La réunion débute à 15 heures 10.
Présidence de Jean-Noël Barrot, Président.
Le groupe de travail procède à une visioconférence avec M. Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget du Canada.
Monsieur le directeur, le groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation que je préside a été créé par le Bureau de l'Assemblée nationale pour la durée de la législature. Il compte dix membres représentant l'ensemble des groupes parlementaires ; son rapporteur est M. Jean-François Eliaou. Ce groupe de travail porte sur les moyens juridiques et matériels permettant la conduite des procédures de contrôle et d'évaluation.
La première séquence de nos travaux a été consacrée à l'amélioration des moyens de contrôle et d'évaluation dans le cadre de la révision constitutionnelle annoncée pour 2018. Elle s'est conclue par la publication d'un rapport qui propose quinze modifications de la Constitution.
La deuxième phase de nos travaux porte sur la préfiguration du format et des compétences d'un organe d'expertise propre au Parlement et à cet égard, les expériences étrangères nous sont précieuses. Une délégation de notre groupe s'est rendue à Washington ainsi qu'à Londres, et nous avons également interrogé les responsables du Bureau parlementaire du budget italien, créé en 2014.
Faute de pouvoir nous rendre à Ottawa, nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté cette rencontre en visioconférence qui, je n'en doute pas, nous permettra d'approfondir notre réflexion. En particulier, nous sommes désireux de vous entendre sur le statut de votre organisme, son autonomie de fonctionnement, les moyens dont il dispose, la nature des relations qu'il entretient avec les deux chambres du Parlement, leurs commissions et les parlementaires eux-mêmes. J'ajoute que les détails matériels et financiers nous intéressent également, puisque dans la proposition que nous remettrons au Bureau de l'Assemblée et à son Président, nous entrerons dans le détail de la mise en oeuvre, afin que les moyens que nous souhaitons donner au Parlement puissent être mis en oeuvre le plus rapidement possible.
Je vais maintenant vous laisser la parole avant que le rapporteur et éventuellement d'autres membres du groupe de travail engagent le débat avec vous.
Merci monsieur le président, C'est avec grand plaisir que j'ai accepté votre invitation. Je vais suivre la structure de ma présentation, telle qu'elle vous a été communiquée.
D'un point de vue historique, tout d'abord, pourquoi avoir décidé de créer un directeur parlementaire du budget ? Cette mesure trouve son point de départ dans une loi sur la responsabilité financière de 2006. Lors de la campagne de 2006, la plateforme électorale du parti conservateur proposait la création du directeur parlementaire – alors sous un autre nom – pour assurer la transparence et la crédibilité des prévisions du Gouvernement, à l'instar de votre Haut Conseil des finances publiques. Il a également été donné mandat au directeur parlementaire du budget d'aider les parlementaires à mieux comprendre la reddition des comptes que le ministère des finances doit faire au Parlement. Dans le système en vigueur au Canada, comme à Westminster, le Parlement tient les cordons de la bourse, et aucun impôt, taxe ou dépense ne peut être décidée sans son autorisation.
Avant 2006, le ministère des finances présentait des trajectoires et des prévisions budgétaires qui étaient toujours contredites à la fin de l'année, ce qui était évidemment mal perçu.
Je vous ai fait parvenir les dates de création des différents directeurs parlementaires ou institutions financières. Parmi les plus anciennes, on retrouve celle des Pays-Bas, en 1945. Les États-Unis ont créé le Congressional Budget Office (CBO) en 1974, pour des raisons proches de celles qui ont amené à la création du DPB au Canada. En effet, le président Nixon refusait de donner au Congrès les détails de l'administration sur le budget, et le Congrès a donc ressenti l'obligation de créer ce CBO pour l'aider à mieux comprendre la trajectoire des finances, et évaluer les coûts des projets de loi.
Tous les DPB ne sont pas égaux. Certains font des projections, de l'évaluation et de l'analyse, c'est le cas au Canada ; d'autres seulement des projections et de l'analyse, et les plus petits bureaux font seulement de l'analyse, sur le marché du travail ou d'autres sujets tels.
En 2017, la loi sur le Parlement du Canada a été amendée pour que le DPB devienne totalement indépendant et non partisan. C'était déjà largement le cas, mais le DPB était placé sous l'égide de la Bibliothèque du Parlement, qui est elle-même un organisme indépendant. La mission du DPB est d'appuyer le Parlement par des analyses macroéconomiques et budgétaires, dans le but d'améliorer la qualité des débats parlementaires.
