Intervention de Guillaume Larrivé

Réunion du jeudi 29 mars 2018 à 9h35
Groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation du parlement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé, co-rapporteur de la mission d'information sur l'application de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France :

Le chevalet installé devant moi indique seulement ma qualité de co-rapporteur de la mission d'information sur l'application de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, mais je puiserai également dans mon expérience longue de six ans comme député, dans mon expérience de trois ans comme membre du Conseil d'État et dans mon expérience de sept ans comme membre du cabinet du Président de la République ou du cabinet de divers ministres, en espérant apporter ainsi également le regard opérationnel de l'exécutif.

Je voudrais d'abord souligner les grandes qualités des collaborateurs permanents dont nous disposons comme députés. Il est précieux que ces administrateurs de haute technicité et très bien formés ne soient pas habités par des soucis de carrière vis-à-vis de l'exécutif, n'ayant à plaire ni à tel ministre ni à tel chef de corps pour faire carrière. Ils sont également parfaitement indépendants vis-à-vis des intérêts privés, étanches aux intérêts extérieurs, et ainsi à l'abri des conflits d'intérêt.

Ce corps d'administrateurs de grande qualité n'a rien à envier aux membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou des corps d'inspection.

Comme membre du cabinet du ministre des affaires sociales, j'ai pu me rendre compte que leurs compétences techniques étaient supérieures à celles qui sont disponibles dans les grands ministères, et égales à celles des grands corps. Ayons-en conscience.

Le statut pérenne de fonctionnaire donne aussi à ce personnel un certain recul. Par-delà les changements de législature, une mémoire institutionnelle est conservée. Ainsi, nous ne sommes pas la génération spontanée de juin 2017 ; nous nous inscrivons aussi dans la durée de ce que nos prédécesseurs parlementaires ont débattu et construit.

Notre force d'évaluation et de contrôle réside dans la qualité des administrateurs qui nous assistent et que nous dirigeons, notre devoir étant un devoir d'arbitrage et de direction. Nous avons en tout cas une grande chance de les avoir.

J'en viens à mon second point, à savoir l'accès à l'information classifiée, que j'aborderai comme commissaire aux lois spécialisé dans les questions régaliennes. C'est un problème qu'on évoque assez rarement pour l'Assemblée nationale. Depuis mai 2012, à savoir depuis que je ne suis plus conseiller juridique du Président de la République, je n'ai pas eu accès à une note « secret défense » ou à une note classifiée. Vu de l'extérieur, on pourrait pourtant imaginer que j'aie, comme élu de la Nation et comme co-rapporteur d'application de la loi sur le renseignement, un accès encadré à de l'information stratégique. Il n'en est rien, car le pouvoir exécutif en est en fait le seul destinataire. Il me semble donc nécessaire de permettre à des parlementaires, ès qualités, l'accès à ces données.

C'est pourquoi j'ai déposé, le 17 janvier 2018, la proposition de loi n°172 portant création de l'office parlementaire de sécurité nationale. Bien sûr, cela vaut ce que cela vaut. À mes yeux, il s'agit cependant d'une porte d'entrée pour la discussion. Un organe ad hoc, peut-être bicaméral, pourrait en tout cas rassembler ès qualités des parlementaires qui seraient habilités à connaitre de ces matières. Certes, notre délégation parlementaire au renseignement (DPR) existe déjà, mais elle a pour objet exclusif le contrôle des services de renseignement ; il ne s'agit précisément pas pour elle d'accéder à des informations stratégiques rendant possibles l'évaluation d'une politique de sécurité intérieure. Son « job », pour louable qu'il soit, est donc trop restreint, et laisse de côté l'évaluation des politiques de sécurité. Nous devons donc travailler sur ce sujet.

Troisièmement, il me semble qu'il faut une évaluation large, qui s'étende jusqu'aux nominations aux principaux leviers de l'exécutif. Lorsqu'il était Président de la République, Nicolas Sarkozy avait engagé une révision constitutionnelle qui avait abouti, en 2008, à l'adoption de l'actuel article 13 de notre Constitution, selon lequel les commissions compétences se prononcent, à une majorité négative des trois cinquièmes, pour refuser une nomination, dans un certain nombre de cas.

Je suis partisan d'un double élargissement de ce pouvoir de contrôle du Parlement sur les nominations.

D'abord, le périmètre des nominations prévu par l'article 13 et par la loi organique me semble trop restrictif. Il me semble que le champ du contrôle pourrait être élargi, par exemple, à la nomination à la direction générale du Trésor, l'un des postes administratifs les plus puissants de France, ou à la représentation permanente de la France auprès des Nations unies ou encore à la préfecture d'Île-de-France. Cet élargissement du champ des nominations contrôlées supposerait une révision de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique.

Ensuite, la majorité négative des trois cinquièmes pourrait se muer en majorité de 50 %. On y gagnerait ainsi, en ce que ces nominations essentielles pour la vie de la Nation seraient plus consensuelles. Je rappelle qu'un seul candidat a été « blackboulé » au cours de la dernière législature. Présidée par Jean-Jacques Urvoas, majorité et opposition avaient, de conserve, exprimé leur opposition à une nomination au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Une majorité de 50 % rendrait plus étendu l'exercice de notre pouvoir de contrôle.

Ce dernier n'a en effet de sens que s'il nous investit d'un vrai pouvoir de décision. Le Parlement ne doit pas rester un simple lieu de délibération. Car nous sommes un pouvoir. L'État ne se réduit pas au pouvoir exécutif. L'État, c'est nous aussi, puisqu'il se compose à la fois de l'autorité judiciaire, du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Nous sommes donc une composante majeure de l'État. Nous ne devons donc pas être seulement un lieu de la délibération, mais aussi un des lieux de la décision.

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