La réunion débute à 10 heures 05.
Présidence de Jean-François Eliaou, rapporteur, puis de M. Jean-Noël Barrot, président.
Le groupe de travail procède à l'audition de M. Thierry Francq, secrétaire général adjoint et de Mme Sylviane Gastaldo, directrice du Secrétariat général pour l'investissement.
Je vous prie d'excuser l'absence pour quelques instants du président Jean-Noël Barrot.
Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Thierry Francq, secrétaire général adjoint du Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), et Mme Sylviane Gastaldo, directrice du programme « Évaluation des investissements publics ».
Je rappelle que le Secrétariat général pour l'investissement, créé en 2010, sous le nom de Commissariat général à l'investissement, est placé sous l'autorité du Premier ministre.
Il est chargé de veiller à la cohérence de la politique d'investissement de l'État. Ainsi assure-t-il le suivi du grand plan d'investissement et la mise en oeuvre du programme d'investissements d'avenir (PIA). Il est en particulier chargé de coordonner l'instruction des projets d'investissement et de formuler des avis et propositions. Il est également chargé de veiller à l'évaluation a priori et a posteriori des investissements, notamment de leur rentabilité, ainsi que de dresser un bilan annuel de l'exécution du programme.
Votre expérience en matière d'évaluation a priori et a posteriori des investissements nous est donc précieuse ce matin, notamment en ce qui concerne la capacité d'expertise ex ante que vous avez développée en donnant un avis sur les projets d'investissement.
Je présenterai les différentes activités du Secrétariat général pour l'investissement. Je soulignerai que l'évaluation est omniprésente dans ses missions et je vous livrerai quelques leçons que nous tirons de notre expérience.
L'évaluation est consubstantielle au SGI. Outre la mission générale qui consiste à veiller à la cohérence de la politique d'investissement de l'État, trois fonctions intègrent cette dimension.
La première, la plus connue, est le programme d'investissements d'avenir. En accord avec les ministères concernés, nous mettons en place des dispositifs qui permettent de sélectionner des projets. Qui dit « sélectionner » dit les évaluer avec l'idée de maximiser l'impact des investissements et des crédits budgétaires engagés au regard des objectifs fixés.
Le PIA répond en outre à une règle absolue : dès lors que l'État engage de l'argent public dans un projet, un pourcentage des crédits est réservé à la réalisation d'une évaluation ex post de l'impact des actions que nous menons.
La deuxième activité est historique, il s'agit de la contre-expertise des investissements de l'État et de ses établissements publics. La loi de programmation de 2012 a institué une obligation d'évaluation d'impact socio-économique de tous les projets d'investissement de l'État et a confié au Commissariat général à l'investissement (CGI), devenu le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), le soin de dresser un inventaire des projets supérieurs à 20 millions d'euros de dépenses de l'État ou de ses établissements publics et de mettre en oeuvre une contre-expertise des évaluations des projets sur lesquels l'État ou ses établissements publics participent à plus de 100 millions d'euros. Au-delà des études préalables, il s'agit là d'une mission d'évaluation ex ante, c'est-à-dire avant que le projet ne soit réellement décidé.
S'agissant d'une évaluation socio-économique, vous avez mentionné le terme de « rentabilité ». Il ne s'agit pas, c'est vrai, d'une rentabilité financière mais d'une rentabilité socio-économique, que nous essayons de transformer en valeur actuelle nette. Nous monétisons tous les effets économiques et financiers mesurables directement en euros et évaluons les avantages que peut procurer à toutes les parties prenantes un investissement qui n'est pas forcément monétisé. Par exemple, nous mesurons les effets environnementaux d'un projet de transport.
La troisième activité, nouvelle, porte sur l'animation du Grand Plan d'investissement (GPI). Si je mets de côté le PIA qui a été inclus dans le GPI, l'évaluation constitue l'élément clé puisque la mission première, fondamentale, du SGPI pour ce grand plan d'investissement consistera à évaluer la mise en oeuvre des initiatives du plan et de proposer, le cas échéant, au Premier ministre des modifications d'allocations en fonction de l'efficacité des différents projets concernés. Premièrement, notre action consiste à faire en sorte que les projets menés par un ou des ministères soient déterminés et leurs objectifs précisés. C'est l'une des conditions sine qua non pour évaluer l'efficacité, tant il est vrai que nous n'évaluons pas l'efficacité dans l'absolu mais par rapport à un objectif. Deuxièmement, nous mettons en place des indicateurs, c'est-à-dire des mesures de performance, et cela ex ante afin de jouer ensuite notre rôle d'évaluation.
De ces différentes activités, nous tirons quelques leçons.
Premièrement, les méthodes d'évaluation dépendent beaucoup de l'objectif qu'on leur assigne. Sur le plan de l'impact socio-économique des projets, il s'agit souvent d'une action qui fait l'objet de réticences – c'est désormais moins souvent le cas – parce qu'elle est souvent confondue avec une logique d'évaluation budgétaire ou de soutenabilité budgétaire. Or, l'impact socio-économique d'un projet est différent. Des projets peuvent être soutenables budgétairement, sans pour autant avoir de rentabilité socio-économique – et inversement. Il convient de distinguer l'évaluation d'impact de la fonction de contrôle.
Deuxièmement, une forte différence existe entre l'évaluation ex ante et l'évaluation ex post. L'évaluation ex ante repose sur des simulations et des prévisions, l'évaluation ex post sur des observations concrètes. Cela dit, des éléments leur sont communs. En outre, avoir une approche globale d'impact, y compris pour une évaluation ex post, nécessite parfois aussi de dresser des hypothèses. Le PIA est un programme lancé en 2010-2011. Il est convenu dès le début que l'impact de ce programme serait évalué au bout de dix ans. Cette évaluation est devant nous ; nous la préparons.
Nous savons évaluer l'impact direct d'un projet d'innovation sur l'évolution d'une entreprise. C'est assez simple. Mais lorsqu'il finance des projets de ce type, le PIA n'a pas pour seul objectif que le projet se déroule et ait des impacts directs. Au travers de nos appels à projets dans le domaine de l'innovation, nous avons pour ambition de favoriser le travail en commun d'entreprises et de laboratoires publics. Évaluer le poids du PIA sur les transformations des habitudes est plus difficile. Nous sommes dans un univers incertain. Autrement dit, une évaluation globale ayant pour objectif l'intérêt général et la prise en compte de toutes les externalités positives ou négatives d'un projet, même ex post, n'est pas obligatoirement une science exacte.
En ce qui concerne le PIA et l'évaluation ex ante, la méthode se fonde essentiellement sur un mécanisme de sélection. Qui dit sélection dit définition d'objectifs précis, de critères et de comparaisons entre projets. C'est ainsi que nous essayons de maximiser ex ante le possible impact de nos actions. L'évaluation ex post revêt un caractère plus classique, même si elle est complexe à mener au vu de l'étendue des actions du programme d'investissements d'avenir. C'est aussi pourquoi nous avons commandé une évaluation intermédiaire du PIA : afin de ne pas rester en suspens dix ans durant. Cet élément a amené le précédent gouvernement à proposer un troisième PIA.
J'en arrive à une question de gouvernance qui est essentielle. Pour réaliser l'évaluation à mi-parcours du PIA, nous avons sollicité France Stratégie. C'est ainsi que France Stratégie a sélectionné un panel d'experts, certains étrangers. La commission est présidée par M. Philippe Maystadt, ancien ministre belge des affaires économiques, ancien ministre du budget, de la politique scientifique et du plan et ancien président de la Banque européenne d'investissement (BEI). Nous n'avons pas interféré dans la sélection des membres du panel. Celui-ci a mené ses activités, nous a auditionnés, sans que jamais nous soyons intervenus. L'indépendance de l'analyse est fondamentale. D'ailleurs, le PIA, y compris dans son mécanisme de sélection, fait intervenir des experts indépendants, tels les jurys internationaux dans le domaine universitaire qui forment la pièce centrale du mécanisme de sélection des projets à l'université et de recherche publique du PIA.
Le troisième élément que je souhaite relever porte sur les méthodes. À l'heure actuelle, trois obstacles freinent le renforcement du réflexe, de la logique et de la culture de l'évaluation dans toutes les actions de l'État qui s'y prêtent.
Le premier obstacle, habituel, tient à l'inertie liée aux habitudes.
Le deuxième réside dans les crédits, tant il est vrai que l'évaluation a un coût, surtout si elle est réalisée par une structure indépendante qu'il convient de payer. Bien souvent, ce n'est pas là la priorité budgétaire des ministères, ce que l'on peut comprendre par ailleurs.
Le troisième obstacle tient au manque de méthodes éprouvées en matière d'évaluation. La méthode qui s'applique à nos contre-expertises des investissements publics est éprouvée, mais nécessiterait d'être modernisée. Depuis de nombreuses années, les projets en matière de transports font l'objet d'expertises de leur impact socio-économique. C'est le seul champ dans lequel nous disposons d'une méthode complète, éprouvée et approuvée par des experts.