Le DPB peut préparer des rapports contenant ses analyses sur les documents du gouvernement fédéral. Il s'agit tout d'abord des budgets et des mises à jour, ou des exposés économiques et financiers soumis par le ministre des finances. Nous analysons également les rapports sur la viabilité financière, qui présentent la trajectoire financière à très long terme, sur un horizon de soixante-quinze ans, afin de prendre en considération deux aspects extrêmement importants au Canada : le vieillissement de la population et les coûts de santé associés. Jusqu'en 2030, la population canadienne va vieillir extrêmement rapidement, ce qui aura des incidences sur le marché du travail. Enfin, le DPB analyse également les prévisions budgétaires du Gouvernement, car au Canada, le budget déposé par le ministre des finances est essentiellement un document de propagande, il exprime les grandes et belles idées sans nécessairement les prévisions budgétaires associées. Les prévisions budgétaires, en revanche, sont les budgets indépendants de chaque ministère, les sommes allouées à partir du budget du ministère. Les prévisions budgétaires, que l'on appelle les estimés budgétaires, permettent au Gouvernement et aux ministères de recevoir leurs allocations par le vote du Parlement.
Le DPB peut également être saisi de demandes d'analyses sur les questions qui touchent les finances ou l'économie du pays – trajectoire budgétaire et macroéconomique – à la demande de quatre comités parlementaires, l'équivalent de vos commissions, qui sont le comité des finances nationales du Sénat (NFFN), le comité des finances de la Chambre des communes (CDC FINA), celui des opérations gouvernementales (CDC OGGO) et celui des comptes publics (CDC PAC). Seuls ces comités peuvent aborder les questions de macroéconomie et de trajectoire financière.
Les autres comités parlementaires, qui examinent les prévisions budgétaires des ministères ou des agences gouvernementales, peuvent demander des recherches et des analyses pour ce qui touche ces prévisions budgétaires.
De plus, et je pense que nous en venons à ce qui constitue l'élément central de votre mandat, tout comité parlementaire peut demander d'évaluer le coût financier de toute mesure proposée relevant des domaines de compétence du Parlement. Il s'agit des domaines de compétences de l'État fédéral, le DPB ne fera jamais d'analyses sur des mesures qui relèvent essentiellement des provinces, comme le Québec, l'Ontario ou l'Alberta, mais nous allons pouvoir évaluer le coût financier de toutes les idées que les comités parlementaires peuvent avoir, j'y reviendrai dans quelques instants.
Enfin, à la demande de tout sénateur ou de tout député, le directeur parlementaire du budget doit évaluer le coût financier de toute mesure proposée relevant des domaines de compétence du Parlement. Vous savez que les parlementaires canadiens peuvent lancer des projets de loi d'initiative parlementaire, que l'on appelle des projets de loi privés. Tout bon parlementaire a de multiples idées au cours d'une session, et il peut déposer un projet de loi à la Chambre des communes. Cette dernière peut en référer aux comités parlementaires, ou en discuter directement.
Par exemple, récemment, un parlementaire nous a demandé une analyse sur un sujet très discuté actuellement au Canada : la création d'un revenu minimum garanti (RMG) qui permettrait de remplacer tous les filets de sécurité sociale : assurance-emploi, programmes de bien-être social, soutien des personnes sous le seuil de pauvreté. Le projet de loi de ce député visait à créer un RMG qui regrouperait tous ces programmes en un seul. L'idée est géniale, selon le député, et c'est ce qu'il a défendu au cours des débats, jusqu'à ce qu'il demande le coût de cette mesure. Le rôle du DPB est justement de réaliser cette évaluation, et ce coût s'élevait à 76 milliards de dollars canadiens, soit presque 50 milliards d'euros. C'était effectivement une idée géniale, je le dis sans ironie, mais le coût associé est extrêmement élevé.
Le DPB va également étudier le coût des projets de loi déposés par le Gouvernement. Récemment, un projet de loi a été déposé pour changer le taux d'imposition du revenu des petites sociétés privées. Au Canada, les petites sociétés unipersonnelles servent souvent d'écran pour payer moins d'impôts et de taxes. Ce sont les médecins, les vétérinaires, les avocats ou les comptables qui ont le droit de s'incorporer, c'est-à-dire se constituer en société. Après cela, ils ne sont plus considérés par l'État comme un individu, mais comme une société dont les revenus sont imposés au maximum à 15 %, tandis que le taux maximal pour les personnes physiques au Canada est de 50 %. Vous comprenez l'intérêt de s'incorporer pour certaines personnes. Le Gouvernement a voulu rééquilibrer ce taux pour réintroduire un peu de justice, sans empêcher les personnes de s'incorporer, mais en prévoyant un taux d'imposition plus élevé.
