Intervention de Frédérique Vidal

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Comme vous l'avez dit, monsieur Roussel, il est essentiel de relancer la méritocratie républicaine et de refaire de l'enseignement supérieur un véritable ascenseur social. Nous devons tout à la fois travailler sur l'autocensure des jeunes qui renoncent même à essayer, convaincus qu'ils échoueront, et adopter les mesures d'accompagnement qui permettront à cet ascenseur social de redémarrer. Cela commence bien en amont de l'enseignement supérieur, ce à quoi je m'intéresse particulièrement avec M. Blanquer : l'université, en effet, forme les enseignants du primaire et du secondaire qui auront à accompagner cet effort. Surtout, les jeunes doivent retrouver confiance dans l'institution scolaire et universitaire et dans l'enseignement supérieur. Or, ce n'est pas en dénigrant en permanence notre enseignement que nous rétablirons la confiance. Sans perdre notre esprit critique, nous devons aussi nous réjouir de toutes les très belles choses qui se font dans nos écoles, nos collèges, nos lycées, nos grandes écoles et nos universités. Cela contribue en effet à rendre la confiance et l'espoir.

J'en viens au contexte budgétaire. En effet, une réduction de 180 millions d'euros a été décidée ; elle correspond pour 160 millions à la réserve de précaution, c'est-à-dire des crédits non affectés qui, le plus souvent, servent à éponger les coups durs, et à 20 millions qui sont prélevés sur les crédits de gestion du ministère. Autrement dit, cette réduction n'a aucune répercussion sur les programmes de recherche et les campagnes de recrutement déjà lancés, ni sur aucun autre budget dont l'exécution est déjà engagée. Certes, l'effort est important, même s'il peut sembler faible au regard du budget global de l'enseignement supérieur et de la recherche. N'oublions pas que celui-ci comprend une part importante consacrée à la masse salariale ; toute réduction des crédits de fonctionnement a donc des effets supérieurs à ce que laisse accroire la simple présentation en pourcentage.

Il était essentiel, néanmoins, que l'ensemble du Gouvernement soit solidaire de cet effort nécessaire, qui a été consenti de manière raisonnée et raisonnable. Nul ne saurait naturellement se réjouir de la réduction du budget de l'enseignement supérieur et de la recherche, pas davantage que celui de la culture. Il n'empêche : la réalité est que nous devions impérativement réaliser des économies, et ce sera le cas en 2017. Le budget pour 2018 est en cours de discussion et de construction. Il sera naturellement bâti sur la base des projets validés par le Premier ministre et par le Président de la République. C'est pourquoi il est capital que nous donnions du sens aux dépenses que nous allons engager au nom de l'État.

Je souhaite, Monsieur Juanico, que nous ayons les moyens d'accompagner la réussite des étudiants. En moyenne, un étudiant en première année d'université représente un coût de l'ordre de 8 000 à 10 000 euros : quand il réussit, c'est un investissement ; quand il échoue de manière récurrente, c'est une dépense inutile. Cette année, 100 000 étudiants ont utilisé le portail d'admission post-bac (APB) pour se réorienter car ils ont suivi l'an dernier une formation qui ne leur a pas convenu ou dans laquelle ils n'ont pas trouvé leur place. Ce n'est en rien de leur faute, puisque le portail APB fonctionnait déjà l'an dernier ; c'est pourquoi j'insiste pour que nous travaillions à l'orientation différemment. Quoi qu'il en soit, je vous laisse faire le calcul. À l'évidence, il faudra investir ; investir dans l'enseignement supérieur pour y faire réussir les étudiants ne pose aucun problème, mais nous ne pouvons pas nous contenter d'y injecter plus d'argent sans le réformer en profondeur pour assurer cette réussite. Encore une fois, l'investissement ne pose aucune difficulté si c'est pour faire réussir les étudiants, mais les deux objectifs doivent être poursuivis de concert ; l'argent ne suffit pas si l'on ne change rien par ailleurs. Or, cela fait des années que nous ne changeons rien et que le taux d'échec en licence ne baisse pas.