Je prends maintenant un exemple dans un domaine spécifique. Nous avons évalué récemment un projet de rénovation lourde d'une prison. Or, en France, nous ne disposons à peu près d'aucun élément pour évaluer sur un plan socio-économique un tel projet. Nous avons diligenté une contre-expertise et les experts ont fait plus que contre-expertiser. Ils ont tenté d'expertiser l'impact socio-économique de ces projets en utilisant des métriques ou des études réalisées à l'étranger.
Il est intéressant de noter qu'il n'existe en France que peu d'éléments sur le sujet. Par ailleurs, ces éléments ne portent pas uniquement sur la question de savoir s'il convient de rénover une prison. Ils éclairent aussi la politique pénale de l'État en révélant l'impact d'une prison rénovée sur le taux de récidive, comparé à celui d'une prison qui ne le serait pas ou celui d'actions alternatives à la prison. De telles questions, qui sont étudiées dans d'autres pays, ne le sont pas en France, en tout cas pas à ma connaissance.
Encore une fois, le besoin de méthode vaut pour tous les champs.
Face à ce constat, nous menons deux types d'action pour pallier le manque de méthode. D'une part, nous utilisons des contre-expertises. Nous demandons aux experts de ne pas hésiter à faire preuve d'imagination et d'engager des évaluations socio-économiques complètes. D'autre part, afin de développer ces méthodes, nous avons demandé à France Stratégie de mettre en place un dispositif comprenant un panel d'experts auquel nous apportons le matériau des expertises que nous avons diligentées.
Pour toute évaluation socio-économique, dès lors qu'elle dépasse le seul aspect financier, l'enjeu consiste à fixer des valeurs dites tutélaires. L'une de ces valeurs, bien connue, est la valeur d'une vie humaine. Lorsqu'il s'agit de réaliser des investissements pour réduire le nombre d'accidents et estimer la valeur socio-économique, il faut, en quelque sorte, monétiser la vie humaine. Mais des valeurs tutélaires manquent pour apprécier l'ensemble des pans d'une politique gouvernementale. Il revient à des cénacles d'experts de les fixer et de les proposer, en les assortissant d'une méthode et d'une valeur documentées.
Tels sont les trois points essentiels de l'évaluation sur le champ particulier de l'investissement au sens large. Cela peut sans doute se transposer à d'autres activités de l'État. Lorsque l'on mène des actions, il faut absolument intégrer le coût d'une évaluation et il est préférable d'intervenir ex ante comme nous le faisons pour le programme d'investissements d'avenir plutôt qu'ex post car, généralement, d'autres priorités s'imposent le jour venu. Il convient de développer des méthodes approuvées qui rencontrent l'accord d'experts qui soient des personnes indépendantes. Enfin, il faut intégrer plus systématiquement dans les activités de l'État une obligation. Je ne parle pas forcément de la loi mais des processus et des routines doivent être établis afin que la notion d'évaluation se propage à tous les échelons du fonctionnement de l'État.
La mise en place d'une évaluation ex post indépendante par France Stratégie est-elle récente ? Je pose la question car nous ne l'avons pas vue apparaître dans son programme de travail. Et, s'agissant des expertises que vous semblez développer en interne et que vous avez versées ou que vous proposiez de verser à France Stratégie, j'aimerais connaître les méthodes, les profils des personnes qui mènent ces expertises. Est-ce en externe ou en interne ? Nous souhaiterions connaître les moyens concrets que vous mobilisez à ce titre.
Ma question rejoint celle du président Barrot sur les ressources humaines internes.
Vous avez par ailleurs indiqué que vous preniez en charge une évaluation ex ante et ex post. Quelle est la chronologie de l'évaluation par rapport à l'élaboration d'un projet ? Dans le cadre d'une évaluation ex ante, avez-vous autorité pour décréter qu'un projet est mauvais et qu'il convient de le revoir ?
Vous avez évoqué des investissements dont le seuil se situe à plusieurs millions d'euros. Avez-vous la capacité d'évaluer ? Par exemple, nous venons d'étudier la loi de programmation militaire (LPM). Votre champ d'investigation couvre-t-il l'évaluation des investissements de l'État, de la puissance publique en lien avec l'armée ? Si oui, comment cela se passe-t-il avec la direction générale de l'armement ?
Lorsqu'une évaluation scientifique est réalisée, un référentiel permet d'observer plusieurs items, de vérifier si les objectifs ont été remplis sur la base d'un schéma « oui-non ». La validation de l'évaluation nécessite que les référentiels aient été validés et qu'ils soient répétés s'agissant d'évaluations portant à peu près sur les mêmes champs. Disposez-vous de ce type d'outils, extrêmement utiles ? Si vous n'en disposez pas, peut-être conviendrait-il d'y réfléchir dans la mesure où vous avez souligné les manques que l'on observait en France.
Pensez-vous que vos méthodes d'analyse et votre expertise, qui semblent très importantes pour l'évaluation ex ante, mais également ex post, puissent être appliquées au travail parlementaire et à l'élaboration de la loi ? Les études d'impact, lorsque l'on fabrique un projet de loi, nécessitent une évaluation ex ante. Une fois la loi et les décrets d'application promulgués il est intéressant de savoir si les objectifs ont été remplis.
Le cénacle d'experts destiné à développer les méthodologies d'évaluation d'impact socio-économique a été mis en place en 2016. Si la stratégie n'est pas mentionnée en tant que telle dans le programme de travail de France Stratégie, elle y figure toutefois.
J'exprimerai en premier lieu une certaine frustration en ce qui concerne les moyens. France Stratégie mène de nombreuses activités diverses que nous ne souhaitons pas réaliser nous-mêmes car nous ne disposons que de peu de moyens. Nous sommes 34 ou 35 pour piloter le PIA, désormais le GPI, et conduire la contre-expertise des investissements. Nous n'en avons donc pas les moyens ; de surcroît, nous pensons que les personnes qui fixent les méthodes d'évaluation doivent être indépendantes.
Les profils des personnes que nous utilisons pour réaliser les contre-expertises des évaluations socio-économiques varient grandement en fonction des sujets. Dans la mesure du possible, nous essayons d'avoir recours à des économistes qui apportent des méthodes d'évaluation économique de politiques publiques et des expertises sectorielles. Pour l'évaluation de la prison évoquée précédemment, nous avons eu recours à un grand expert des politiques publiques, notamment des investissements publics. Plus particulièrement spécialiste des transports, il a essayé de transposer ses méthodes au cas de la prison. Nous avons également eu recours à un expert dans le domaine de la politique pénale, plus particulièrement pénitentiaire. Il s'agissait d'un haut fonctionnaire du ministère qui n'avait pas travaillé à ce projet. Les experts externes à l'État sont peu nombreux. D'ailleurs, lorsque nous utilisons une expertise interne à l'État, nous faisons signer un engagement à ses responsables, aux termes duquel l'activité est réalisée hors de toute contrainte hiérarchique.
Dans certains domaines, les pratiques sont quelque peu différentes. Je citerai le cas, récurrent, des hôpitaux. Nous utilisons trois expertises que l'on ne trouve guère que dans les hôpitaux. C'est ainsi que nous faisons appel au directeur de l'immobilier d'un hôpital au titre de l'expertise immobilière, l'immobilier hospitalier étant très particulier ; au directeur financier d'un deuxième hôpital ; au directeur des soins d'un troisième. Dans cette configuration, on peut dire que l'évaluation s'apparente à un jugement par les pairs. De surcroît, nous avons instauré un dispositif d'anonymat pour protéger l'indépendance des experts.
Non. En règle générale, ces évaluations ne se font pas sur site. Je rappelle que le porteur du projet pour un hôpital doit procéder lui-même à une évaluation socio-économique, dont nous sommes censés réaliser la contre-expertise. Parfois, nous allons un peu plus loin que la seule contre-expertise.
Il importe de croiser les regards. Il s'agit d'un travail d'économistes, il faut donc faire appel à des économistes, mais pas uniquement, car les économistes ont besoin d'appui et d'expertise dans les domaines techniques concernés, et assurer le plus largement possible leur indépendance.
Ensuite, il convient de s'adapter aux différents types de projet et à la disponibilité d'expertise. Nous préférons retenir des expertises externes au secteur public, mais lorsque nous ne les trouvons pas, nous utilisons des experts internes à l'État selon des modalités assurant leur indépendance.
Nous surveillons la manière dont est menée la contre-expertise, ce qui nous permet de vérifier que les experts abordent les sujets en toute indépendance et qu'ils ne cherchent pas à faire passer dans les expertises des idées qui leur sont propres et qui peuvent être contestables.
Nous faisons appel à des économistes retraités spécialistes, des professeurs d'économie d'université. La Toulouse School of Economics, parmi d'autres exemples, traite de micro-économie et est assez bien armée pour ce genre d'activité.
Nous utilisons également des expertises sectorielles. Nous essayons d'avoir une certaine séniorité, ce que je pense très utile. Nous avons expertisé le projet de renforcement drastique des moyens informatiques de Météo France et recouru pour cela à un retraité de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) qui a une très grande expérience et à un économiste pour élaborer la méthodologie de calcul. Je souligne que ce projet que nous avons expertisé est celui qui offre a priori la plus grande rentabilité socio-économique compte tenu des effets très importants que peut représenter, à tous points de vue, une amélioration des prévisions météorologiques.