Les motions d'une commission parlementaire peuvent également être analysées par le DPB, par exemple, il nous a été demandé d'examiner le coût d'un programme national d'assurance-médicament. Le gouvernement libéral discutait la semaine dernière de son programme en vue des élections qui se tiendront dans un an, et ce programme national d'assurance-médicament est revenu dans le débat. Au Canada, nous avons déjà une assurance-santé qui couvre tous les individus, mais nous étions un des seuls pays de l'OCDE à ne pas avoir d'assurance-médicament. Tous les individus ne sont pas couverts par ce genre de programme au niveau fédéral, même si des programmes d'assurance-médicament existent dans certaines provinces. La commission parlementaire a donc demandé au directeur parlementaire du budget d'évaluer le coût d'une telle mesure au niveau national. Ce coût est assez important, mais le gouvernement fédéral pourrait l'absorber : 19 milliards de dollars canadiens, soit 12 milliards d'euros.
Dans le détail, les analyses de coût des mesures proposées intègrent généralement l'incidence de la réponse comportementale. Ainsi, dans le cas d'un changement de taux ou de palier d'imposition, les travailleurs pourraient faire évoluer le nombre d'heures travaillées. Les stratégies fiscales concernent tous les professionnels qui étaient incorporés dans des sociétés. Et des changements de consommation peuvent intervenir ; par exemple, dans l'hypothèse de la mise en place d'un programme d'assurance-médicament, nous nous sommes aperçus que lorsque les médicaments sont couverts par une assurance, les médecins ont tendance à les prescrire davantage, et les consommateurs à les consommer davantage.
Enfin, depuis plus d'un an, nous tentons de faire une analyse « sexospécifique plus », c'est-à-dire fondée sur le genre. Nous prenons en considération le comportement du consommateur moyen, mais également le comportement en fonction du genre des personnes. Par exemple, dans un programme de revenu minimum garanti, les heures travaillées ont tendance à chuter dans certains cas, selon la littérature, notamment pour les femmes qui, lorsqu'elles reçoivent un revenu, ont tendance à travailler un peu moins d'heures, ou à être moins tentées d'aller chercher des heures supplémentaires. L'analyse sexospécifique plus porte non seulement sur les genres, mais également sur les différentes régions du Canada et les âges des différents consommateurs ou contribuables. C'est une analyse exigeante, qui allonge énormément la durée d'analyse d'une mesure ou d'un projet présenté par le Gouvernement ou les députés.
Enfin, j'appelle votre attention sur un aspect intéressant qui a été introduit par la loi de 2017. Dorénavant, non seulement le DPB devra faire l'analyse du coût des mesures proposées par les parlementaires et le Gouvernement pendant la session parlementaire, mais pendant la période électorale, quand le Parlement est dissous, les partis politiques pourront demander de faire évaluer le coût financier de chacune des mesures proposées dans le cadre de leur campagne électorale. La plateforme électorale devient un outil que le parti politique peut utiliser avec le directeur parlementaire du budget pour que ce dernier détermine le coût des mesures proposées. Cela risque d'être une aventure risquée pour le DPB et de le placer sur la sellette, en l'accusant de biais partisan. Vous pouvez le comprendre, vous qui avez fait des campagnes, des promesses non chiffrées sont souvent faites, et maintenant au Canada, ces promesses seront chiffrées. Vous comprenez très bien le risque que le DPB devra affronter au cours des prochaines élections.
Pour vous donner un exemple, lors de la campagne de 2015, le parti libéral avait promis une taxe « Robin des Bois », qui consistait à augmenter le dernier palier d'imposition des Canadiens au niveau fédéral à 33 %, pour ceux qui gagnent plus de 200 000 dollars par an, et diminuer le taux d'imposition de la classe moyenne de 1,5 point de pourcentage, à 20,5 %. Le parti libéral avançait que cette réforme serait à coût neutre : on prendrait l'argent des riches que l'on donnerait à la classe moyenne, sans aucun impact sur le Trésor public. Évidemment, en 2015, nous n'avons pas calculé le coût de cette mesure car la loi n'était pas encore en place. Mais six mois après les élections de 2015, le Bureau a fait une évaluation et sans surprise, le coût n'était pas neutre, il était de 2 milliards de dollars canadiens pour le Trésor public, parce que prendre aux riches pour donner aux classes moyennes ne fonctionne pas de manière directe en économie et en fiscalité.
