La lutte contre la désertification médicale s'inscrit dans un problème beaucoup plus vaste. Elle pose non seulement la question de toute la réorganisation de la médecine en ambulatoire, mais elle dépasse aussi totalement le champ médical.
Je ne reviens pas sur la baisse avérée du nombre et des vocations de médecins généralistes, voire de médecins spécialistes. Je passe aussi sur ce qui motive le choix des jeunes, mais je retiens un élément.
Lorsque j'ai commencé la médecine, je l'ai apprise en faisant des remplacements. Lorsque l'on était interne, on faisait des remplacements de médecine générale. C'était absolument formidable, et c'est là que nous apprenions la médecine. Il s'agissait d'un début fondamental. Aujourd'hui, c'est impossible : la quantité de connaissances nécessaires pour faire de la médecine, en particulier de la médecine générale ou interne, est telle qu'une personne seule ne peut y parvenir. Les jeunes le sentent très bien, et ce facteur s'ajoute à de nombreux autres – l'élément financier n'est que l'un d'eux, et la plupart concernent tous les secteurs de notre société.
Il n'y a pas de véritable désert médical pris isolement. Il n'y a un désert médical que lorsqu'il y a déjà un désert total : les commerçants ont disparu, il n'y a plus de pharmacie ou de poste… Il ne faut pas traiter le problème de la désertification médicale sans prendre le problème globalement.
La mauvaise répartition de l'offre médicale touche tout le monde. On pense souvent au milieu rural, bien entendu, mais il y a aussi les banlieues et Paris. J'exerce à Paris, je travaille à l'hôpital Necker depuis longtemps : je ne sais pas que répondre aux nombreux patients ou aux membres de ma famille qui me demandent les coordonnées d'un bon généraliste dans le 7e arrondissement. Vous n'en trouvez plus, ce qui s'explique par la pyramide des âges. Il ne faut donc pas penser seulement au milieu rural, le problème est beaucoup plus grave.
Il faut une réorganisation absolument globale de la médecine et de la médecine générale. Le médecin généraliste isolé, le médecin de famille, ça n'existe plus, et ça n'existera plus, pour plein de raisons qu'on pourra détailler. Il faut donc favoriser toutes les autres solutions. L'une d'entre elles réside dans l'ouverture de maisons médicales. Vous en avez déjà parlé. Il est évident qu'il faut les favoriser. Certaines sont énormes, en particulier dans le nord de la France, dans des bâtiments immenses. Les médecins y sont entourés de professionnels paramédicaux : infirmières, kinésithérapeutes…
En effet, la solution n'est pas tellement d'augmenter le nombre de médecins, mais plutôt celui des professionnels paramédicaux qui les aident. Je crois qu'on fait souvent erreur sur cette question, en particulier lorsque l'on parle d'élever le numerus clausus. Il faut avant tout favoriser les professions paramédicales. Au terme d'« infirmière sur poste avancé », je préfère celui d'« infirmière clinicienne ». Nous avons évoqué ce sujet à l'Académie et avec la direction compétente du ministère : il est clair que nous cherchons une aide pour le médecin généraliste plus qu'un poste « avancé ».
Il faut évidemment aussi modifier et adapter le cursus médical. Les stages en ville doivent être beaucoup plus nombreux et effectués plus précocement. Nous, nous avons appris en faisant nos premiers remplacements, alors que nous avions déjà été internes : c'était beaucoup trop tardif. Je vous invite à lire le rapport que la mission de concertation dirigée par Mme Élisabeth Hubert a consacré, en 2010, à la médecine de proximité. Il montre bien que si l'on veut une bonne organisation de la médecine générale, il est absolument indispensable que les étudiants la connaissent et qu'ils puissent voir comment elle est pratiquée. Cela implique que l'on forme de nombreux maîtres de stage, car il n'y en a pas – ils doivent aussi être motivés financièrement, c'est très important.
Il faut également donner davantage de pouvoirs aux ARS. Le problème n'est pas national : la solution ne tombera pas toute faite de l'avenue de Ségur ou de l'avenue Duquesne. Le problème est régional, il faut donc le confier aux ARS qui ont été créées pour cela à partir de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « HPST ». Il s'agit de l'un des points essentiels de la gestion du territoire.
Les ARS doivent aussi remplir une autre mission. Si la couverture médicale nationale est très mauvaise, celle du service d'aide médicale urgente (SAMU) est vraiment bonne. Le poste le plus important du SAMU, ce n'est pas celui du docteur Pelloux qui va faire semblant d'aller sur place, c'est le régulateur. L'essentiel, c'est la régulation. C'est à ce poste que l'on place les plus grands du SAMU. La régulation, c'est ce qui manque sur le territoire. La régulation n'existe que pour les urgences cardiaques et respiratoires, pas pour les autres spécialités. Lorsque le médecin est face à une urgence en urologie, en dermatologie ou en gastro-entérologie, il ne sait pas où s'adresser.
À Paris, par exemple, il existe un service d'urgences pour la dermatologie. Vous pouvez interroger les médecins de Paris et de sa banlieue, libéraux, hospitaliers ou autres – je me suis amusé à poser la question à un grand nombre d'entre eux : ils ne savent pas où il se trouve. En cas de réaction cutanée très grave d'un patient, d'un syndrome de Lyell ou d'une maladie bulleuse, le service d'urgences ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre est à Créteil.
Ces notions relèvent de la modulation. Je suis partisan d'une modulation confiée aux ARS : en cas d'urgence, le médecin ou l'infirmière, isolés dans leur « désert », pourraient appeler et obtenir des informations.
Je cite rapidement, avant de conclure, quelques instruments qu'il est indispensable de développer. Je pense évidemment à la télémédecine qui est une question majeure. On travaille aussi, sans aucun résultat, depuis des années, sur le dossier médical : il faut avancer en la matière. Nous devons également promouvoir ce que l'un de mes amis, le professeur Guy Vallencien, appelle les « hubs sanitaires » connectés : ils opéreraient un regroupement, intellectuel plus que physique, de médecins pour assurer la poursuite des soins.
J'estime, pour conclure, que les parlementaires peuvent être très utiles.
Selon moi, ils doivent d'abord favoriser les contacts entre les paramédicaux et les médecins généralistes. Vous pouvez essayer de rassembler les acteurs pour qu'ils avancent ensemble. Vous avez par exemple constaté que l'idée de la création des « infirmières sur poste avancé » a donné lieu à une opposition immédiate du syndicat de certains médecins généralistes. Il y aura toujours des oppositions syndicales, mais vous pouvez contribuer à fluidifier les relations et faire avancer la lutte commune contre les déserts médicaux.
Ensuite, j'en ai déjà parlé, vous devez donner un plus grand rôle aux ARS et soutenir la régionalisation.
Il faut encore que vous favorisiez l'implantation des maisons médicales. Toutes les aides doivent être utilisées pour cela, y compris les aides financières.
Enfin, il faut renforcer la possibilité d'intervention des paramédicaux. Je pense à ce que fait Olivier Lyon-Caen, qui conseille le directeur de l'assurance maladie, en mettant en place un programme destiné à la prise en compte de la psychothérapie et au remboursement des psychothérapeutes. C'est fondamental ! C'est comme cela que l'on fera avancer les choses, et que l'on aidera les professions paramédicales.