Il y va en outre de l'égalité des chances et du mérite républicain, Monsieur Reiss. Il est en effet plus ou moins facile de comprendre les informations fournies et le fonctionnement du système en fonction du milieu social : il est ainsi plus aisé de s'y retrouver lorsque les parents ou la famille ont eux-mêmes fait des études ; c'est en revanche plus difficile lorsque l'on vient d'un milieu où nul avant vous n'a fait d'études. Autrement dit, c'est aussi favoriser l'égalité des chances et valoriser le mérite républicain que de se donner les moyens de mieux informer et, surtout, d'accompagner l'orientation. Le problème est connu : l'information est abondante, omniprésente même, mais l'usage qu'on en fait dépend du milieu social de chacun. Nous devons y être particulièrement attentifs : il faut accompagner le maximum d'élèves afin qu'ils puissent utiliser l'information pour faire des choix d'orientation qui leur conviennent.

J'ajoute que ces choix d'orientation doivent relever du projet de l'étudiant lui-même ; pourtant, on constate aujourd'hui que les projets des étudiants sont souvent ceux de leurs parents. Dans une famille où personne n'a fait d'études, la réussite au bac constitue déjà un accomplissement majeur, mais les lauréats peuvent faire encore beaucoup plus et mieux s'ils le souhaitent. A contrario, dans une famille de diplômés de l'École polytechnique, il faudrait que devenir joailler n'ait rien d'un drame. Lorsque nous serons parvenus à ce résultat, alors nous aurons réellement changé les choses.

La réflexion sur l'articulation entre le bac-3 et le bac+3 est abordée dans le cadre de la concertation que nous avons lancée lundi. Comme pour toute action interministérielle, il est difficile d'envisager une mise en commun entre le secondaire et le supérieur – et il est vrai que la LOLF ne nous y aide pas. Nous y réfléchissons donc, et la concertation, sans tabous ni préjugés, produit des résultats très intéressants.

Vous avez raison, monsieur Berta : la France se classe quatrième dans le monde en termes de brevets, et elle pourrait encore faire beaucoup mieux.

La sélection par l'échec est un réel problème – nous venons d'en parler. Oui, les étudiants doivent devenir acteurs de leur formation mais, pour ce faire, nous devons être en mesure d'accompagner la vie étudiante dans son ensemble. Il ne faut pas que les étudiants viennent à l'université comme des consommateurs en quête de cours ; il faut aussi qu'ils puissent participer à la vie du campus et de l'université. De ce point de vue, les choses se passeront d'autant mieux qu'on les encouragera en valorisant leurs propositions et qu'ils participeront à la vie étudiante. C'est un élément essentiel de l'acquisition des compétences et de la professionnalisation. Les étudiants peuvent aussi mettre en valeur le fait qu'ils ont créé puis géré une épicerie solidaire pendant un an, par exemple, car c'est une action concrète. Il est très important qu'ils soient accompagnés en ce sens.

S'agissant du travail en parallèle des études, monsieur Larive, je suis très attachée à envisager comment combiner les contrats étudiants avec les bourses de sorte que les étudiants, s'ils doivent travailler, le fassent davantage dans les bibliothèques universitaires, par exemple, ou en tutorat, voire en mentorat auprès d'étudiants plus jeunes, plutôt qu'à l'extérieur de l'université. Des études montrent clairement que travailler plus de seize heures par semaine réduit de plus de moitié les chances de réussite. Le service civique, lui, aura une durée de douze à quatorze heures, par exemple. Il est possible que les étudiants travaillent dans les universités, comme cela se fait dans de très nombreux autres pays – et c'est une manière d'accompagner leur réussite. Un emploi au sein de l'université, à la bibliothèque par exemple, est bien différent d'un emploi de gardien de nuit ou dans la restauration rapide. La réussite en licence passe aussi par ces formes d'accompagnement qui permettront aux étudiants d'être plus autonomes tout en étant sur le lieu de leurs études.