J'en viens aux aspects opérationnels. Jusqu'en 2017, nous avions quinze analystes et notre budget opérationnel était de 2,8 millions de dollars par an. Depuis l'amendement de la loi du Parlement de 2017, le Bureau pourra compter trente-deux analystes. Cette augmentation des moyens s'explique essentiellement par l'obligation de calculer le coût des plateformes électorales, mais aussi des mesures proposées par les députés ou les sénateurs au Parlement. Au total, nous compterons quarante-deux équivalents temps plein en prenant en compte le personnel de soutien administratif, et le budget sera de 7,1 millions de dollars par an.
L'agenda de publication est flexible, et le Bureau est totalement non partisan et indépendant. Lorsque nous rendons une analyse, même si elle a été demandée par un député, elle devient publique pour tous les membres du Parlement au même moment. Il n'y a pas de privilège pour le député qui fait la demande, toutes nos analyses sont immédiatement publiées.
Le Bureau valorise la transparence, nous assurons la disponibilité de tous les documents techniques et de toutes les méthodologies. Tous les chiffriers et toutes nos données sont ouverts. D'autres groupes, ou les services de recherche des partis politiques, pourraient reprendre nos recherches et revoir la méthodologie ou nos chiffres pour contester nos conclusions ou poser des questions plus précises.
Enfin, nous donnons un préavis aux parlementaires, nous leur faisons également des briefings techniques lors de la journée de publication. Par la suite, les analystes sont disponibles pour répondre aux questions des parlementaires ou des journalistes.
L'accès aux données est évidemment le nerf de la guerre pour un bureau d'analyse macroéconomique. La nouvelle loi précise que : « (…) le DPB a le droit (…) de prendre connaissance gratuitement et en temps opportun de tout renseignement qui relève du ministère ou de sociétés d'État mère et qui est nécessaire à l'exercice de son mandat (…) » Les données ouvertes ont pour effet de promouvoir la responsabilisation et la réforme démocratique au sein du Gouvernement. Un accès accru aux données et à l'information augmente la transparence des activités et permet aux parlementaires de vérifier la bonne utilisation des deniers publics.
Cet accès aux données, très important, peut sembler constituer une priorité pour ce nouveau Gouvernement, comme le laisse penser la lettre de mandat du Premier ministre au président du Conseil du Trésor de 2015, dans laquelle il écrivait : « Je compte sur vous pour (…) rendre public les renseignements clés sur lesquels reposent nos décisions. » Mais entre la volonté exprimée et la réalité, il y a souvent une marche très haute à grimper. Ainsi, lors d'un échange au sein du Comité sénatorial permanent des droits de la personne le 30 novembre 2016, une sénatrice demandait à avoir accès aux analyses sexospécifiques, mais le haut fonctionnaire interrogé lui répondit : « C'est un document confidentiel du Cabinet, parce que cela fait partie des conseils budgétaires au ministère. Ce n'est pas quelque chose que je peux vous transmettre. »
C'est le genre d'informations auxquelles je n'ai pas accès, alors que je devrais y avoir accès car tous les ministères font ce type d'analyses avant de prendre une nouvelle mesure. C'est également le genre d'analyses auxquelles les parlementaires devraient avoir accès, et malheureusement, ce n'est pas le cas.
Pour terminer cette présentation, je souhaite vous présenter des exemples très rapides que vous retrouverez sur le site internet du Bureau du directeur parlementaire du budget.
Tout d'abord, nous proposons un simulateur budgétaire, qui est extrêmement utilisé par les parlementaires. C'est un outil en libre-service qui permet, lorsque quelqu'un veut changer le taux de la taxe sur les produits et services (TPS) – l'équivalent de votre TVA – ou le taux d'imposition, de tenter d'évaluer le coût budgétaire d'une réforme. Nous l'avons fait après les élections en ayant à l'esprit la mesure consistant à imposer un palier d'imposition plus élevé.
Nous proposons également un outil de calcul d'impôt et des transferts : à chaque budget, lorsque des mesures fiscales sont changées, nous ajustons cette application en libre-service qui permet aux parlementaires, aux journalistes et au grand public de mesurer l'impact que ces variations de taxe ou de taux d'imposition peuvent avoir sur leur situation personnelle, et sur le Gouvernement.
