Intervention de Gérard Collomb

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 10h15
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation à m'exprimer dans le cadre de cette commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires ; il s'agit bien évidemment là d'un enjeu tout à fait fondamental.

Dans tous les pays, on dispose d'installations nucléaires avec des systèmes de sécurité qu'on essaie d'avoir les plus performants possible. Mais ce problème se pose avec une acuité particulière en France puisque, avec cinquante-huit réacteurs répartis sur dix-neuf sites, nous disposons du deuxième parc nucléaire au monde.

Je commencerai mon propos par une précision terminologique. Si le ministère de l'intérieur a des compétences importantes en matière de sécurité des installations nucléaires, la sûreté de celles-ci ne relève pas de son ressort ; il faut donc bien faire la distinction entre sécurité et sûreté. En d'autres termes, le rôle du ministère que j'ai l'honneur de diriger est de prévenir, de contrer et le cas échéant, de gérer les conséquences d'actes de malveillance ou d'actes terroristes. Mais nous n'intervenons pas directement, sauf pour ce qui concerne la protection civile, sur des sujets liés à la capacité des installations à faire face à des incidents techniques internes. Cette compétence revient à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et aux opérateurs exploitant les centrales, en lien avec le ministère de la transition écologique et solidaire.

C'est donc bien la manière dont nous agissons pour lutter contre les actes intentionnels de malveillance que j'évoquerai avec vous aujourd'hui, en veillant à vous donner le maximum d'informations – dans le respect évidemment du secret de la défense nationale, évidemment incontournable sur ces sujets sensibles.

Un point de contexte tout d'abord : nous vivons en cette matière un vrai changement de paradigme depuis les attentats que nous avons connus, dans la mesure où la menace est toujours présente sur notre sol. Si nous avons connu des attentats qui ont frappé un certain nombre de lieux publics, nous pouvons avoir demain un certain nombre d'attentats qui visent ce que l'on appelle les « opérateurs d'importance vitale », et en particulier une centrale nucléaire.

C'est à partir de ce constat que mes prédécesseurs ont engagé un mouvement de renforcement de nos capacités de protection. À l'été 2017 a ainsi été créé – le projet était en cours depuis de longues années – le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire, le COSSEN, qui est dirigé par le général Cormier, assis à mes côtés, et placé sous la double tutelle du ministère de l'intérieur et du ministère de la transition énergétique et solidaire.

Pourquoi le COSSEN ? Parce que si l'État a toujours pris en compte la menace pesant sur les sites nucléaires, il ne disposait pas jusqu'à présent d'un outil permettant de garantir une action coordonnée entre tous les acteurs.

Cette difficulté est aujourd'hui levée, puisque, dans ce centre de commandement, soixante-quatre gendarmes, policiers et personnels civils ont pour mission de garantir l'échange d'informations entre les différents services, de produire une analyse de l'état de la menace à partir des renseignements et des signaux faibles recueillis, et de définir ainsi une stratégie cohérente pour tous les acteurs impliqués dans la sécurité des installations nucléaires : services de renseignement, policiers et gendarmes amenés à intervenir en cas d'attaques ou d'actes de malveillance, préfets, opérateurs, tous sont mis en synergie. C'est donc avec un outil opérationnel performant que le ministère de l'intérieur intervient aux côtés de ses partenaires de la communauté interministérielle que sont le ministère de la transition écologique et solidaire, le ministère des armées, et le secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale. Nous le faisons autour de trois axes majeurs, que je voudrais détailler maintenant.

Premier axe d'action : anticiper et prévenir la menace.

Notre principal objectif est évidemment de détecter les actes de terrorisme ou les actes de malveillance le plus en amont possible. Pour cela, depuis 2006 et la mise en place du dispositif de sécurité des activités d'importance vitale, une révision de l'état de la menace est régulièrement menée sous l'autorité du secrétariat général de la défense nationale, qui concerne, entre autres sites, les sites nucléaires.

C'est dans ce cadre qu'au niveau du ministère de l'intérieur, nous travaillons à mobiliser l'ensemble de la communauté du renseignement, à laquelle nous demandons de prendre en compte cette menace spécifique, y compris en faisant remonter un certain nombre de signaux faibles. La DGSI, depuis de nombreuses années, et le Service central du renseignement territorial, depuis 2015, bénéficient en outre de sections spécialisées en renseignement nucléaire, qui nous permettent d'obtenir une haute qualité d'information.

La totalité des éléments qui nous remontent est traitée et analysée par le COSSEN, qui adresse ses notes aux services de l'État, mais aussi à certains opérateurs, afin de garantir un partage optimal de l'information.