J'en viens aux délais d'évaluation. Pour les contre-expertises des projets d'investissements publics, nous intervenons après les études préalables nécessaires à la constitution d'un dossier, avant l'enquête publique – notre rapport de contre-expertise fait d'ailleurs partie du dossier d'enquête publique – et, en tout état de cause, avant le lancement effectif des travaux.
Pouvons-nous émettre un avis négatif ? Oui, cela s'est produit. L'un d'eux fait parler de lui. Il s'agit de la ligne 18 du Grand Paris Express. Nous avons également produit un avis négatif s'agissant de restructurations ou de constructions d'hôpitaux, par exemple, la construction d'un nouvel hôpital dans le nord de Sèvres ou la restructuration du centre hospitalier universitaire (CHU) de Tours.
Nous émettons parfois des avis qui sont assortis de fortes réserves. Cela a-t-il un effet ? Oui. La ligne 18 en question ne sera pas réalisée dans les délais initialement envisagés. Je ne dirai pas que c'est grâce ou à cause de notre expertise – tout dépend du point de vue duquel on se place – mais je pense qu'elle a contribué à éclairer les décideurs.
J'ai émis des avis défavorables ou assortis de fortes réserves portant sur des hôpitaux. En général, les projets sont alors redimensionnés car, souvent, la question porte sur la taille du projet.
Pour le PIA, le dispositif est le suivant : une expertise, un jury international ou une expertise indépendante est en place. Un comité de pilotage du PIA, qui réunit les différents ministères et parfois des personnes qualifiées, sélectionne des projets sur le fondement d'une expertise d'un jury international ou d'une expertise indépendante. Dans les premiers temps du PIA, sur proposition d'un comité de pilotage, le Commissariat général à l'investissement (CGI) a émis des avis négatifs sur des projets que suivait le Premier ministre. Il s'agissait de projets sélectionnés avec une expertise indépendante et un regard croisé des ministères concernés. Certains projets n'ont donc pas été soutenus, ce qui ne s'est pas produit depuis un an, non parce que nous serions devenus moins exigeants, mais parce que le dispositif de sélection en amont a intégré ce niveau d'exigence.
Les délais sont, pour nous, un élément fondamental car nous pensons qu'il est impératif d'avoir un impact minimal, voire nul, sur les délais de réalisation d'un projet lorsque l'on établit des évaluations. Retarder l'action publique serait l'une des plus mauvaises publicités faites à l'évaluation.
Pour le PIA, les dossiers réclament un temps d'instruction, mais nous arrivons, dans la plupart des cas, sauf lorsque le dossier est très complexe, à maintenir un processus de décision qui intègre l'évaluation indépendante et des regards croisés de moins de trois mois, ce qui, objectivement, est raisonnable par rapport à d'autres procédures européennes. Nous sommes même de très loin les plus rapides.
L'Inspection générale des finances (IGF) a noté à propos de la contre-expertise des investissements publics que nous ne faisions pas perdre un jour aux projets. Il suffit d'organiser la poursuite de la réflexion en parallèle. La plupart des projets réclament différents types d'autorisations : de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), de l'Autorité environnementale… Nous utilisons le délai des autres dispositifs d'autorisation ou d'avis pour mener notre contre-expertise. Nous attendons le dernier moment pour recueillir, par exemple, l'avis de l'Autorité environnementale pour, le cas échéant, intégrer un élément que nous aurions omis. Aujourd'hui, il existe suffisamment de procédures comprenant des délais pour que nous articulions une évaluation sans engendrer des délais supplémentaires.
J'en viens aux référentiels. Si je retiens l'exemple des hôpitaux, un référentiel prend la forme d'un guide se fondant sur des métriques de référence. Il fixe, par exemple, le nombre de lits pour un bassin de population donné. Les ministères ont généralement des référentiels relatifs à l'investissement public sur lesquels nous nous appuyons. Toutefois, en règle générale, un référentiel ne suffit pas à réaliser une évaluation d'impact. Vérifier l'application du référentiel ne suffit pas à calculer la valeur actuelle nette socio-économique d'un projet. Un référentiel n'est pas une obligation ; en outre, des contextes justifient de s'écarter de façon justifiée des ratios habituels.
La loi de programmation excluant de notre champ les investissements militaires, nous n'en traitons donc pas. Dans le PIA, nous finançons certains types de projets qui intéressent la chose militaire, mais c'est anecdotique en termes de montants, même si les projets sont très intéressants.
J'aborde votre dernière question relative aux lois et à la mesure d'impact. Ma réflexion repose sur mon expérience de fonctionnaire qui a été à l'initiative de nombreuses lois tout le long de son parcours professionnel, notamment dans le domaine financier. Réaliser de façon systématique des études d'impact peut se révéler complexe sur certains sujets et la façon de le faire peu pertinente. Progresser dans ce domaine nécessite d'être plus exigeants en matière de dispositions législatives. Le véritable enjeu est de savoir si l'État doit procéder à des évaluations d'impact sérieuses, voire plus développées que celles pratiquées aujourd'hui, et si le Parlement dispose de moyens de contre-expertise. Personnellement, je pense qu'il s'agit d'un élément que l'État se doit d'intégrer davantage. Être dans l'obligation de mener une évaluation d'impact sérieuse de dispositions législatives influera, a priori positivement, sur ces dispositions législatives. Il ne faudrait pas donner l'impression que c'est au Parlement de le faire et non à l'État.
Le point central réside dans le développement des méthodes dont nous sommes démunis dans bien des domaines pour réaliser une évaluation d'impact efficace. Parfois, nous rencontrons également des difficultés d'accès aux données. Je suis économiste de formation et je pense que nous avons besoin que l'État utilise bien davantage la science économique qu'il ne le fait à l'heure actuelle.
Sur ces paroles auxquelles je souscris entièrement, je vous remercie de votre contribution à notre réflexion. Nous vous tiendrons informés de la suite de nos travaux et des conclusions qui seront consignées dans le rapport de M. Jean-François Eliaou.
Puis le groupe de travail procède à l'audition de Mme Brigitte Bourguignon, députée, présidente de la commission des Affaires sociales ; de Mme Valérie Létard, sénatrice, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation en charge du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle ; et de M. François Pillet, sénateur, rapporteur du groupe de travail du Sénat sur la réforme constitutionnelle, sur l'expertise nécessaire au Parlement pour participer à l'élaboration de la loi et à son évaluation.
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Brigitte Bourguignon, Mme Valérie Létard et M. François Pillet.
Le groupe de travail sur les moyens de contrôle a été institué par le Président de l'Assemblée nationale et le Bureau, dans un premier temps, pour formuler des recommandations en prévision de la révision constitutionnelle, en particulier pour identifier les verrous constitutionnels au renforcement des pouvoirs de contrôle et d'évaluation de l'Assemblée.
Pour ce printemps, la mission qui nous a été confiée vise à définir les moyens propres dont nous voudrions nous doter pour que l'Assemblée et peut-être aussi le Sénat renforcent leurs activités, de contrôle notamment.
Nous remercions notre collègue Brigitte Bourguignon de nous accueillir dans la salle de sa commission.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, chers collègues, vous avez déjà entendu de nombreux acteurs, y compris certains de mes homologues. Je vais donc m'efforcer d'éviter les répétitions par rapport à vos auditions antérieures et à la contribution que j'ai adressée à votre groupe au cours de la première phase de ses travaux.
Vous m'excuserez du caractère quelque peu tranché de mes propos, mais je crois que la question du contrôle souffre dans notre assemblée d'une forme de « politiquement correct ». On s'interroge beaucoup pour déterminer si l'évaluation doit être ex ante ou ex post, interne ou externalisée, si l'évaluation n'est qu'une dimension du contrôle ou un exercice à part entière. Ces questions sont importantes ; elles sont loin d'épuiser le sujet et elles le cachent même parfois. Contrôler, c'est d'abord faire preuve de fermeté et de courage.
Il ne s'agit pas de mettre en difficulté, par posture, les organismes contrôlés ou le Gouvernement mais on ne peut s'arrêter à la seule réticence de ceux-ci à fournir des informations ou, plus encore, de s'astreindre à une forme d'autocensure. Il ne faudrait froisser personne. Contrôler peut déboucher sur une critique : formuler une observation critique à l'encontre de telle action ou inaction gouvernementale. Pour autant, cela ne signifie pas que l'on cherche à faire tomber le Gouvernement !
On vous a beaucoup parlé de l'article 40 : quelle magnifique illustration de notre tendance à l'autocensure ! L'Assemblée s'interdit même de débattre en vertu d'un prétendu sens de la responsabilité budgétaire, qui n'a guère fait ses preuves en termes de maîtrise des comptes publics... Cette autocensure est d'autant plus absurde que la réticence du Gouvernement au contrôle relève en partie de la légende : dans le cadre des rapports d'application des lois, notre commission a institué un droit d'alerte. Les co-rapporteurs peuvent, plusieurs semaines avant la présentation de leurs conclusions, alerter le ministre compétent sur une difficulté majeure d'application ; le ministre présent lors de la présentation du rapport est interrogé sur ce point et, sans être pris par surprise, dispose d'éléments de réponse ou doit s'en expliquer. Je constate que cela fonctionne et que, pour exigeant qu'il soit, l'exercice ne donne lieu à aucun drame.