Il en va de même pour l'outil permettant de calculer l'incidence financière de la variation du PIB réel, du prix du PIB ou des taux d'intérêt. Il permet aux gens de comprendre ce que signifie pour les revenus ou les dépenses de l'État une variation de 1 % du PIB.
Nous proposons également une carte sur les paramètres du cannabis au Canada. La légalisation du cannabis aura lieu cet été au Canada. L'idée première du Gouvernement n'est pas d'en faire une source de revenus, mais un moyen de contrôle du marché noir qui existe actuellement. Ce tableau permet de voir, région par région, le prix illicite actuel et le volume de consommation. Ce modèle permet aux parlementaires de calculer l'impact de la taxe d'accise de 1 dollar par gramme de marijuana sèche.
Le mandat du Bureau du directeur parlementaire du budget se déroule donc dans un contexte non partisan, il se doit d'être pertinent et ses publications doivent se faire en temps opportun. Il a pour but essentiel d'aider les parlementaires à mieux comprendre la trajectoire des finances et le budget, mais également de mieux saisir le coût de certaines des idées qu'ils mettent en avant.
Vous avez dressé une liste impressionnante des missions que vous avez exercées avec quinze personnes jusqu'en 2015. Comparé à d'autres institutions que nous avons étudiées, c'est impressionnant, en tout cas sur le papier. Nous supposons que des priorités doivent être établies. Comment priorisez-vous les demandes qui vous parviennent ?
Vous avez mentionné le doublement de la taille du DPB, suite à l'attribution de la mission de chiffrage des plateformes électorales, et à des missions spécifiquement dédiées aux parlementaires. Pourriez-vous entrer dans le détail ? Il n'est pas nécessaire de vous attarder sur le chiffrage des promesses électorales, car je ne pense pas que nous allons nous engager dans cette voie, mais quelle mission spécifique concernant les parlementaires a été ajoutée, et combien d'ETP impose-t-elle de recruter ?
En matière de recrutement, comment est nommé le directeur ? Et comment se font les autres recrutements ? Vous allez recruter beaucoup d'analystes, comment va-t-il y être procédé ? Quel est le profil de ces analystes : appartiennent-ils à la fonction publique ou ont-ils un profil universitaire ?
Merci beaucoup de nous avoir accordé de votre temps. L'expérience canadienne est intéressante pour nous qui sommes en train de construire une structure, cette comparaison est importante.
Vous avez précisé dans votre présentation que votre Bureau pouvait être saisi par différents organes, notamment les commissions parlementaires, mais également par des députés, individuellement. Avec quelle rapidité répondez-vous à une saisine des commissions ou des députés ? Je ne connais pas le nombre de députés au Canada, mais il est évidemment important, comment gérez-vous l'accumulation des demandes ? Existe-t-il une hiérarchie entre députés de la majorité ou de l'opposition ?
Vous avez abordé la question de l'accès aux données, à laquelle je suis très sensible. Tous les modèles peuvent être particulièrement performants, mais ils tournent à partir de données. Qui a les données ? Est-ce le Gouvernement ? Et si c'est le cas, comment y avez-vous accès, est-ce que des efforts particuliers sont faits ?
En troisième lieu, afin d'organiser vos travaux, avez-vous communication du calendrier législatif du Gouvernement ? Si les lois tombent les unes après les autres sans que vous n'ayez pu les anticiper, il est compliqué de vous organiser, et cela aura évidemment un impact sur votre productivité.
Dernière question, faites-vous appel à des expertises externes, privées ou académiques ? Et si c'est le cas, pourriez-vous nous donner une idée du budget que vous consacrez au financement de ces expertises ?
Un dernier point : vous avez évoqué le rattachement à la Bibliothèque, je ne sais pas si vous le mentionniez en référence à la situation actuelle ou passée. Si c'est la situation passée, quel est le rattachement actuel, et pourquoi le rattachement a-t-il changé ?
Je vais commencer par répondre à votre dernière question sur le rattachement à la Bibliothèque. En 2006, il existait à peine une dizaine de structures semblables au Bureau du directeur parlementaire du budget dans le monde. La Bibliothèque du Parlement est un énorme service de recherche qui comprend un peu plus d'une centaine d'analystes spécialisés en économie, en finances, en droit, en sciences naturelles, en environnement. Il fournit des analyses confidentielles à tous les députés et toutes les commissions parlementaires.
