Monsieur le président, monsieur le rapporteur, chers collègues, vous avez déjà entendu de nombreux acteurs, y compris certains de mes homologues. Je vais donc m'efforcer d'éviter les répétitions par rapport à vos auditions antérieures et à la contribution que j'ai adressée à votre groupe au cours de la première phase de ses travaux.
Vous m'excuserez du caractère quelque peu tranché de mes propos, mais je crois que la question du contrôle souffre dans notre assemblée d'une forme de « politiquement correct ». On s'interroge beaucoup pour déterminer si l'évaluation doit être ex ante ou ex post, interne ou externalisée, si l'évaluation n'est qu'une dimension du contrôle ou un exercice à part entière. Ces questions sont importantes ; elles sont loin d'épuiser le sujet et elles le cachent même parfois. Contrôler, c'est d'abord faire preuve de fermeté et de courage.
Il ne s'agit pas de mettre en difficulté, par posture, les organismes contrôlés ou le Gouvernement mais on ne peut s'arrêter à la seule réticence de ceux-ci à fournir des informations ou, plus encore, de s'astreindre à une forme d'autocensure. Il ne faudrait froisser personne. Contrôler peut déboucher sur une critique : formuler une observation critique à l'encontre de telle action ou inaction gouvernementale. Pour autant, cela ne signifie pas que l'on cherche à faire tomber le Gouvernement !
On vous a beaucoup parlé de l'article 40 : quelle magnifique illustration de notre tendance à l'autocensure ! L'Assemblée s'interdit même de débattre en vertu d'un prétendu sens de la responsabilité budgétaire, qui n'a guère fait ses preuves en termes de maîtrise des comptes publics... Cette autocensure est d'autant plus absurde que la réticence du Gouvernement au contrôle relève en partie de la légende : dans le cadre des rapports d'application des lois, notre commission a institué un droit d'alerte. Les co-rapporteurs peuvent, plusieurs semaines avant la présentation de leurs conclusions, alerter le ministre compétent sur une difficulté majeure d'application ; le ministre présent lors de la présentation du rapport est interrogé sur ce point et, sans être pris par surprise, dispose d'éléments de réponse ou doit s'en expliquer. Je constate que cela fonctionne et que, pour exigeant qu'il soit, l'exercice ne donne lieu à aucun drame.
Je ne peux donc que souscrire à vos propositions de renforcer les moyens de notre assemblée, de requérir des informations, de convoquer dans le champ du contrôle.
J'observe que notre assemblée devrait déjà utiliser les moyens qui sont les siens. Les commissions permanentes sont régulièrement appelées à effectuer des auditions préalablement à la nomination de personnalités à des postes de responsabilités : je n'appelle évidemment pas à lyncher les personnes ainsi auditionnées, mais je suis sûre que tous leurs subordonnés – au moins jusqu'au « N – 3 » – ont subi des entretiens de recrutement incroyablement plus exigeants que nos auditions !
Contrôler, c'est être tenace. Je vous invite à consulter sur le site de notre assemblée les rapports d'information des législatures précédentes : les exemples de suivi des travaux de contrôle s'y comptent sur les doigts de la main. Nous adorons dresser de longues listes de 30 ou 50 propositions d'une portée parfois variable, souvent présentées sans hiérarchisation entre elles, trop fréquemment sans portée opérationnelle et généralement oubliées de tous, nous les premiers, au lendemain de la publication du rapport.
Je plaide pour des recommandations plus ciblées et plus opérationnelles ; je plaide également pour que l'on vérifie, régulièrement, à l'instar de ce que fait la Cour des comptes, qu'elles ont été suivies d'effets ou que les destinataires s'expliquent sur les raisons pour lesquelles ils n'y ont pas donné suite.
Contrôler, ce n'est pas simplement observer. Je ne crois pas à un contrôle quelque peu passif dont les conclusions déboucheraient sur l'expression d'un simple mécontentement. Le contrôle doit s'accompagner d'une « sanction » : si une législation est inopérante, la conclusion logique du contrôle doit être de l'abroger ou de la modifier ; si une étude d'impact est insuffisante, elle doit être complétée ou refaite !
Je ne crois pas davantage à l'opposition souvent faite entre activité de contrôle et activité législative. Les deux vont de pair et c'est la raison pour laquelle les commissions sont les mieux placées pour mener ce travail de contrôle.
Je ne crois pas non plus au discours sur le nécessaire renforcement du contrôle face à une activité législative excessive. En dépit de cet attachement unanime au nécessaire renforcement du contrôle, il y avait moins de députés dans l'hémicycle sur notre rapport relatif aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) mardi soir que sur le plus anodin des textes législatifs examiné en séance.
Comment faire pour renforcer notre activité de contrôle ?
Tout d'abord en renforçant les moyens des commissions permanentes.
J'ai bien entendu la plaisanterie que le président de la commission des finances a faite devant vous sur l'insuffisance de ses ressources en administrateurs : ils sont tout de même deux fois plus nombreux que ceux affectés à la commission des affaires sociales, et qui traitent du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) dont les montants sont supérieurs à ceux du projet de loi de finances, ainsi que de l'ensemble de la législation sociale. Ne jouons pas à ces comparaisons ! Nous sommes tous globalement et gravement sous-dotés. Comment en serait-il autrement avec l'accroissement de nos demandes et de nos activités ?