Je ne peux donc que souscrire à vos propositions de renforcer les moyens de notre assemblée, de requérir des informations, de convoquer dans le champ du contrôle.
J'observe que notre assemblée devrait déjà utiliser les moyens qui sont les siens. Les commissions permanentes sont régulièrement appelées à effectuer des auditions préalablement à la nomination de personnalités à des postes de responsabilités : je n'appelle évidemment pas à lyncher les personnes ainsi auditionnées, mais je suis sûre que tous leurs subordonnés – au moins jusqu'au « N – 3 » – ont subi des entretiens de recrutement incroyablement plus exigeants que nos auditions !
Contrôler, c'est être tenace. Je vous invite à consulter sur le site de notre assemblée les rapports d'information des législatures précédentes : les exemples de suivi des travaux de contrôle s'y comptent sur les doigts de la main. Nous adorons dresser de longues listes de 30 ou 50 propositions d'une portée parfois variable, souvent présentées sans hiérarchisation entre elles, trop fréquemment sans portée opérationnelle et généralement oubliées de tous, nous les premiers, au lendemain de la publication du rapport.
Je plaide pour des recommandations plus ciblées et plus opérationnelles ; je plaide également pour que l'on vérifie, régulièrement, à l'instar de ce que fait la Cour des comptes, qu'elles ont été suivies d'effets ou que les destinataires s'expliquent sur les raisons pour lesquelles ils n'y ont pas donné suite.
Contrôler, ce n'est pas simplement observer. Je ne crois pas à un contrôle quelque peu passif dont les conclusions déboucheraient sur l'expression d'un simple mécontentement. Le contrôle doit s'accompagner d'une « sanction » : si une législation est inopérante, la conclusion logique du contrôle doit être de l'abroger ou de la modifier ; si une étude d'impact est insuffisante, elle doit être complétée ou refaite !
Je ne crois pas davantage à l'opposition souvent faite entre activité de contrôle et activité législative. Les deux vont de pair et c'est la raison pour laquelle les commissions sont les mieux placées pour mener ce travail de contrôle.
Je ne crois pas non plus au discours sur le nécessaire renforcement du contrôle face à une activité législative excessive. En dépit de cet attachement unanime au nécessaire renforcement du contrôle, il y avait moins de députés dans l'hémicycle sur notre rapport relatif aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) mardi soir que sur le plus anodin des textes législatifs examiné en séance.
Comment faire pour renforcer notre activité de contrôle ?
Tout d'abord en renforçant les moyens des commissions permanentes.
J'ai bien entendu la plaisanterie que le président de la commission des finances a faite devant vous sur l'insuffisance de ses ressources en administrateurs : ils sont tout de même deux fois plus nombreux que ceux affectés à la commission des affaires sociales, et qui traitent du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) dont les montants sont supérieurs à ceux du projet de loi de finances, ainsi que de l'ensemble de la législation sociale. Ne jouons pas à ces comparaisons ! Nous sommes tous globalement et gravement sous-dotés. Comment en serait-il autrement avec l'accroissement de nos demandes et de nos activités ?
Depuis le début de la législature, par comparaison avec l'activité de la précédente, la commission des affaires sociales a examiné davantage de projets de loi, a examiné deux fois plus de propositions de loi, a voté la création du même nombre de commissions d'enquête que sur l'ensemble de la législature précédente et a, en dix mois, mené autant de travaux de contrôle qu'en deux ans. Le tout avec des effectifs diminués – provisoirement je l'espère !
Pourtant, nous utilisons ces ressources au mieux, précisément en partant du principe que contrôle et activité législative vont de pair et en mutualisant les moyens. C'est cette masse critique qui nous permet de gérer l'afflux constaté de demandes, ce qui me fait craindre une éventuelle multiplication du nombre des commissions permanentes. À moyens constants, elles y perdraient en capacité d'action.
La deuxième piste d'amélioration vise à distinguer le contrôle permanent des initiatives exceptionnelles.
J'ai dû, à regret, informer le bureau de notre commission au mois de février que nous ne lancerions aucun nouveau travail de contrôle propre à la commission d'ici au mois de juin. Les moyens qui lui sont dévolus ont, en effet, été totalement absorbés par l'activité législative courante, mais surtout par la création de quatre commissions d'enquête, dont trois ont prévu de rendre leurs travaux en juillet prochain, et de deux missions d'information communes.
Le contrôle doit procéder d'un processus permanent, d'une programmation rigoureuse pour arbitrer entre les différentes demandes. C'est la vocation des commissions permanentes. L'exercice est un peu vain dès lors que les travaux exceptionnels viennent désorganiser cette programmation. Je plaide pour que l'Assemblée dédie des moyens propres à ces activités de contrôle transversales et exceptionnelles.
Cette articulation est également nécessaire pour les parlementaires : comment peut-on suivre correctement les travaux de divers organes qui se réunissent généralement tous le même jour ? Nous rejoignons là la réflexion d'un autre groupe de travail sur l'organisation de la semaine parlementaire et de la session.
Troisième piste d'amélioration : éviter de créer des structures ou des procédures lourdes.
Je suis favorable à ce que l'on touche le moins possible au Règlement de notre Assemblée sur les structures de contrôle, sinon pour alléger ses articles 145-1 et suivants de dispositions inutilement précises : prévoir un rapport d'application de la loi systématique au terme d'un délai de six mois n'a aucun sens pour certains textes ; « interdire » l'évaluation d'une loi avant un délai de trois ans n'en a pas beaucoup non plus.
Je crois que nous devons faire preuve de souplesse. La commission des affaires sociales a mis en place des « missions flash ». La règle est qu'il ne doit pas s'écouler plus d'un mois entre le début du travail du rapporteur et la présentation de ses conclusions. Et cela marche ! Nos rapporteurs en charge de ces travaux de contrôle acceptent pour ce temps court de dégager leurs agendas sur une à deux semaines complètes, comme le fait un rapporteur sur un projet de loi.
Il y a là un contraste très fort avec les travaux s'étendant sur trois mois, six mois ou plus : dans ces travaux, les députés peinent à dégager, sur la durée, de manière régulière, des créneaux sur des sujets qui ont perdu l'attrait de la nouveauté. Accessoirement, sur un sujet sur lequel un groupe d'opposition envisageait la création d'une commission d'enquête, la mission flash conduite par un rapporteur du même groupe a finalement conclu que le sujet était clos.
S'il n'est pas adapté à tous les sujets, ce format permet cependant de répondre à l'urgence et à la volonté d'obtenir rapidement de premiers résultats.
La quatrième et dernière piste d'amélioration suppose de réfléchir aux objectifs et aux moyens de l'expertise.
Le débat sur l'évaluation et votre audition de France Stratégie illustrent bien l'ambiguïté de notre positionnement face à l'expertise. Nous ne sommes pas des experts, nous ne devons pas le devenir ; notre rôle est celui de décideurs politiques.
Je ne crois pas au rattachement d'une structure d'expertise qui aboutirait à des conclusions scientifiques dans un délai de trois ans après la publication de la loi !
Il n'empêche que nous devons réfléchir aux moyens de renforcer notre capacité d'expertise. Beaucoup de pistes ont été évoquées. L'Assemblée devrait, selon moi, se doter d'un accord-cadre qui permettrait de faire appel à des organismes extérieurs sans passer par des procédures de marchés publics longues et complexes ; elle devrait également contracter avec des organismes statistiques et de recherche.
Je pense néanmoins que la piste à privilégier est l'internalisation de compétences, par un programme ambitieux de formation des administrateurs, mais aussi par l'intégration dans les cadres, pour une durée limitée, de personnels extérieurs spécialisés. Je crois que c'est le seul moyen de gagner en expertise sans perdre ce qui est pour nous essentiel, à savoir l'indépendance et la rapidité de cette expertise.
Je crois également, si nous voulons mieux utiliser le temps de nos collègues, qu'il nous faut réfléchir à l'articulation entre élaboration du mandat politique, instruction et expertise technique, analyse et validation par les politiques.
Vous l'aurez compris, je mise sur ce qui fait la force de notre maison commune. Le défi du contrôle n'est pas d'abord celui des moyens, c'est avant tout celui de la volonté politique.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous vous proposons, avec mon collègue François Pillet, rapporteur du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, de présenter, à deux voix, un état des lieux des réflexions menées au Sénat sur les moyens de renforcer le contrôle et l'évaluation, et de vous présenter, le cas échéant, les réformes d'ores et déjà engagées par notre assemblée. Nous pourrons également vous présenter un premier retour sur les propositions que votre groupe de travail a formulées en décembre dernier.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la question du contrôle et de l'évaluation des politiques ex ante et ex post a été au coeur des travaux du groupe de travail sur la révision constitutionnelle, présidé par le Président du Sénat, M. Gérard Larcher. Le groupe de travail, dont je suis le rapporteur, a rendu ses conclusions en décembre dernier.