En 2006, le législateur a cru bon de créer une branche interne à la Bibliothèque du Parlement, sur un modèle différent : celui du DPB, qui serait ouvert et pas confidentiel. À ce moment, le rapprochement était normal. Évidemment, avec le temps, nous nous sommes rendu compte que nous faisions deux types de travail différents, notamment parce que leur modèle fonctionne sur le principe de la confidentialité, à la différence du nôtre, et nos analyses sont plus poussées : la Bibliothèque travaille sur des échéanciers de deux semaines, alors que nous travaillons sur des échéances de un, deux mois, voire plus.
C'est la raison de la séparation du Bureau et de la Bibliothèque, mais nous devons nous compléter, et je m'entretiens régulièrement avec la bibliothécaire parlementaire pour utiliser les deniers publics de façon complémentaire, et pas en concurrence.
La question sur la priorisation des demandes est très pertinente. Au Canada, il y a 318 députés et 105 sénateurs, qui composent la clientèle de mon Bureau. Les priorités sont établies selon deux critères. Prenons l'exemple précis d'un parlementaire qui nous demande de réaliser l'évaluation d'un projet de loi qui viendrait d'être inscrit à l'ordre du jour. La première chose que nous regardons, c'est la matérialité financière de ce projet. Par exemple, un projet consistant à accorder un crédit pour les chiens accompagnateurs de personnes qui ont des troubles psychologiques, pour un coût de 50 millions de dollars, n'a pas une matérialité financière très élevée. Le projet de revenu minimum garanti, lui, avait une grande matérialité financière.
Le second critère est celui de l'intérêt pour le Parlement et le débat démocratique. Il est possible qu'un projet de loi soit matériellement peu important, mais que son intérêt pour le débat parlementaire soit grand. La légalisation du cannabis en est un exemple, sa taxation ne constituera pas un revenu important pour le Gouvernement, mais depuis un an, on parle de ce sujet toutes les semaines au Parlement, et cet aspect parlementaire devient important.
Quand vous êtes sollicités par divers groupes politiques ou des présidents de commissions parlementaires, parce que c'est le budget ou que des sujets tels que la légalisation du cannabis prennent le devant, comment choisissez-vous à qui répondre en priorité ? À moins que vous ne soyez en sureffectif, ce dont je doute, comment décidez-vous qui doit attendre ? Comme les choses se passent-elles ?
Avec difficulté ! Pour être honnête avec vous, les députés du Gouvernement ne font que très rarement des demandes au directeur parlementaire du budget. Au cours des quatre dernières années, il est arrivé une seule fois qu'un député de la majorité fasse une demande d'analyse de coûts, car le whip, qui assure la discipline du parti, fait savoir qu'il ne vaut mieux pas poser ces questions. Cela règle déjà une partie des difficultés.
En ce qui concerne les autres partis politiques, nous disons rarement non, sauf lorsqu'il n'y a pas de matérialité financière, mais nous allons étendre dans le temps l'analyse en tant que telle. Par exemple, le comité de la santé nous avait demandé l'analyse pour l'assurance-médicament en 2016, et nous lui avons fourni l'information dix mois plus tard. Un analyste ou deux sont concentrés sur ce genre d'évaluations, et les partis politiques, les députés ou les commissions peuvent dire qu'ils ne souhaitent pas attendre un tel délai.
Selon le Fonds monétaire international, qui analyse régulièrement les institutions financières indépendantes, les analyses de coûts sont les plus chronophages, contrairement aux analyses sur le marché du travail, par exemple. Le FMI estime qu'il faut vingt équivalents temps plein pour un parlement de 350 représentants. C'est un ratio peu scientifique, mais c'est l'évaluation du Fonds monétaire, et ce n'est pas pour rien que mon Bureau va passer de quinze à trente-cinq analystes, sans compter les ETP pour les tâches d'administration.
Avant, la loi prévoyait que les parlementaires pouvaient faire une demande d'analyse de coûts, mais le directeur parlementaire du budget n'était pas tenu de la faire. Dorénavant, la législation prévoit que le DPB « doit » la faire, et c'est pourquoi le Parlement a accepté de nous fournir davantage de fonds.
En ce qui concerne le recrutement, mon premier geste a été d'engager un chasseur de têtes. Il a fait le tour des universités du Canada et j'ai également envoyé des analystes et certains de mes directeurs dans les universités les plus importantes au Canada, pour faire du recrutement universitaire, dans une première phase. Nous avons réussi à recruter près de dix nouveaux diplômés de niveau maîtrise ou doctorat dans les universités. Ils ont accepté de venir travailler au Bureau et vont commencer dès cet été.