Le dispositif du renseignement est donc pleinement mobilisé, et le renforcement à venir de ses moyens, tant humains – 2 000 postes supplémentaires – que technologiques, bénéficiera évidemment à la sécurité des installations nucléaires.

J'en viens à un point spécifique mais particulièrement crucial : la question du criblage pour les autorisations d'accès aux installations nucléaires.

Sur ce sujet, les derniers mois ont été marqués par de réels progrès. Avant la création du COSSEN en juillet 2017, il n'y avait pas de règle unique en matière d'enquêtes administratives préalables à la délivrance d'autorisations : certaines passaient par les préfectures, d'autres par le CEA, peu de fichiers étaient consultés et les résultats manquaient parfois de cohérence. Depuis huit mois, l'opérateur, quel qu'il soit – EDF, AREVA, CEA, etc. –, doit transmettre sa demande de criblage au COSSEN qui est en capacité de consulter neuf fichiers, parmi lesquels le TAJ (traitement d'antécédents judiciaires), le FPR (fichier des personnes recherchées), le FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation terroriste) et quelques autres fichiers encore plus confidentiels, pour émettre un avis administratif documenté en retour. L'opérateur prend ensuite une décision d'accès, positive ou négative.

En huit mois, 125 000 enquêtes ont déjà été traitées, qui ont donné lieu au final à 753 avis défavorables, soit 0,6 % du total. Ces avis défavorables sont motivés le plus souvent par des comportements liés à la consommation régulière de produits stupéfiants ; viennent ensuite les vols aggravés, les escroqueries ou les violences graves. Mais quinze avis défavorables sont liés à des phénomènes de radicalisation.

Deuxième axe d'action : assurer la protection en tant que telle des sites nucléaires et de leurs abords.

Cette responsabilité est, comme pour l'ensemble des opérateurs d'importance vitale (OIV), confiée au niveau local aux préfets qui doivent à la fois approuver le plan particulier de protection (PPP) rédigé par l'opérateur, ce qui leur donne une réelle latitude d'action, et élaborer le plan de protection externe (PPE) visant à protéger les abords du site, à planifier les capacités humaines et matérielles déployées à cet effet par l'État, mais aussi à mettre en place des mesures de surveillance sur les zones périphériques.

Pour l'un comme pour l'autre, les préfets bénéficient évidemment de l'appui du COSSEN. Mais leur connaissance intime des enjeux de sécurité sur leur territoire, nourrie des réunions avec les élus, les acteurs associatifs et les acteurs privés, est irremplaçable, et c'est pour cela que le système me semble tout à fait pertinent – sous réserve bien sûr que les PPP et PPE soient régulièrement révisés et évalués avec, le cas échéant, des exercices de simulation avec retours d'expérience.

Afin de renforcer la sécurité des sites nucléaires et de leurs abords, le ministère de l'intérieur a par ailleurs soutenu les évolutions législatives et réglementaires ayant conduit à la création des zones nucléaires à accès réglementé (ZNAR), associées à des sanctions applicables en cas d'intrusion – prévue par les articles L. 1333-13-12 et suivants du code de la défense ajoutés par la loi n° 2015-588 du 2 juin 2015 et l'article D. 1333-79 du même code ajouté par le décret d'application n° 2015-1255 du 8 octobre 2015 et complété par des arrêtés pris pour chacune des installations entre 2016 et 2017. Les peines encourues sont désormais d'un an à sept ans d'emprisonnement, et de 15 000 à 100 000 euros d'amende selon que ces intrusions ont été commises en réunion, accompagnées de dégradations ou réalisées avec des armes. Ces mêmes peines s'appliquent à ceux qui organisent ou encouragent ces actes illégaux.

Le ministère de l'intérieur est donc impliqué dans la sécurité physique des différents sites. Il l'est aussi dans la sécurité de leurs systèmes d'information.

La loi de programmation militaire de 2013 définit pour les opérateurs d'importance vitale un certain nombre d'obligations en la matière, dont le contrôle est assuré par l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Vous savez par ailleurs que la lutte contre la cybercriminalité est devenue un axe essentiel : le ministère de l'intérieur recrutera à cet effet 800 cyberpatrouilleurs durant le quinquennat. Il s'agit là d'un aspect essentiel : si demain des organisations malveillantes, voire terroristes, étaient en mesure de désactiver les systèmes anti-intrusion de nos centrales ou d'en obtenir les plans détaillés, ce serait évidemment une source de vulnérabilité majeure.