Il s'agit de l'un de nos cinq axes de propositions : le Sénat souhaite, comme l'Assemblée nationale, que le contrôle de l'action du Gouvernement et l'évaluation des politiques publiques soient renforcés. Nous avons identifié quatre pistes de réforme pour permettre ce renforcement.
Le contrôle parlementaire des nominations tout d'abord.
Le groupe de travail estime que ce contrôle, auquel il est procédé en application du dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution, doit être renforcé de deux manières. J'y reviendrai plus tard.
Deuxième axe de réforme : le contrôle de l'intervention des forces armées à l'étranger. Il s'agit d'un point central dans le contrôle de l'action du Gouvernement. Le Sénat propose de subordonner la prolongation de l'intervention des forces armées à l'étranger à une autorisation annuelle. Cette autorisation prendrait la forme d'un débat sur l'ensemble des interventions en cours, à l'issue duquel chaque intervention ferait l'objet d'un vote distinct.
Le troisième axe de proposition vise à renforcer le contrôle parlementaire de l'application des lois. Le groupe de travail a formulé à cet effet une proposition en deux volets – qui, je crois, recoupe en partie vos propres recommandations.
Le premier volet consisterait à inscrire dans la Constitution l'obligation de prendre des mesures réglementaires d'application des lois et de consacrer le rôle du Parlement dans le contrôle de leur application et l'évaluation de leur mise en oeuvre.
Le second volet permettrait aux présidents des deux assemblées ainsi qu'à soixante députés ou soixante sénateurs – le seuil serait à ajuster en fonction de la diminution du nombre de parlementaires – de saisir le Conseil d'État en l'absence de publication de ces mesures d'application dans un délai raisonnable.
Le quatrième et dernier axe de proposition serait d'élargir les moyens d'investigation des commissions.
Il s'agirait, tout d'abord, d'élargir la mission d'assistance de la Cour des comptes au Parlement, en prévoyant, d'une part, que la Cour assiste le Parlement dans le contrôle de l'application des lois ; d'autre part, que sa saisine soit possible sur des enquêtes ponctuelles pour toutes les commissions permanentes. Ce droit n'est aujourd'hui reconnu qu'aux commission des finances et aux commissions des affaires sociales.
Notre groupe de travail propose également que les commissions permanentes se voient accorder les prérogatives reconnues aux rapporteurs et présidents des commissions des finances, des affaires sociales et de la défense, c'est-à-dire un droit de communication de documents et des pouvoirs d'investigation sur pièces et sur place.
Concernant les commissions d'enquête enfin, le Sénat souhaite lever l'interdiction faite aux assemblées parlementaires de créer des commissions d'enquête sur des faits faisant l'objet de procédures judiciaires. Nous tempérons, toutefois, cette faculté par le nécessaire respect du secret de l'instruction.
Je reviendrai plus en détail sur certaines propositions complémentaires lorsque nous vous présenterons notre position sur les propositions que votre groupe de travail a exprimées, mais je laisse pour l'heure Mme Létard vous exposer les réformes d'ores et déjà engagées par notre chambre pour améliorer le contrôle et l'évaluation des politiques publiques.
Au-delà de ces propositions de réforme présentées par M. Pillet et qui nécessitent une accroche constitutionnelle, le Sénat s'est penché depuis plusieurs années sur les moyens de renforcer son contrôle sur l'action du Gouvernement et la mise en oeuvre des politiques publiques.
Je vais vous présenter brièvement trois branches de ce contrôle qui illustrent bien, à mon sens, la philosophie qui sous-tend notre approche et l'esprit des réformes que nous proposons.
Le premier point a trait au contrôle de l'application des lois.
Chaque commission permanente assure le suivi de l'application des textes qui relèvent de sa compétence. Les commissions recensent donc régulièrement les textes votés qui ne peuvent être mis en application faute de la publication des textes réglementaires. Le contrôle revêt également un aspect plus politique lorsqu'il conduit à vérifier, par un examen de fond, si les textes d'application respectent la volonté exprimée par le législateur lors du vote de la loi.
Notre formule est donc différente de celle retenue par votre assemblée, où un binôme chargé du suivi de l'application de chaque loi est désigné texte par texte.
Tous les ans, chaque commission établit un bilan complet de ce suivi, présenté à la commission par son président. Ma mission, en tant que présidente de la délégation du Bureau en charge du contrôle, consiste à centraliser les contributions des sept commissions permanentes et d'en fournir une analyse globale, en mettant l'accent sur les problématiques les plus saillantes. Ces travaux donnent lieu, d'une part, à une audition du secrétaire général du Gouvernement qui aura lieu cette année au mois de mai ; d'autre part, à un débat en séance publique en présence du ministre chargé des relations avec le Parlement, qui aura lieu cette année au mois de juin.
Le débat en séance est une forme particulièrement adaptée : le ministre chargé des relations avec le Parlement peut relayer auprès de ses collègues les observations formulées par le Sénat, et la publicité des débats donne à la question de l'application des lois votées par le Parlement une dimension éminemment politique.
Je vous signale pour information qu'entre 2012 et 2014 il existait au Sénat une commission chargée du contrôle de l'application des lois. Cette commission comprenait des membres de chaque commission permanente et devait réaliser des contrôles ponctuels sur l'application de certains textes. L'expérience a finalement été abandonnée : la commission ne disposait pas de ressources humaines propres et son travail s'articulait difficilement avec celui mené par les commissions permanentes.
Le deuxième point, concerne l'évaluation des politiques publiques ex ante et les crédits d'études.
Le Sénat réfléchit depuis des années aux moyens de développer sa propre capacité d'évaluation, afin d'être en mesure de contre-expertiser les études d'impact gouvernementales et de les améliorer.
C'était l'objet, par exemple, de la démarche lancée par la commission des finances qui a déposé un amendement au projet de loi de finances pour 2018 afin que le Gouvernement publie le code source informatique de la législation fiscale et permette ainsi au Parlement, aux universitaires et aux citoyens de tester les réformes proposées par le Gouvernement et les chiffrages présentés.
Depuis 2014, le Sénat a ouvert des crédits afin de réaliser des études sur l'impact d'une législation à venir. Pour l'heure, ces crédits n'ont été mis en oeuvre que par la délégation aux entreprises et la délégation aux collectivités territoriales. La délégation aux entreprises a eu recours à des études d'impact pour évaluer les normes applicables à l'activité économique et aux entreprises ; la délégation aux collectivités territoriales a recours à ces crédits pour élaborer des propositions de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.
Les enseignements suivants peuvent en être tirés :
Nous ne disposons pas en interne de l'expertise et des outils pour évaluer l'impact économique de dispositifs législatifs sur l'activité des entreprises.
Le recours à un prestataire permet de roder le dispositif des propositions de loi ou de résolution en cours d'élaboration.
La question des délais dans lesquels s'inscrit l'étude d'impact à réaliser est cruciale et peut constituer un véritable obstacle lorsqu'on s'inscrit dans un calendrier législatif contraint dont la maîtrise est rarement possible. Nous avons bénéficié d'un calendrier très favorable à la réalisation d'une étude par un cabinet d'avocats fiscalistes relative à l'impact du prélèvement à la source, qui a été reprise de nombreuses fois lors des débats budgétaires. Le calendrier est rarement aussi favorable. On voit bien que dans le cas d'une succession de textes, il se peut que nous ne soyons pas en capacité d'utiliser cette opportunité.
Le choix de recourir à une structure extérieure comporte une certaine lourdeur administrative : repérage et choix politique des mesures, passation du marché, suivi de l'exécution du contrat à travers un pilotage permanent.
Pour encourager le recours à ces expertises externes, le Sénat envisage de passer un marché cadre, en s'inspirant du modèle du Comité d'évaluation et de contrôle (CEC) de l'Assemblée nationale, afin de présélectionner plusieurs prestataires par lot. Cela laisserait des marges de manoeuvre tout en écourtant la procédure à suivre lors du lancement de chaque étude. Cette procédure nous paraît vraiment intéressante.
Le dernier point que je souhaite évoquer est relatif au BALAI. Derrière cet acronyme se cache le Bureau d'annulation des lois anciennes et inutiles. Le Sénat a décidé, lors de sa réunion de Bureau du mois de janvier dernier, le lancement d'une mission BALAI, à l'initiative du vice-président Vincent Delahaye. Partant du constat d'un empilement de lois et de règlements dont l'utilité n'est pas toujours mesurée, l'objectif est d'en nettoyer notre législation et notre réglementation. On imagine bien que ce travail doit s'inscrire dans la durée, mais il nous paraît utile. Nécessitant une revue complète et approfondie de notre droit positif, il doit être mené dans trois directions, en lien avec la mission de contrôle de l'application des lois que je conduis par ailleurs.
Premièrement, identifier les lois inappliquées dans le cadre du travail annuel de contrôle des commissions permanentes. Il s'agit de repérer des dispositions législatives prévoyant des textes réglementaires d'application qui n'ont pas été pris dans un délai raisonnable, de l'ordre de trois ans. Une analyse qualitative permettra de déterminer lesquelles de ces dispositions justifieraient une proposition d'abrogation.