Dans une deuxième phase, ce même chasseur de têtes est en train de chercher des profils d'économistes, de spécialistes en finance ou en fiscalité, parmi un groupe de personnes plus expérimentées. Il fait le tour des ministères fédéraux et des ministères provinciaux pour recruter une nouvelle cohorte d'environ dix personnes qui viendront rejoindre le Bureau. Il eut été impossible de recruter ces universitaires ou de réaliser le programme de recrutement sans un chasseur de têtes.
S'agissant du directeur parlementaire du budget lui-même, c'est un agent indépendant du Gouvernement. Au Canada, il en existe huit, notamment le commissaire aux langues officielles, ou le directeur général des élections, qui est un agent du Parlement totalement indépendant du Gouvernement. Donc, je ne suis pas un employé du Gouvernement, je suis un employé du Parlement. Le recrutement se fait sur la base du mérite et de la compétence, et le bilinguisme est également un aspect extrêmement important. Le directeur doit être capable de travailler dans les deux langues officielles, anglais et français, sans appareil d'interprétation simultanée, ce qui vient ajouter aux exigences de compétence et à la difficulté de recruter. Toutefois, le bassin de personnes qui ont travaillé au niveau législatif, ou au niveau exécutif dans le Gouvernement, et qui sont bilingues, est relativement étendu.
Monsieur Barrot, vous m'avez interrogé sur les demandes individuelles de députés. Les députés du parti au pouvoir n'adressent pas de demandes, et pour les autres, nous faisons une sélection. Jusqu'à présent, nous réalisons entre trente et quarante analyses par an avec quinze analystes. Je pense qu'il doit être possible de doubler ce nombre au cours des prochaines années.
Pour l'accès aux données, vous avez tout à fait raison, c'est un débat perpétuel. Au cours des cinq dernières années, comme je relève du Président de la Chambre des députés et du Président du Sénat, j'ai fait du démarchage auprès d'eux pour qu'ils prévoient dans la loi un recours parlementaire, qui n'existait pas auparavant. Dorénavant, lorsque j'ai des difficultés à avoir accès à l'information, je peux me plaindre auprès des deux présidents pour qu'ils interviennent. Au Parlement du Canada, les présidents et les comités parlementaires ont le pouvoir d'exiger l'information de la part de l'exécutif. Ce n'est pas forcément un bâton très solide, mais j'ai au moins un levier qui me permet de négocier davantage avec les ministères.
Les sources d'information sont évidemment les ministères, avec lesquels je négocie en ce moment des protocoles d'entente en vue des campagnes électorales. Pendant la campagne, les ministères n'auront pas d'autre choix que de fournir l'information, ils devront collaborer.
Parmi les autres sources, on trouve Statistique Canada – l'équivalent de l'INSEE en France – avec qui j'ai d'excellentes relations. Un protocole d'entente nous donne un accès privilégié : lorsque j'envoie des analystes sur place pour consulter leurs grosses bases de données, nous sommes considérés comme des employés de Statistique Canada, ce qui évite tous les problèmes avec les informations confidentielles, nous pouvons y avoir accès.
Au Canada, le calendrier législatif prévoit une première lecture lorsqu'un projet de loi, une mesure ou une motion sont déposés par un député ou un sénateur. J'ai donc accès à ce calendrier législatif. Mais je ne fais rien avant que le stade de la deuxième lecture soit atteint, c'est-à-dire le renvoi à une commission pour discussion. C'est le moment déclencheur pour faire une analyse.
Nous avons très rarement recours à des expertises externes. C'est parfois le cas pour les relecteurs, nous demandons à des universitaires de le faire pro bono, ils sont très heureux de le faire. Mais il est difficile de trouver des universitaires politiquement neutres. Ils ont toujours des idées axées sur certaines politiques, ce qui peut rendre les choses difficiles. La plus grande partie de mon budget externe est consacrée à l'achat de données, car certaines données, au Canada, ne sont pas gratuites. Statistique Canada doit couvrir ses coûts. Pour le programme d'assurance-médicament, les données étaient détenues par Statistique Canada pour les médicaments publics, mais les compagnies d'assurances privées avaient les données des coûts de production. Elles nous ont fourni ces informations, mais j'ai dû investir environ 100 000 dollars pour avoir accès aux données sur le coût des médicaments.
Le calendrier législatif du Gouvernement vous est-il communiqué, afin que vous puissiez anticiper la charge de travail et la priorisation des différentes requêtes ? C'est très important pour nous.
