Avec difficulté ! Pour être honnête avec vous, les députés du Gouvernement ne font que très rarement des demandes au directeur parlementaire du budget. Au cours des quatre dernières années, il est arrivé une seule fois qu'un député de la majorité fasse une demande d'analyse de coûts, car le whip, qui assure la discipline du parti, fait savoir qu'il ne vaut mieux pas poser ces questions. Cela règle déjà une partie des difficultés.
En ce qui concerne les autres partis politiques, nous disons rarement non, sauf lorsqu'il n'y a pas de matérialité financière, mais nous allons étendre dans le temps l'analyse en tant que telle. Par exemple, le comité de la santé nous avait demandé l'analyse pour l'assurance-médicament en 2016, et nous lui avons fourni l'information dix mois plus tard. Un analyste ou deux sont concentrés sur ce genre d'évaluations, et les partis politiques, les députés ou les commissions peuvent dire qu'ils ne souhaitent pas attendre un tel délai.
Selon le Fonds monétaire international, qui analyse régulièrement les institutions financières indépendantes, les analyses de coûts sont les plus chronophages, contrairement aux analyses sur le marché du travail, par exemple. Le FMI estime qu'il faut vingt équivalents temps plein pour un parlement de 350 représentants. C'est un ratio peu scientifique, mais c'est l'évaluation du Fonds monétaire, et ce n'est pas pour rien que mon Bureau va passer de quinze à trente-cinq analystes, sans compter les ETP pour les tâches d'administration.
Avant, la loi prévoyait que les parlementaires pouvaient faire une demande d'analyse de coûts, mais le directeur parlementaire du budget n'était pas tenu de la faire. Dorénavant, la législation prévoit que le DPB « doit » la faire, et c'est pourquoi le Parlement a accepté de nous fournir davantage de fonds.
En ce qui concerne le recrutement, mon premier geste a été d'engager un chasseur de têtes. Il a fait le tour des universités du Canada et j'ai également envoyé des analystes et certains de mes directeurs dans les universités les plus importantes au Canada, pour faire du recrutement universitaire, dans une première phase. Nous avons réussi à recruter près de dix nouveaux diplômés de niveau maîtrise ou doctorat dans les universités. Ils ont accepté de venir travailler au Bureau et vont commencer dès cet été.
Dans une deuxième phase, ce même chasseur de têtes est en train de chercher des profils d'économistes, de spécialistes en finance ou en fiscalité, parmi un groupe de personnes plus expérimentées. Il fait le tour des ministères fédéraux et des ministères provinciaux pour recruter une nouvelle cohorte d'environ dix personnes qui viendront rejoindre le Bureau. Il eut été impossible de recruter ces universitaires ou de réaliser le programme de recrutement sans un chasseur de têtes.
S'agissant du directeur parlementaire du budget lui-même, c'est un agent indépendant du Gouvernement. Au Canada, il en existe huit, notamment le commissaire aux langues officielles, ou le directeur général des élections, qui est un agent du Parlement totalement indépendant du Gouvernement. Donc, je ne suis pas un employé du Gouvernement, je suis un employé du Parlement. Le recrutement se fait sur la base du mérite et de la compétence, et le bilinguisme est également un aspect extrêmement important. Le directeur doit être capable de travailler dans les deux langues officielles, anglais et français, sans appareil d'interprétation simultanée, ce qui vient ajouter aux exigences de compétence et à la difficulté de recruter. Toutefois, le bassin de personnes qui ont travaillé au niveau législatif, ou au niveau exécutif dans le Gouvernement, et qui sont bilingues, est relativement étendu.
Monsieur Barrot, vous m'avez interrogé sur les demandes individuelles de députés. Les députés du parti au pouvoir n'adressent pas de demandes, et pour les autres, nous faisons une sélection. Jusqu'à présent, nous réalisons entre trente et quarante analyses par an avec quinze analystes. Je pense qu'il doit être possible de doubler ce nombre au cours des prochaines années.
Pour l'accès aux données, vous avez tout à fait raison, c'est un débat perpétuel. Au cours des cinq dernières années, comme je relève du Président de la Chambre des députés et du Président du Sénat, j'ai fait du démarchage auprès d'eux pour qu'ils prévoient dans la loi un recours parlementaire, qui n'existait pas auparavant. Dorénavant, lorsque j'ai des difficultés à avoir accès à l'information, je peux me plaindre auprès des deux présidents pour qu'ils interviennent. Au Parlement du Canada, les présidents et les comités parlementaires ont le pouvoir d'exiger l'information de la part de l'exécutif. Ce n'est pas forcément un bâton très solide, mais j'ai au moins un levier qui me permet de négocier davantage avec les ministères.
Les sources d'information sont évidemment les ministères, avec lesquels je négocie en ce moment des protocoles d'entente en vue des campagnes électorales. Pendant la campagne, les ministères n'auront pas d'autre choix que de fournir l'information, ils devront collaborer.
Parmi les autres sources, on trouve Statistique Canada – l'équivalent de l'INSEE en France – avec qui j'ai d'excellentes relations. Un protocole d'entente nous donne un accès privilégié : lorsque j'envoie des analystes sur place pour consulter leurs grosses bases de données, nous sommes considérés comme des employés de Statistique Canada, ce qui évite tous les problèmes avec les informations confidentielles, nous pouvons y avoir accès.
Au Canada, le calendrier législatif prévoit une première lecture lorsqu'un projet de loi, une mesure ou une motion sont déposés par un député ou un sénateur. J'ai donc accès à ce calendrier législatif. Mais je ne fais rien avant que le stade de la deuxième lecture soit atteint, c'est-à-dire le renvoi à une commission pour discussion. C'est le moment déclencheur pour faire une analyse.
Nous avons très rarement recours à des expertises externes. C'est parfois le cas pour les relecteurs, nous demandons à des universitaires de le faire pro bono, ils sont très heureux de le faire. Mais il est difficile de trouver des universitaires politiquement neutres. Ils ont toujours des idées axées sur certaines politiques, ce qui peut rendre les choses difficiles. La plus grande partie de mon budget externe est consacrée à l'achat de données, car certaines données, au Canada, ne sont pas gratuites. Statistique Canada doit couvrir ses coûts. Pour le programme d'assurance-médicament, les données étaient détenues par Statistique Canada pour les médicaments publics, mais les compagnies d'assurances privées avaient les données des coûts de production. Elles nous ont fourni ces informations, mais j'ai dû investir environ 100 000 dollars pour avoir accès aux données sur le coût des médicaments.