Je n'hésite donc pas à affirmer avec une certaine gravité que la sécurité de nos installations nucléaires passe aussi par leur cybersécurité. La menace cyber est de plus en plus réelle au fur à mesure que les attaques se multiplient, qu'elles soient le fait de groupes mafieux ou d'États décidés à menacer tel ou tel pays.

Troisième axe d'action : la réaction, c'est-à-dire la mise en place de dispositifs dans le cas où une attaque surviendrait. Comme vous l'avez constaté, nous faisons tout pour l'éviter, mais il faut toujours se préparer au pire.

Vous savez qu'en la matière, le temps est une denrée précieuse : plus on intervient rapidement, plus on peut espérer éviter une catastrophe. C'est dans ce but qu'ont été mis en place en 2009 les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG), vingt groupes spécialisés regroupant 1 024 militaires présents vingt-quatre heures sur vingt-quatre à l'intérieur et aux abords des dix-neuf sites nucléaires de production d'électricité (CNPE) en activité et sur le site en cours de démantèlement de Creys-Malville.

L'originalité de ces unités tient au fait qu'elles constituent tout à la fois la dernière réponse de l'opérateur qui, vous le savez, est chargé de la sécurité à l'intérieur de la centrale, et la première réponse de l'État en matière de sécurité nucléaire. Chaque PSPG dispose en effet d'un détachement d'intervention sanctuarisé, présent en permanence dans chaque site, pour apporter une primo-intervention contre une éventuelle attaque terroriste.

En cas d'attaque, d'autres effectifs sont en capacité d'intervenir et de garantir une réponse rapide, à commencer par les groupements de gendarmerie départementale et des directions départementales de la sécurité publique, en coordination avec les PSPG et, si l'on passe au degré supérieur, les antennes du GIGN et du RAID les plus proches du lieu de l'attaque.

Les effectifs des PSPG ont été renforcés de plus de 25 % depuis 2013 afin de mieux prendre en compte la menace. Ce dispositif, pleinement intégré au Schéma national d'intervention adopté en 2016, s'adapte en permanence aux nouvelles menaces et réévalue au moins annuellement son efficacité. L'effectif des PSPG me semble ainsi, au regard des menaces connues à ce jour, cohérent.

Enfin, parce qu'il est chargé de la protection des populations, le ministère de l'intérieur a pour mission d'organiser le dispositif de sécurité civile en cas de catastrophe, qu'elle soit d'origine accidentelle ou criminelle.

Ainsi, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises – la DGSCGC, dont le directeur, Jacques Witkowski est ici présent – participe activement à la Mission nationale d'appui aux risques nucléaires, en contribuant notamment à la préparation à la gestion de crise dans les préfectures : élaboration des plans particuliers d'intervention, formation des acteurs à la gestion de crise et coordination des exercices nucléaires. En cas de crise grave, la DSCGC est en mesure de mobiliser en moins d'une heure 47 cellules mobiles d'intervention radiologique (CMIR), soit environ 300 personnels spécialisés, ainsi que 35 unités mobiles de décontamination (UMD).

Il est à noter également qu'à la suite de l'accident de Fukushima, l'organisation de la réponse de sécurité civile (plan ORSEC) a été complétée par un plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur. Élaboré sous l'autorité du SGDSN entre 2012 et 2013, ce plan a fait l'objet d'une phase de test au cours de l'exercice en 2013, avant d'être validé. Publié en 2014, il fait maintenant référence au niveau international en matière de planification stratégique de crise, et il est décliné sur l'ensemble des zones de défense et des départements. Il permet d'envisager une réponse adaptée sur l'ensemble du territoire national, tout en prenant en compte la nécessaire information du public et la dimension transfrontalière d'une crise de cette nature.

Parmi les mesures qui doivent être appliquées à la population, la mise à l'abri et l'écoute des recommandations et consignes de protection des pouvoirs publics sont les premières à devoir être mises en place. Dans un second temps, en fonction des événements, l'ingestion de comprimés d'iode stable, l'interdiction de consommation des produits contaminés ou l'évacuation de la population peuvent venir compléter les premiers dispositifs.

Le retour d'expérience de l'accident de Fukushima met principalement en exergue la nécessaire préparation des évacuations. C'est la raison pour laquelle les nouveaux plans particuliers d'intervention (PPI) autour des centrales nucléaires de production d'électricité prévoient une planification en profondeur de l'évacuation des populations situées dans un rayon de cinq kilomètres autour des installations, ainsi qu'une distribution préventive de comprimés d'iode stable sur un rayon de vingt kilomètres.

Tels sont, mesdames et messieurs les députés, les premiers éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Je me tiens naturellement à votre disposition pour répondre à vos questions.

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