Il est difficile d'anticiper, je n'ai pas de privilège d'accès à l'information, je ne sais pas ce que le Gouvernement va faire avant qu'il ne dépose officiellement le projet de loi. Le calendrier législatif varie évidemment de semaine en semaine. Au sein du Bureau, un directeur s'occupe de tous les services exécutifs et les affaires parlementaires. Son rôle est de scruter le calendrier législatif lorsque l'agenda parlementaire est publié, le lundi matin. Mais si un projet de loi est en train d'être préparé au niveau du ministère, je n'ai pas accès à ce qui est fait derrière les portes closes.
Est-ce que le budget du Bureau, décomposé par postes, est disponible en ligne ? Ou pourriez-vous nous le procurer ? Est-il possible d'avoir une description plus précise de la répartition des 2,8 et des 7,1 millions de dollars canadiens entre les frais de personnel, l'acquisition de données et les infrastructures ?
Quand vous dites que le FMI recommande 20 ETP pour un parlement comme celui du Canada, vous fondez-vous sur le graphique issu du Fiscal Council dataset du FMI que vous nous avez fait parvenir, ou avez-vous d'autres éléments ?
Je me fonde en partie sur ce graphique, mais également sur d'autres facteurs, notamment une base historique de calcul du nombre de projets de loi ayant une connotation financière dans un parlement similaire à celui du Canada. C'est la base utilisée par le FMI, qui va étudier le nombre de projets de loi aux États-Unis, au Canada ou encore en Grande-Bretagne pour établir une moyenne. Au Canada, après deux ans et demi de gouvernement, nous avons près de 200 projets de loi d'initiative personnelle. Tous ces projets de loi n'ont évidemment pas atteint la liste de priorités, et certains vont rester sur les tablettes pour le reste de la législature.
Le FMI préconise un nombre d'analystes par pays ? Ces données sont actualisées chaque année, ou vous référez-vous à une publication spécifique ?
Ils publient ces données à peu près tous les deux ans. Le réseau des DPBIFI de l'OCDE a fait le même genre d'exercice, en analysant la croissance du nombre d'ETP dans les différents bureaux en fonction de la charge de travail passée.
Les données du FMI remontent à 2015. Ce nombre de vingt personnes concerne essentiellement l'analyse de coûts, pas le travail lié à l'analyse de la trajectoire budgétaire ou macroéconomique. Ce nombre de vingt personnes correspond à une équipe dédiée, fixe dans le temps, pour un parlement de 300 à 400 personnes.
Le budget détaillé du Bureau est effectivement en ligne, mais je vais m'assurer que vous en receviez une copie. La part la plus importante du budget – environ 5 millions – concerne les salaires, à cause de nos effectifs. Les 2 millions restants couvrent les autres postes budgétaires, mais tout est en ligne et nous vous ferons parvenir l'information.
Quel est le statut des collaborateurs ? Ils appartiennent à la fonction publique parlementaire, ou sont-ce des contractuels ? Ces personnes vont-elles faire l'ensemble de leur carrière au Bureau du DPB, ou feront-elles des allers-retours avec le secteur privé ?
C'est un mélange de diverses provenances. Moi-même j'ai travaillé vingt-huit ans au sein du Parlement, où j'ai été directeur général de la recherche pour la Bibliothèque du Parlement. Certains sont des avocats fiscalistes qui viennent du secteur privé. Les deux tiers des analystes actuels, directeurs inclus, ont eu des carrières passées en milieu universitaire ou dans la haute fonction publique, notamment dans des agences comme le Conseil privé, le ministère des finances ou le Conseil du Trésor. Il y a très peu de va-et-vient, à l'exception de personnes venues du ministère des finances pour quelque temps et qui ont décidé d'y retourner.
Leur profil varie. Actuellement, 80 % des analystes travaillent dans le Bureau depuis plus de cinq ans. Il y a donc une stabilité interne importante de nos employés. Mais je n'ai aucun problème à accepter des détachements ; par exemple, un analyste est à Paris depuis deux ans, à l'OCDE, afin de développer un autre type d'analyse et d'expertise en milieu international. Toutefois, pour l'essentiel, les employés actuels viennent du secteur public.
Merci beaucoup de nous avoir consacré du temps, monsieur le directeur. Si nous pouvons effectivement récupérer les documents plus précis sur le détail de votre budget, ce sera très utile pour nous.
Merci à vous, je vais m'assurer que vous disposiez de ce complément d'information.
La réunion s'achève à 16 heures 15.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Noël Barrot, M. Jean-François Eliaou
Excusés. - Mme Aurore Bergé, M. Paul Christophe, M. Régis Juanico