Au-delà de ces propositions de réforme présentées par M. Pillet et qui nécessitent une accroche constitutionnelle, le Sénat s'est penché depuis plusieurs années sur les moyens de renforcer son contrôle sur l'action du Gouvernement et la mise en oeuvre des politiques publiques.
Je vais vous présenter brièvement trois branches de ce contrôle qui illustrent bien, à mon sens, la philosophie qui sous-tend notre approche et l'esprit des réformes que nous proposons.
Le premier point a trait au contrôle de l'application des lois.
Chaque commission permanente assure le suivi de l'application des textes qui relèvent de sa compétence. Les commissions recensent donc régulièrement les textes votés qui ne peuvent être mis en application faute de la publication des textes réglementaires. Le contrôle revêt également un aspect plus politique lorsqu'il conduit à vérifier, par un examen de fond, si les textes d'application respectent la volonté exprimée par le législateur lors du vote de la loi.
Notre formule est donc différente de celle retenue par votre assemblée, où un binôme chargé du suivi de l'application de chaque loi est désigné texte par texte.
Tous les ans, chaque commission établit un bilan complet de ce suivi, présenté à la commission par son président. Ma mission, en tant que présidente de la délégation du Bureau en charge du contrôle, consiste à centraliser les contributions des sept commissions permanentes et d'en fournir une analyse globale, en mettant l'accent sur les problématiques les plus saillantes. Ces travaux donnent lieu, d'une part, à une audition du secrétaire général du Gouvernement qui aura lieu cette année au mois de mai ; d'autre part, à un débat en séance publique en présence du ministre chargé des relations avec le Parlement, qui aura lieu cette année au mois de juin.
Le débat en séance est une forme particulièrement adaptée : le ministre chargé des relations avec le Parlement peut relayer auprès de ses collègues les observations formulées par le Sénat, et la publicité des débats donne à la question de l'application des lois votées par le Parlement une dimension éminemment politique.
Je vous signale pour information qu'entre 2012 et 2014 il existait au Sénat une commission chargée du contrôle de l'application des lois. Cette commission comprenait des membres de chaque commission permanente et devait réaliser des contrôles ponctuels sur l'application de certains textes. L'expérience a finalement été abandonnée : la commission ne disposait pas de ressources humaines propres et son travail s'articulait difficilement avec celui mené par les commissions permanentes.
Le deuxième point, concerne l'évaluation des politiques publiques ex ante et les crédits d'études.
Le Sénat réfléchit depuis des années aux moyens de développer sa propre capacité d'évaluation, afin d'être en mesure de contre-expertiser les études d'impact gouvernementales et de les améliorer.
C'était l'objet, par exemple, de la démarche lancée par la commission des finances qui a déposé un amendement au projet de loi de finances pour 2018 afin que le Gouvernement publie le code source informatique de la législation fiscale et permette ainsi au Parlement, aux universitaires et aux citoyens de tester les réformes proposées par le Gouvernement et les chiffrages présentés.
Depuis 2014, le Sénat a ouvert des crédits afin de réaliser des études sur l'impact d'une législation à venir. Pour l'heure, ces crédits n'ont été mis en oeuvre que par la délégation aux entreprises et la délégation aux collectivités territoriales. La délégation aux entreprises a eu recours à des études d'impact pour évaluer les normes applicables à l'activité économique et aux entreprises ; la délégation aux collectivités territoriales a recours à ces crédits pour élaborer des propositions de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.
Les enseignements suivants peuvent en être tirés :
Nous ne disposons pas en interne de l'expertise et des outils pour évaluer l'impact économique de dispositifs législatifs sur l'activité des entreprises.
Le recours à un prestataire permet de roder le dispositif des propositions de loi ou de résolution en cours d'élaboration.
La question des délais dans lesquels s'inscrit l'étude d'impact à réaliser est cruciale et peut constituer un véritable obstacle lorsqu'on s'inscrit dans un calendrier législatif contraint dont la maîtrise est rarement possible. Nous avons bénéficié d'un calendrier très favorable à la réalisation d'une étude par un cabinet d'avocats fiscalistes relative à l'impact du prélèvement à la source, qui a été reprise de nombreuses fois lors des débats budgétaires. Le calendrier est rarement aussi favorable. On voit bien que dans le cas d'une succession de textes, il se peut que nous ne soyons pas en capacité d'utiliser cette opportunité.
Le choix de recourir à une structure extérieure comporte une certaine lourdeur administrative : repérage et choix politique des mesures, passation du marché, suivi de l'exécution du contrat à travers un pilotage permanent.
Pour encourager le recours à ces expertises externes, le Sénat envisage de passer un marché cadre, en s'inspirant du modèle du Comité d'évaluation et de contrôle (CEC) de l'Assemblée nationale, afin de présélectionner plusieurs prestataires par lot. Cela laisserait des marges de manoeuvre tout en écourtant la procédure à suivre lors du lancement de chaque étude. Cette procédure nous paraît vraiment intéressante.
Le dernier point que je souhaite évoquer est relatif au BALAI. Derrière cet acronyme se cache le Bureau d'annulation des lois anciennes et inutiles. Le Sénat a décidé, lors de sa réunion de Bureau du mois de janvier dernier, le lancement d'une mission BALAI, à l'initiative du vice-président Vincent Delahaye. Partant du constat d'un empilement de lois et de règlements dont l'utilité n'est pas toujours mesurée, l'objectif est d'en nettoyer notre législation et notre réglementation. On imagine bien que ce travail doit s'inscrire dans la durée, mais il nous paraît utile. Nécessitant une revue complète et approfondie de notre droit positif, il doit être mené dans trois directions, en lien avec la mission de contrôle de l'application des lois que je conduis par ailleurs.
Premièrement, identifier les lois inappliquées dans le cadre du travail annuel de contrôle des commissions permanentes. Il s'agit de repérer des dispositions législatives prévoyant des textes réglementaires d'application qui n'ont pas été pris dans un délai raisonnable, de l'ordre de trois ans. Une analyse qualitative permettra de déterminer lesquelles de ces dispositions justifieraient une proposition d'abrogation.
Deuxièmement, identifier les lois obsolètes. Nous allons recenser, parmi les dispositions toujours en vigueur des lois promulguées entre 1800 et 1940, celles qui sont inappliquées et dont l'abrogation peut être proposée sans difficulté. Il s'agit également de procéder à un inventaire des dispositions incompatibles avec des conventions internationales engageant la France ou avec des normes de l'Union européenne. Ce long travail de recensement devrait se traduire par le dépôt d'une proposition de loi.
Enfin, les commissions et les délégations seront invitées à engager, chacune dans son domaine, une réflexion de fond pour identifier les lois jugées superfétatoires, imposant des obligations disproportionnées aux assujettis ou posant de sérieuses difficultés d'interprétation.
Voilà de manière synthétique quelques-unes des initiatives prises par le Sénat pour renforcer son contrôle de l'action du Gouvernement et l'évaluation de ses politiques publiques.
Si vous le voulez bien, nous nous proposons maintenant de balayer rapidement les propositions que votre groupe de travail a présentées. Cela nous permettra certainement d'engager un débat, et cela vous donnera une idée, à ce stade, des travaux respectifs de nos deux assemblées, des convergences comme de nos éventuelles réserves.