Deuxièmement, identifier les lois obsolètes. Nous allons recenser, parmi les dispositions toujours en vigueur des lois promulguées entre 1800 et 1940, celles qui sont inappliquées et dont l'abrogation peut être proposée sans difficulté. Il s'agit également de procéder à un inventaire des dispositions incompatibles avec des conventions internationales engageant la France ou avec des normes de l'Union européenne. Ce long travail de recensement devrait se traduire par le dépôt d'une proposition de loi.
Enfin, les commissions et les délégations seront invitées à engager, chacune dans son domaine, une réflexion de fond pour identifier les lois jugées superfétatoires, imposant des obligations disproportionnées aux assujettis ou posant de sérieuses difficultés d'interprétation.
Voilà de manière synthétique quelques-unes des initiatives prises par le Sénat pour renforcer son contrôle de l'action du Gouvernement et l'évaluation de ses politiques publiques.
Si vous le voulez bien, nous nous proposons maintenant de balayer rapidement les propositions que votre groupe de travail a présentées. Cela nous permettra certainement d'engager un débat, et cela vous donnera une idée, à ce stade, des travaux respectifs de nos deux assemblées, des convergences comme de nos éventuelles réserves.
Vous êtes en charge des missions d'évaluation. Comment concevez-vous l'interaction entre une commission d'évaluation des lois et une commission permanente ? Vous avez indiqué qu'une expérience avait été lancée mais qu'elle ne s'était pas concrétisée. Savez-vous pourquoi cette interaction n'a pas été possible ? Ne serait-ce pas en raison de la trop grande importance des commissions permanentes ?
Nous avons brossé synthétiquement les propositions pour l'avenir et les mesures déjà mises en oeuvre au Sénat. Je reprendrai ceux de vos points qui présentent une accroche constitutionnelle forte.
Au chapitre « Renforcer les capacités d'évaluation et de contrôle du Parlement », vous avez placé en premier lieu de la suppression du plafond constitutionnel encadrant le nombre des commissions permanentes. Le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle n'a pas abordé ce point spécifique. Nous vous livrons les informations en fonction des débats qui ont eu lieu, mais nous n'avons évidemment pas mandat pour parler au nom du Sénat sur des questions qui n'ont pas été étudiées. Le groupe de travail du Sénat n'a pas encore abordé ce point, mais il faut dire que nous n'avons pas épuisé, à ce jour, l'examen de toutes les possibilités offertes par la Constitution. À ce stade, notre position serait plutôt de réserve.
La deuxième proposition vise à étendre le pouvoir de communication de pièces et de contrôle sur pièces et sur place à toute instance parlementaire en charge d'une mission de contrôle ou d'évaluation. Le Sénat souscrit à l'esprit de cette proposition. La formulation de notre groupe de travail était proche. Il s'agirait d'étendre à toutes les commissions permanentes, par l'intermédiaire de leur président ou de membres désignés à cet effet, les prérogatives de communication de pièces et de contrôle sur pièces et sur place. Nous proposons également, comme je l'ai indiqué précédemment, que la compétence des commissions permanentes pour exercer les missions de contrôle de l'action du Gouvernement, de contrôle de l'application des lois et d'évaluation des politiques publiques soit formellement reconnue dans la Constitution.
Votre troisième proposition consistait à élargir les compétences des commissions d'enquête, notamment lorsqu'il existe des poursuites judiciaires en cours. Le Sénat y souscrit totalement, sous la réserve déjà évoquée du respect du secret de l'instruction.
Votre quatrième proposition avait pour but d'accroître le contrôle des nominations en les soumettant à un avis conforme des commissions permanentes voté selon des règles de majorité plus exigeantes – par addition des votes positifs – et en étendant le champ des emplois et fonctions concernés.
Nous partageons le constat sur la nécessité de renforcer le contrôle des nominations. Pour autant, nous avons considéré dans le cadre de notre groupe de travail qu'il était suffisant de viser les fonctions mentionnées au dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Sur la formule à retenir, nous sommes partisans, plutôt qu'une addition des votes positifs, de considérer la nomination décidée en l'absence d'opposition aux trois cinquièmes des suffrages exprimés de chacune des deux commissions permanentes compétentes, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Nous souhaiterions également que les commissions puissent se faire communiquer les informations détenues par l'administration fiscale et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), ainsi que le bulletin numéro 2 du casier judiciaire des personnes dont la nomination est envisagée. Je reprends ainsi ce que nous avons entendu il y a quelques minutes. Il est peut-être dommage d'en rester à ce qui peut s'apparenter à un grand oral. Nous pourrions aller plus loin dans le cadre de ces nominations.
Votre cinquième point visait à solliciter l'avis du Conseil d'État sur toutes les propositions de loi inscrites à l'ordre du jour. Sur ce point, nous partageons la même philosophie : nous souhaitons même inscrire dans la Constitution le principe de la publicité des avis rendus par le Conseil d'État sur les projets de loi, les projets d'ordonnance et les propositions de loi. En revanche, concernant le renvoi systématique des propositions de loi inscrites à l'ordre du jour, nous préférerions que la saisine du Conseil d'État reste subordonnée à l'accord de son auteur.
Le sixième point vise à renforcer l'assistance de la Cour des comptes en prévoyant que les conclusions de sa mission de contrôle du Gouvernement ne s'adressent qu'au Parlement. Cette proposition, examinée par le groupe de travail du Sénat, a été écartée. La Cour des comptes est composée de magistrats indépendants qu'il ne nous a pas paru opportun de soumettre à une tutelle parlementaire. Par ailleurs, il nous semble que l'expertise de la Cour et ses contrôles rigoureux sont des outils indispensables au Gouvernement qui ne doit pas voir cette proposition d'un oeil très favorable. Toutefois, nous avons formulé d'autres propositions pour renforcer l'assistance fournie par la Cour des comptes aux parlementaires. Ces propositions procèdent du même objectif.
Prévoir expressément dans la Constitution que la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l'application des lois et l'évaluation de leur mise en oeuvre.
Élargir à toutes les commissions le droit, reconnu aujourd'hui aux commissions des finances et des affaires sociales, de demander des enquêtes à la Cour des comptes, en prévoyant un filtrage des demandes par la Conférence des Présidents ou en instaurant un droit de tirage annuel.
Nous souhaitons, par ailleurs, qu'il soit possible pour le Parlement de solliciter le Conseil d'État et la Cour de cassation sur le respect d'un nouveau principe dont nous souhaitons l'inscription dans la Constitution : celui de l'accessibilité, de la clarté et de la nécessité de la norme, le principe de nécessité devant s'entendre au sens que lui donnait Montesquieu, selon lequel « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».
Le septième point ouvre la possibilité de mobiliser de manière ciblée les moyens de l'exécutif : en pratique, disposer d'un droit de tirage limité sur des expertises relevant, par exemple, des contrôleurs de gestion des services d'inspection générale, des statisticiens de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), des fiscalistes de la direction générale des finances publiques (DGFiP) ou encore des économistes de la direction générale du Trésor (DGT).
Le Sénat ne s'est pas prononcé sur cette question précise. Nous partageons le constat : l'accès du Parlement aux données statistiques et fiscales est une question ouverte et centrale. Nous nous interrogeons sur l'opportunité de conclure une convention avec l'INSEE, par laquelle cet institut s'engagerait à fournir des données au Parlement après retraitement éventuel, ainsi que de négocier une procédure accélérée au bénéfice du Parlement devant le comité du secret statistique (CSS) qui donne son avis sur les demandes d'accès aux données issues de la statistique publique.
Si notre proposition, partagée par l'Assemblée nationale, de doter les instances de contrôle du droit de se voir communiquer les pièces nécessaires à leurs missions était retenue, la question ne se poserait plus.
Votre huitième proposition visait à permettre le rattachement au Parlement d'une entité administrative déjà existante afin de renforcer ses moyens propres en matière de contrôle.
Nous partageons l'objectif de renforcer les moyens de contrôle et d'évaluation du Parlement. Cependant, nous ne sommes pas convaincus que le rattachement d'une entité administrative existante, comme France Stratégie, soit le meilleur moyen d'atteindre un tel objectif.
L'expérience menée depuis plusieurs années par nos délégations en mobilisant des crédits d'études pour faire intervenir des experts de chaque secteur, avec une souplesse certaine, nous semble être une forme préférable de renforcement des moyens d'expertise du Parlement.
Voilà ce que je voulais vous dire. Vous avez noté que nous partageons bien des objectifs. Certaines de vos propositions sont très proches des nôtres et d'autres ouvrent un débat extrêmement intéressant.
Avant de reprendre la liste des propositions, je répondrai à votre question, monsieur le rapporteur. Comme nous l'avons rappelé très succinctement, la commission ad hoc d'évaluation et de contrôle de l'application des lois en place durant trois ans a connu de grandes difficultés de fonctionnement et des limites très compliquées avec les commissions permanentes, car ce travail d'évaluation et de contrôle de l'application des lois est un travail qui est également réalisé par les commissions permanentes. N'ayant pas de moyens propres, la commission ad hoc faisait appel aux moyens des commissions permanentes pour entreprendre un travail que celles-ci effectuent. Cette formule a été tentée, elle a été testée. Les commissions permanentes fonctionnant bien chacune dans leur champ, l'expérience a eu du mal à prospérer et a tourné court.