Depuis le début de la législature, par comparaison avec l'activité de la précédente, la commission des affaires sociales a examiné davantage de projets de loi, a examiné deux fois plus de propositions de loi, a voté la création du même nombre de commissions d'enquête que sur l'ensemble de la législature précédente et a, en dix mois, mené autant de travaux de contrôle qu'en deux ans. Le tout avec des effectifs diminués – provisoirement je l'espère !
Pourtant, nous utilisons ces ressources au mieux, précisément en partant du principe que contrôle et activité législative vont de pair et en mutualisant les moyens. C'est cette masse critique qui nous permet de gérer l'afflux constaté de demandes, ce qui me fait craindre une éventuelle multiplication du nombre des commissions permanentes. À moyens constants, elles y perdraient en capacité d'action.
La deuxième piste d'amélioration vise à distinguer le contrôle permanent des initiatives exceptionnelles.
J'ai dû, à regret, informer le bureau de notre commission au mois de février que nous ne lancerions aucun nouveau travail de contrôle propre à la commission d'ici au mois de juin. Les moyens qui lui sont dévolus ont, en effet, été totalement absorbés par l'activité législative courante, mais surtout par la création de quatre commissions d'enquête, dont trois ont prévu de rendre leurs travaux en juillet prochain, et de deux missions d'information communes.
Le contrôle doit procéder d'un processus permanent, d'une programmation rigoureuse pour arbitrer entre les différentes demandes. C'est la vocation des commissions permanentes. L'exercice est un peu vain dès lors que les travaux exceptionnels viennent désorganiser cette programmation. Je plaide pour que l'Assemblée dédie des moyens propres à ces activités de contrôle transversales et exceptionnelles.
Cette articulation est également nécessaire pour les parlementaires : comment peut-on suivre correctement les travaux de divers organes qui se réunissent généralement tous le même jour ? Nous rejoignons là la réflexion d'un autre groupe de travail sur l'organisation de la semaine parlementaire et de la session.
Troisième piste d'amélioration : éviter de créer des structures ou des procédures lourdes.
Je suis favorable à ce que l'on touche le moins possible au Règlement de notre Assemblée sur les structures de contrôle, sinon pour alléger ses articles 145-1 et suivants de dispositions inutilement précises : prévoir un rapport d'application de la loi systématique au terme d'un délai de six mois n'a aucun sens pour certains textes ; « interdire » l'évaluation d'une loi avant un délai de trois ans n'en a pas beaucoup non plus.
Je crois que nous devons faire preuve de souplesse. La commission des affaires sociales a mis en place des « missions flash ». La règle est qu'il ne doit pas s'écouler plus d'un mois entre le début du travail du rapporteur et la présentation de ses conclusions. Et cela marche ! Nos rapporteurs en charge de ces travaux de contrôle acceptent pour ce temps court de dégager leurs agendas sur une à deux semaines complètes, comme le fait un rapporteur sur un projet de loi.
Il y a là un contraste très fort avec les travaux s'étendant sur trois mois, six mois ou plus : dans ces travaux, les députés peinent à dégager, sur la durée, de manière régulière, des créneaux sur des sujets qui ont perdu l'attrait de la nouveauté. Accessoirement, sur un sujet sur lequel un groupe d'opposition envisageait la création d'une commission d'enquête, la mission flash conduite par un rapporteur du même groupe a finalement conclu que le sujet était clos.
S'il n'est pas adapté à tous les sujets, ce format permet cependant de répondre à l'urgence et à la volonté d'obtenir rapidement de premiers résultats.
La quatrième et dernière piste d'amélioration suppose de réfléchir aux objectifs et aux moyens de l'expertise.
Le débat sur l'évaluation et votre audition de France Stratégie illustrent bien l'ambiguïté de notre positionnement face à l'expertise. Nous ne sommes pas des experts, nous ne devons pas le devenir ; notre rôle est celui de décideurs politiques.
Je ne crois pas au rattachement d'une structure d'expertise qui aboutirait à des conclusions scientifiques dans un délai de trois ans après la publication de la loi !
Il n'empêche que nous devons réfléchir aux moyens de renforcer notre capacité d'expertise. Beaucoup de pistes ont été évoquées. L'Assemblée devrait, selon moi, se doter d'un accord-cadre qui permettrait de faire appel à des organismes extérieurs sans passer par des procédures de marchés publics longues et complexes ; elle devrait également contracter avec des organismes statistiques et de recherche.
Je pense néanmoins que la piste à privilégier est l'internalisation de compétences, par un programme ambitieux de formation des administrateurs, mais aussi par l'intégration dans les cadres, pour une durée limitée, de personnels extérieurs spécialisés. Je crois que c'est le seul moyen de gagner en expertise sans perdre ce qui est pour nous essentiel, à savoir l'indépendance et la rapidité de cette expertise.
Je crois également, si nous voulons mieux utiliser le temps de nos collègues, qu'il nous faut réfléchir à l'articulation entre élaboration du mandat politique, instruction et expertise technique, analyse et validation par les politiques.
Vous l'aurez compris, je mise sur ce qui fait la force de notre maison commune. Le défi du contrôle n'est pas d'abord celui des moyens, c'est avant tout celui de la volonté politique.