport très hostile à une mesure gouvernementale ; en outre, il aura à coeur de gravir les échelons du ministère. L'une des forces de notre maison tient à la préservation de son indépendance fonctionnelle, via les fonctionnaires, à l'égard du pouvoir exécutif.
Je suis tout à fait d'accord avec l'idée selon laquelle il faut préserver cette indépendance, mais cela ne passe pas uniquement par le statut. En l'occurrence, s'agissant de l'unité de chiffrage, il faut trouver le bon équilibre entre l'agilité et la mise à disposition de compétences au service des commissions saisies sur les différents textes, d'une part, et le respect de la pluralité et des droits de l'opposition, d'autre part. Les présidences de commission sont presque toutes confiées à des membres de la majorité. N'abordons pas la question de l'évaluation au seul prisme du renforcement des moyens dont disposent les commissions : les administrateurs des commissions, dont l'intégrité est incontestable, travaillent sous l'autorité de la présidence de leur commission et, dans l'organisation de leur travail, sont donc nécessairement politisés. Il faut trouver le juste équilibre entre le travail des commissions, dont les présidents nous disaient la semaine dernière qu'il constitue le « terrain » de l'activité parlementaire, et le respect du pluralisme, en déterminant le bon dosage en termes de représentation des groupes politiques.
En l'occurrence, ce mécanisme ne fonctionne pas trop mal. Prenons l'exemple de la mission d'information au titre de laquelle vous m'avez convoqué, sur l'application de la loi relative au droit des étrangers en France. Deux rapporteurs ont été désignés : l'un issu de l'aile gauche du groupe majoritaire et moi-même, qui ne suis pas précisément de centre-gauche. Nous avons rédigé un rapport avec un administrateur, étant précisé que nous étions d'accord sur le diagnostic mais totalement en désaccord sur les propositions à formuler ; nous avons donc rédigé deux parties distinctes. Ces situations se gèrent dans la vie quotidienne sans qu'il soit nécessaire de procéder à de grandes réformes institutionnelles.
La réunion s'achève à 10 heures 40.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Noël Barrot, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Jean-François Eliaou, M. Régis Juanico
Excusés. - Mme Aurore Bergé, M. Paul Christophe