Finalement, le Sénat n'a pas souhaité poursuivre l'expérience car il a été jugé qu'elle n'apportait pas une valeur ajoutée au travail, tel qu'il est aujourd'hui organisé, des commissions permanentes. De surcroît, au Sénat, les commissions permanentes ont la possibilité de s'investir et de s'organiser par binôme tel que vous le faites, non pas de façon systématique mais autant que de besoin, en fonction des sujets. Par exemple, dans le cadre de la commission des affaires économiques, nous nous sommes penchées, avec ma collègue Annie Guillemot du groupe socialiste, sur l'évaluation de la loi Lamy. Notre rapport mettait cette loi en perspective avec l'ensemble du travail de réflexion sur la politique de la ville et la rénovation de la politique urbaine. Les commissions peuvent se saisir de ce sujet en tant que de besoin. De tels travaux sont menés en binôme par des élus issus de la même commission mais composée de sénateurs de sensibilités politiques différentes, majorité et opposition. Ces binômes peuvent mener un travail approfondi, se déplacer, procéder à des contrôles. Par exemple, nous avons visité tous les plus grands sites de la politique de la ville en France investis dans la politique urbaine et les contrats de ville. Nous avons rencontré tous les acteurs et tous les services et nous avons rendu un rapport extrêmement fourni sur l'évaluation. Nos préconisations ont permis à la commission permanente de montrer les avancées, mais aussi les failles du dispositif et les pistes d'amélioration possibles. Ce travail peut être effectué dans le cadre des commissions permanentes ; reste la question des moyens dévolus. En tout cas, pour l'heure, le Sénat a renoncé à la constitution d'une commission ad hoc.
Je reviens à vos propositions visant à mieux articuler les activités de contrôle et d'évaluation avec les travaux législatifs.
Votre neuvième point proposait de mieux informer le Parlement des projets de loi en préparation et de l'associer à leur élaboration.
Le Sénat partage le souhait d'une meilleure information sur les projets de loi en préparation. Il est crucial que le Gouvernement s'engage bien plus en amont sur le programme législatif qu'il compte inscrire à l'ordre du jour. De là découlera une meilleure organisation des travaux du Parlement, tant législatifs que de contrôle.
En revanche, nous ne sommes pas convaincus par la proposition visant à associer les parlementaires à l'élaboration de la loi, et ce pour plusieurs raisons, tant constitutionnelles que politiques.
Le Sénat est très attaché à la séparation des pouvoirs et ne souhaite pas brouiller la frontière entre l'exécutif et le Parlement sur cette question.
D'un point de vue politique, un projet de loi est la traduction de la volonté politique d'un gouvernement donné. Si cette volonté coïncide, à l'Assemblée nationale, avec la majorité, ce n'est pas nécessairement le cas au Sénat. Quelle sera dès lors la marge de manoeuvre, dans la discussion législative, d'un parlementaire qui aura participé à l'élaboration même du texte en débat ?
Par ailleurs, à l'heure où nous oeuvrons pour renforcer les obligations de déport – la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a traité de cette question –, dans un certain nombre de situations, une telle mesure serait, à notre sens, difficilement compréhensible, puisqu'elle nous placerait dans la double position de juge et partie.
La dixième proposition ambitionnait d'améliorer les études d'impact, de les imposer dès le début de l'élaboration des projets de loi, d'en prévoir pour les propositions de loi inscrites à l'ordre du jour et pour les amendements substantiels, et de doter le Parlement de moyens efficaces pour vérifier leur rigueur et leur exhaustivité. Le Sénat souscrit à cette proposition.
Nous proposons de renforcer le contenu des études d'impact en complétant la loi organique du 15 avril 2009. Nous souhaiterions notamment que les études d'impact proposent, en cas de création d'une norme nouvelle, des mesures d'abrogation ou de simplification des normes déjà existantes.
Nous proposons d'étendre les études d'impact aux ordonnances et aux amendements du Gouvernement prévoyant des mesures nouvelles. Concernant les amendements émanant de parlementaires et les propositions de loi inscrites à l'ordre du jour, nous ajoutons cependant un bémol : prenons garde à ne pas introduire un élément de rigidité au détriment de l'initiative parlementaire. Il ne faudrait pas que le Gouvernement puisse, par exemple, s'appuyer sur l'insuffisance d'une étude d'impact de proposition de loi pour en contester l'inscription à l'ordre du jour ou la pertinence.
Dernier élément concernant les études d'impact : le Sénat propose de renforcer les prérogatives des Conférences des présidents des deux assemblées pour constater que les obligations relatives aux études d'impact ne sont pas remplies. Cette prérogative serait offerte aux deux assemblées, et non uniquement à la première saisie. Le délai de mise en oeuvre de cette demande serait par ailleurs porté de dix jours à trois semaines.
Le point 11 avait pour objet de mieux contrôler l'application des lois : prévoir l'intervention du Parlement dans l'élaboration des textes réglementaires, permettre à soixante députés ou à soixante sénateurs de saisir le Conseil d'État en cas de manquement du pouvoir réglementaire et instaurer dans la loi des mécanismes d'évaluation et des clauses de rendez-vous.
Au nom du principe de la séparation des pouvoirs, nous ne sommes pas favorables à l'intervention du Parlement dans l'élaboration des textes réglementaires. Nous proposons cependant d'inscrire dans la Constitution l'obligation de prendre les mesures réglementaires d'application des lois. Et nous partageons votre souhait de permettre à soixante sénateurs ou soixante députés de saisir le Conseil d'État en cas de carence. Nous souhaitons que cette faculté soit également offerte aux présidents des deux assemblées. François Pillet a précisé qu'en fonction de la réduction du nombre global de parlementaires, le seuil serait à ajuster.
Votre douzième proposition avait pour objet de revoir le calendrier des travaux parlementaires en sanctuarisant les semaines de contrôle et en rééquilibrant le temps consacré à l'examen du projet de loi de règlement et celui réservé au projet de loi de finances de l'année. Le Sénat propose, compte tenu du bilan qu'il est possible de tirer de dix ans de pratique de l'ordre du jour partagé et des réserves exprimées par de nombreux sénateurs sur la semaine de contrôle, de fusionner les semaines d'initiative sénatoriale et de contrôle.
Sur la question de la réorganisation de la discussion budgétaire, les travaux du Sénat ne sont pas achevés. Le groupe de travail sur la révision constitutionnelle s'est réuni cette semaine encore sur le sujet. Pour l'heure, nous n'avons pas arrêté de conclusions.
La troisième partie de vos propositions était rassemblée sous le titre : valoriser les activités de contrôle et d'évaluation.
Le point 13 propose un délai impératif de réponse de deux mois aux questions écrites posées par les parlementaires au Gouvernement. Le groupe de travail n'a pas formulé de proposition sur ce point. À titre personnel, nous nous interrogeons sur la portée d'un tel délai impératif en l'absence de toute sanction, le délai actuel de réponse n'étant déjà pas respecté.
Une piste de réflexion pourrait consister à encadrer le nombre de questions posées au Sénat comme cela a été fait à l'Assemblée nationale en fixant un plafond à cinquante-deux questions. Il paraît, en effet, difficile d'attendre du Gouvernement vertu et rigueur quand les parlementaires ne s'astreignent pas toujours à ces objectifs. Sans entrer dans le détail, on peut dire que tous les parlementaires ne posent pas le même nombre de questions écrites et que certains en posent un nombre colossal. Cette masse de questions rend impossible l'exigence d'un délai raccourci. Peut-être conviendrait-il de trouver un juste équilibre.
Vous souhaitez donner au Parlement un pouvoir d'injonction en contraignant le Gouvernement à répondre à ses recommandations. La position du Sénat est cohérente sur ce point avec les éléments déjà évoqués : nous ne sommes pas favorables à une remise en cause de la séparation des pouvoirs.
Enfin, vous avez souhaité doter le Parlement d'un droit de suite, en donnant à ses instances de contrôle et d'évaluation, six mois après le dépôt de leur rapport, le droit d'entendre les ministres destinataires de leurs recommandations
Il est important d'organiser le suivi des recommandations formulées par les parlementaires. Il nous semble, cependant, que rien ne s'oppose actuellement à la mise en oeuvre de ce droit de suite, qui est appliqué régulièrement.
Voilà le miroir que nous pouvons vous renvoyer au regard de votre travail.
Vous avez parlé d'un contrôle ex ante par rapport au vote de la loi. Sur ce sujet, outre les études d'impact sur lesquelles vous allez un peu au-delà de nos propositions, avez-vous d'autres idées ?
Sur les moyens, vous semblez satisfaits de la délégation des entreprises et de son travail. Combien d'études d'impact demandez-vous par an ? Quel en est le coût ? Qui sont les prestataires ? Quels sont les délais ? Dans quelle mesure pensez-vous qu'elles soient utiles pour venir en appui à l'analyse des sénateurs et pensez-vous qu'elles soient crédibles du fait de la crédibilité que l'on accorderait aux prestataires sollicités ?
