Intervention de Patrice Queneau

Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 10h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Patrice Queneau, membre de l'Académie nationale de médecine :

Le sujet sur lequel vous travaillez nous préoccupe beaucoup. La situation est grave, je dirais même que, dans certains domaines, elle est tragique. Les déserts médicaux sont un problème très préoccupant dans certaines régions rurales, en périphérie des villes, mais aussi en zones urbaines – je pense en particulier aux villes moyennes. De très nombreux secteurs sont concernés. Il y a de véritables urgences, mais il est indispensable d'effectuer une photographie de la situation, et d'actualiser en permanence cet état des lieux.

Il est donc nécessaire de prendre des mesures aussi bien à court qu'à moyen ou long terme.

À court terme, il faut saluer, encourager et développer toutes les mesures incitatives actuelles, mais elles ne suffisent pas. Il faut aller au-delà.

Il faut inciter fortement à des regroupements pour la formation de cabinets pluridisciplinaires. Ils devront aussi parfois être pluridisciplinaires et universitaires, car on doit pouvoir y fixer des maîtres de stages. Je suis provincial – j'ai été pendant dix-huit ans et demi le doyen de la faculté de médecine de Saint-Étienne – et, avec l'un de mes amis, médecin généraliste retraité, de Haute-Savoie, nous avons récemment publié un ouvrage intitulé : Sauver le médecin généraliste. Cela nous a permis de recueillir de nombreux témoignages. Je peux vous citer de très nombreux cas dans lesquels on a frôlé la catastrophe : la pharmacie et le cabinet médical fermaient dans des villages en déshérence. Je pense, par exemple, à Usson-en-Forez, aux confins du département de la Loire, près de la Haute-Loire où les deux médecins en exercice ont cessé leur activité – du jour au lendemain pour l'un d'eux. Le dialogue efficace entre l'agence régionale de santé (ARS), le préfet, et le président et le doyen de l'université a permis de faire rapidement appel à un étudiant qui devait effectuer son dernier stage de troisième année de spécialité de médecine générale, encadré par les médecins de la région. Ce garçon a pris goût au lieu et au métier, et il a même fait venir un ami. En quelques semaines, là où on était passé de deux médecins à plus aucun, on a retrouvé deux médecins. Cet exemple montre l'importance des connexions administratives : il faut une chaîne administrative pour préserver la chaîne de soins. J'ajoute que, finalement, à Usson-en-Forez, ils ont même pu constituer une maison de santé pluridisciplinaire en récupérant une infirmière et, bien sûr, des internes.

Il est capital que les internes soient ainsi mis en situation : c'est utile pour leur formation, et cela leur permet de découvrir un mode d'exercice qui pourra les intéresser.

Comme Claude de Bourguignon, avec qui j'ai écrit l'ouvrage que je citais, j'estime qu'il y a un devoir de soigner. La France doit soigner les patients là où il n'y a plus de médecins. Les études de médecine ont été, dans l'immense majorité de cas, financées par l'État. Cependant, avec le Conseil de l'Ordre, nous sommes nettement défavorables à une obligation d'installation en zone sous-dotée pour les derniers classés de l'internat – ce serait contre-productif.

Je suis en revanche très favorable à la mise en place de mesures contraignantes collectives, gérées par l'ARS, sous la forme d'un système de consultations avancées ou délocalisées, dans le cadre de missions territoriales qui engagent une contribution des médecins de la région – médecins libéraux, médecins salariés, médecins hospitaliers. Il faut imaginer un système à la fois contraignant et relativement souple, avec des contributions mutualisées, qui permettent de ne pas laisser vacant un cabinet médical indispensable. Sur ce niveau de contrainte, Claude de Bourguignon et moi sommes d'accord.

Il ne faut pas non plus négliger la question du prix de la consultation, ni celle des visites à domicile.

Moi qui suis un vieux clinicien, j'ai toujours plaidé, et depuis très longtemps, y compris dans mes précédents livres, comme Le malade n'est pas un numéro !, pour que la tarification prenne en compte les consultations complexes. C'est chose faite depuis la convention de 2017, même si cela mérite d'être mieux expliqué.

Quant aux visites à domicile, elles sont capitales. On évoque souvent les abus, mais le médecin qui connaît bien sa clientèle sait parfaitement les limiter.

Cette connaissance permet que la médecine générale constitue d'ailleurs un facteur majeur de la diminution du recours aux urgences. J'ai retrouvé une étude anglaise effectuée pendant trois ans, qui montre une baisse de 20 % à 30 % de la fréquentation des urgences lorsque la population est suivie par un médecin généraliste – surtout si c'est le même praticien sur la durée.

J'en viens au moyen terme en m'exprimant surtout en tant qu'ancien doyen.

Il faut supprimer la première année commune aux études de santé (PACES). Je ne veux pas supprimer la sélection, je veux seulement qu'elle soit davantage médicalisée. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas faire de sciences fondamentales, mais que, dès la première année, l'étudiant apprendra un peu de sémiologie médicale – même s'il ne devient pas médecin, il pourra dépister un début d'accident ischémique d'un membre de sa famille… Il faut absolument éviter que les étudiants de première année aient l'impression d'être dans un cursus un peu « surréaliste » dans lequel on leur parle de sujets n'ayant qu'un rapport assez lointain avec le corps, la santé et leurs dysfonctionnements. Je ne dis pas cela contre les mathématiques – mon père était polytechnicien, et j'ai fait math-sup –, mais il faut aller vers plus de médicalisation.

Comme au Québec, en Allemagne et à Angers, nous devrions mettre en place une admissibilité et des épreuves orales permettant de juger de la personnalité et de la motivation des candidats. Sur cent postes, soixante-six sont attribués dès l'admission, et trente-quatre après les épreuves orales. Il ne s'agit pas de tout révolutionner, mais de médicaliser et de tester la motivation.

Je propose aussi de renforcer les stages cliniques, qui sont essentiels pour les médecins généralistes. Tous les étudiants de deuxième cycle, même ceux qui savent qu'ils veulent devenir cardiologues ou neurochirurgiens, doivent connaître la médecine générale ou la médecine libérale des praticiens en gynécologie ou autres disciplines sous-dotées. Ce passage par la médecine extrahospitalière en deuxième cycle permet de comprendre et de vivre ce type de médecine.

Faut-il augmenter le numerus clausus ? Ma réponse est « discrètement positive ». Il ne s'agit pas de multiplier les places par deux, ou par un et demi, mais il serait utile d'en proposer un peu plus.

Il y a 8 000 places au concours, et on a besoin de 3 500 médecins généralistes. Sur ces 3 500, finalement combien d'étudiants exerceront volontairement ?

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