La titularisation des agents à des fonctions pérennes est une disposition de la loi Sauvadet, dont les résultats pratiques ne sont pas parfaits, loin s'en faut. Ce n'est de toute façon pas une solution pour un certain nombre d'agents qui, in fine, n'ont pas souhaité en bénéficier – preuve qu'elle n'était peut-être pas si adaptée que cela. Pour mémoire, la disposition en question de la loi Sauvadet prévoyait la titularisation dans la fonction publique de toute personne ayant exercé la même mission pendant un certain nombre d'années – trois à six selon les missions.

Le partage gratuit des publications universitaires existe sous la forme d'un système de dépôt dénommé HAL, auquel toutes les universités peuvent participer. Cependant, il ne résout pas la question de l'accès à l'ensemble des publications et des données. Nous menons un combat national contre des éditeurs comme Elsevier, des « squatteurs », en quelque sorte, qui obligent à souscrire un abonnement papier et un abonnement numérique et qui, étant les seuls à le faire, exercent un quasi-monopole, d'où une hausse régulière des prix. Au-delà de la question des publications se cache celle, bien plus large, des données produites par la recherche et par l'ensemble des capteurs installées dans les villes, qui représentent une part importante de l'économie de demain.

Il est essentiel de faire travailler les universités avec les territoires et les entreprises qui s'y trouvent, et de faire en sorte qu'une partie des formations soient mises au service de l'insertion professionnelle et de l'emploi dans les territoires. N'oublions pas pour autant que les universités sont les lieux où sont délivrés les plus hauts diplômes nationaux. Si je parlais tout à l'heure de souplesse et d'ouverture, c'est donc parce qu'il faut combiner des parcours extrêmement exigeants en termes de concepts et de connaissances, qui mèneront jusqu'au doctorat, avec des parcours aux exigences non pas moindres mais différentes, qui conduiront plutôt vers l'emploi. Il est crucial de suivre ces parcours pour, ensuite, permettre le retour à l'université, non pas sous la forme d'une validation des acquis de l'expérience ou des acquis professionnels – qui, ne relevant plus de la formation initiale, est très chère et se transforme souvent en parcours du combattant face à des jurys qui retiennent ceci sans retenir cela – mais en encourageant davantage – grâce au numérique, notamment – la possibilité de se former et d'obtenir des diplômes tout au long de la vie.

Enfin, madame Descamps, je n'ai aucun problème avec les classes préparatoires, qui participent à l'accueil des bacheliers dans l'enseignement supérieur. En revanche, je suis moins convaincue que vous qu'elles s'ouvrent à tous les publics. Elles ont consenti des efforts, il est vrai, mais d'autres restent à faire. Certaines classes préparatoires le font très bien, mais d'autres – nous en connaissons tous – relèvent plutôt d'un mode d'auto-reproduction et ne sont pas complètement ouvertes. Quoi qu'il en soit, elles y travaillent et c'est important. Elles pourraient d'ailleurs y travailler, sans crainte de perdre leur identité, de manière beaucoup plus fluide et souple avec les universités ; plusieurs expériences sont menées en ce sens.

En ce qui concerne le souhait de l'Université de Valenciennes de se transformer en université polytechnique, elle entend tirer parti de l'article de loi qui autorise l'expérimentation. Or, cet article n'autorise l'expérimentation que pour la création d'un nouvel établissement. C'est pourquoi j'ai souhaité que le projet de loi de simplification comporte un article autorisant l'expérimentation pour des établissements déjà existants. Ce sera précisément le cas de l'Université de Valenciennes : plutôt que de fermer pour rouvrir, il s'agit de la transformer.

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