Des accords-cadres avec des instituts capables de produire des simulations destinées à alimenter les études d'impact, notamment dans la discussion budgétaire, ont été sur le point d'être mis en place à l'Assemblée. Cependant, elle y a renoncé, faute de trouver un utile format de droit de tirage intensif durant la période de discussion budgétaire auprès d'un laboratoire universitaire qui aurait procédé à des micro-simulations et des macro-simulations et qui, durant le reste de l'année, n'aurait rien eu à faire. Des tentatives ont donc eu lieu auprès de laboratoires que nous avons interrogés et de l'Institut des politiques publiques dont le directeur estime qu'un mode de fonctionnement interne serait plus approprié. Si nous nous dotions d'une solution interne, qui serait l'équivalent d'une « bibliothèque » gérée par des administrateurs, ou en tout cas par des professionnels, qui nous fourniraient des analyses chiffrées pendant la période budgétaire et sur d'autres volets de notre travail législatif, pensez-vous qu'il serait utile de la mettre en commun avec le Sénat ?
Le Sénat serait-il favorable à une meilleure coordination de l'ensemble des instances qui procèdent à l'évaluation des politiques publiques dans ce pays ? Et, au premier chef, seriez-vous favorable – telle est notre position – à l'idée de confier au Parlement un rôle pilote, en particulier sur le plan de la programmation pluriannuelle ?
Vous avez évoqué la coordination avec la Cour des comptes. La question se pose avec bien d'autres organismes qui aujourd'hui réalisent un travail d'évaluation des politiques publiques pour éviter les doublons et permettre une programmation efficace dans le temps. Nous avions souhaité que cette instance soit pilotée par le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat, car il nous semble nécessaire que le Parlement se place en première ligne dans la mesure où une telle configuration est la garantie d'une politique publique indépendante par rapport à l'exécutif.
Quel rôle le Sénat jouerait-il ? En 2014, j'avais regretté la disparition de la commission de suivi et d'application des lois. Vous avez expliqué les raisons de sa disparition. Je ne sais si les commissions permanentes se sont saisies de ce travail, mais cela aurait pu être une bonne répartition des tâches entre le Sénat et l'Assemblée nationale, celle-ci disposant d'ores et déjà d'un comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) qui mène un travail d'évaluation sur le long terme assez intéressant.
Dans le cadre de sa commission, Mme Bourguignon a déjà expérimenté des dispositifs qui figurent dans le Règlement de l'Assemblée et qui permettent d'obtenir l'avis de contre-rapporteurs, par exemple, au niveau de l'étude d'impact. Cela a été le cas s'agissant des ordonnances travail. Je ne sais pas si Mme Bourguignon a pris l'initiative d'inscrire à l'ordre du jour de sa commission l'évaluation trois ans après l'entrée en vigueur des lois, mais pourquoi ne pas faire preuve d'un peu plus de souplesse et éventuellement de le faire de façon anticipée – voire plus tard si cela s'avère nécessaire ?
Sur le contrôle et l'évaluation des politiques publiques, quelle complémentarité imaginez-vous entre le Sénat et l'Assemblée ?
Pour vous répondre, je reprendrai les chiffres de la délégation aux entreprises et de la délégation aux collectivités territoriales. Si vous le souhaitez, nous vous transmettrons le nom des prestataires et le type de demandes formulées.
Pour la délégation aux entreprises, six études ont été engagées pour un budget de 116 000 euros ; pour la délégation aux collectivités, cinq études ont été menées pour un total de 130 000 euros.
Parmi les études réalisées, relevons une étude sur les seuils sociaux en France et en Allemagne ; des études sur les bonnes pratiques mises en place par les collectivités en matière d'accueil des entreprises et de soutien à leur développement ; des études descriptives sur la dimension économique de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères ; des études comparatives sur les pouvoirs des représentants des salariés en France et en Allemagne.
Au Sénat, nous n'avons pas arrêté de position définitive sur la façon de rendre le contrôle plus efficace par l'intervention de structures soit internes, soit externes. Pour autant, nous recherchons les voies et moyens financiers permettant d'interroger des organismes extérieurs. L'Assemblée nationale comme le Sénat recherchent l'indépendance de la source de renseignement. Je crains que l'internalisation n'attire les mêmes critiques que celles que nous adressons aujourd'hui à nos sources étatiques. C'est la raison pour laquelle, très pratiquement, le Président du Sénat a déjà mis en oeuvre une ligne budgétaire ou des fonds qui seront mis à disposition des commissions lorsqu'elles souhaiteront faire appel à tel ou tel expert.
Mme Létard et Mme Bourguignon ont relevé une difficulté qui pèse sur la manière de traiter ce type de prestataires conformément aux règles relatives aux marchés publics. Il est évident que le Sénat est plus porté à rechercher des solutions qui lui permettront de trouver l'information auprès d'une personne totalement indépendante. Pour autant, il n'est pas impossible – et ce sera même souvent le cas – que l'Assemblée procède à un contrôle sur un point concomitamment contrôlé par le Sénat. Les informations que vous pourriez obtenir par une institution interne à l'Assemblée pourraient être complétées par celles qui seraient recueillies par le Sénat selon d'autres voies. Je crains, dans le cadre d'une institution interne, que l'on finisse par nous reprocher d'entendre ce que nous souhaitons entendre. Je crois d'ailleurs que vous n'avez pas écarté toute possibilité de faire appel à des expertises extérieures.
Il est vrai que le Sénat progresse dans une direction un peu différente. En tout cas, nous sommes sensibilisés notamment à une réflexion sur les doublons entre le travail mené par l'Assemblée et celui conduit par le Sénat. Nous n'avons pas réfléchi à une solution spécifique, mais mener un travail sur le même sujet à des intervalles rapprochés est parfois dommage.
Sur les accords-cadres et la forme qu'ils peuvent revêtir, plusieurs possibilités existent. Au vu de la réflexion menée par les équipes et les services du Sénat, on comprend bien que les accords-cadres pourraient répondre à plusieurs logiques. Ils s'exécutent soit par émission de bons de commande, soit par marchés subséquents. L'accord-cadre définit un cadre général des prestations. Voilà ce qui permettrait d'évoluer dans des logiques plus souples répondant plus précisément aux exigences.
Au-delà du coût des études, se pose la question de la qualité et de l'incertitude qui s'attachent naturellement aux études et aux résultats que l'on peut en attendre. C'est un autre sujet sur lequel s'interroger. Parmi les différents modèles, aucun ne s'impose comme étant satisfaisant. Nous craignons un modèle unique, une structure qui figerait les choses et qui finirait par tourner sur elle-même. Nous sommes assez sensibles à l'idée de nous attacher des regards et des expertises extérieurs autorisant une plus grande dynamique, une meilleure adaptation et un travail plus ciblé. Cela dit, nous savons qu'un risque et une incertitude pèsent la qualité de certaines études.
La solution parfaite n'existe pas. L'un et l'autre modèle présentent des avantages et des inconvénients. Une solution très formelle qui s'institutionnaliserait contiendrait ses limites. Nous sommes réticents à l'idée d'inventer une nouvelle machine. Par ailleurs, comment encadrer les études que nous pourrions commander à un prestataire dans un temps suffisamment rapide et à un niveau d'exigences et de qualité sécurisant pour le Parlement ?
Aujourd'hui, nous cheminons sur des voies parfois différentes, mais les réflexions doivent mûrir et un chemin reste à parcourir. Nous sommes convaincus de la nécessité de ces études, elles sont attendues depuis des années. Il ne faut pas rater l'opportunité d'imaginer un outil souple, réactif et qui ne nous enferme pas dans une nouvelle machine qui se révélerait insatisfaisante.
Je ne crois pas que nous cheminions différemment ; au contraire, il est assez rassurant de constater que nous sommes à peu près au même point du questionnement. En tout cas, pour la partie ex ante, même si le calendrier des travaux parlementaires évolue, il faut se représenter la demande. L'Assemblée nationale, par exemple, lors du dernier budget, a concentré ses travaux entre le 27 septembre 2017 et le 5 octobre 2017, soit dix jours au cours desquels les députés ont examiné le projet de loi de finances et déposé des amendements. Au minimum, il serait attendu que tous les articles du projet de loi de finances, auxquels s'ajouteraient les amendements, fassent l'objet d'une contre-expertise, donc d'une étude d'impact sur la base de micro-simulations. Sur dix jours, cela représente une masse de travail considérable, y compris pour un prestataire externe. Vous avez raison de souligner la nécessité de trouver une souplesse – non l'institutionnalisation – et la sécurisation. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de rencontrer des représentants des parlements étrangers qui se sont dotés d'outils propres pour arriver à l'indépendance, à la qualité et à la souplesse. Nous envisagerons alors la solution à retenir.
J'ai le souvenir du dernier débat budgétaire sur le logement qui a donné lieu à des amendements, déposés en séance, dont les impacts étaient considérables. Nous n'étions pas en mesure d'évaluer les propositions. Dans de tels cas, comment pourrons-nous demain trouver des solutions, en tout cas nous assurer que le Parlement soit éclairé a minima ?
La réunion s'achève à 12 heures 05.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Noël Barrot, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Jean-François Eliaou, M. Régis Juanico
Excusés. - Mme Aurore Bergé, M. Paul Christophe, M. Jean-Paul Dufrègne